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Date : 20060314

Dossier : IMM‑1986‑05

Référence : 2006 CF 328

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

 

ENTRE :

OSCAR OBED ESPINOZA PINEDA

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), de la décision, en date du 11 mars 2005, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a prononcé le désistement de la demande d’asile du demandeur parce qu’il a tardé à produire son formulaire de renseignements personnels (FRP).

 

[2]        Le demandeur sollicite une ordonnance annulant cette décision et renvoyant l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvelle décision.

 

Le contexte de l’affaire

 

[3]        Le demandeur, citoyen du Honduras, est arrivé au Canada le 28 janvier 2005 et a demandé l’asile à la frontière. On lui a remis un formulaire de renseignements personnels (FRP) à remplir et à remettre dans les 28 jours, soit le 25 février 2005 au plus tard. Ainsi qu’il était tenu de le faire, le demandeur a notifié son adresse aux autorités dans les 10 jours suivants et il a passé les examens médicaux dans les 28 jours. Le 2 mars 2005, n’ayant pas transmis son FRP dans les délais prévus, il a reçu un avis de la tenue d’une audience sur le désistement. Le 3 mars 2005, il a déposé son FRP.

 

[4]        Le 9 mars 2005, la Commission a tenu une audience de justification relative au désistement afin de donner au demandeur la possibilité d’expliquer pourquoi elle devrait entendre sa demande d’asile. Le demandeur a assuré sa propre représentation à l’audience. Il a présenté des excuses pour le retard et a expliqué qu’il avait confondu les délais auxquels était soumise la production de divers documents. Il a déclaré avoir cru qu’il disposait d’un délai de 60 jours pour déposer le FRP et de 28 jours pour les examens médicaux. Il a affirmé ne s’être aperçu de sa méprise au sujet des délais qu’au moment où il a demandé à quelqu’un de traduire l’avis de la tenue d’une audience sur le désistement. Selon lui, presque tous les documents requis étaient déjà prêts.

 

[5]        À l’audience, le commissaire a insisté sur le fait que demandeur avait peut‑être confondu les délais, mais qu’il était néanmoins tenu de respecter les règles, ainsi que le délai de 28 jours qui est clairement indiqué sur la couverture de la trousse du FRP et dans la brochure distribuée à tous les demandeurs d’asile. Le commissaire a expliqué que le demandeur devait, s’il avait besoin d’éclaircissements, trouver quelqu’un capable de lui traduire les documents. Le commissaire a ajouté qu’il arrive qu’en raison des circonstances, il soit impossible ou peu réaliste pour un demandeur d’asile de se plier à cette règle, mais que ce n’était pas le cas en l’occurrence. Le commissaire a rappelé que le demandeur avait déposé son FRP et indiqué qu’il était prêt à procéder.

 

[6]        En l’espèce, le commissaire n’était pas disposé à proroger le délai et, à la fin de l’audience, il a conclu au désistement de la demande d’asile. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

 

Questions en litige

 

[7]        Le demandeur a soumis à l’examen de la Cour les questions suivantes :

            1.         La Commission a-t-elle tiré une conclusion déraisonnable en décidant que le demandeur s’était désisté de sa demande d’asile?

 

            2.         La Commission a‑t‑elle contrevenu aux principes de justice naturelle en décidant que le demandeur s’était désisté de sa demande d’asile?

 

Les arguments du demandeur

 

[8]        Le demandeur a fait valoir que la décision de la Commission de prononcer le désistement d’une demande d’asile est susceptible de contrôle suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter et devrait être examinée attentivement (voir Ahamad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 109, au paragraphe 27 (1re inst.)).

 

[9]        Le demandeur a soutenu que la décision en question ne résiste pas à un examen attentif, la Commission ayant commis des erreurs de fait et de droit. Il a fait valoir que la Commission a appliqué le mauvais critère en se demandant s’il aurait été « impossible ou peu réaliste » pour lui de déposer en temps utile le formulaire requis. La Commission devait au contraire déterminer si le demandeur avait renoncé à sa demande d’asile (voir Matondo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 416, au paragraphe 16). La Commission a estimé que le demandeur [traduction] « n’a pris aucune mesure en vue de s’informer ou de comprendre ce qui se passait ». Le demandeur a soutenu que cette conclusion était déraisonnable étant donné qu’à la date où il a reçu l’avis de la tenue d’une audience sur le désistement, il avait déjà trouvé un traducteur pour l’aider à remplir son FRP et que ce document était presque prêt, la preuve en étant qu’il a pu le transmettre dès réception de l’avis.

