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Date : 20031114

Dossier : T-1576-99

Référence : 2003 CF 1343

ENTRE :

                                            HOECHST MARION ROUSSEL CANADA

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                 -et-

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                                 -et-

                                                                                                                                                                       

                LE CONSEIL D'EXAMEN DU PRIX DES MÉDICAMENTS BREVETÉS

                                                                                                                                                    intervenant

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA PROTONOTAIRE ARONOVITCH

INTRODUCTION

[1]                 La demanderesse introduit cette requête dans le cadre du contrôle judiciaire d'une décision du Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés (le Conseil) de refuser l'annulation de son avis d'audience portant sur le prix de timbres à la nicotine commercialisés par la demanderesse sous la marque « Nicoderm » .


[2]                 La requête de Hoechst, présentée selon le paragraphe 318(4) des Règles de la Cour fédérale (1998), vise à la production de documents en la possession du Conseil, documents qui, selon Hoechst, intéressent sa demande de contrôle judiciaire. Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la requête.

LES FAITS

[3]                 La requête est introduite dans le contexte suivant. Le 20 avril 1999, le Conseil publiait un avis d'audience visant à déterminer si Hoechst vendait le Nicoderm à un prix excessif, selon ce que prévoient les articles 83 et 85 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, et modifications (la Loi). Hoechst a contesté l'avis d'audience en alléguant plusieurs exceptions d'incompétence. Ses oppositions ont été formulées par requête instruite devant le Conseil et le Conseil en a disposé en deux tranches.


[4]                 La demande de contrôle judiciaire introduite devant la Cour concerne la première des décisions du Conseil, à savoir la « Décision concernant la compétence - partie I » . Cette décision disposait essentiellement des oppositions de Hoechst à la compétence du Conseil, selon lesquelles l'avis d'audience contrevenait aux règles de la justice naturelle. Plus précisément, dans ses motifs, le Conseil répondait aux accusations de partialité institutionnelle, fondées sur le présumé chevauchement des fonctions du Conseil, à savoir les fonctions d'enquêteur, de poursuivant et d'arbitre, fonctions qui, selon la demanderesse, donnaient raisonnablement lieu de craindre des préventions de la part du Conseil. Le Conseil s'est également prononcé sur l'affirmation selon laquelle « la manière dont le Conseil s'y est pris pour rendre sa décision avant d'émettre l'avis d'audience » avait eu pour effet de refuser à la demanderesse une occasion raisonnable de se faire entendre et donnait également lieu de craindre des préventions de la part du Conseil.

[5]                 Finalement, le Conseil a statué sur la plainte de la demanderesse selon laquelle ses droits à l'équité procédurale avaient été ignorés parce que l'avis d'audience n'était pas suffisamment détaillé pour que la demanderesse fût en mesure de répondre aux accusations.

[6]                 Une autre décision du Conseil, la « Décision concernant la compétence - partie II » , examinait, et rejetait, d'autres oppositions formulées par la demanderesse à l'encontre de la compétence du Conseil. Cette décision est l'objet d'une autre demande de contrôle judiciaire.

[7]                 Pour ce qui est de la présente instance, les griefs de contrôle allégués par la demanderesse reprennent essentiellement les moyens que la demanderesse avait soulevés devant le Conseil pour récuser sa compétence. Ce sont les griefs suivants :

[traduction] « La manière dont le Conseil s'y est pris laisse raisonnablement craindre des préventions de sa part ou, subsidiairement, de la part de son président, et cela parce que :

a.              le fonctionnement du Conseil permet un chevauchement illicite des fonctions d'investigation et des fonctions de décision de la part du personnel du Conseil et de la part de son président,

b.              le Conseil, par l'entremise de son personnel et de son président, est arrivé, avant qu'il n'émette l'avis d'audience, et au moment de l'avis d'audience, à des conclusions qui donnent des raisons de craindre qu'il a préjugé de l'issue de certaines matières devant être étudiées durant l'audience,


c.              le président, après examen des documents que lui a soumis le personnel du Conseil, a émis l'avis d'audience, et nommé les membres du Conseil, dont le président lui-même, qui allaient former le comité d'enquête » .

