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Date : 20040223

 

Dossier : IMM-5951-02

 

Référence : 2004 CF 261

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), ce 23e jour de février 2004

 

En présence de madame la juge Johanne Gauthier

 

 

ENTRE :

 

  SHU QUAN CAO

 

  demandeur

  et

 

 

  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

  défendeur

 

 

  MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

  • [1] Shu Quan Cao est un citoyen de la Chine âgé de 23 ans qui a demandé l’asile en tant que réfugié au sens de la Convention parce qu’il craint la persécution fondée sur les opinions politiques qui lui ont été imputées. La Section de la protection des réfugiés (la Commission) a rejeté sa demande en indiquant que son témoignage n’était pas crédible en raison de [traduction] « l’omission (sic) d’éléments centraux de son histoire qui sont au cœur de la demande d’asile et en raison de contradictions entre le récit de son FRP et sa déposition orale ». La Commission semble d’ailleurs avoir estimé que son histoire était invraisemblable.

  • [2] M. Cao présente une demande de contrôle judiciaire de cette décision au motif que les omissions invoquées par la Commission ne constituent en fait pas des éléments centraux à sa demande. Selon M. Cao, la conclusion de la Commission selon laquelle le principal incident sur lequel il s’appuie n’a pas eu lieu n’est fondée que sur un seul fait qui ne peut raisonnablement justifier une telle conclusion, surtout lorsque l’on considère la preuve documentaire qu’il a déposée. Le demandeur fait également valoir que la Commission aurait dû lui donner l’occasion d’aborder la question de l’invraisemblance. Le fait qu’elle ne l’a pas fait constitue un manquement à l’équité procédurale.

  • [3] Dans son FRP, le demandeur dit simplement : [traduction]

 

 

En décembre 2000, le gouvernement a voulu construire une autoroute à travers mon village. Par conséquent, certaines maisons du village devaient être démolies. Le gouvernement a offert une compensation insuffisante pour les maisons qui devaient être démolies. Les villageois, dont j’étais, voulaient une compensation adéquate et nous sommes donc allés au gouvernement municipal pour nous plaindre.

 

 

Le gouvernement n’a cependant pas répondu à notre plainte et nous avons donc refusé de partir de nos maisons. Après que nous eûmes refusé de déménager, les policiers ont délivré un avis nous ordonnant de quitter nos maisons dans un délai de deux mois ou nous serions expulsés.

 

 

En février 2001, le gouvernement a envoyé des policiers et des travailleurs de la construction pour forcer les gens à quitter leurs foyers. Les villageois sont sortis et ont formé une chaîne humaine pour empêcher les policiers de s’approcher des maisons. Nous avons critiqué le gouvernement et dit qu’ils n’avaient aucune préoccupation pour les gens ordinaires. Les gens de quelques autres villages dont les maisons ne devaient pas être démolies nous ont également soutenus. Un affrontement a éclaté entre les villageois et les policiers. Le gouvernement a envoyé la police pour réprimer la foule. Lorsque les agents de police sont arrivés, ils ont commencé à battre les gens. Au cours de la confusion, j’ai pu m’échapper. Après m’être échappé, je suis resté dans la clandestinité.

 

 

Pendant ma clandestinité, j’ai appris que certains des villageois qui avaient protesté ont été arrêtés. Le BSP voulait aussi m’arrêter. Ils sont venus chez moi pour me retrouver et m’ont accusé d’avoir protesté contre le gouvernement et d’avoir fomenté des troubles dans les villages pour créer de l’animosité à l’égard du gouvernement. Ils se sont également rendus au domicile de membres de ma famille pour me retrouver.

 

 

 

  • [4] Lorsqu’il a témoigné, la Commission a appris que :


i)  le demandeur n’a seulement été impliqué dans ce prétendu différend avec les autorités chinoises parce que son père possédait l’une des maisons qui devaient être démolies;

ii)  36 personnes se sont opposées au projet de démolition des maisons, mais seulement cinq ou six ont été arrêtées;

iii)  son père n’a pas été arrêté et il n’avait aucun problème avec les autorités; il cultive maintenant une nouvelle parcelle de terre qu’il loue au gouvernement pour un montant nominal et sur laquelle il peut construire une nouvelle maison;

iv)  tous les villageois qui ont protesté ont été graciés à l’exception des cinq ou six qui ont été arrêtés;

v)  les personnes arrêtées étaient des chefs du village qui avaient également contribué à porter la question à l’attention des autorités du canton, et le demandeur ne sait pas s’ils ont été libérés depuis.