 

[10]      Le demandeur a soutenu que le problème n’était pas qu’il avait estimé avoir besoin d’éclaircissements et n’avait rien fait pour les obtenir, mais qu’il ignorait en fait qu’il lui faudrait demander des éclaircissements étant donné qu’il avait confondu les délais. Il a fait valoir qu’en ne tenant pas compte de cette erreur humaine, qu’une diligence raisonnable ne permet pas toujours d’éviter, le commissaire a tiré une conclusion déraisonnable.

 

[11]      Le demandeur a fait valoir que la décision Matondo, précitée, montre bien qu’en présence d’éléments de preuve clairs et non contredits indiquant que le demandeur a toujours eu l’intention de donner suite à sa demande d’asile, conclure au désistement est arbitraire et contrevient aux principes de justice naturelle et, par conséquent, la décision ne peut pas être maintenue.

 

Les arguments du défendeur

 

[12]      Le défendeur a fait valoir pour sa part que lorsqu’il s’agit de décider s’il y a eu désistement d’une demande, le critère applicable consiste à se demander si la conduite du demandeur d’asile constitue une expression de l’intention de cette personne de ne pas souhaiter poursuivre sa demande d’asile (voir Markandu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1596, au paragraphe 10). Il a allégué que la Commission n’a pas à examiner le bien‑fondé de la demande d’asile et que le fait qu’un demandeur d’asile soit prêt ou non à donner suite à sa demande d’asile est un facteur dont il faut tenir compte, certes, mais n’est pas déterminant (voir Markandu, aux paragraphes 11 et 24).

 

[13]      Le défendeur a affirmé que la Commission a tenu compte de tous les éléments de preuve concernant le désistement et a exercé en conséquence le pouvoir discrétionnaire qui lui est reconnu. Il a soutenu qu’il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur n’avait pas poursuivi sa demande d’asile avec diligence.

 

[14]      Le défendeur a en outre prétendu qu’on peut faire une distinction entre les faits de la décision Matondo invoquée par le demandeur et ceux de la présente affaire. Premièrement, M. Matondo reprochait à la Commission de ne pas avoir ordonné, en vertu de l’article 55 des Règles, la réouverture d’une demande d’asile alors qu’en l’espèce, le demandeur conteste la décision de prononcer le désistement. Deuxièmement, M. Matondo n’avait pas eu la possibilité de faire valoir ses observations lors d’une audience sur le désistement alors qu’en l’espèce, le demandeur a comparu à une telle audience et a effectivement eu la possibilité d’exposer ses arguments. Troisièmement, les pièces d’identité de M. Matondo avaient été confisquées et ces documents lui étaient nécessaires pour remplir son FRP, mais son avocat n’a reçu aucune réponse à ses demandes de restitution des documents en question.

 

Analyse

 

[15]      La norme de contrôle

            La norme de contrôle applicable à un désistement prononcé par la Commission est celle de la décision raisonnable simpliciter (voir Anjum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 496, au paragraphe 17).

 

[16]      Question no 1

            La Commission a-t-elle tiré une conclusion déraisonnable en décidant que le demandeur s’était désisté de sa demande d’asile?

            Dans la décision Ahamad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 109 (1re inst.), le juge Lemieux a dit, au paragraphe 32 :

Il ressort de décisions que notre Cour a rendues dans le cadre d'examens de décisions de la SSR statuant que l'intéressé s'était désisté de sa revendication que le critère à appliquer ou la question à poser est de savoir si la conduite du revendicateur du statut de réfugié constitue une expression de l'intention de cette personne de ne pas souhaiter poursuivre sa revendication avec diligence ou de ne pas s'intéresser à sa revendication; cette appréciation doit être faite dans le contexte de l'obligation d'un revendicateur qui viole un des éléments du paragraphe 69.1(6), qui prévoit l'obligation de fournir une excuse raisonnable (Perez c. Canada (Solliciteur général) (1994), 93 F.T.R. 256 (C.F. 1re inst.), le juge Joyal; Izauierdo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1669 (1re inst.) (QL), le juge Rouleau; Ressam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 110 F.T.R. 50 (C.F. 1re inst.), le juge Pinard; Alegria‑Ramos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 150 (C.F. 1re inst.), le juge Dubé).

 

 

[17]      En l’espèce, le demandeur a transmis dans les délais prévus son adresse et les résultats de son examen médical. Son FRP devait parvenir aux autorités le 25 février 2005 au plus tard, mais le demandeur n’a envoyé ce document que le 3 mars 2005. Le demandeur a déclaré que s’il a tardé à envoyer son FRP, c’est qu’il avait confondu les délais. Il pensait disposer d’un délai de 60 jours pour produire le FRP et d’un délai de 28 jours pour produire les résultats de son examen médical. La Commission n’a pas refusé de croire le demandeur; elle a simplement estimé qu’il ne s’agissait pas d’une raison suffisante de proroger le délai.

