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Date : 20030918

Dossier : IMM-6986-03

Référence : 2003 CF 1081

Toronto (Ontario), le 18 septembre 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON                                

ENTRE :

                                                        BALJINDER SINGH PADDA

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Le demandeur sollicite une ordonnance reportant son renvoi du Canada vers l'Inde prévu pour le 17 septembre 2003 mais qui est retardé jusqu'à la réception des documents de voyage nécessaires. Bien que la date précise du renvoi ne soit plus fixée, je n'ai été mis au courant de ce fait qu'au terme de l'audience. Je suis convaincue que le renvoi du demandeur est imminent et après avoir examiné les dossiers et entendu le plaidoyer, je crois qu'il est inutile d'exiger que l'affaire soit revue de nouveau par un juge de service ou un juge en séance générale alors qu'une décision devra, de toute façon, être prise au cours de la semaine.

[2]                 M. Padda s'est vu refuser le statut de réfugié le 18 novembre 1999 et sa demande d'autorisation a été rejetée le 22 février 2000. Le 20 août 2003, il a reçu une décision défavorable, datée du 15 juillet 2003, quant à l'évaluation des risques avant le renvoi (ERAR). La demande sous-jacente en l'espèce concerne le refus de la part d'une agente d'exécution de reporter le renvoi dont la date fut fixée après que la décision défavorable quant à l'évaluation des risques avant le renvoi eut été rendue.

[3]                 M. Padda s'est marié le 5 octobre 2002. Son épouse est résidente permanente et, le 13 février 2003, il a présenté une demande parrainée fondée sur des raisons d'ordre humanitaire (CH). La demande n'a pas encore été tranchée. Pour son épouse, il s'agit d'un troisième mariage. Ses deux premiers mariages ont été marqués par la violence. Elle a un enfant qui est né lors de son second mariage et à l'égard duquel M. Padda joue le rôle de père. Il est le seul père que l'enfant ait connu. L'épouse de M. Padda est enceinte d'environ sept semaines. La famille dépend entièrement des revenus de M. Padda pour subvenir à ses besoins.


[4]                 Le 20 août, M. Padda s'est présenté à une entrevue devant l'agente d'exécution. À ce moment-là, aucune date de renvoi n'avait été fixée. Lors de cette entrevue, il était accompagné de son épouse, de sa belle-fille et de son avocat. L'agente d'exécution les a informés que lorsque la date de renvoi serait fixée, un itinéraire serait transmis par télécopieur à l'avocat. L'avocat de M. Padda a informé l'agente que, lorsque la date serait fixée, il demanderait un report et déposerait un rapport psychologique. L'épouse de M. Padda a rencontré un psychologue le jour précédent en vue d'obtenir une évaluation psychologique.

[5]                 Le 5 septembre, l'agente d'exécution a transmis une convocation par télécopieur à l'avocat. Comme prévu, la demande de report a été faite et l'agente d'exécution a reçu les documents suivants : une copie du rapport du psychologue datée du 21 août 2003, une confirmation médicale de la grossesse, une copie de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, les prétentions ainsi que les prétentions supplémentaires de l'avocat. Par lettre datée du 11 septembre 2003 transmise par télécopieur à l'avocat dont copie a été envoyée à M. Padda, l'agente d'exécution a indiqué que la demande de report ne serait pas accueillie. Il est évident que cette nouvelle avait déjà été transmise de vive voix parce que la demande d'autorisation de demander le contrôle judiciaire a été déposée le 10 septembre et renvoie à une décision défavorable quant au report communiquée au demandeur le 9 septembre. La requête en report a été déposée le 10 septembre. La date de l'avis de refus n'est pas en cause.


[6]                 Les parties reconnaissent que le demandeur doit remplir les conditions du critère à trois volets énoncées dans l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988) 86 N.R. 302 (C.A.F.) : existence d'une question grave à juger, existence d'un préjudice irréparable pour le demandeur si le report n'est pas accordé et prépondérance des inconvénients jouant en faveur du demandeur. Les parties reconnaissent également que les trois conditions doivent être réunies de sorte que l'omission de remplir l'une ou l'autre d'entre elles serait fatale. Je suis d'accord avec l'intimé que dans les cas où un report accorderait les mesures de redressement sollicitées dans la demande sous-jacente, le fait que la question soulevée ne soit ni futile, ni vexatoire, ne suffit pas à remplir la condition de la « question grave » . Lorsqu'une requête pour l'obtention d'un report est présentée à l'égard d'un refus de reporter un renvoi, le juge saisi de la requête doit aller plus loin que l'application du critère de la « question grave » et examiner de près le fond de la demande sous-jacente : Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 3 C.F. 682 (C.F. 1re inst.).

[7]                 M. Padda prétend que l'étendue du pouvoir d'un agent chargé du renvoi de reporter un renvoi est, à elle seule, une question grave. Il est allégué que la jurisprudence de la Cour n'est pas unanime et qu'elle est plutôt divisée sur cette question.


[8]                 Je ne suis pas convaincue de l'exactitude de cet argument. Le juge Russell a récemment examiné la jurisprudence sur cette question dans la décision Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2003 CFPI 614, A.C.F. no 805. Au paragraphe 32 de ses motifs, le juge Russell consolide les principes et conclut que « le pouvoir discrétionnaire conféré à l'[agent] à l'article 48 [de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR)] lui permet de tenir compte des circonstances qui influent directement sur les arrangements de voyage, mais que [l']examen ne doit pas aller plus loin » . Il ajoute que l'agent doit également tenir compte des autres circonstances particulières de l'affaire. Le simple fait qu'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire soit en instance ne justifie pas le report du renvoi et il n'appartient pas à l'agent d'exécution d'évaluer le bien-fondé d'une telle demande. D'autre part, l'agent peut entraver illégalement l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne tenant pas compte de circonstances impérieuses propres à la personne visée par la mesure de renvoi, par exemple sa sécurité personnelle ou sa santé.

