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Date : 20051130

Dossier : T-1834-04

Référence : 2005 CF 1626

ENTRE :

CHARLOTTETOWN BOTTLE AND METALS LIMITED

demanderesse

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

INTRODUCTION

[1]                La demanderesse a présenté une demande en annulation d'arriérés, d'intérêts et de pénalités en vertu de la Loi sur la taxe d'accise (la Loi). Le ministre défendeur lui a refusé cette mesure d'allégement et elle veut maintenant obtenir un contrôle judiciaire de ce refus.

CONTEXTE

[2]                La société demanderesse exploite une entreprise de récupération de ferraille et de bouteilles à Charlottetown. Elle appartient à M. William Kinney et est contrôlée par lui.

[3]                À la suite d'une vérification, il a été révélé que la demanderesse n'avait pas versé certains paiements de TPS et avait utilisé ces sommes pour ses propres fins. La société a fait l'objet d'une cotisation pour la taxe non versée, plus les pénalités et les intérêts.

[4]                Le 13 novembre 2001, les parties ont conclu une entente pour le paiement de cette dette, en vertu de laquelle la demanderesse devait verser un montant forfaitaire plus 2 000 $ par mois jusqu'à remboursement complet. L'entente prévoyait que les pénalités et les intérêts continueraient de courir sur le solde impayé au taux prescrit.

[5]                Lors d'une conversation téléphonique le 10 janvier 2002, la demanderesse a présenté une « demande fondée sur l'équité » , soit une demande en vue d'être exonérée du paiement des intérêts et des pénalités, en raison des difficultés financières qu'éprouvait la société. En vertu des paragraphes 281.1 (1) et (2) de la Loi, le défendeur a le pouvoir discrétionnaire de renoncer à ces paiements ou de les annuler. La demande a été refusée.

[6]                En octobre 2002, M. Kinney a subi une crise cardiaque. En conséquence, il a pris du retard dans ses versements mensuels.

[7]                En mars 2003, la demanderesse a réussi à négocier une réduction du montant des versements mensuels, lequel a été établi à 1 000 $. La disposition relative aux intérêts et aux pénalités, qui continuaient de courir, est demeurée inchangée.

[8]                Enfin, le 28 janvier 2004, la demanderesse a présenté une deuxième « demande fondée sur l'équité » , encore une fois pour des raisons de difficultés financières attribuables à la dépréciation de l'actif de la société et à l'incapacité d'obtenir un financement.

[9]                Elle a aussi pris la mesure inhabituelle d'aviser le défendeur qu'elle ne ferait plus ses versements mensuels exigibles tant qu'une décision n'aurait pas été rendue relativement à sa demande fondée sur l'équité. Elle semble avoir fait cela parce qu'on continuait de lui imposer des intérêts et des pénalités, malgré le libellé explicite de l'entente du 21 novembre 2001 et l'absence de modification de cette disposition lorsque le défendeur a accepté la réduction des mensualités.

[10]            Le défendeur a refusé cette deuxième demande fondée sur l'équité le 13 septembre 2004. L'essentiel de sa décision se trouve dans le paragraphe suivant de la lettre-décision :

[traduction] Nous avons étudié avec soin les circonstances et les faits relatifs à votre dossier en ce qui a trait aux dispositions législatives en matière d'équité. Cependant, il ne nous apparaît pas qu'il existait des circonstances extraordinaires ou des difficultés financières qui vous empêchaient de produire vos déclarations de TPS à la date prescrite, de verser la TPS à l'ARC à la date prescrite ou qui vous empêchent de payer le montant de TPS impayé dont vous êtes redevable.

[11]            De façon plus précise, le défendeur a conclu que le stock de ferraille, évalué à 60 000 $, pouvait être vendu pour réduire le montant de la taxe à payer. Il a aussi considéré que si le prêt de 22 000 $ consenti à M. Kinney par la société était remboursé, le montant pourrait servir à réduire le montant de la TPS à payer. Enfin, le défendeur a considéré les antécédents de la demanderesse relativement aux déclarations de TPS produites en retard et aux versements effectués, y compris la décision unilatérale de ne plus effectuer les versements tel que convenu. Il a considéré que ces facteurs démontraient une absence de prudence et de diligence raisonnables à l'égard des obligations de paiement de la demanderesse.

ANALYSE

[12]            La demanderesse soulève trois questions dans la présente demande de contrôle judiciaire :

·                     le défendeur a manqué à un principe de justice naturelle ou à l'équité procédurale en n'accordant pas à la demanderesse le droit à un préavis suffisant et le droit d'être informée de la preuve ayant étayé la décision du ministre;

·                     le ministre a commis une erreur de droit en limitant la décision fondée sur l'équité à des « circonstances extraordinaires » et en s'appuyant sur des faits non pertinents relatifs aux antécédents de production de déclarations et de paiements de la demanderesse; et

·                     le ministre a, d'une manière abusive et arbitraire, commis une erreur de fait dans sa décision relative aux difficultés financières, notamment en ce qui a trait à la valeur et à la liquidité des stocks.