 

[18]      Pour refuser d’accueillir les arguments du demandeur lors d’une audience sur le désistement, la Commission doit être saisie d’éléments de preuve indiquant que le demandeur a l’intention de se désister de sa demande d’asile. Je considère que la décision de la Commission était déraisonnable, car je ne relève aucun élément portant à penser que le demandeur avait effectivement l’intention de se désister de sa demande d’asile. Le demandeur a transmis son attestation de domicile ainsi que les résultats de son examen médical et il ressort de la preuve que, lorsqu’il a reçu l’avis de la tenue d’une audience sur le désistement, son FRP était presque prêt à être produit.

 

[19]      Le commissaire a dit à l’audience que le demandeur aurait pu demander à quelqu’un qui parle anglais de lui expliquer quelles étaient au juste les obligations lui incombant. Je souligne que le demandeur n’a pas invoqué, comme justification, sa mauvaise connaissance de l’anglais. Il a déclaré avoir fait une erreur. C’est le commissaire qui a soulevé la question de la langue.

 

[20]      Par conséquent, la décision de la Commission doit être annulée et l’affaire doit être renvoyée pour nouvelle décision à un tribunal différemment constitué de la Commission.

 

[21]      Compte tenu de ma conclusion au sujet de la question 1, il n’y a pas lieu d’examiner la deuxième question.

 

[22]      Ni l’une ni l’autre des parties n’a demandé à la Cour de certifier une question grave de portée générale.


 

JUGEMENT

 

[23]      LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la décision de la Commission soit annulée. L’affaire est renvoyée pour nouvelle décision à un tribunal différemment constitué de la Commission.

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


ANNEXE

 

 

Dispositions législatives applicables

 

            Le paragraphe 168(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, confère à la Commission compétence pour prononcer le désistement. Voici le texte de cette disposition :

 

168. (1) Chacune des sections peut prononcer le désistement dans l'affaire dont elle est saisie si elle estime que l'intéressé omet de poursuivre l'affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu'elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication.

168. (1) A Division may determine that a proceeding before it has been abandoned if the Division is of the opinion that the applicant is in default in the proceedings, including by failing to appear for a hearing, to provide information required by the Division or to communicate with the Division on being requested to do so.

 

 

            En ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire de la Commission de prononcer le désistement d’une demande d’asile, l’article 58 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, prévoit :

 

58. (1) La Section peut prononcer le désistement d'une demande d'asile sans donner au demandeur d'asile la possibilité d'expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé si, à la fois:

 

a) elle n'a reçu ni les coordonnées, ni le formulaire sur les renseignements personnels du demandeur d'asile dans les vingt‑huit jours suivant la date à laquelle ce dernier a reçu le formulaire;

 

b) ni le ministre, ni le conseil du demandeur d'asile, le cas échéant, ne connaissent ces coordonnées.

 

(2) Dans tout autre cas, la Section donne au demandeur d'asile la possibilité d'expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé. Elle lui donne cette possibilité:

a) sur‑le‑champ, dans le cas où il est présent à l'audience et où la Section juge qu'il est équitable de le faire;

 

b) dans le cas contraire, au cours d'une audience spéciale dont la Section l'a avisé par écrit.

 

(3) Pour décider si elle prononce le désistement, la Section prend en considération les explications données par le demandeur d'asile à l'audience et tout autre élément pertinent, notamment le fait que le demandeur d'asile est prêt à commencer ou à poursuivre l'affaire.

 

(4) Si la Section décide de ne pas prononcer le désistement, elle commence ou poursuit l'affaire sans délai.

58. (1) A claim may be declared abandoned, without giving the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned, if

 

 

(a) the Division has not received the claimant's contact information and their Personal Information Form within 28 days after the claimant received the form; and

 

 

(b) the Minister and the claimant's counsel, if any, do not have the claimant's contact information.

 

(2) In every other case, the Division must give the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned. The Division must give this opportunity

 

(a) immediately, if the claimant is present at the hearing and the Division considers that it is fair to do so; or

 

(b) in any other case, by way of a special hearing after notifying the claimant in writing.

 

(3) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanations given by the claimant at the hearing and any other relevant information, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.

 

(4) If the Division decides not to declare the claim abandoned, it must start or continue the proceedings without delay.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑1986‑05

 

INTITULÉ :                                                   OSCAR OBED ESPINOZA PINEDA

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 2 MARS 2006

 

MOTIF DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 14 MARS 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hilary Evans Cameron                          POUR LE DEMANDEUR

 

Rhonda Marquis                                               POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VanderVennen, Lehrer

Toronto (Ontario)                                             POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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