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Date : 20030612

Dossier : T-973-02

Référence : 2003 CFPI 739

CALGARY (Alberta), le jeudi 12 juin 2003

En présence de MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                             CANXPRESS LTD.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                                              JUDITH REAGAN

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision prise le 29 mai 2002 par un arbitre nommé aux termes de l'article 242 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le Code). L'arbitre a estimé que la demanderesse avait injustement congédié la défenderesse et elle a octroyé à cette dernière des dommages-intérêts tenant lieu d'avis au montant de 12 613,50 $, sans déduction d'impôt. La demanderesse cherche à faire annuler la conclusion de congédiement injuste, ou, subsidiairement, demande que la question soit renvoyée à l'arbitre pour recalculer le montant des dommages-intérêts, en tenant compte du fait que la défenderesse a minimisé ses pertes et de l'obligation de la demanderesse de retenir les déductions d'impôt.

LES FAITS

Le contexte

[2]         La défenderesse a commencé à travailler chez CanXpress le 26 janvier 1998 comme conductrice de camion de long parcours. Au cours de son emploi, elle a fréquemment signalé des incidents réels ou imaginaires qui n'avaient aucun lien avec la livraison de ses cargaisons au personnel d'acheminement chez CanXpress, par exemple, sa conviction qu'elle était suivie et qu'on l'espionnait. Deux représentants de CanXpress, Mme Rindi Velker et M. Garnet Lang, ont rencontré la défenderesse le 20 octobre 2000 pour discuter des inquiétudes que la compagnie entretenait au sujet de son comportement. À la suite de cette réunion, on lui a remis une lettre rédigée par M. Lang l'avisant que son comportement [traduction] « ne serait plus toléré » et que, si elle persistait dans cette attitude, elle serait suspendue ou congédiée.


[3]                Aucun autre incident n'a été signalé jusqu'en février 2001, date à laquelle elle s'est plainte d'un embouteillage qui aurait été un coup monté. Dans les quelques mois qui ont suivi, la défenderesse a envoyé plusieurs rapports à CanXpress relativement à du harcèlement et à des injures qu'elle recevait d'individus pendant ses déplacements. Elle s'est également plainte de l'aide non sollicitée des expéditeurs chez certains clients de CanXpress pendant qu'elle reculait son camion au quai de chargement.

[4]                Le 18 octobre 2001, alors qu'elle livrait une cargaison chez Westbank Packers, la défenderesse a dit à un employé de Westbank qu'elle n'avait pas besoin d'aide pour reculer son camion. Elle a exprimé son avis de façon désagréable et Westbank Packers a envoyé une plainte écrite à la demanderesse. Par suite de cet incident, CanXpress a adressé une lettre d'avertissement à la défenderesse le 19 octobre 2001, indiquant que son comportement agressif et sa mauvaise attitude à l'égard de la clientèle étaient inacceptables. Étant donné que la défenderesse était sur la route, cette lettre ne lui a été communiquée que le 6 novembre 2001.

[5]                Entre-temps, la défenderesse a été impliquée dans un autre incident. Le 26 octobre 2001, elle a répondu agressivement à un employé de Chiquita Bananas qui essayait de l'aider à placer son camion en face du quai. Un superviseur chez Chiquita s'est plaint à CanXpress et la décision a été prise de mettre fin à son emploi. Une lettre de congédiement a été écrite le 2 novembre 2001, mais cette lettre n'a été remise à la défenderesse que lorsqu'elle a rencontré M. Alvin Goh le 6 novembre 2001. M. Goh a remis à la défenderesse la lettre d'avertissement et la lettre de congédiement et l'a informée verbalement qu'on avait mis fin à son emploi. La demanderesse n'avait pas remis les lettres à la défenderesse plus tôt parce que cette dernière était sur la route et qu'elle craignait ses réactions à l'annonce de son congédiement.