[8]                 J'ai annexé en appendice les articles 317 et 318 des Règles de la Cour fédérale (1998), en vertu desquels la demanderesse sollicite la communication de documents. L'article 317 donne essentiellement droit à un demandeur de demander les documents ou éléments matériels qui se rapportent à une demande et qui sont en la possession du tribunal administratif dont l'ordonnance est en cause dans le contrôle judiciaire.

[9]                 Sur cette base, Hoechst a demandé une copie certifiée conforme des documents suivants :

1.              « Tous les mémoires, rapports ou autres documents soumis au Conseil ou à son président, par le personnel du Conseil, avant que le Conseil ou son président ne décide d'émettre l'avis d'audience daté du 20 avril 1999.

2.            Les autres documents et pièces qui se trouvaient devant le Conseil ou devant son président lorsqu'il a été décidé d'émettre l'avis d'audience daté du 20 avril 1999.

3.            Les documents ou pièces qui font état du choix fait par le président du Conseil en ce qui concerne les membres du comité appelé à conduire l'audience ou les audiences instituées par l'avis d'audience daté du 20 avril 1999 » . (non souligné dans l'original)


[10]            Le Conseil s'oppose à ladite demande, affirmant que les documents désignés dans les paragraphes 1 et 2 susmentionnés ne sont pas utiles eu égard à la règle énoncée dans le jugement Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Canada (Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés), [1994] 2 C.F. 425 (1re inst.); confirmé (1994), 56 C.P.R. (3d) 377 (C.A.F.) (le jugement CIBA). Le Conseil ajoute qu'il n'existe pas de documents de la catégorie mentionnée au paragraphe 3, et il fait valoir que le dossier de la demande de contrôle judiciaire devrait être le même que le dossier sur lequel le Conseil a fondé sa décision.

[11]            Durant les débats qui se sont déroulés devant moi, les parties se sont accordées pour dire que, aux fins de la présente requête, la demande de Hoechst se limitera à la production du rapport du personnel du Conseil qui concerne les prix excessifs (le « rapport du personnel » ).

[12]            Pour comprendre les arguments des parties, il est utile de dire quelques mots sur la genèse et la nature du rapport du personnel. Ce rapport est succinctement décrit par le juge McKeown dans le jugement CIBA, précité, jugement sur lequel je reviendrai plus tard :

........

Les rapports confidentiels que le personnel du Conseil entretient avec les tiers sont très importants pour qu'il puisse s'acquitter de ses responsabilités légales. Le personnel du Conseil communique au breveté l'essentiel de la preuve sur laquelle il s'est appuyé pour statuer sur le caractère excessif d'un prix. Si l'enquête indique que le prix excède ce qui est prévu par les directives, le breveté est informé du fondement de la conclusion du personnel du Conseil, et il est prié de conclure un engagement de conformité volontaire (ECV) pour rajuster son prix. Indépendamment de la réponse du breveté à la requête du personnel du Conseil, lorsque le personnel a terminé son enquête, il rédige un rapport confidentiel qui est transmis au président du Conseil. C'est après avoir examiné ce rapport que le président décide s'il y a ou non une preuve suffisante pour émettre un avis d'audience. L'avis d'audience énonce les motifs pour lesquels le président croit qu'une ordonnance remédiatrice peut être rendue; c'est-à-dire qu'il y a apparence de droit, et les faits importants qui ont amené le président à tirer cette conclusion. (à la page 486) (non souligné dans l'original)


[13]            Le passage qui suit, tiré de la décision du Conseil, élargit le contexte du débat. Ici, le Conseil explique certains aspects de son fonctionnement, à partir de la page 3 de ses motifs, dans le sillage de l'engagement de conformité volontaire du breveté à rajuster son prix :

Fonctionnement

...

Si la situation n'est pas régularisée, le personnel du Conseil peut recommander au président du Conseil de soumettre le cas à l'examen d'un comité constitué par des membres du Conseil dans le cadre d'une audience publique.

Avant la tenue de l'audience, aucun membre du Conseil n'est impliqué dans l'enquête menée par le personnel quant aux allégations de prix excessifs d'un médicament, ni informé des résultats de cette enquête, sauf le président du Conseil dans le cadre de ses fonctions de gestionnaire à titre de chef de la direction, comme il est indiqué ci-dessous. Les membres du Conseil ne sont informés qu'au moment de l'émission de l'avis d'audience et ne sont saisis des éléments de preuve fournis par le personnel qu'au cours de l'audience publique.

