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Date : 20030401

Dossier : IMM-1698-02

Référence : 2003 CFPI 381

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                                     ZHI QIANG XU

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 26 mars 2002 de la Section du statut de réfugié (la SSR), qui avait rejeté sa revendication du statut de réfugié.

Les faits

[2]                 Le demandeur, de nationalité chinoise, habitait Guangzhou. Il revendique le statut de réfugié en raison d'une crainte de persécution résultant de la menace d'une stérilisation forcée imposée par les fonctionnaires chinois.


[3]                 Le demandeur et son épouse ont eu un enfant en 1995. En décembre 2000, l'épouse du demandeur est devenue enceinte une deuxième fois. En février 2001, les agents du Bureau du planisme familial (les agents du BPF) lui ont envoyé un avis lui intimant de subir un examen gynécologique, à défaut de quoi elle et son mari seraient soumis à une stérilisation forcée.

[4]                 Durant son témoignage, le demandeur a indiqué que son épouse avait été privée de son emploi parce qu'elle avait contrevenu à la politique de planisme familial. Elle était alors allée se cacher. Les agents du BPF se sont rendus plusieurs fois chez le demandeur, le menaçant de stérilisation forcée. Le demandeur affirme qu'il a lui aussi été privé de son emploi et qu'il a pris ensuite des dispositions pour s'enfuir de Chine.

[5]                 L'épouse du demandeur a fait une fausse couche et n'a pas eu son deuxième enfant.

[6]                 Le demandeur affirme que des membres de sa famille ont été soumis à des pressions et à des tracasseries parce qu'il n'avait pas obtempéré aux ordres des agents du BPF. Il affirme aussi que sa fille a été empêchée de fréquenter l'école pour sa première année, à l'automne de 2001.

[7]                 Le demandeur est arrivé au Canada le 9 mai 2001 et a revendiqué le statut de réfugié.


La décision de la SSR

[8]                 La SSR a jugé que « ... les allégations qui sont au coeur de la revendication du revendicateur ne sont pas crédibles par rapport aux notes de CIC [Citoyenneté et Immigration Canada], aux documents sur la situation dans le pays et au témoignage de sa femme » . La SSR a relevé que le demandeur avait dit à CIC qu'il avait fui la Chine en raison de ses « opinions politiques dissidentes » et qu'il n'avait pas fait état de ses difficultés avec les agents du BPF. Selon la SSR, cette omission portait atteinte à sa crédibilité.

[9]                 La SSR a constaté que le demandeur avait indiqué dans son FRP que les agents du BPF étaient allés chez lui et avaient demandé à son épouse de subir un examen gynécologique. Cependant, durant son témoignage, le demandeur a dit que, alors que sa femme se cachait, les agents du BPF avaient laissé chez lui un avis qui priait son épouse de subir un examen.

[10]            Le demandeur a témoigné que lui et son épouse avaient perdu leurs emplois et que leurs cartes d'attente d'un emploi avaient été retenues à titre de sanction, ajoutant qu'ils ne pouvaient chercher du travail sans ces cartes. Le demandeur n'avait pas mentionné ces faits dans son FRP, et la SSR a estimé qu'il était impensable qu'il eût oublié d'en faire état dans son FRP.


[11]            L'épouse du demandeur a fait une fausse couche et a déclaré qu'elle ne craignait pas une stérilisation de la part des agents du BPF, à moins qu'elle ne devienne de nouveau enceinte. Elle a soutenu que son mari serait stérilisé s'il devait retourner en Chine. Elle a déclaré que les autorités chinoises stérilisent les hommes lorsque leurs épouses contreviennent à la politique en mettant des enfants au monde. Cependant, la SSR a fait état d'une preuve documentaire indiquant que la stérilisation masculine n'est pas répandue en Chine, que, en 1992, 95 p. 100 des stérilisations avaient été pratiquées sur des femmes et que les stérilisations forcées avaient été remplacées par de fortes amendes.

[12]            La SSR a relevé que quatre personnes habitant la Chine avaient été jointes par téléphone durant l'audience pour produire des témoignages. L'ami du demandeur, Zheng Chuen, a confirmé les propos du demandeur concernant la carte d'attente d'un emploi. Cependant, son épouse a indiqué que seule une pièce d'identité était requise pour trouver du travail. Selon la SSR, le témoignage du demandeur concernant la carte d'attente d'un emploi était douteux.

[13]            La mère et la soeur du demandeur ont été interrogées depuis Guangzhou. La mère a déclaré que le comité de quartier s'était rendu chez elle de nombreuses fois en 2001 pour « procéder à l'opération » . Elle a aussi indiqué que, tant qu'un membre du couple visé ne se présente pas, le gouvernement refuse de délivrer les papiers dont les autres membres de la famille ont besoin, par exemple les permis de conduire.