La plainte de la défenderesse


[6]                Peu après son renvoi, la défenderesse a déposé une plainte aux termes du paragraphe 240(1) du Code et elle a demandé que sa plainte soit entendue par un arbitre. Une audience a eu lieu à Calgary le 15 mai 2002, date à laquelle l'arbitre a entendu les témoignages verbaux de la défenderesse et de trois représentants de la demanderesse. La défenderesse était représentée à cette audience par deux personnes des services juridiques communautaires de Calgary. La demanderesse a choisi de ne pas retenir les services d'un avocat et était représentée à l'audience par Mlle Velker. Au cours de cette audience, la défenderesse a déclaré qu'elle avait trouvé un nouvel emploi moins de dix jours après son renvoi de chez CanXpress, mais aucune autre information sur la nature ou la durée de ce dernier emploi n'a été présentée par les parties et l'arbitre n'a posé aucune question à ce sujet.

[7]                À la suite de l'audience, l'arbitre a communiqué avec la défenderesse pour obtenir d'autres renseignements concernant sa rémunération pendant son emploi chez CanXpress. Cette dernière lui a fourni les renseignements demandés en lui remettant ses T4 et ses talons de chèque de paie. La demanderesse prétend qu'elle n'était pas au courant de la demande de l'arbitre et qu'elle n'a reçu l'information fournie par la défenderesse qu'après la publication de la décision de l'arbitre. À l'exception d'une feuille manuscrite sur laquelle la défenderesse a fait la somme de la rémunération qu'elle avait reçue pendant toute la durée de son emploi chez CanXpress, tous les documents qu'elle a remis à l'arbitre ont été produits par CanXpress.


La décision de l'arbitre

[8]                Dans une décision datée du 29 mai 2002, l'arbitre a statué que la défenderesse avait été injustement congédiée. Il a traité séparément des problèmes qu'a éprouvés la défenderesse avec les répartiteurs de CanXpress et ses difficultés avec les clients de la compagnie. Pour ce qui est de la lettre d'avertissement du 20 octobre 2000 et des difficultés de la défenderesse avec les répartiteurs de CanXpress, il indique ceci à la page 3 de ses motifs :

[traduction]

Après la lettre du 20 octobre [...] et une réunion ultérieure, il n'y a pas de preuve qu'on a informé l'appelante que son emploi prendrait fin parce qu'elle faisait continuellement part de ses expériences personnelles réelles ou imaginaires pendant qu'elle était au volant de son camion. Même si ces communications étaient sans aucun doute frustrantes et qu'elles prenaient beaucoup du temps de CanXpress, à mon avis, elles ne justifient pas le congédiement du 6 novembre 2001. Peut-être qu'une sanction moins sévère aurait été justifiée. Même si on a dit très peu de choses sur la question, il semble que ces « préoccupations externes » étaient causées par des problèmes émotifs. CanXpress aurait dû essayer de mieux l'aider. Toutefois, d'après ce que je comprends, à cette époque CanXpress n'avait pas le personnel pour régler de ce genre de problème chez ses employés.

[9]                L'arbitre aborde ensuite les incidents liés au mauvais service à la clientèle donné par la défenderesse. Il passe en revue les incidents chez Westbank Packers et Chiquita Bananas et conclut ce qui suit aux pages 4 et 5 :

[traduction]

Bien que j'estime que les incidents qui se sont produits chez Westbank Packers et Chitquita soient de sérieuses lacunes de la part de l'appelante, ils ne méritent pas son congédiement immédiat. Une mesure disciplinaire moins sévère aurait pu être appropriée, par exemple une suspension ou une probation. Jusqu'à la réunion du 6 novembre, je crois que ces incidents n'ont jamais été examinés avec l'appelante. Je crois que les incidents de Westbank Packers et de Chiquita auraient dû faire l'objet d'un avertissement spécifique mais qu'ils n'ont pas été abordés dans les entretiens qui ont eu lieu vers le mois d'octobre 2000 pour ce qui a trait à ces « préoccupations externes » .

[10]            Il a également traité des directives de CanXpress concernant le comportement des employés à la page 5 de sa décision :

[traduction]

Je suis conscient qu'une liste des directives de CanXpress était jointe à la demande d'emploi comme conducteur chez CanXpress en date du 22 janvier 1998, et signée par Mme Reagan. L'une de ces directives stipule ce qui suit : « en cas de malentendus ou de discussions avec le client, adressez vos observations et vos opinions au Service de répartition (c'est-à-dire N'EXPRIMEZ PAS vos opinions négatives au client). » La même directive sur la demande d'emploi comme conducteur indique ce qui suit : « aucune contravention ne sera tolérée - à la première infraction, il y aura un avis écrit au conducteur, à la deuxième infraction, le conducteur sera mis à pied pour deux semaines, à la troisième infraction, il y aura congédiement » . La lettre de congédiement du 2 novembre 2001 n'est pas conforme à ces directives.

