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Date : 20030314

Dossier : IMM-422-02

Référence : 2003 CFPI 309

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                                       ASEEL KHAN

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE KELEN

[1]                 La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR), datée du 2 janvier 2002, par laquelle la CISR a conclu que le demandeur était exclu de la définition de statut de réfugié en vertu de l'alinéa a) de la section F de l'article premier de la Convention de 1951 relative au statut de réfugié.


[2]                 L'alinéa 1Fa) est rédigé comme suit :


Article premier. -- Définition du terme « réfugié »

[...]

Article 1. Definition of the term "refugee"

[...]

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un rime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

[...]

(a) He has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

[...]


LES FAITS

[3]                 Le demandeur est un citoyen pachtoune, qui est arrivé au Canada le 19 novembre 1999. Il affirme craindre avec raison d'être persécuté par les Talibans à cause de ses opinions politiques apparentes. Le demandeur a été conscrit dans l'armée afghane en 1981 et il a été élève de l'École de l'air afghane jusqu'en 1984. Entre 1984 et 1998, le demandeur a piloté des hélicoptères au sein du 377e Régiment d'hélicoptères de l'Aviation afghane. Il a servi sous le régime communiste de Najibullah en Afghanistan jusqu'en 1992, atteignant le rang de colonel (le cinquième rang plus élevé dans les forces armées afghanes). Il a aussi servi sous le gouvernement des moudjahidin entre 1992 et 1998.


[4]                 Un représentant du ministre a participé à l'audience de la revendication du demandeur, alléguant qu'il y avait de sérieuses raisons de penser que ce dernier avait été complice de crimes de guerre et/ou de crimes contre l'humanité durant les régimes de Najibullah et des moudjahidin. Le demandeur soutient que ses tâches étaient de nature purement humanitaire et qu'il n'a jamais participé à des combats.

[5]                 Voici ce que déclare la CISR à la page 5 de ses motifs :

Le tribunal estime que la preuve présentée par le revendicateur comme quoi il participait à des missions purement humanitaires pendant ses 14 ans de service n'est pas crédible. Les réponses qu'il a données lors de son entrevue au point d'entrée et la preuve documentaire précise sur les tâches des pilotes du 377e Régiment d'hélicoptères auquel il appartenait, contredisent ce témoignage. Les notes du point d'entrée et la preuve documentaire indiquent que le ravitaillement des troupes soviétiques était une fonction importante de cette unité, qui participait également à des missions de sauvetage et d'évacuation de victimes ainsi qu'à des assauts aériens. Le tribunal conclut que le revendicateur pilotait des hélicoptères de transport qui participaient au ravitaillement des forces militaires soviétiques et afghanes sur le front, de même qu'à des opérations de sauvetage et d'évacuation de victimes. [...]

[6]                 En réponse à l'affirmation du demandeur qu'il ne pouvait quitter l'Aviation afghane de son propre chef, la CISR a noté que peu d'Afghans voulaient piloter des hélicoptères de transport sous l'occupation soviétique. Elle a aussi noté que beaucoup de pilotes d'hélicoptères afghans et de soldats avaient rejoint la résistance moudjahidin à cette époque.


[7]                 Se fondant sur le rôle de demandeur au sein de l'Aviation afghane, la CISR a conclu qu'il existait des motifs sérieux de penser que le revendicateur s'était rendu complice de crimes contre l'humanité commis par les forces militaires soviétiques à l'appui du gouvernement Najibullah entre 1984 et 1989. Elle a estimé ne pas disposer d'assez de preuves pour établir que le demandeur était complice de crimes contre l'humanité commis par le gouvernement des moudjahidin entre 1992 et 1998. Étant donné sa participation aux activités du gouvernement Najibullah, le tribunal a conclu que le demandeur ne pouvait être admis au Canada en application de l'alinéa 1Fa). N'eut été cette exclusion, le tribunal aurait conclu qu'il était un réfugié au sens de la Convention.

