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Date : 20191115


Dossier : T‑660‑19

Référence : 2019 CF 1435

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2019

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

HAN CHEN

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a rejeté la demande d’allègement pour les contribuables présentée par la demanderesse. La demanderesse s’est vu imposer une pénalité de 1 297,42 $ (intérêts compris) pour l’année d’imposition 2015 parce qu’elle a produit son formulaire de vérification du revenu étranger pour l’année 2015 avec 49 jours de retard.

II.  Intitulé

[2]  Le procureur général du Canada est le défendeur approprié, et l’intitulé sera modifié pour le désigner comme défendeur à la place de l’Agence du revenu du Canada.

III.  Contexte

[3]  La demanderesse possédait des biens étrangers au cours de l’année d’imposition 2015 d’une valeur de plus de 100 000 $. Par conséquent, elle était tenue de produire un bilan de vérification du revenu étranger (formulaire T1135) conformément à l’article 233.3 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) (la Loi).

[4]  Le 28 juin 2017, l’ARC a imposé à la demanderesse une pénalité pour production tardive. La pénalité a été imposée parce que la demanderesse a produit son formulaire T1135 pour l’année d’imposition 2015 le 22 juin 2016, alors qu’il était dû le 2 mai 2016. L’ARC a imposé une pénalité de 1 225 $ pour la production tardive, plus 72,42 $ d’intérêts en souffrance, pour un total de 1 297,42 $. Le montant de 1 225 $ correspondait simplement au produit de la multiplication de 25 $ par 49 jours, conformément au paragraphe 162(7) de la Loi.

[5]  L’ARC a informé la demanderesse qu’aucun intérêt supplémentaire ne s’accumulerait si elle payait le solde dans les 20 jours. La demanderesse a omis de payer dans les 20 jours, et il semble donc que les intérêts en souffrance soient passés de 72,42 $ à 144,98 $. La demanderesse a payé le solde le 10 juillet 2018.

[6]  Le 20 novembre 2017, soit environ cinq mois après l’imposition de la pénalité pour production tardive, la demanderesse a présenté une demande d’allègement pour les contribuables au titre du paragraphe 220(3.1) de la Loi. Cette disposition permet aux contribuables de demander un allègement discrétionnaire à l’égard des pénalités et des intérêts en souffrance pour production tardive. La demanderesse soutient avoir produit tardivement le formulaire parce qu’elle était à l’extérieur de Fredericton de février à mai 2016 et qu’elle n’avait pas accès aux documents nécessaires pour produire le formulaire à temps. Elle mentionne également avoir produit son formulaire T1135 pour l’année 2015 avec son formulaire de déclaration de revenus T1. Après l’établissement de la cotisation pour sa déclaration de revenus T1, la demanderesse n’avait aucun impôt à payer.

[7]  L’ARC a rendu sa première décision relative à l’allègement le 16 octobre 2018 en s’appuyant sur une fiche d’information datée du 27 septembre 2018. La décision informait la demanderesse que sa demande d’allègement avait été rejetée. La demande a été rejetée parce que les circonstances n’échappaient pas au contrôle de la demanderesse et que cette dernière était responsable de prendre ses propres dispositions pour s’assurer de s’acquitter de ses responsabilités en matière de production.

[8]  Insatisfaite de la décision relative à sa première demande d’allègement, la demanderesse a présenté une deuxième demande d’allègement le 7 novembre 2018. Dans cette deuxième demande, elle a soulevé une nouvelle question. Elle affirmait maintenant avoir appelé la ligne de demandes de renseignements sur l’impôt des particuliers de l’ARC en février ou mars 2016. La demanderesse a été informée qu’elle pouvait produire sa déclaration de revenus tardivement pourvu qu’elle [traduction« n’ait pas d’impôt à payer ». S’appuyant sur cette information, la demanderesse a produit son formulaire T1135 pour l’année 2015 en retard.