Lorsque le personnel du Conseil remet son rapport au président concernant un cas de prix excessifs, le président, à titre de chef de la direction du Conseil, prend connaissance du rapport dans le seul but de déterminer si une audience publique servira l'intérêt public. Le président du Conseil doit alors évaluer, entre autres, si les allégations formulées par le personnel du Conseil, dans l'éventualité où elles seraient fondées, permettront d'établir prima facie si des prix excessifs ont été demandés par le breveté qui relève de la compétence du Conseil. Dans un tel contexte, le président joue un rôle de cadre supérieur du Conseil qui dirige ses activités et voit à ce que les audiences publiques soient tenues, et cela exclusivement, dans les cas opportuns. Son rôle n'est pas décisionnel et il n'effectue aucune analyse pour savoir si les faits allégués par le personnel du Conseil sont ou seront prouvés.

Si le président du Conseil arrive à la conclusion qu'il est dans l'intérêt public de tenir une audience, le Conseil émet alors un avis d'audience et le président constitue un comité de membres qui présidera l'audience. Au cours de l'audience, le personnel du Conseil fera valoir ses arguments selon lesquels le prix d'un médicament breveté qui relève de la compétence du Conseil est excessif, tandis que le breveté tentera d'infirmer lesdits arguments. Le comité du Conseil entendra la preuve et rendra sa décision. Tout au long du processus d'audience, le comité est représenté par son propre avocat.


POINTS LITIGIEUX ET ANALYSE

[14]            Le premier point à éclaircir est celui de savoir si, au vu des circonstances, le rapport du personnel peut entrer dans l'expression « documents ou éléments matériels pertinents à la demande qui sont en la possession de l'office fédéral » , expression qui figure dans l'article 317 des Règles. Le deuxième point est celui de savoir si Hoechst a raison de dire que, même si le rapport n'était pas devant le Conseil lorsque celui-ci a rendu sa décision, Hoechst a néanmoins le droit d'obtenir ce rapport pour être en mesure de prouver la légitimité de sa crainte de partialité.

[15]            Quels sont les documents qui sont jugés pertinents pour les fins qui nous concernent? Dans l'arrêt Pathak c. Commission canadienne des droits de la personne (1995), 180 N.R. 152, au paragraphe 1 (C.A.F.), la Cour disait qu'un document intéresse une demande de contrôle judiciaire « s'il peut influer sur la manière dont la Cour disposera de la demande » . Le point de savoir si un document a été examiné ou utilisé par un office fédéral n'est pas le facteur à prendre en compte à cette fin, d'affirmer la demanderesse. S'appuyant principalement sur le jugement Friends of the West Country Assoc. c. Ministre des Pêches et des Océans (1997), 130 F.T.R. 206, au paragraphe 28 (C.F. 1re inst.) (le jugement Friends of the West), Hoechst soutient que les documents qui sont pertinents sont ceux qui se rapportent aux moyens avancés dans l'acte introductif d'instance.


[16]            Le jugement Friends of the West ne constitue pas cependant le point de vue prédominant et il est appliqué d'une manière étroite (Hiebert c. Canada (Service correctionnel), [1999] A.C.F. no 1957 (QL)) (le jugement Hiebert). Le juge Pelletier fait observer en effet dans le jugement Hiebert que la majorité des précédents qui traitent de la production de documents dans les demandes de contrôle judiciaire donnent à entendre que seuls les documents qui se trouvaient devant le décideur sont susceptibles de communication. Puis il conclut ainsi :

La Cour d'appel fédérale a, dans l'arrêt 1185740 c. Canada (Ministre du Revenu national) (1998), 150 F.T.R. 60, confirmé le point de vue adopté par le juge Nadon. Je conclus, par conséquent, que l'on ne peut ordonner la production des documents que si le décideur les avait en sa possession au moment de la prise de décision. (au paragraphe 10).

[17]            Le Conseil fait observer que trois des quatre membres du comité qui ont entendu la requête de Hoechst et en ont disposé, c'est-à-dire les membres autres que le président, n'avaient pas vu le rapport du personnel lorsque le Conseil avait rendu sa décision concernant sa compétence, et il relève que le rapport ne faisait pas non plus partie du dossier ou de la preuve dont disposait le Conseil au cours de ladite instance.