 

  • [5] Ce sont là les principales omissions qui ont amené la Commission à conclure que le demandeur n’était pas crédible. Elle a aussi conclu que la Commission n’a pas cru que le demandeur avait participé à cette manifestation ni que l’incident ait jamais eu lieu.

  • [6] Mais avant de rejeter la demande, la Commission a également conclu qu’elle ne croyait pas que les autorités chinoises recherchaient le demandeur ou avaient quelque intérêt à son égard parce que, même si l’incident qu’il a décrit avait eu lieu, il n’était pas vraisemblable que les autorités recherchent une personne qui n’était pas le chef de famille ni le propriétaire légitime de la maison en question dans le litige et ne poursuivent pas le père du demandeur et les autres villageois ayant participé à la manifestation à l’exception de leurs dirigeants.

  • [7] Il est de droit constant que la Cour ne doive intervenir que si les conclusions relatives à la crédibilité et à l’invraisemblance étaient manifestement déraisonnables.

  • [8] La Cour convient avec le demandeur que la Commission a fait certaines erreurs dans sa décision. Par exemple, un examen de la transcription révèle clairement que le témoignage du demandeur ne contredisait pas la déclaration de son FRP à l’égard de l’intervention de la police en février 2001.

  • [9] Le demandeur affirme que la conclusion selon laquelle l’incident n’a pas eu lieu tout simplement parce qu’il n’a pas fait mention de son père dans son FRP n’est pas logique. Je partagerais son avis si c’était ce que la Commission avait déclaré. Mais ma lecture de la décision indique que la Commission a conclu qu’elle ne croyait pas que le demandeur eut été impliqué dans quelque protestation que ce soit ni que l’incident ait jamais eu lieu en raison des nombreuses omissions dans son FRP et pas seulement parce qu’il n’a pas parlé de son père dans son FRP. D’ailleurs, lorsque la Commission fait référence à l’absence de mention de son père dans son FRP, elle affirme qu’elle n’a pas cru que son père était impliqué dans le conflit avec les autorités.

  • [10] De toute façon, même si cela constituait une erreur susceptible de révision, ça ne pourrait justifier que la décision soit annulée à moins de constituer une question déterminante. La décision doit être lue dans son ensemble et il est évident que la Commission a également évalué la demande comme si l’incident s’était produit alors qu’elle n’était pas convaincue qu’il avait eu lieu. Si son appréciation à cet égard ne contient pas d’erreur susceptible de révision, la Cour ne renverra pas l’affaire aux fins de réexamen.

  • [11] Avant d’examiner la conclusion d’invraisemblance, qui constitue l’autre raison pour laquelle la Commission a rejeté le témoignage du demandeur, je vais examiner l’autre argument soulevé par le demandeur à l’égard de la conclusion d’absence de crédibilité.

  • [12] Le demandeur affirme que les renseignements omis dans son FRP étaient préjudiciables à sa demande et en tant que tel, ils ne pouvaient pas être au centre de sa demande. La Cour ne croit pas qu’il en est ainsi et que cela signifie automatiquement que la conclusion de la Commission était manifestement déraisonnable.

  • [13] La Commission a estimé que la plupart des éléments que M. Cao a omis avaient une incidence directe sur la vraisemblance de son récit et sur la question consistant à savoir s’il a été persécuté.

  • [14] En outre, la question 37 dans le FRP indique expressément : « Veuillez aussi faire mention des mesures prises contre vous, des membres de votre famille ou d’autres personnes se trouvant dans une situation analogue ».

  • [15] Même si la Cour aurait pu parvenir à une conclusion différente à l’égard de ces omissions et de leur incidence sur la crédibilité du demandeur, ce n’est pas la norme à appliquer et la Cour ne peut conclure que la conclusion de la Commission à l’égard de ces omissions était manifestement déraisonnable.

  • [16] Le demandeur n’a fourni aucune explication quant à savoir pourquoi il a été ciblé par les autorités alors que la plupart des villageois dont son père n’étaient pas harcelés. Il n’a jamais donné à la Commission des motifs de croire qu’il était un dirigeant ou un organisateur de la manifestation. En fait, il ressort de son témoignage qu’il n’en était rien.

  • [17] La Cour n’est pas d’accord avec le demandeur lorsqu’il affirme que son défaut de fournir une telle explication est attribuable à un manquement à l’équité procédurale du fait que la Commission ne l’a pas avisé de ses préoccupations relatives à la vraisemblance de son récit.

  • [18] La Commission n’était pas tenue de communiquer au demandeur ses préoccupations relatives à la vraisemblance (Yu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. 932 (T.D.) en ligne : QL au paragraphe 15; Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 2002 (1re inst.) en ligne : QL aux paragraphes 24 à 28; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1724 (1re inst.) en ligne : QL aux paragraphes 25 et 26; Sarker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n° 987 (T.D.) en ligne : QL aux paragraphes 14 et 15).