[11]            L'arbitre a conclu que, comme CanXpress n'a pas donné d'avertissement adéquat à la défenderesse au sujet de son comportement, elle a été injustement congédiée et qu'elle avait droit à un dédommagement raisonnable tenant lieu d'avis raisonnable. Il a déclaré qu'au vu de la conduite de la défenderesse, il était approprié de lui accorder des dommages-intérêts plutôt que d'ordonner sa réintégration. Les dommages dus à la défenderesse ont été calculés en fonction de son salaire brut pour 1999, 2000 et 2001. L'arbitre a déterminé que la défenderesse avait gagné en moyenne 840,90 $ par semaine pendant trois ans et il lui a donc accordé quatre semaines de salaire pour chacune des 3 _ années pendant lesquelles elle a travaillé chez CanXpress, pour un montant total de 12 613,50 $. L'arbitre termine en disant que, d'après ce qu'il a compris, l'argent [traduction] « devrait lui être versé sans déduction d'impôt » .

LES QUESTIONS EN LITIGE


[12]            La demanderesse a soulevé cinq questions dans la présente demande. Je propose de les traiter dans l'ordre suivant.

1.          L'arbitre a-t-il commis une erreur en statuant que la défenderesse avait été injustement congédiée?

2.          L'arbitre a-t-il commis une erreur dans la façon dont il a calculé les dommages-intérêts dus à la défenderesse en remplacement d'un avis de congédiement?

3.          L'arbitre a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve indiquant que la demanderesse avait minimisé ses pertes?

4.          L'arbitre a-t-il manqué à son obligation d'équité procédurale en n'avisant pas la demanderesse des nouveaux renseignements qui lui avaient été fournis par la défenderesse?

5.          L'arbitre a-t-il à tort ignoré l'alinéa 153(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) et ses modifications, quand il a ordonné que les dommages-intérêts soient payés sans qu'il y ait déduction d'impôt sur le revenu?

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[13]            La plainte de la défenderesse a été déposée aux termes du paragraphe 240(1) du Code, qui stipule ce qui suit :



Plainte

240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si :

a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

b) d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective.

Complaint to inspector for unjust dismissal

240. (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and


[14]          À la demande de la défenderesse, la plainte a été transmise à un arbitre nommé en vertu de l'article 242 du Code :


Renvoi à un arbitre

242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement.

Reference to adjudicator

242. (1) The Minister may, on receipt of a report pursuant to subsection 241(3), appoint any person that the Minister considers appropriate as an adjudicator to hear and adjudicate on the complaint in respect of which the report was made, and refer the complaint to the adjudicator along with any statement provided pursuant to subsection 241(1).



Pouvoirs de l'arbitre

(2) Pour l'examen du cas dont il est saisi, l'arbitre :

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier, d'autre part;

c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c).

Powers of adjudicator

(2) An adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1)

(a) shall consider the complaint within such time as the Governor in Council may by regulation prescribe;

(b) shall determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the complaint to present evidence and make submissions to the adjudicator and shall consider the information relating to the complaint; and

(c) has, in relation to any complaint before the adjudicator, the powers conferred on the Canada Industrial Relations Board, in relation to any proceeding before the Board, under paragraphs 16(a), (b) and (c).

Décision de l'arbitre

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l'arbitre :

a) décide si le congédiement était injuste;

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l'appui, à chaque partie ainsi qu'au ministre.

Decision of adjudicator

(3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and

(b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.



Restriction

(3.1) L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants :

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste;

b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

Limitation on complaints

(3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function; or

(b) a procedure of redress has been provided elsewhere in or under this or any other Act of Parliament.

Cas de congédiement injuste

(4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur :

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

Where unjust dismissal

(4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

(b) reinstate the person in his employ; and

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.