[9]  L’ARC a rendu sa décision relative à la deuxième demande d’allègement le 21 mars 2019, après qu’une fiche d’information de l’ARC datée du 14 mars 2019 eut recommandé de rejeter la demande. L’ARC a informé la demanderesse qu’il n’y avait pas de trace de l’appel téléphonique, et si elle n’avait pas expressément demandé que l’appel soit consigné à son dossier, cela respectait la norme concernant la ligne de demandes de renseignements généraux. De plus, l’ARC a affirmé qu’une pénalité avait été imposée à la demanderesse l’année précédente pour production tardive du formulaire T1135 pour l’année 2014, de sorte que la demanderesse aurait été au courant de son obligation de produire le formulaire T1135 pour l’année 2015. À défaut d’avoir accès à ses documents (la demanderesse se trouvait à Toronto et non à Fredericton), selon l’ARC, la demanderesse aurait pu produire un formulaire T1135 estimatif pour l’année 2015 et le modifier une fois qu’elle aurait accès à ses documents. Pour ces motifs, l’allègement fiscal demandé par la demanderesse a été refusé. Il s’agit de la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.

IV.  Question en litige

[10]  La question est de savoir si la décision de rejeter la demande d’allègement pour les contribuables était raisonnable.

V.  Norme de contrôle

[11]  La norme de contrôle applicable à une décision discrétionnaire rendue en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi est celle du caractère raisonnable (Agence du revenu du Canada c Telfer, 2009 CAF 23, par. 24‑25).

VI.  Analyse

[12]  L’argument présenté à la Cour par la demanderesse est que l’ARC l’avait mal informée au sujet de l’imposition possible d’une pénalité et, par conséquent, le rejet de sa demande d’allègement pour les contribuables était déraisonnable. À l’audience, la demanderesse a présenté un argument nuancé selon lequel elle considérait la production des formulaires T1 et T1135 comme étant une seule action. La demanderesse avance ce que suit :

[traduction]

J’ai rempli le formulaire T1135 pour les années 2013 et 2014 en même temps que la déclaration de revenus T1 avec de l’aide (d’un bénévole ou d’un comptable professionnel agréé), et c’est pourquoi je croyais que remplir le formulaire T1135 (bilan de vérification du revenu étranger) faisait partie de la Loi de l’impôt sur le revenu pour chaque année d’imposition.

[13]  Pour appuyer cet argument, la demanderesse a vérifié Turbo Tax Online 2018, Studio Tax 2018 et Ufile2018. Au moment de produire le formulaire T1, ces applications posent des questions du genre [traduction] « Possédiez‑vous des biens étrangers en 2018 dont le coût total dépassait 100 00 $ CAN (sic) »?

[14]  La demanderesse a résumé par écrit sa position en ces termes :

[traduction]

À la lumière des deux points qui précèdent, comment peut‑on penser que remplir le formulaire T1135 fait partie de la Loi de l’impôt sur le revenu pour chaque année d’imposition? De plus, ma question est la suivante : combien de personnes remplissent le formulaire T1135 séparément de la déclaration de revenus T1 pour chaque année d’imposition? [...] Remplir le formulaire T1135 et la déclaration de revenus T1 constitue une seule action pour chaque année d’imposition. C’est un problème pour les gens qui ne connaissent pas bien le régime fiscal et qui comptent sur de l’aide (d’un bénévole ou d’un comptable) pour remplir la déclaration de revenus chaque année (sic).

[15]  Elle termine son argument par la déclaration suivante :

[traduction]

Je sais que je dois remplir le formulaire T1135 avant la date limite, sinon j’aurais une pénalité. J’ai pris des mesures pour trouver une solution afin d’éviter la pénalité avant la fin de la période des impôts. J’ai téléphoné au service de renseignements par téléphone de l’ARC. J’ai aussi posé la question à un CPA, et ai fait d’autres démarches. Toutes les réponses que j’ai reçues disaient que si je ne devais pas d’argent au gouvernement, je n’aurais pas de problème. Donc, j’ai préparé ma déclaration de revenus dès mon retour de voyage. Je suis une personne qui assume la responsabilité de ses actes et de ses erreurs, même lorsqu’une pénalité m’est imposée. Mais cette fois‑ci, je ne pense pas qu’une pénalité devrait m’être imposée.

Concernant la question de remplir un formulaire estimatif, j’ai une question : si je ne dois pas d’argent au gouvernement, à quoi sert‑il de remplir un formulaire estimatif, et lorsque les renseignements sont disponibles, de remplir un formulaire modifié? Juste pour éviter une pénalité?

