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Date : 20191029


Dossier : T-1261-19

Référence : 2019 CF 1357

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

RAYMOND J. TURMEL

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La défenderesse présente une requête sur le fondement de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant au demandeur de verser un cautionnement pour les dépens de 5 750 $, à défaut de quoi ce dernier ne pourra prendre aucune autre mesure dans la présente instance, et en vue d’obtenir une réparation subsidiaire, dont l’adjudication des dépens. La requête est accueillie pour les motifs exposés ci‑après.

[2]  Le demandeur a déposé une déclaration dans laquelle il sollicite un jugement déclarant que le fait de limiter le nombre de patients et de licences par producteur, comme le prévoient les alinéas 317(1)g) et 317(1)h) et le paragraphe 318(2) du Règlement sur le cannabis, DORS/2018‑144, viole l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11 [la Charte], ainsi qu’un jugement déclarant qu’une personne désignée peut fournir une copie certifiée plutôt que l’« original du document délivré par le service de police » dans le formulaire de demande.

[3]  Selon la preuve non contestée dont dispose la Cour, le demandeur a été condamné à payer des dépens à la défenderesse à deux reprises en lien avec des affaires dont la Cour a été saisie, mais ne l’a pas fait malgré les requêtes écrites. La première ordonnance a été rendue par la Cour d’appel fédérale le 9 septembre 2014 pour des dépens de 500 $ et l’autre a été rendue par la Cour suprême du Canada dans le cadre de la même instance, où des dépens de 807,73 $ ont été taxés en faveur de la défenderesse contre le demandeur. Malgré les requêtes, le demandeur n’a pas payé les dépens adjugés dans ces ordonnances.

[4]  L’alinéa 416(1)f) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, prévoit que la Cour peut ordonner au demandeur de fournir le cautionnement pour les dépens qui pourraient être adjugés au défendeur si celui‑ci a obtenu une ordonnance contre le demandeur pour les dépens afférents à la même instance ou à une autre instance et ces dépens demeurent impayés en totalité ou en partie :

Cautionnement

Where security available

416 (1) Lorsque, par suite d’une requête du défendeur, il paraît évident à la Cour que l’une des situations visées aux alinéas a) à h) existe, elle peut ordonner au demandeur de fournir le cautionnement pour les dépens qui pourraient être adjugés au défendeur

416 (1) Where, on the motion of a defendant, it appears to the Court that

[…]

f) le défendeur a obtenu une ordonnance contre le demandeur pour les dépens afférents à la même instance ou à une autre instance et ces dépens demeurent impayés en totalité ou en partie;

(f) the defendant has an order against the plaintiff for costs in the same or another proceeding that remain unpaid in whole or in part,

BLANK

the Court may order the plaintiff to give security for the defendant’s costs.

[5]  La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont conclu que lorsque les dépens adjugés dans des ordonnances antérieures demeurent impayés, il existe à première vue un droit à un cautionnement pour les dépens : Mapara c Canada (Procureur général), 2016 CAF 305, les juges Pelletier, Scott et De Montigny, au par. 5 [Mapara]; et Lavigne c Société canadienne des postes, 2009 CF 756, le juge De Montigny, au par. 64.

[6]  Par conséquent, je suis d’avis que la défenderesse a démontré qu’elle a le droit, à première vue, à une ordonnance obligeant le demandeur à verser un cautionnement pour les dépens.

[7]  Il est établi qu’en vertu de l’article 417 des Règles des Cours fédérales, le demandeur peut éviter qu’une ordonnance prévoyant un cautionnement pour les dépens soit rendue contre lui s’il fait la preuve de son indigence et que l’action est bien fondée; toutefois, le demandeur en l’espèce ne fait aucune affirmation de cette nature.

[8]  À mon sens, ce critère comporte deux volets : l’indigence et l’existence d’un certain fondement. J’examinerai chacun d’eux séparément.