[9]                 Il ressort des motifs du juge Russell que la loi est claire : le renvoi est la règle alors que le report est l'exception et le pouvoir discrétionnaire qu'un agent chargé du renvoi peut exercer est très limité. Il me semble qu'au-delà des principes reconnus, chaque affaire dépend de ses faits particuliers. Par conséquent, je n'accepte pas l'argument du demandeur qu'il existe une question grave à juger à cet égard.                  

[10]            M. Padda ne prétend pas qu'il y a eu, en l'espèce, entrave au pouvoir discrétionnaire. La situation du demandeur a été examinée et appréciée et, en fin de compte, le renvoi n'a pas été reporté. Il prétend plutôt que l'agente d'exécution a commis des erreurs sur trois aspects importants lors de son examen.                   


[11]            La première erreur alléguée de l'agente d'exécution est qu'elle aurait commis une erreur de droit en déclarant que, même si le renvoi était reporté, le demandeur n'aurait pas le droit de travailler au Canada et ainsi de subvenir aux besoins de sa famille. L'agente d'exécution ne savait pas que M. Padda possédait un permis de travail valide jusqu'en février 2004 étant donné que celui-ci n'en avait pas parlé. Fait plus important, selon le demandeur, la déclaration de l'agente constitue une erreur de droit parce que l'alinéa 206b) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) prévoit qu'un permis de travail peut être délivré à un étranger au Canada si celui-ci ne peut subvenir à ses besoins autrement qu'en travaillant et s'il fait l'objet d'une mesure de renvoi qui n'a pu être exécutée. Je suis disposée à présumer que, sans prendre de décision, l'agente a commis une erreur en déclarant, essentiellement, que M. Padda ne pourrait pas travailler même si le renvoi était reporté. Toutefois, cette erreur importe peu. L'agente d'exécution essayait d'évaluer quelle serait l'incidence économique d'un renvoi sur l'épouse de M. Padda et sur sa belle-fille. Il s'agissait là d'une considération pertinente. La capacité de subvenir aux besoins de son épouse et de sa belle-fille s'il n'était pas renvoyé n'était pas un facteur pertinent quant à la décision que l'agente devait prendre. De plus, je considère que la déclaration de l'agente d'exécution était gratuite. Aucune question grave n'est soulevée en l'espèce.                                

[12]            La seconde erreur alléguée de l'agente d'exécution est qu'elle n'aurait aucunement tenu compte du contenu de l'évaluation psychologique concernant l'épouse de M. Padda. Ce n'est pas le cas. L'agente d'exécution a tenu compte du rapport psychologique et bien qu'elle n'ait pas employé les termes précis utilisés par le psychologue, ses remarques concernant le traitement étaient fidèles. Le demandeur ne peut prétendre que l'importance accordée au rapport était insuffisante. Il appartient à l'agent d'exécution de soupeser ces facteurs. Il n'y a pas de question grave à juger en l'espèce.

[13]            La troisième erreur alléguée de l'agente d'exécution est qu'elle n'aurait pas tenu compte de l'intérêt supérieur de l'enfant. Selon une certaine jurisprudence, le pouvoir discrétionnaire limité de l'agent d'exécution ne lui permet pas de tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant puisque c'est l'objet visé par la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire : John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2003 CFPI 420, A.C.F. no 583; Banik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) IMM-4861-03; Robin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) IMM-5796-03. Cette question ne s'applique pas en l'espèce. L'ordonnance d'exécution a tenu compte de l'incidence économique et émotionnelle sur la belle-fille de M. Padda. L'intérêt de l'enfant a été soupesé avec d'autres facteurs et l'agente a conclu que, dans l'ensemble, les circonstances particulières ne militaient pas en faveur d'un report. Encore une fois, ce que le demandeur demande, c'est que la Cour apprécie à nouveau les facteurs. La Cour ne peut accéder à une telle requête et il n'y a aucune question grave à juger en l'espèce.


[14]            Le demandeur n'a pas démontré l'existence d'une question grave et, par conséquent, la demande de report doit être rejetée. Quoi qu'il en soit, je ne puis conclure à l'existence d'un préjudice irréparable. Compte tenu des faits, je conviens que la séparation de M. Padda d'avec sa famille occasionnerait du chagrin ainsi qu'un préjudice économique, psychologique et émotionnel. Un renvoi entraîne inévitablement de telles conséquences. M. Padda n'est ni un réfugié au sens de la Convention, ni un résident permanent au Canada. Il ne possède aucun statut juridique au Canada. Sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire sera instruite en son absence et, s'il a gain de cause, il pourra revenir au Canada et retrouver sa famille.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée.

     « Carolyn Layden-Stevenson »

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Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad., a.


COUR FÉDÉRALE

Noms des avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                        IMM-6986-03

INTITULÉ :                                        BALJINDER SINGH PADDA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le 15 septembre 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                    Le 18 septembre 2003

COMPARUTIONS :

Krassina Kostadinov                                           POUR LE DEMANDEUR

Mandeep Atwal                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Krassina Kostadinov                                            POUR LE DEMANDEUR

Avocate

Toronto(Ontario)

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                     POUR LE DÉFENDEUR


                                 COUR FÉDÉRALE

Date : 20030918

Dossier : IMM-6986-03

ENTRE :

BALJINDER SINGH PADDA

                                                                                    demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                                     défendeur

                                                                           

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                           

                                            


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