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Date : 20011217

Dossier : T-932-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1388

ENTRE :

                                                                     JOHN E. SWIFT

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                               défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                 Il s'agit d'une requête présentée par le demandeur John E. Swift en vue d'obtenir une suspension d'instance aux termes des alinéas 50(1)a) et 50(1)b) et du paragraphe 50(2) de la Loi sur la Cour fédérale [ci-après la Loi].

BREF RÉSUMÉ DES FAITS

[2]                 Le 26 mai 2000, le demandeur a déposé une déclaration par laquelle il intentait une action devant la Cour fédérale du Canada sous le dossier T-932-00.

[3]                 La déclaration désignait la défenderesse, l'Agence canadienne des douanes et du revenu (ACDR) comme défenderesse dans cette action, alléguait que l'ACDR avait commis une fraude contre le demandeur et réclamait des dommages-intérêts.

[4]                 Le 20 juillet 2000, le demandeur a déposé une déclaration instituant une action devant la Cour du banc de la Reine de l'Alberta sous le dossier 0001-11883.

[5]                 Dans la déclaration déposée à la Cour du banc de la Reine de l'Alberta, le demandeur désignait quatre (4) employés de l'ACDR à titre de défendeurs. Le demandeur alléguait que ces quatre (4) défendeurs avaient outrepassé les fonctions de leur emploi en se rendant coupables de fraude et de complot avec intention de lui porter préjudice.

[6]                 Le demandeur dépose maintenant la présente requête afin de faire suspendre l'action devant la Cour fédérale aux termes des alinéas 50(1)a) et 50(1)b) et du paragraphe 50(2) de la Loi.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES



50. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire :

a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;

b) lorsque, pour quelque autre raison, l'intérêt de la justice l'exige.

(2) Sur demande du procureur général du Canada, la Cour suspend les procédures dans toute affaire relative à une demande contre la Couronne s'il apparaît que le demandeur a intenté, devant un autre tribunal, une procédure relative à la même demande contre une personne qui, à la survenance du fait générateur allégué dans la procédure, agissait en l'occurrence de telle façon qu'elle engageait la responsabilité de la Couronne.

50. (1) The Court may, in its discretion, stay proceedings in any cause or matter,

(a) on the ground that the claim is being proceeded with in another court or jurisdiction; or

(b) where for any other reason it is in the interest of justice that the proceedings be stayed.

(2) The Court shall, on the application of the Attorney General of Canada, stay proceedings in any cause or matter in respect of a claim against the Crown if it appears that the claimant has an action or proceeding in respect of the same claim pending in any other court against a person who, at the time when the cause of action alleged in the action or proceeding arose, was, in respect thereof, acting so as to engage the liability of the Crown.


SUSPENSION D'INSTANCE EN COUR FÉDÉRALE DU CANADA

[7]                 Il existe une jurisprudence abondante de la Cour fédérale du Canada fondée sur l'alinéa 50(1)a) de la Loi. La nature de la jurisprudence fait ressortir les principes qui doivent être examinés par la Cour quand une requête en suspension d'instance lui est présentée. La Cour doit pondérer plusieurs facteurs : le risque de conclusions contradictoires; le risque de frais excessifs; le risque de décisions contradictoires; le préjudice ou l'injustice qui pourrait en résulter; et finalement la prépondérance des inconvénients.

[8]                 En outre, les tribunaux en général devraient éviter d'accorder une suspension d'instance à moins que le demandeur puisse convaincre la Cour qu'il s'est acquitté du fardeau de prouver que les circonstances justifient cette suspension.

PRINCIPES GÉNÉRAUX

[9]                 Les critères utilisés pour évaluer s'il y a lieu d'accorder une suspension d'instance ont été discutés dans la récente décision WIC Premium Television Ltd. c. General Instrument Corp., [1999] A.C.F. N ° 862 (C.F.P.I.) dans laquelle le juge Gibson a fait référence à la décision Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd. (1994), 53 C.P.R.(3d) 428.


[10]            Dans la décision Eli Lilly, le juge Forget de la Division générale de la Cour de l'Ontario, écrivait ceci à la page 432 :

Il est bien établi en droit qu'une multiplicité de procédures doit être évitée chaque fois que cela est possible. Dans l'affaire Shell Canada Ltd. v. St-Lawrence Seaway Authority , ... 58 O.R. (2d) 437 (H.C.J.), la Cour a statué que, lorsque des demandeurs s'adressaient à la fois à la Cour fédérale et à la Cour suprême de l'Ontario, la Cour suprême de l'Ontario suspendait les procédures engagées devant elle, estimant que cela permettrait d'éviter des conclusions contradictoires, des frais excessifs et une répétition des procédures.

(Non souligné dans l'original.)