La norme de contrôle

[13]            La norme de contrôle applicable à la décision du Ministre d'accorder une telle mesure d'allégement en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu est, selon l'arrêt Lanno c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2005 CAF 153, de la Cour d'appel, celle de la « décision raisonnable simpliciter » . Les dispositions pertinentes de la Loi sur la taxe d'accise et le but visé par cette mesure étant essentiellement les mêmes, je conclus que la norme de contrôle est également la même.

L'équité procédurale

[14]            Essentiellement, la demanderesse plaide que le processus de décision en matière d'équité s'apparente à un processus quasi judiciaire avec tout l'attirail des préavis, des audiences et des règles de preuve, comme s'il y avait un litige à trancher. Toutefois, la vraie nature du processus consiste à demander que soit exercé le pouvoir discrétionnaire de renoncer à appliquer ce qui autrement serait des dispositions obligatoires de la loi à laquelle la demanderesse est astreinte.

[15]            Dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, la Cour suprême a énoncé cinq facteurs à prendre en compte pour déterminer la nature de l'équité procédurale. Si on applique ces facteurs à la présente affaire, on arrive à la conclusion de droits procéduraux minimes pour les raisons suivantes :

·                     en l'espèce, la nature de la décision recherchée et la procédure suivie ne s'apparentent pas à un processus judiciaire, comme la Cour d'appel en a décidé dans Barron c. Canada (Ministre du Revenu national) [1997] A.C.F. no 175;

·                     le rôle que joue la décision au sein du régime législatif, soit celui d'une exception à la règle générale touchant les intérêts et les pénalités, donne à penser que le degré d'équité procédurale est moindre;

·                     la décision a des conséquences pour la demanderesse, mais elle n'a pas la même importance au regard de la loi qu'un droit établi;

·                     rien ne permet de conclure qu'il y avait attente légitime quant à la tenue d'une audience en bonne et due forme;

·                     le décideur a le droit de choisir la procédure à suivre et il a choisi une procédure relativement informelle.

[16]            Tous ces facteurs et la décision de notre Cour dans Case c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. 1026 (C.F. 1re inst.) confirment que, sauf pour ce qui est du droit de présenter des observations, les droits à l'équité procédurale sont minimes. La demanderesse n'a pas établi qu'elle a été empêchée de présenter ses observations en vue d'expliquer au ministre pourquoi il devait exercer son pouvoir discrétionnaire en sa faveur.

Erreurs de droit

[17]            La demanderesse plaide que le ministre a erronément limité l'exercice de son pouvoir discrétionnaire à des « circonstances extraordinaires » et a incorrectement omis de considérer d'autres facteurs.

[18]            L'article 281.1 de la Loi confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire pour accorder une mesure d'allégement.

281.1 (1) Le ministre peut annuler les intérêts payables par une personne en application de l'article 280, ou y renoncer.

(2) Le ministre peut annuler la pénalité payable par une personne en application de l'article 280, ou y renoncer.

281.1 (1) The Minister may waive or cancel interest payable by a person under section 280.

(2) The Minister may waive or cancel penalties payable by a person under section 280.

[19]            En vertu d'une politique administrative énoncée dans des lignes directrices, le ministre a indiqué le genre de questions pouvant donner lieu à une décision favorable. Celles-ci comprennent les circonstances exceptionnelles, les difficultés financières et les actions de l'ARC. Cette politique peut être trop restrictive si on l'applique à la lettre sans tenir compte d'autres circonstances qui pourraient justifier une mesure d'allégement, mais ce n'est pas le cas en l'espèce.

[20]            La demanderesse a plaidé les difficultés financières - l'incapacité de payer. Elle n'a pas invoqué d'autre motif que le ministre aurait refusé de considérer. La demanderesse ne peut guère se plaindre si le ministre a considéré le motif même qui a été invoqué. Il n'y a rien qui permette de conclure que le ministre a limité l'exercice de son pouvoir discrétionnaire à des « circonstances extraordinaires » .

[21]            La demanderesse dit que le ministre a commis une deuxième erreur de droit en tenant compte d'un facteur non pertinent - les antécédents de la demanderesse en matière de production de déclarations et de paiement.