[18]            Pour autant, d'affirmer la demanderesse, on peut considérer que l'office fédéral avait « devant lui » le rapport du personnel, et cela parce que le Conseil se composait de membres qui comprenaient le président, lequel avait vu le rapport avant d'émettre l'avis d'audience et avait par la suite siégé comme membre du comité qui a rendu la décision contestée.


[19]            Si je comprends bien l'argument de Hoechst, cet argument se rapporte à la fois à la délivrance de l'avis d'audience et à la décision du comité sur l'exception d'incompétence. Comme on peut le voir d'emblée, bien que l'avis d'audience soit émis à l'instigation du président, c'est le Conseil qui l'émet. Hoechst soutient que, puisque le président avait connaissance du rapport, on peut dire que le Conseil avait le rapport à sa disposition lorsqu'il a émis l'avis d'audience et, de même, bien que le rapport ne fît pas partie du dossier qui se trouvait devant le Conseil, on peut également affirmer que le rapport se trouvait devant le comité lorsque celui-ci a statué sur les oppositions de Hoechst à l'encontre de sa compétence.

[20]            Je ne puis souscrire aux vues de la demanderesse sur ce qui constitue ici le dossier de l'office fédéral. La loi habilitante précise clairement que le président et le Conseil ont chacun leurs fonctions propres. La Loi autorise expressément aussi le président à siéger comme membre d'un comité du Conseil, en dépit du rôle qu'il joue dans l'émission de l'avis d'audience. Le rapport lui-même n'a pas été utilisé comme élément de preuve devant le comité du Conseil.

[21]            S'agissant de la décision qui est contestée dans la demande de contrôle judiciaire, cette décision concerne la conclusion du Conseil relative à sa compétence. Plus précisément, le point est de savoir si le Conseil avait ou non compétence pour enquêter sur le prix du Nicoderm, eu égard aux présumées violations des règles de la justice naturelle, notamment celles qui ont déjà été examinées. Eu égard aux circonstances, je ne vois aucune raison d'élargir le sens évident des mots « le décideur les avait en sa possession au moment de la prise de décision » - de sorte à augmenter artificiellement le dossier de l'office fédéral pour y inclure un document auquel le comité appelé à se prononcer, dont faisait partie le président, ne s'est pas référé ou qu'il n'a pas utilisé dans sa décision au fond.


[22]            Je souscris d'ailleurs pleinement à l'affirmation du Conseil selon laquelle le jugement CIBA demeure tout à fait à propos et renferme la même conclusion. Dans l'affaire CIBA, la Cour était saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une ordonnance du Conseil qui avait rejeté la requête de Ciba-Geigy en communication et en production de tous les documents se rapportant aux points qui allaient être soulevés dans une audience devant être tenue par le Conseil, points dont l'essentiel était de savoir si le prix du médicament « Habitrol » de Ciba-Geigy était excessif au Canada.

[23]            Le rapport du personnel était largement mis en cause dans le jugement CIBA. La Cour devait examiner si Ciba-Geigy, le breveté dans cette affaire, avait droit à davantage que les documents que le Conseil entendait utiliser à l'audience, et en particulier « à tous les fruits de l'enquête du personnel du Conseil » .

[24]            Certes, la perspective et l'argumentation dans l'affaire CIBA différaient quelque peu de la perspective et de l'argumentation dans l'affaire qui nous occupe. Dans l'affaire CIBA, le Conseil avait refusé les documents qui allaient servir dans une audience à venir, alors que, dans le cas présent, la requête en production de documents est faite après coup, et en application de l'article 317 des Règles. Au surplus, dans l'affaire CIBA, le breveté invoquait l'arrêt rendu par le juge Sopinka dans l'affaire R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, arrêt selon lequel, dans un procès criminel, la Couronne a l'obligation de communiquer la totalité des documents à la défense. L'argument du breveté était que la communication qui n'était pas une communication totale allait réduire sa capacité de présenter une défense pleine et entière devant le Conseil.