[9]  En ce qui concerne l’indigence, le demandeur affirme que le fait qu’il a admis ne pas avoir payé les dépens adjugés dans les ordonnances antérieures, qui remontent à 2014, [traduction« est la preuve d’une certaine indigence ». À mon humble avis, cette observation est sans fondement. S’il en était autrement, le demandeur qui refuse de payer des dépens antérieurs ne pourrait jamais être contraint de fournir un cautionnement pour les dépens et l’alinéa 416(1)f) perdrait sa raison d’être. Le fait que le demandeur n’a pas payé peut être la preuve de son indigence; il peut également dénoter un manque de respect pour les règles et les procédures de la Cour.

[10]  Il est également bien établi que le fardeau de démontrer son indigence est lourd et qu’il doit être satisfait à ce fardeau par [traduction« une preuve détaillée » : Mapara, au par. 8; Heli Tech Services (Canada) Ltd c Compagnie Weyerhaeuser Limitée, 2006 CF 1169, le juge Campbell, au par. 8.

[11]  Cela dit, le demandeur n’a fourni aucun élément donnant à penser qu’il n’a pas suffisamment d’actifs pour payer les dépens adjugés contre lui dans les ordonnances antérieures. Le demandeur n’a pas indiqué que ses propres actifs sont insuffisants pour fournir le cautionnement ou qu’il est incapable d’obtenir la somme autrement, par exemple en l’empruntant à des amis, à des membres de sa famille ou à d’autres personnes. Rien ne démontre qu’il a présenté une demande d’aide juridique et que celle‑ci lui a été refusée. En fait, comme le demandeur n’a pas présenté d’affidavit à la Cour pour lui prouver son indigence ou son incapacité de payer, je rejette cet aspect de sa réponse à la requête de la défenderesse.

[12]  Le demandeur soutient également que la défenderesse devrait être déboutée de sa requête parce qu’elle n’a pas saisi ses prestations de vieillesse. Cette défense n’est pas fondée non plus, puisque le défendeur qui invoque l’alinéa 416(1)f) des Règles n’est pas tenu de démontrer qu’il a épuisé les autres recours avant de demander un cautionnement pour les dépens : Stubicar c Canada (Vice-premier ministre), 2015 CF 1034, le juge Annis, au par. 9, conf. par 2016 CAF 255, les juges Nadon, Trudel et Scott.

[13]  En ce qui concerne le fondement de l’action, le demandeur soutient qu’en l’espèce, la question en litige [traduction« touche toute une catégorie de patients et de producteurs, [qu’]il s’agit d’une question d’importance nationale et [qu’]il semblerait injuste de laisser des considérations financières nuire à la poursuite de l’action ».

[14]  Là encore, aucun fait n’étaye ces observations, de sorte que je ne suis pas en mesure de leur ajouter foi. Plus particulièrement, la déclaration n’expose aucun fait important pour expliquer en quoi le demandeur ou toute autre personne se trouverait privé de son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne ni pourquoi toute privation irait à l’encontre des principes de justice fondamentale.

[15]  De simples allégations de violation de la Charte ne suffisent pas; pourtant, ce sont les seuls éléments que le demandeur a fournis à la Cour à cet égard. De plus, le demandeur n’allègue pratiquement aucun fait concernant sa situation personnelle en lien avec la réparation demandée. La déclaration n’expose aucun fait quant à la façon dont il est personnellement touché par les dispositions législatives en cause.

[16]  En ce qui concerne le changement au type de document demandé, là encore, le demandeur ne fournit aucun fait pour démontrer en quoi la réglementation qu’il conteste lui nuit.

[17]  Dans la mesure où le demandeur cherche à présenter une demande au nom d’autres personnes, je suis d’accord avec la défenderesse pour dire qu’il n’a pas démontré qu’il répond aux exigences relatives à la qualité pour agir dans l’intérêt public. En effet, pour décider s’il y a lieu d’accorder cette qualité, la Cour suprême du Canada a conclu que les tribunaux doivent déterminer (1) si la demande soulève une question justiciable sérieuse; (2) si le demandeur a un intérêt véritable dans l’issue de l’affaire; et (3) si la procédure constitue une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour : Canada (Procureur général) c Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, le juge Cromwell, au par. 2.