[15]            L'alinéa 151(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu est également pertinent en l'espèce :


Retenue

153. (1) Toute personne qui verse au cours d'une année d'imposition l'un des montants suivants :

Withholding

153. (1) Every person paying at any time in a taxation year

a) un traitement, un salaire ou autre rémunération, à l'exception des sommes visées au paragraphe 212(5.1);

(a) salary, wages or other remuneration, other than amounts described in subsection 212(5.1),


doit en déduire ou en retenir la somme fixée selon les modalités réglementaires et doit, au moment fixé par règlement, remettre cette somme au receveur général au titre de l'impôt du bénéficiaire ou du dépositaire pour l'année en vertu de la présente partie ou de la partie XI.3. Toutefois, lorsque la personne est visée par règlement à ce moment, la somme est versée au compte du receveur général dans une institution financière désignée.


LA NORME DE CONTRÔLE

[16]            Les décisions prises par un arbitre en vertu du Code sont protégées par une clause privative qui est énoncée à l'article 243 du Code :


Caractère définitif des décisions

243. (1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

Decisions not to be reviewed by court

243. (1) Every order of an adjudicator appointed under subsection 242(1) is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

Interdiction de recours extraordinaires

(2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire - notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto - visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article 242.

No review by certiorari, etc.

(2) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an adjudicator in any proceedings of the adjudicator under section 242.


[17]            Si l'on tient de cette clause privative et de la retenue judiciaire dont font habituellement preuve les cours de justice à l'égard des tribunaux du travail, il est clair que la norme de contrôle appropriée en l'espèce est celle de la décision manifestement déraisonnable. Lorsque des allégations d'erreur portent sur des questions de droit, sur un manquement à l'équité procédurale, ou traitent de la compétence d'un arbitre, alors la norme de contrôle applicable est celle de la décision juste. Pour ce qui est de la norme de contrôle applicable, voir les causes suivantes : Société canadienne des postes. c. Pollard (1993), 109 D.L.R. (4th) 272, aux pages 280 à 284 (C.A.F.); et Aziz c. Telesat Canada (1995), 104 F.T.R. 267, aux paragraphes 14 à 19.

[18]            Il faut maintenant analyser brièvement ce qui peut être considéré comme une erreur de compétence. Dans son mémoire, la demanderesse laissait entendre que la décision de savoir si le congédiement de la défenderesse était injustifié est une question de compétence qui peut faire l'objet d'un contrôle en vertu de la norme de la décision juste. Ce n'est pas l'interprétation que je donne des dispositions pertinentes du Code. Tout ce qu'il suffit d'établir au sujet de la compétence, c'est que le plaignant « se croit injustement [congédié] » . Que le congédiement soit en fait injuste est une question qui relève de l'expertise et de la compétence de l'arbitre qui lui sont conférées par le paragraphe 242(3) du Code : Aziz, précité, aux paragraphes 20 à 26; Kahnawake Shakotiia'takehnhas Community Services c. Miller (1997), 126 F.T.R. 219, au paragraphe 19; Poitras c. La Nation Crie de Kehewin (2000), 3 C.C.E.L. (3d) 115; et Gauthier c. Banque du Canada (2000), 191 F.T.R. 219, au paragraphe 41.

ANALYSE

1.          L'arbitre a-t-il commis une erreur en statuant que la défenderesse avait été injustement congédiée?


[19]       La demanderesse prétend que l'arbitre a commis une erreur de droit en concluant que la défenderesse avait été injustement congédiée parce que la demanderesse a manqué à ses propres directives. À l'appui de cette position, la demanderesse s'appuie sur la décision du juge Pratte dans Bell Canada c. Hallé (1989), 99 N.R. 149, 29 C.C.E.L. 213 (C.A.F.). Au paragraphe 10, il déclare que le congédiement d'un employé « ne peut être jugé injuste pour le seul motif que la requérante n'avait pas suivi à la lettre la procédure de congédiement décrite dans ses directives internes » . Dans le même paragraphe, il ajoute qu'un arbitre a l'obligation de porter « un jugement sur le caractère juste ou injuste de la procédure de congédiement suivie par l'employeur considérée en elle-même sans égard à la procédure décrite dans les directives » .