[25]            Après examen de l'argument, le juge McKeown avait estimé qu'il fallait laisser une marge de manoeuvre à un tribunal administratif investi d'un mandat de réglementation économique et que la communication de renseignements confidentiels recueillis dans l'accomplissement de ses obligations administratives entraverait indûment le travail administratif du tribunal. Le juge McKeown avait reconnu avec le Conseil que, eu égard au nombre appréciable de documents déjà divulgués, à la nécessité d'une communication franche et à la portée restreinte de l'examen du rapport du personnel par le président, la production du rapport n'était pas nécessaire. La Cour avait jugé notamment qu'aucun préjudice n'en résulterait pour le breveté, et cela parce que le rapport du personnel n'allait pas constituer une preuve devant le Conseil :

« CIBA a demandé en particulier la divulgation du rapport du Conseil. Ce rapport a été rédigé pour le président, et il n'a été utilisé que pour décider s'il y avait lieu de signifier un avis d'audience. Il ne se distingue en rien des autres documents présentés au Conseil. Les documents ne deviennent pertinents que si le Conseil s'apprête à les invoquer.

[26]            La Cour d'appel fédérale avait confirmé le jugement. Voici les propos du juge MacGuigan, à la page 380 :

Nous sommes tous d'avis que le juge des requêtes a correctement énoncé et appliqué le droit.

6. En fait, en soulignant que sa demande porte sur l'application de la règle audi alteram partem et non sur une allégation de partialité, l'avocat de l'appelante reconnaît expressément la justesse du droit énoncé par l'intimé selon lequel « la notion d'équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas » .


[27]            Nous en arrivons à l'argument subsidiaire de Hoechst, selon lequel le dossier original dont disposait le Conseil peut être augmenté dans un contrôle judiciaire lorsqu'est alléguée une partialité ou une crainte de partialité. La demanderesse se réfère à trois précédents qui, selon elle, appuient sa position selon laquelle l'ordonnance prévue par l'article 318 des Règles devrait être accordée.

[28]            Dans l'affaire Lindo c. Banque Royale du Canada (1999), 162 F.T.R. (l'affaire Lindo), le juge Gibson avait rejeté la requête en production de documents présentée par la demanderesse en application de l'article 317 des Règles. La demanderesse s'appuyait sur l'arrêt Pathak, précité, où l'on peut lire que la phase d'investigation et la phase de décision de la Commission des droits de la personne sont des phases distinctes et que les documents intéressant la phase d'investigation ne sont pas susceptibles de production lorsqu'est contestée la phase de décision. Cependant, le juge Gibson, dans une remarque incidente, avait écrit, au paragraphe 14 :

Si, dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse avait invoqué la partialité des enquêteurs, affirmant que cela avait mené à un rapport prétendument partial, cela aurait très bien pu justifier, de la part de la Cour, un examen des circonstances ayant abouti à la rédaction de ce rapport d'enquête, mais la demanderesse n'a pas plaidé en ce sens.

[29]            La demanderesse se réfère aussi à l'affaire des Personnes désirant adopter les pseudonymes de M. Un tel et de Mme Une telle c. Le Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1998] 2 C.F. 252 (l'affaire M. Un tel). Dans l'affaire M. Un tel, le demandeur sollicitait le contrôle judiciaire de la décision du Commissaire de la GRC de ne pas offrir une protection policière au titre du programme de protection des témoins.


[30]            Parmi les allégations avancées dans l'affaire M. Un tel, figurait celle selon laquelle l'avocat qui défendait également la GRC dans un procès civil engagé par le demandeur avait rédigé les motifs du Commissaire. Après examen du privilège revendiqué par le Commissaire pour les documents en cause, la Cour avait jugé que le demandeur avait le droit de connaître l'étendue du rôle qu'avait joué l'avocat lorsqu'avait été rendue et rédigée la décision au fond. La juge Reed avait donc ordonné que soit produit tout document ou partie de document qui traitait du bien-fondé de la décision, sauf un avis juridique, et qui se rapportait à la participation de Me Leising au processus décisionnel (affaire M. Un tel, précitée, au paragraphe 24).

[31]            Finalement, Hoechst signale l'observation suivante de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Beno c. Canada (Commissaire et président de la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces armées canadiennes en Somalie - Commission Létourneau), [1996] A.C.F. no 1129 (QL), [1996] A.C.F. no 1493 (QL) (C.A.F.) (l'affaire Beno), à la note 1.

Dans une demande de contrôle judiciaire et de prohibition fondée sur une crainte raisonnable de partialité concernant un membre d'un tribunal administratif, le demandeur a toujours le droit de produire, au soutien de sa demande, tout élément de preuve tendant à montrer la présumée partialité.