  • [19] Le demandeur était représenté par un avocat. Il était loisible à son avocat de l’interroger ou de le réinterroger sur cette question sans y être incité par la Commission (Zheng, précité, au paragraphe 23).

  • [20] En fait, même si son avocat ne l’a pas interrogé à ce sujet, il a abordé la question dans ses observations à la fin de l’audience. Il a déclaré qu’il n’y avait, en effet, aucune explication claire quant à savoir pourquoi les autorités chinoises recherchaient le demandeur. Il a supposé que c’est peut-être parce qu’« oncle Li » (le leader adjoint de l’équipe/un représentant du village) a été arrêté. C’est peut-être parce qu’on lui a imputé une sorte de rôle d’organisateur ou simplement parce qu’ils tentaient d’envoyer un message. Il a fait valoir que la Commission devait donner le bénéfice du doute au demandeur à cet égard.

  • [21] La Cour note qu’en fait, le demandeur avait affirmé dans son témoignage que le soi-disant « oncle Li » n’était pas parent avec lui, mais un simple voisin.

  • [22] En tout cas, cet argument n’a manifestement pas convaincu la Commission qui a estimé que l’histoire n’était pas vraisemblable, car il n’y avait vraiment aucune raison pour que les autorités pourchassent le demandeur alors qu’elles n’étaient pas à la poursuite de son père et des autres propriétaires des maisons.

  • [23] Je conviens avec le demandeur que la décision aurait pu être plus claire et mieux écrite. Mais dans son ensemble, eu égard à la preuve, le raisonnement de la Commission et ses conclusions ne sont pas déraisonnables, et encore moins manifestement déraisonnables.

  • [24] Enfin, le demandeur soutient que certains documents corroboraient son histoire et auraient dû être expressément mentionnés dans la décision.

  • [25] D’abord, la Cour constate que ces documents n’ont pas du tout été mentionnés à l’audience devant la Commission.

  • [26] Quoi qu’il en soit, les motifs sont clairs. Le premier document est un reportage du 11 avril 1998 à propos d’un violent affrontement entre des villageois et la police dans le sud de la Chine concernant un litige foncier. Il semble que cinq représentants du village aient été arrêtés et qu’ils aient été détenus pendant quelques jours après l’incident.

  • [27] L’autre document est une copie d’un article du New York Times daté du 1er février 1999 qui traite de ce qui est décrit comme étant peut-être l’une des plus grandes manifestations paysannes en Chine au cours des dernières années contre les taxes excessives et la corruption (10 000 participants). La manifestation a donné lieu à de violents affrontements et l’un des agriculteurs est mort et plusieurs autres ont été blessés par des gaz ou des bâtons. L’article précise que 18 personnes ont été détenues pendant un ou deux jours et que la police était à la recherche des quatre dirigeants de la protestation qui lui avaient échappé.

  • [28] Ces articles confirment certainement que des émeutes ont lieu en Chine et que des litiges fonciers provoquent certaines manifestations. La Commission n’a cependant pas mis en doute cette situation. En ce qui concerne la détention de manifestants, ces articles semblent corroborer l’avis de la Commission voulant que les représentants de village ou les leaders des manifestations soient les parties susceptibles d’être arrêtées. Il semble aussi que ces arrestations n’aient entraîné que quelques jours de détention.

  • [29] Ces articles ne corroborent pas la version du demandeur sur la question précise que la Commission a jugé invraisemblable. C’est-à-dire, pourquoi la police s’intéresserait à une personne qui n’est pas un leader ou le chef de famille ou le propriétaire de la maison qui constitue l’objet de la manifestation. Dans les circonstances, la Cour doit conclure que la Commission n’était pas tenue de faire référence à ces documents dans sa décision.

  • [30] Au vu de ce qui précède, la conclusion de la Commission n’était pas déraisonnable et il y a lieu de conclure que M. Cao n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention.

  • [31] Les parties n’ont pas proposé de question aux fins de certification. La présente affaire repose sur ses propres faits et ne soulève aucune question d’importance générale.


 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

  « Johanne Gauthier »

  Juge

 


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier

 

DOSSIER :  IMM-5951-02

 

INTITULÉ :  SHU QUAN CAO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 3 décembre 2003

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Toronto (Ontario)

 

MOTIFS DE
L’ORDONNANCE ET

ORDONNANCE :  LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :  Le 23 février 2004

 

COMPARUTIONS :  Shelley Levine

 

Pour le demandeur

 

  Rhonda Marquis

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shelley Levine

Avocate

Levine Associates

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

 

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

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