[16]  La demanderesse a admis s’être renseignée auprès de l’agent de la ligne téléphonique de renseignements de l’ARC au sujet de la production du formulaire de déclaration de revenus T1 et non pas au sujet du formulaire T1135 précisément. Elle fait valoir qu’à moins d’embaucher quelqu’un pour remplir le formulaire T1135, une personne penserait que les formulaires sont traités de la même façon ou, du moins, que ce ne sont pas des documents qu’il faut produire séparément. La demanderesse s’est fiée à l’avis qui lui a été donné au téléphone selon lequel aucune pénalité ne lui serait pas imposée si elle produisait sa déclaration de revenus tardivement, tant qu’elle ne devait pas d’argent. La demanderesse soutient qu’elle avait appelé l’ARC parce qu’on lui avait imposé une pénalité l’année précédente et qu’elle voulait s’assurer de ne pas répéter la même erreur.

[17]  J’ai pris connaissance de son argument selon lequel les deux formulaires (T1 et T1135) sont les mêmes et qu’il n’est pas logique à son avis de produire un formulaire estimatif. Toutefois, ces arguments n’ont pas été présentés directement au décideur. Plus important encore, étant donné qu’elle a eu le même problème l’année précédente, il est inconcevable qu’elle n’ait pas compris que les deux documents déposés en retard ont des conséquences différentes et qu’il ne s’agit pas de [traduction] « la même chose ».

[18]  Bien que je sois d’accord avec elle pour dire que le régime fiscal est difficile à comprendre pour une personne non initiée, je juge comme le décideur que la demanderesse avait obtenu la marche à suivre pour la production du T1135 l’année précédente. Je n’accepte pas son argument selon lequel la décision de rejeter sa demande d’allègement était déraisonnable en raison des conseils qu’elle a reçus au sujet de la production d’une déclaration T1. Lorsqu’elle a téléphoné à l’ARC, au lieu de poser des questions sur la déclaration T1, elle aurait pu poser des questions sur le traitement réservé au formulaire T1135 produit tardivement. De toute évidence, la demanderesse est une personne brillante et assez consciencieuse pour téléphoner à l’ARC et parler à un comptable agréé, mais elle a choisi de ne pas poser la bonne question. Si elle l’avait fait, elle aurait appris que la production tardive du formulaire T1135 entraîne une pénalité, peu importe si de l’argent est dû relativement à la déclaration T1 pour l’année d’imposition visée.

[19]  Il était raisonnable de la part de l’ARC de refuser d’annuler la pénalité pour la production tardive du même formulaire deux années de suite. Selon la circulaire d’information IC07‑1R1, qui indique au ministre s’il doit ou non renoncer à une pénalité au titre du paragraphe 220(3.1) de la Loi, l’un des critères consiste à savoir si la demanderesse s’est conformée à la loi par le passé. Comme ce n’était pas le cas et qu’elle a demandé et reçu un allègement de la pénalité l’année précédente, la demanderesse aurait dû comprendre l’importance de remplir le formulaire T1135 à temps parce qu’elle avait eu la leçon à cet égard l’année précédente.

[20]  La demanderesse n’a pas satisfait au critère des circonstances exceptionnelles puisqu’elle savait qu’elle serait absente et qu’elle aurait pu prendre des dispositions pour faire acheminer son courrier ou autrement obtenir les renseignements nécessaires afin de respecter la date limite de production. Il aurait également été prudent de faire une estimation fondée sur les déclarations des années précédentes jusqu’à ce que la demanderesse retourne à Fredericton et obtienne les chiffres exacts.

[21]  La demande est rejetée.

[22]  Le défendeur a demandé des dépens, mais comme la demanderesse n’est pas représentée par un avocat et qu’elle a déjà payé la pénalité, aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T‑660‑19

LE JUGEMENT DE LA COUR est le suivant :

  1. L’intitulé est modifié pour désigner le procureur général du Canada comme défendeur à la place de l’Agence du revenu du Canada.

  2. La demande est rejetée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de novembre 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑660‑19

 

INTITULÉ :

HAN CHEN c AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Fredericton (Nouveau‑Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 NOVEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 NOVEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Han Chen

POUR LA DEMANDERESSE,

POUR SON PROPRE COMPTE

Maeve Baird

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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