[32]            Comme le fait observer le Conseil, la présente affaire peut se distinguer des précédents cités, car ici la question de la partialité a été soulevée par Hoechst dès le départ. Les griefs du contrôle judiciaire qui concernent une crainte de partialité ne sont pas sensiblement différents des moyens plaidés devant le Conseil à propos de sa compétence. Dans ces conditions, si la demanderesse avait eu besoin du rapport du personnel pour plaider la crainte de partialité, il lui incombait de tenter de forcer la production de ce rapport aux fins de l'audience tenue devant le comité qui examinait ces allégations elles-mêmes.


[33]            Le point est exposé comme il suit par le juge Gibson dans l'affaire Société canadienne des postes c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1999] A.C.F. 356 (1re inst.) (l'affaire SCP), au paragraphe 11 :

Cela dit, je suis convaincu que les moyens de recours proposés en l'espèce, aussi fondamentaux qu'ils puissent être, ne suffisent pas pour que d'autres documents, qui n'étaient pas produits devant le tribunal, puissent légitimement faire l'objet d'une demande de production sous le régime de la règle 317, d'autant plus que la demanderesse avait la possibilité d'en exiger la production devant le tribunal mais ne l'a pas fait. Elle n'est plus recevable à les faire verser au dossier du tribunal dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire en instance.

[34]            À mon avis, on peut tirer la même conclusion des observations faites par la Cour d'appel dans l'arrêt CIBA, cité au paragraphe 26 ci-dessus.

[35]            La demanderesse répond que la crainte de partialité qu'elle vise à établir à l'aide du rapport du personnel découle de la substance même des motifs du Conseil, et en particulier de l'affirmation du Conseil, dans ses motifs, selon laquelle un avis d'audience sera émis si le président estime que l' « intérêt public » l'exige. La demanderesse cite pour exemple le passage ci-dessous des motifs du Conseil, à la page 6 :

2. Le président a « prédéterminé les questions factuelles importantes » en rejetant l'engagement de conformité volontaire

...

La plainte révèle une mauvaise compréhension des politiques et des procédures du Conseil, et plus particulièrement des raisons qui pourraient amener le président à opter pour une audience publique même si HMRC a soumis une proposition d'engagement de conformité volontaire.


Comme on peut le lire dans le Compendium, le président évalue la pertinence d'un engagement de conformité volontaire en fonction de la mesure dans laquelle le breveté se conforme aux Lignes directrices du Conseil sur les prix excessifs et peut décider de tenir une audience publique s'il ne s'y conforme pas. Toutefois, le président peut également ordonner une audience publique lorsqu'il considère que, pour une raison ou pour une autre, une telle audience sert mieux les intérêts publics, notamment lorsqu'il juge que la question devrait faire l'objet d'un débat et qu'il y a lieu de tenir une audience publique pour permettre au personnel du Conseil, au breveté et aux autres parties intéressées d'exprimer leurs points de vue concernant l'allégation de prix excessifs. Comme nous le verrons dans la prochaine section, le président n'est appelé à cette étape qu'à juger si les allégations formulées par le personnel du Conseil, si elles se révélaient fondées, permettraient à première vue de conclure à un cas de prix excessifs. Les témoignages présentés à l'audience peuvent ou non confirmer les allégations » . (non souligné dans l'original)

[36]            Hoechst fait observer que, selon la section 8.1 du Compendium des Lignes directrices, politiques et procédures du Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés (le Compendium), le président peut tenir une audience en émettant un avis d'audience « s'il est d'avis que l'enquête a révélé que le prix dépassait ce que précisent les Lignes directrices ou d'une autre manière est ou a été excessif » . Il n'est fait aucune mention de motifs d'intérêt public. Sans le rapport, de dire la demanderesse, comment pourrait-elle savoir si le président a tenu compte de facteurs hors de propos qu'il n'est pas dans son pouvoir de considérer, et qui ont pu indûment l'inciter ou l'amener à convoquer une audience?