[20]            Je ne suis pas d'accord avec l'interprétation que la demanderesse donne de la décision de l'arbitre. Dans ses motifs, l'arbitre a d'abord évalué si la procédure de congédiement suivie par l'employeur était juste ou injuste en elle-même. Il a discuté des étapes suivies par CanXpress en réponse aux problèmes de la défenderesse avec les répartiteurs de la compagnie et ses clients. Dans les deux cas, il a statué que CanXpress avait agi injustement en ne discutant pas d'abord de ces problèmes avec la défenderesse. Par la suite, l'arbitre a abordé les directives de la compagnie. Cela a été fait d'une manière qui a conforté ses conclusions antérieures. Il n'a pas conclu que la défenderesse avait été injustement congédiée « uniquement parce que » la demanderesse n'avait pas suivi ses directives.

[21]            En outre, la conclusion de l'arbitre selon laquelle la demanderesse n'a pas suivi les étapes nécessaires pour congédier comme il se doit la défenderesse, n'était pas manifestement déraisonnable. Il n'y a aucun motif qui permette à la Cour de modifier la conclusion de congédiement injuste au vu de la clause privative.


2.          L'arbitre a-t-il commis une erreur dans la façon dont il a calculé les dommages-intérêts dus à la défenderesse en remplacement d'un avis de congédiement?

[22]       Après avoir conclu que la défenderesse avait été injustement congédiée, l'arbitre a calculé les dommages qui lui étaient dus en s'appuyant sur une période d'avis raisonnable et sur le salaire hebdomadaire moyen qu'elle touchait chez CanXpress. La demanderesse prétend que l'arbitre a commis une erreur en n'examinant pas ce qui ce serait probablement produit si la demanderesse avait agi de façon appropriée et une fois encore s'appuie sur la décision du juge Pratte dans Hallé, précitée, où le juge déclare ceci au paragraphe 11 :

En cas de congédiement injuste, l'arbitre peut [...] condamner l'employeur à payer à l'employé le salaire que celui-ci aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié. Pour fixer le montant de ce salaire, l'arbitre doit donc déterminer ce que l'employé aurait normalement gagné si le congédiement injuste n'avait pas eu lieu. Cela est relativement facile lorsque l'employé a été congédié sans motif. Cela est beaucoup plus difficile lorsque le seul reproche fait à l'employeur est d'avoir agi avec trop de précipitation sans donner à l'employé une chance suffisante de corriger ses lacunes. Alors, l'arbitre ne peut arbitrairement tenir pour acquis que l'employé aurait évité le congédiement si l'employeur avait agi sans hâte excessive. Il doit, à la lumière de la preuve, déterminer ce qui serait probablement arrivé si l'employeur avait agi comme il devait le faire.            [Non souligné dans l'original.]

[23]            La demanderesse prétend que la situation en l'espèce est semblable à celle de l'affaire Hallé. Son interprétation des motifs de l'arbitre est la suivante : il a reconnu qu'il y avait suffisamment de raisons pour congédier la défenderesse, mais a statué que la faute en revenait uniquement à la demanderesse parce qu'elle n'a pas donné à la défenderesse un avertissement suffisant. Cette interprétation se fonde sur la conclusion de l'arbitre selon laquelle les incidents chez Westbank Packers et Chiquita Bananas étaient des « lacune graves » de la défenderesse, et sa conclusion selon laquelle la réintégration de la défenderesse dans son emploi n'était pas appropriée.

[24]            Une fois encore, je ne suis pas d'accord avec l'interprétation que donne la demanderesse de la décision de l'arbitre. La demanderesse n'a pas tenu compte des déclarations de l'arbitre indiquant que les incidents chez Westbank Packers et Chiquita Bananas ne méritaient pas le congédiement immédiat de la défenderesse et qu' [traduction] « une mesure disciplinaire moins sévère aurait pu être appropriée, par exemple une suspension ou une probation » . Je n'interprète pas non plus la décision de l'arbitre de ne pas réintégrer la défenderesse dans son emploi comme indiquant que le congédiement aurait pu être justifié si la lettre d'avertissement lui avait été donnée à temps. Contrairement à la décision Hallé, dans laquelle le juge Pratte indique au paragraphe 10 que « le congédiement, bien que prématuré, n'était pas dépourvu de motifs » , les conclusions de l'arbitre en l'espèce n'étaient pas fondées uniquement sur l'omission de la demanderesse de donner un avertissement approprié. L'arbitre n'a pas attribué la faute à la demanderesse uniquement parce qu'elle n'a pas suivi la procédure appropriée, mais il a aussi statué que le congédiement de la défenderesse d'après les incidents en question n'était pas justifié.