ANALYSE

[8]                 Le demandeur soutient que la CISR a commis une erreur de droit en concluant qu'il partageait les objectifs de l'Aviation afghane étant donné ses longs états de service. Il soutient qu'il a été conscrit dans les forces armées et qu'il ne pouvait les quitter sans danger pour sa famille ou pour lui-même. Il avait le choix de rester en poste dans les forces armées afghanes ou de rejoindre les moudjahidin, qui commettaient aussi des violations des droits de l'homme. La question consiste à savoir si une personne peut partager l'objectif d'un régime lorsqu'il n'y a pas d'alternative valable disponible.


[9]                 Le défendeur soutient que le raisonnement de la CISR est solide. La preuve documentaire appuie la conclusion du tribunal voulant que peu d'Afghans voulaient piloter des hélicoptères de transport sous le régime Najibullah et que beaucoup de pilotes ont rejoint la résistance à cette époque. De plus, même si le demandeur a d'abord été conscrit par les forces armées, le dossier indique qu'il a pu quitter son poste dans l'Aviation et qu'il a continué à travailler pour l'Aviation sous le gouvernement des moudjahidin.

[10]            Les principes applicables en l'instance sont tirés de trois décisions de la Cour d'appel fédérale : Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.); Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.); et Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.). Au fond, cette jurisprudence porte qu'une personne qui a été complice de la commission d'un crime international qui est le fait d'un autre en porte également la responsabilité. Le critère de la complicité porte que le complice doit avoir un objectif commun avec la personne qui commet le crime et que sa participation doit être personnelle et consciente.

[11]            Madame le juge Reed a examiné ces affaires dans Penate c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 79, et elle ajoute, au paragraphe 6 :

Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l'appuie activement. On voit là une intention commune. Je fais remarquer que la jurisprudence susmentionnée ne vise pas des infractions internationales isolées, mais la situation où la perpétration de ces infractions fait continûment et régulièrement partie de l'opération. [non souligné dans l'original]


[12]            Il est bien établi que le fait d'être recruté ou conscrit pour le service militaire n'est pas un facteur décisif à l'encontre d'une conclusion de complicité dans les crimes internationaux : voir Moreno, précité, Fletes c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 83 F.T.R. 49, et Gracias-Luna c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 812 (1re inst.) (QL).

[13]            La Cour va maintenant examiner les faits particuliers de cette affaire au vu de ces principes. La CISR avait des motifs valables de conclure que la participation du demandeur à l'Aviation afghane était personnelle et consciente. La longueur de la participation du demandeur à l'Aviation afghane, sa promotion au rang de colonel, la preuve documentaire indépendante au sujet du rôle du 377e Régiment d'hélicoptères ainsi que les doutes portant sur la crédibilité du demandeur nous mènent à la conclusion que ce dernier était au courant de la conduite des militaires afghans et qu'il était leur complice. De plus, le demandeur n'a pris aucune mesure pour se dissocier des activités en cause. La CISR s'est fondée sur la preuve documentaire pour conclure que le demandeur aurait pu quitter l'Aviation afghane, comme d'autres pilotes afghans et soldats l'ont fait à la même époque. La CISR est un tribunal expert et elle a droit à la retenue judiciaire lorsqu'il s'agit de ses conclusions de faits : voir Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 205 N.R. 282, au paragraphe 13 (C.A.F.). Le demandeur n'a pas démontré que la conclusion de la CISR à ce sujet était déraisonnable.

[14]            En conséquence, c'est à bon droit que la CISR a conclu que le demandeur était exclu de la protection prévue pour les réfugiés en vertu de la Convention par l'application de l'alinéa 1Fa). Comme il n'y en a pas eu de proposée, il n'y aura pas de question certifiée.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                                  « Michael A. Kelen »             

                                                                                                                                                                 Juge                           

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-422-02

INTITULÉ :                                           ASEEL KHAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE MARDI 11 MARS 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                        LE VENDREDI 14 MARS 2003

COMPARUTIONS :

Mme Carey Mc Kay                                                           pour le demandeur

Mme Negar Hashemi                                                          pour le défendeur

                                                                                                                                                                       

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Carey McKay                                                            pour le demandeur

Avocate

257, ave. Danforth

Toronto (Ontario)

M4K 1N2                                                                         

Morris Rosenberg                                                              pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                             Date : 20030314

                                     Dossier : IMM-422-02

ENTRE :

ASEEL KHAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                          défendeur

                                                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                   

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