[37]            L'argument n'est pas convaincant car il n'établit pas l'intérêt du rapport pour une présumée partialité du décideur concerné. La production de documents en vue d'augmenter le dossier qui se trouvait devant un tribunal administratif est envisagée dans la jurisprudence pour permettre à une partie d'apporter la preuve complète de la partialité d'un décideur dans la décision que l'on cherche à faire annuler par contrôle judiciaire. Dans l'affaire M. Un tel, la juge Reed parle de documents intéressant « la décision » et « le processus décisionnel » . Dans l'arrêt Beno, la juge Desjardins parle du droit de produire des éléments de preuve montrant qu'il y a eu partialité « de la part d'un membre du tribunal » .

[38]            La crainte de partialité à laquelle, selon la demanderesse, donnent lieu les motifs du Conseil concerne la décision du président de convoquer une audience, décision qui conduit alors à l'émission d'un avis d'audience. Ce qui est contesté dans la demande de contrôle judiciaire, ce n'est pas le point de vue ou l'opinion du président conduisant à l'émission de l'avis d'audience. Le décideur en cause est le comité qui a statué sur l'exception d'incompétence et dont il est admis que le président était membre. La décision contestée est la décision au fond à laquelle est arrivé ce comité.

CONCLUSION


[39]            Pour les motifs susmentionnés, je suis d'avis que la production du rapport du personnel n'est pas nécessaire. Je relève encore une fois que Hoechst, après avoir soulevé l'argument d'une crainte de partialité pour contester la compétence du Conseil, notamment la crainte découlant de « la manière dont le Conseil s'y est pris pour rendre sa décision avant d'émettre l'avis d'audience » , n'a pas jugé nécessaire de forcer la communication du rapport du personnel dans la procédure introduite devant le comité qui a statué sur lesdites allégations. À mon avis, les motifs du Conseil ne donnent pas naissance à ce que Hoechst présente essentiellement comme un nouveau grief de partialité. Aspect plus important, la présumée partialité n'est pas celle d'un membre du tribunal dont la demanderesse cherche à faire annuler la décision dans la demande de contrôle judiciaire. Une ordonnance sera rendue en conséquence.

          « Roza Aronovitch »          

Protonotaire                 

Le 14 novembre 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


APPENDICE I DES MOTIFS D'ORDONNANCE DATÉS DU 14 NOVEMBRE 2003

DOSSIER N ° T-1576-99

L'article 317 des Règles est ainsi rédigé :


Une partie peut demander que des documents ou éléments matériels pertinents à la demande qui sont en la possession de l'office fédéral dont l'ordonnance fait l'objet de la demande lui soient transmis en signifiant à l'office fédéral et en déposant une demande de transmission de documents qui indique de façon précise les documents ou éléments matériels demandés.

(mes soulignés)

A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.

(emphasis added)


Le paragraphe 318(2) prévoit ce qui suit :


Si l'office fédéral ou une partie s'opposent à la demande de transmission, ils informent par écrit toutes les parties et l'administrateur des motifs de leur opposition.

Where a tribunal or party objects to a request under rule 317, the tribunal or the party shall inform all parties and the Administrator, in writing, of the reasons for the objection.


Le paragraphe 318(4), qui est à la base de la présente requête de la demanderesse, prévoit ce qui suit :


La Cour peut, après avoir entendu les observations sur l'opposition, ordonner qu'une copie certifiée conforme ou l'original des documents ou que les éléments matériels soient transmis, en totalité ou en partie, au greffe.

The Court may, after hearing submissions with respect to an objection under subsection (2), order that a certified copy, or the original, of all or part of the material requested be forwarded to the Registry.



                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                 T-1576-99

INTITULÉ :                                               

HOECHST MARION ROUSSEL CANADA

demanderesse

-et-

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

-et-

LE CONSEIL D'EXAMEN DU PRIX DES MÉDICAMENTS BREVETÉS

intervenant

LIEU DE L'AUDIENCE :                       OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 25 JUIN 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :        LA PROTONOTAIRE ARONOVITCH

DATE DES MOTIFS :                              LE 14 NOVEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

MARTIN MASON                                                                       POUR LA DEMANDERESSE

SEBASTIEN SPANO

GORDON CAMERON                                                               POUR L'INTERVENANT,

le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP                              POUR LA DEMANDERESSE

OTTAWA (ONTARIO)

BLAKE CASSELS et GRAYDON LLP POUR L'INTERVENANT,

OTTAWA (ONTARIO)                                                               le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés


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