[11]            Ce raisonnement a été confirmé par le juge Gibson dans la décision WIC Premium Television, précitée, au paragraphe 12 :

[12] Les critères mentionnés au paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale sont l'introduction d"une instance devant un autre tribunal et l'intérêt de la justice, mais je suis persuadé que ces critères englobent le risque de conclusions contradictoires, les frais excessifs et la répétition des procédures. Outre le fait que c'est l'action engagée en Alberta qui a une portée plus large que la présente action, et non l'inverse, je suis persuadé que les propos du juge Forget sont tout à fait applicables à la présente demande.

CIRCONSTANCES APPROPRIÉES

[12]            Dans la décision Compulife Software Inc. c. Compuoffice Software Inc., [1997] A.C.F. N ° 1772 (C.F. 1re inst.), le juge Wetston a déclaré qu'une suspension d'instance ne pouvait être accordée que dans certaines circonstances :

[16] La Cour n'accorde une suspension d'instance en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale, dans l'exercice son pouvoir discrétionnaire, que dans les cas les plus patents. Pour déterminer si le fait d'accorder une suspension causerait une injustice au demandeur ou au requérant, la Cour répugne à limiter tout droit de recours, sauf s'il y a un risque que deux tribunaux différents rendent prochainement une décision sur la même question (Association olympique canadienne c. Olympic Life Publishing Ltd. (1986), 8 C.P.R. (3d) 405 (C.F. 1re inst.), aux pages 407 et 408, Discreet Logic, précité, et York, précité).

(Non souligné dans l'original.)


FARDEAU DE LA PREUVE

[13]            Dans la décision Discreet Logic Inc. c. Registraire des droits d'auteur et al. (1993), 51 C.P.R. (3d) 191 (C.F. 1re inst.), le juge Denault a abordé la question du fardeau qui incombe à la partie qui demande la suspension d'instance, ainsi que le pouvoir discrétionnaire de la Cour :

Il incombe aux intimés, qui demandent la suspension, d'établir que ces conditions sont respectées, et il relève du pouvoir discrétionnaire du juge d'accorder ou de refuser la suspension, un pouvoir qui ne sera exercé qu'avec modération, et dans les cas les plus évidents.

(Non souligné dans l'original.)

[14]            La question du fardeau a également été abordée dans la décision Canadien Pacifique Limitée c. Sheena M (Le) (C.F. 1re inst.), [2000] A.C.F. N ° 467 (C.F. 1re inst.). Le protonotaire Hargrave y disait ceci :

[21] Il n'est pas contesté que le fardeau de convaincre un tribunal qu'une procédure doit être suspendue est très lourd et qu'il incombe à la partie qui demande la suspension.

(Non souligné dans l'original.)

DÉCISIONS CONTRADICTOIRES

[15]            Dans la décision Discreet Logic Inc., précitée, le juge Denault a conclu ses observations en disant ceci sur la question des décisions contradictoires :

En outre, tant qu'il n'existe aucun risque de décisions imminentes par deux tribunaux différents [...] les tribunaux devraient être très peu disposés à intervenir dans le droit d'accès d'un plaideur (Association of Parents Support Groups in Ontario [page192] (using Toughlove) v. York (1987), 14 C.P.R. (3d) 263, 3 A.C.W.S. (3d) 188 (C.F. 1re inst.)).


Ce raisonnement a également été confirmé par le juge Wetston dans la décision Compulife Software Inc., précitée.

PRÉJUDICE OU INJUSTICE

[16]            Dans la décision Discreet Logic Inc., précitée, le juge Denault a abordé la question du préjudice ou de l'injustice qui doit exister pour qu'une suspension d'instance puisse être accordée :

Il est bien établi en jurisprudence qu'une suspension ne sera accordée que s'il peut être démontré que (1) la poursuite de l'action causerait un préjudice au défendeur ou représenterait une injustice à son égard (et non seulement des désagréments ou des frais supplémentaires) et que (2) la suspension ne représenterait pas une injustice à l'égard du demandeur : Plibrico (Canada) Ltd. v. Combustion Engineering Canada Inc., (1990), 30 C.P.R. (3d) 312, à la p. 315, 32 F.T.R. 30, 19 A.C.W.S. (3d) 515 (C.F. 1re inst.).

[17]            Enfin, dans la décision John E. Canning Ltd. c. Tripap Inc., [1999] A.C.F. N ° 715 (C.F. 1re inst.), le juge Lemieux a fait référence à la décision Compulife Software Inc., précitée, pour ce qui concerne le critère adopté afin d'évaluer le préjudice :

[42] Les motifs du juge Wetston dans Compulife Software Inc., précité, s'appuient sur des décisions antérieures de la Cour, notamment Mon-Oil Limited c. Canada, précitée, dans laquelle le juge Cullen fait sien le critère dégagé par le juge Reed dans l'action T-266-88 :

Le requérant doit également démontrer que la suspension ne causerait pas d'injustice ou de préjudice importants à l'intimé. Comme on peut le constater, les principes pertinents n'exigent pas simplement l'application du critère de la prépondérance des inconvénients. Aussi, le fardeau du requérant est-il plus lourd.

PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS

[18]            De nouveau dans la décision Canadien Pacifique Limitée, précitée, le protonotaire Hargrave a désigné au paragraphe 26 le critère qu'il convient d'appliquer pour une suspension d'instance en le comparant au critère fondé sur la prépondérance des inconvénients :


Le principe énoncé dans ces décisions, fondées sur la jurisprudence antérieure à l'arrêt RJR--MacDonald, selon lequel une suspension ne doit pas être injuste pour le demandeur et la poursuite de l'instance doit causer un préjudice au défendeur, a été appliqué à différentes situations factuelles, notamment dans des cas où une instance similaire était en cours devant un autre tribunal, où deux actions mettaient en cause des parties différentes et où un appel était en instance. Ce critère est en quelque sorte un critère fondé sur la prépondérance des inconvénients.

(Non souligné dans l'original.)

[19]            Le juge Lemieux avait lui aussi fait référence au critère fondé sur la prépondérance des inconvénients dans la décision John E. Canning Ltd., précitée.

[20]            Au vu de cette jurisprudence, il est clair que l'octroi d'une suspension d'instance est un pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé avec modération par la Cour. Plus particulièrement, c'est la question des décisions contradictoires qui est l'élément le plus déterminant en l'espèce pour justifier la Cour de refuser de suspendre l'action en Cour fédérale. Le défendeur est d'avis que le demandeur n'a pas l'intention de rechercher un règlement de la question dans l'action qui se trouve actuellement devant la Cour du banc de la Reine de l'Alberta. Le demandeur croit plutôt que l'instance devant la Cour du banc de la Reine de l'Alberta peut être interrompue. Cela ressort clairement de cet extrait de l'affidavit de John E. Swift, au paragraphe 10 de la page 4 qui se lit comme suit :

[TRADUCTION] Je crois que la réclamation devant la Cour du banc de la Reine peut en fait être discontinuée à n'importe quel moment après que les documents auront été déposés et que les interrogatoires préalables auront eu lieu. Il semble que certains employés de l'ACDR ont en fait été tenus de commettre une fraude, mais qu'ils ont saboté leur propre service, ce qui est la raison pour laquelle la cause contre l'ACDR est aussi forte et aussi bien documentée.

[21]            Par conséquent, si l'action devant la Cour du banc de la Reine de l'Alberta peut être discontinuée, il n'y a plus de risque de décisions contradictoires. Il n'y a donc pas lieu d'accorder une suspension de l'instance devant la Cour fédérale.


[22]            Pour ce qui est des autres facteurs, on ne peut dire de l'espèce qu'elle fait partie des « cas les plus patents » dont faisait mention la décision Compulife Software Inc., précitée, ce qui justifierait la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire et de suspendre l'action en Cour fédérale.

L'ALINÉA 50(1)b) ET LE PARAGRAPHE 50(2) DE LA LOI

[23]            Il n'y a pas de raison de poursuivre l'examen des autres motifs, étant donné que la présente requête peut être rejetée en invoquant l'alinéa 50(1)a) de la Loi. Toutefois, le demandeur n'a pas droit à une suspension d'instance en vertu de l'alinéa 50(1)b)de la Loi parce qu'il n'a produit aucune preuve démontrant que l'intérêt de la justice l'exige. Pour ce qui est du paragraphe 50(2) de la Loi, le demandeur n'a pas droit à la suspension obligatoire étant donné que les allégations contre les quatre (4) personnes nommées dans la déclaration relative à l'action devant la Cour du banc de la Reine de l'Alberta n'incluent pas d'allégations pouvant faire en sorte que la responsabilité de la Couronne soit engagée.

[24]            Compte tenu de ce qui précède, le demandeur n'a pas démontré que les circonstances justifient l'octroi d'une suspension d'instance devant la Cour fédérale aux termes des alinéas 50(1)a) et 50(1)b) et du paragraphe 50(2) de la Loi.


                                                   O R D O N N A N C E

LA COUR ORDONNE QUE :

la requête en suspension d'instance soit rejetée.

Pierre Blais                                          

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

le 17 décembre 2001

Traduction certifiée conforme :

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                       COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                  SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DU GREFFE :                          T-932-00

INTITULÉ :                                     JOHN E. SWIFT    c.    SA MAJESTÉ LA REINE

AVIS DE REQUÊTE RÉGLÉ PAR ÉCRIT

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE M. LE JUGE BLAIS

DATE :                                             LE 17 DÉCEMBRE 2001

OBSERVATIONS ÉCRITES :

John E. SwiftPOUR LE DEMANDEUR

Lorraine NeillPOUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EN SON PROPRE NOMPOUR LE DEMANDEUR

MORRIS ROSENBERGPOUR LA DÉFENDERESSE

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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