[22]            À mon avis, la question de savoir comment un contribuable en est venu à se trouver dans des circonstances lui permettant d'invoquer les difficultés financières (ou tout autre motif), la question de savoir si la renonciation à ces paiements, qui autrement seraient exigibles des autres contribuables se trouvant dans une situation semblable, est équitable compte tenu du contexte global, et la question de savoir si on peut s'attendre à ce que le contribuable honore la renonciation ou autre « concession » qui lui sera accordée, sont toutes des questions pertinentes, comme peuvent l'être bien d'autres questions selon les circonstances. Obliger le ministre à considérer uniquement la question des difficultés financières sans tenir compte des raisons de ces difficultés reviendrait à limiter son pouvoir discrétionnaire de la manière même dont se plaignait la demanderesse un peu plus tôt.

Erreur de fait

[23]            La demanderesse dit que le ministre a commis une erreur dans son analyse des difficultés financières, plus particulièrement en ce qui a trait à la possibilité de liquider les stocks et d'exiger le remboursement du prêt à l'actionnaire.

[24]            La demanderesse dit que le ministre a commis une erreur en établissant à 60 000 $ la valeur des stocks de ferraille. Je ne vois pas en quoi le ministre a été déraisonnable en s'appuyant sur les propres états financiers de la demanderesse. La demanderesse n'a produit aucune preuve que la valeur des stocks devrait être radiée et n'a de fait pris aucune mesure en ce sens.

[25]            Il est évident que le ministre a considéré que ces stocks avaient une certaine valeur. La valeur n'était peut-être pas aussi élevée que celle inscrite aux livres de la société, mais il n'y avait aucune autre preuve de leur valeur réelle. Au bout du compte, le ministre a vu juste (même si ce n'est pas la norme devant servir à apprécier la décision). Dans le propre affidavit de M. Kinney sur cette question, il reconnaît (au paragraphe 27) que les prix de la ferraille ont récemment [traduction] « rendu le modèle d'entreprise rentable » . Il n'était pas déraisonnable de la part du ministre de considérer la valeur des stocks à plus long terme dans la perspective que les prix de la ferraille puissent remonter ou qu'un nouvel acheteur puisse se manifester.

[26]            La demanderesse ajoute que la conclusion du ministre selon laquelle le prêt à l'actionnaire pouvait être remboursé était erronée parce que l'actionnaire (M. Kinney) ne pouvait pas rembourser le prêt.

[27]            Dans un premier temps, le prêt a été consenti pour aider M. Kinney à acheter l'entreprise. Il a ensuite été augmenté lorsque la demanderesse ne versait plus sa TPS. La demanderesse a choisi de ne pas payer le ministre mais de verser de l'argent à l'actionnaire.

[28]            La preuve indiquait que l'actionnaire possédait des biens d'autres sources, y compris sa maison, qui auraient pu servir à rembourser le prêt. La preuve selon laquelle la coopérative de crédit a refusé d'accorder un prêt sur cet avoir ne contenait aucun détail sur les modalités proposées ou sur le motif du refus. La demanderesse a de fait refusé d'expliquer la position de sa coopérative de crédit aux représentants du ministre - les informant que ce n'était pas de leurs affaires. Faute d'une meilleure preuve, il n'était pas déraisonnable de la part du ministre de conclure que le prêt aurait pu être remboursé en totalité ou en partie à une date ultérieure.

[29]            La demanderesse ne peut raisonnablement plaider, d'après la preuve soumise en l'espèce, que le ministre n'a pas pris en compte les problèmes de santé de M. Kinney. Cette prise en compte s'est traduite par la réduction du montant des versements mensuels lorsqu'il a subi sa crise cardiaque. Le ministre a raisonnablement conclu que ces problèmes de santé ne justifiaient pas une renonciation aux intérêts et aux pénalités.

[30]            À la fin, le ministre se trouvait devant une mesure discrétionnaire. Il a conclu que la preuve de difficulté financière était insuffisante. Cinq ou six semaines après la décision du ministre, la demanderesse a versé les sommes de 18 500 $ et de 22 707 $ en remboursement de la TPS due. Mais avant tout, le ministre est arrivé à une conclusion raisonnable fondée sur les faits au moment de rendre sa décision.

CONCLUSION

[31]            Compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, et malgré les efforts louables de l'avocat de la demanderesse, il n'y a aucune raison pour que la Cour modifie la décision du ministre.

[32]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 T-1834-04

INTITULÉ :                                                                CHARLOTTETOWN BOTTLE AND METALS LIMITED

                                                                                    c.

                                                                                    MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          CHARLOTTETOWN

                                                                                    (ÎLE-DU-PRINCE-ÉDOUARD)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 23 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                                               LE 30 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Christopher S. Montigny

POUR LA DEMANDERESSE

John J. Ashley

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

STEWART MCKELVEY STIRLING SCALES

Avocats

Charlottetown (Î.-P.-É.)

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

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