3.         L'arbitre a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve indiquant que la demanderesse avait minimisé ses pertes?


[25]       La demanderesse soutient que l'arbitre a commis une erreur en ne tenant pas compte du témoignage de la défenderesse selon lequel elle avait obtenu un nouvel emploi peu après son congédiement de chez CanXpress. Une transcription de la procédure arbitrale n'a pas été fournie à la Cour, mais il semble que la défenderesse ait effectivement informé l'arbitre qu'elle s'était trouvé un nouvel emploi dix jours après son congédiement. Comme on l'a mentionné ci-dessus, ni l'arbitre ni les parties n'ont poussé plus avant cette question. La défenderesse prétend que la demanderesse avait l'obligation de soulever la question au cours de l'audience et comme elle ne l'a pas fait, l'arbitre n'a pas commis d'erreur en n'examinant pas la question de son nouvel emploi.

[26]            En common law, l'employeur a clairement l'obligation de prouver qu'un ancien employé n'a pas fait des efforts raisonnables pour se trouver un nouvel emploi : Red Deer College c. Michaels (1975), 57 D.L.R. (3d) 386, aux pages 390 et 391 (C.S.C.). Manifestement, cela n'est pas nécessaire lorsque l'employé a minimisé ses pertes en se trouvant un nouvel emploi.

[27]            En l'espèce, l'arbitre en aurait dû tenir compte de cette question même si CanXpress n'a pas activement demandé des détails à ce sujet au cours de l'audience. Un arbitre nommé en vertu du Code peut jouer un rôle beaucoup plus actif que celui d'un juge dans une cour de justice pour définir les questions et réunir les renseignements qui lui sont nécessaires pour prendre une décision juste. Son rôle n'est pas uniquement limité à l'examen de la preuve que lui présentent les parties. Cela ressort clairement de l'alinéa 242(2)b) qui confère à l'arbitre la souplesse d'établir la procédure à suivre au cours d'une procédure arbitrale. L'alinéa 242(2)c) accorde également à l'arbitre le droit d'exercer certains pouvoirs qui sont conférés au Conseil canadien des relations industrielles, ce qui inclut le pouvoir suivant qui est énoncé à l'alinéa 16a) :



Pouvoirs du Conseil

16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

a) convoquer des témoins et les contraindre à comparaître et à déposer sous serment, oralement ou par écrit, ainsi qu'à produire les documents et pièces qu'il estime nécessaires pour mener à bien ses enquêtes et examens sur les questions de sa compétence;

Powers of Board

16. The Board has, in relation to any proceeding before it, power

(a) to summon and enforce the attendance of witnesses and compel them to give oral or written evidence on oath and to produce such documents and things as the Board deems requisite to the full investigation and consideration of any matter within its jurisdiction that is before the Board in the proceeding;

[Non souligné dans l'original]


[28]            Le rôle d'enquêteur d'un arbitre est particulièrement important lorsque, comme c'était le cas en l'espèce, l'une des parties en cause n'est pas représentée par un avocat. L'arbitre avait la responsabilité de traiter de la question de la minimisation des pertes afin de déterminer quel montant devrait être versé à la défenderesse pour la dédommager adéquatement. Le dossier ne renferme aucune preuve démontrant qu'il l'a fait. Il est donc nécessaire de renvoyer la question à l'arbitre pour qu'il réévalue les dommages dus à la défenderesse afin d'en déduire le revenu net qu'elle a gagné après son congédiement au cours de la période d'avis de 15 semaines.

4.          L'arbitre a-t-il manqué à son obligation d'équité procédurale en n'avisant pas la demanderesse des nouveaux renseignements qui lui avaient été fournis par la défenderesse?