[18]  Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que le demandeur n’a pas démontré que sa demande répond à l’une ou l’autre de ces exigences. En ce qui concerne le troisième facteur en particulier, le demandeur n’a pas démontré que sa demande constitue une manière raisonnable et efficace de soulever ces questions constitutionnelles ni expliqué pourquoi ces questions ne peuvent pas être soulevées par un consommateur de cannabis à des fins médicales directement touché, à l’encontre de qui aucuns dépens impayés n’ont été adjugés.

[19]  Comme aucune exception n’a été établie pour réfuter le droit, à première vue, de la défenderesse à un cautionnement pour les dépens, je conclus que la requête de la défenderesse devrait être accueillie.

[20]  J’ai examiné le projet de mémoire de frais qui a été déposé avec la requête en radiation et qui est étayé par l’affidavit d’un des employés de la défenderesse, dans lequel le cautionnement pour les dépens est fixé à 5 750 $. En réponse, le demandeur affirme seulement que ce montant [traduction« semble excessif ». En tout respect, je ne suis pas d’accord. À mon avis, le montant est raisonnable.

[21]  J’ai conclu que le demandeur devrait verser à la défenderesse un cautionnement pour les dépens de 5 750 $ avant d’être autorisé à poursuivre la présente action, et j’ordonne que toutes les mesures prises par le demandeur dans la présente action soient suspendues jusqu’à ce qu’il ait versé à la défenderesse le cautionnement pour les dépens ordonné en l’espèce. Je ne suspends pas toutes les procédures : la défenderesse demeure libre d’intenter toute procédure supplémentaire qu’elle juge indiquée.

[22]  La défenderesse sollicite des dépens de 600 $ relativement à la présente requête. Il n’y a aucune raison pour que les dépens ne suivent pas l’issue de la cause. Je suis conscient que le demandeur n’était pas représenté par un avocat. Toutefois, on ne peut dire qu’il ne connaît pas bien les Règles des Cours fédérales. Un survol rapide du site Web de la Cour fédérale permet de constater qu’il a intenté au moins quatre autres actions devant la Cour : (1) Raymond J Turmel c Canada (Procureur Général), T‑977‑13, abandonnée en raison de son caractère théorique le 3 juin 2013; (2) Raymond J Turmel c Sa Majesté la Reine, T‑517‑14, radiée sans autorisation de modification le 11 janvier 2017, (Renvoi relatif au paragraphe 52(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, 2017 CF 30, le juge Phelan); (3) Raymond J Turmel c Procureur général du Canada, T‑1119‑13, et (4) Raymond J Turmel c Canada (Procureur Général), T‑1207‑13, toutes deux abandonnées pour cause d’inaction le 28 mars 2017. Par conséquent, la défenderesse a droit aux dépens afférents à la présente requête. Exerçant mon pouvoir discrétionnaire, je fixe les dépens à 350 $.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1261‑19

PAR CONSÉQUENT, LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. Le demandeur verse à la défenderesse la somme de 5 750 $ à titre de cautionnement pour les dépens dans la présente action;

  2. Toutes les procédures intentées par le demandeur sont suspendues en attendant que ce dernier verse le cautionnement pour dépens exigé au point 1 de la présente ordonnance;

  3. Le demandeur verse à la défenderesse la somme de 350 $ à titre de dépens afférents à la présente requête, quelle que soit l’issue de la cause.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de novembre 2019.

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1261-19

 

INTITULÉ :

RAYMOND J TURMEL c SA MAJESTÉ LA REINE

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 29 OCTOBRE 2019

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Robert J. Turmel

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Wendy Wright

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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