[29]       La demanderesse soutient que l'arbitre a manqué à l'équité procédurale en s'appuyant sur des renseignements relatifs à la rémunération qu'il avait obtenus de la défenderesse sans permettre à la demanderesse de répondre ou de fournir d'autres renseignements. La défenderesse répond en signalant que tous les renseignements qu'elle a fournis étaient déjà en possession de la demanderesse et que CanXpress n'a pas laissé entendre que les documents étaient faux, trompeurs ou non pertinents.


[30]            Il semble que l'arbitre ait manqué à l'équité procédurale en ne fournissant pas à CanXpress les renseignements que lui avait transmis la défenderesse. Il existe un principe juridique fondamental selon lequel un décideur ne peut s'appuyer sur une preuve reçue d'une des parties sans donner à l'autre la possibilité de répondre de façon appropriée : Kane c. Conseil d'administration (Université de Colombie-Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105, à la page 1113. Puisque la demanderesse déclare que l'information qui a été fournie par la défenderesse était exacte, l'erreur ne peut justifier la tenue d'une nouvelle audience.

5.          L'arbitre a-t-il à tort ignoré l'alinéa 153(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) et ses modifications, quand il a ordonné que les dommages-intérêts soient payés sans qu'il y ait déduction d'impôt sur le revenu?

[31]       La demanderesse prétend que les dommages payables à la défenderesse seront considérés comme un revenu d'emploi en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu et que l'arbitre a commis une erreur en ne tenant pas compte de l'obligation qui incombe à la demanderesse, aux termes de l'alinéa 153(1)a) de la Loi, de déduire tout l'impôt payable sur le montant des dommages. La défenderesse prétend que les dommages payés seront traités comme un jugement de la Cour supérieure et que CanXpress ne devrait payer aucun impôt sur ce montant. Elle signale également que CanXpress n'a pas fourni d'avis fiscal de la part de l'Agence des douanes et du revenu du Canada sur la question pour justifier sa position.

[32]            Il semble que les arbitres soit autorisent les employeurs à retenir les sommes appropriées équivalant à l'impôt sur le revenu sur le montant des dommages qu'ils accordent en vertu du Code (par exemple Mayea c. Pegasus Express Inc., [2000] C.L.A.D. no 153, au paragraphe 32 (C.L.A. Adj.) (QL) et Woodlock c. Transx Ltd., [2001] C.L.A.D. no 210, au paragraphe 38 (C.L.A. Adj.) (QL)), soit ordonnent à l'employé d'indemniser l'employeur pour toute responsabilité fiscale que celui-ci doit assumer par suite du paiement (par exemple Taylor c. Tiger Trucking & Logistics Corp. (Re Maddeaux), [2000] C.L.A.D. no 214, au paragraphe 14 (C.L.A. Ref.) (QL)).

[33]            Aucune des parties n'a traité de cette question devant l'arbitre et ce dernier n'a pas expliqué dans sa décision le raisonnement qui l'a mené à ordonner que la somme soit payée sans déduction de l'impôt applicable. La Loi de l'impôt sur le revenu est claire, et la meilleure façon d'agir est de renvoyer la question à un arbitre de façon qu'il puisse ordonner que l'impôt sur le revenu soit déduit du montant brut.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES CE QUI SUIT :


La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée pour ce qui a trait à la question du congédiement injuste, les dépens sont adjugés en faveur de la défenderesse, et la demande est accueillie pour ce qui a trait au calcul des dommages-intérêts. L'affaire sera renvoyée à l'arbitre pour qu'il réévalue le montant des dommages-intérêts en tenant compte du fait que la défenderesse a minimisé ses pertes et en calculant les déductions qu'il convient de retenir aux fins de l'impôt sur le revenu.

                                                                                                                           _ Michael A. Kelen _             

                                                                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-973-02

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         CANXPRESS LTD. c. JUDITH REAGAN

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                              CALGARY (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 11 juin 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE KELEN.

DATE DES MOTIFS :                                   le 12 juin 2003

COMPARUTIONS :

Michelle L. Colley                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Thomas W. Buglas                                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stones Fontaine Carbert

Calgary (Alberta)                                                                       POUR LA DEMANDERESSE

Cabinet Buglas

Calgary (Alberta)                                                                       POUR LA DÉFENDERESSE


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