[14]            La soeur du demandeur a indiqué qu'elle ne voulait pas avoir un deuxième enfant parce qu'elle-même et son mari ne pouvaient se le permettre. Elle a dit que certains couples en Chine avaient de nombreux enfants et les cachaient lorsque les autorités faisaient leur apparition. Elle ne se souvenait pas d'avoir entendu parler de la stérilisation d'un homme. Elle a dit que, si les autorités ne peuvent attraper la femme, elles peuvent attraper l'homme, ou bien négocier.

[15]            Puisque l'épouse du demandeur ne craignait pas la stérilisation, que, selon les dossiers d'information sur le pays, la stérilisation est un événement rare et que, selon la soeur du demandeur, la famille est en mesure de négocier les conséquences d'une violation des règles du planisme familial, la SSR a jugé non crédible l'affirmation du demandeur selon laquelle il craignait la persécution par stérilisation forcée.

[16]            La SSR a relevé que l'épouse du demandeur avait confirmé que sa fille ne fréquentait pas l'école, mais qu'elle avait déclaré que c'était pour cause de non-paiement de l'amende imposée à la famille. Selon la SSR, le demandeur l'avait fourvoyée sur des aspects essentiels de sa revendication. La SSR a estimé que le demandeur n'était pas un témoin digne de foi et a conclu qu'il n'était exposé à aucune réelle persécution s'il devait retourner en Chine.

Points en litige

A.         La SSR a-t-elle commis une erreur parce qu'elle a ignoré une pièce essentielle de la preuve documentaire, à savoir l'avis des agents du BPF selon lequel le revendicateur ou son épouse allait devoir subir une stérilisation forcée?


B.          La SSR a-t-elle conclu au manque de crédibilité du demandeur en se fondant sur des contradictions qui n'apparaissent pas dans la preuve?

C.         La SSR a-t-elle commis une erreur parce qu'elle a ignoré des témoignages concordants qui n'ont pas été mis en doute?

Analyse

A.         La SSR a-t-elle commis une erreur parce qu'elle a ignoré une pièce essentielle de la preuve documentaire, à savoir l'avis des agents du BPF selon lequel le revendicateur ou son épouse allait devoir subir une stérilisation forcée?

[17]            Selon le demandeur, la SSR n'aurait pas dû ignorer l'avis donné par les agents du BPF, ajoutant qu'il s'agit là d'une preuve documentaire qui est le fondement même de sa revendication.

[18]            Le demandeur, s'appuyant sur l'affaire Caballo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n ° 669, affirme que la SSR doit considérer toute la preuve qui lui est présentée, à défaut de quoi elle commet une erreur de droit parce qu'alors sa décision ne repose pas sur l'ensemble de la preuve.


[19]            Je suis d'avis que la SSR n'a pas laissé de côté l'avis signifié par les agents du BPF lorsqu'elle a évalué la preuve. Elle a tenu compte de l'avis, puisqu'il en est fait état dans ses motifs, mais en définitive, elle lui a accordé peu de poids au vu d'une preuve documentaire selon laquelle rares sont les stérilisations qui sont pratiquées sur des hommes en Chine. La SSR n'était pas tenue d'accorder un poids décisif au document. Elle a bien rendu sa décision en se fondant sur l'ensemble de la preuve, et elle a le droit de mesurer le sérieux et la solidité de la preuve produite : Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1992) 147 N.R. 317.

B.         La SSR a-t-elle conclu au manque de crédibilité du demandeur en se fondant sur des contradictions qui n'apparaissent pas dans la preuve?

[20]            Selon le demandeur, la SSR n'a pas bien interprété la preuve concernant l'avis d'examen gynécologique, la fréquentation scolaire de sa fille et les craintes de stérilisation que nourrissait son épouse. Parce que la SSR a mal interprété la preuve, elle a été conduite à douter de la crédibilité du demandeur, ce qui, soutient le demandeur, constitue une erreur de droit. Il se réfère au jugement Nicola c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 416.

[21]            S'agissant des conclusions relatives à la crédibilité, c'est au demandeur qu'il appartient de montrer que les déductions du tribunal ne sont pas justifiées : Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. n ° 732 (QL).

[22]            La SSR écrivait, dans sa décision :

Dans son FRP, le revendicateur a indiqué que les agents du BPF sont venus à leur maison et ont demandé à sa femme de passer un examen gynécologique. Dans son témoignage de vive voix, il a affirmé que sa femme se cachait quand les agents du BPF ont signifié à la famille un avis ordonnant à sa femme de passer l'examen. Toutefois, le revendicateur n'a pas fait état de l'avis dans son FRP et n'a pas mentionné la visite des agents du BPF à sa femme dans son témoignage de vive voix. Je conclus que les deux sont contradictoires à cet égard.


[23]            Le demandeur affirme qu'il n'a pas dit dans son FRP que son épouse était présente lorsque les agents du BPF se sont présentés chez lui, et il n'y a donc aucune contradiction qui permette de déduire qu'il n'est pas crédible.

[24]            Le FRP du demandeur contient ce qui suit :

[Traduction] Mon épouse est tombée enceinte une deuxième fois en décembre 2000. En février 2001, les agents du Bureau du planisme familial sont venus lui demander de subir un examen gynécologique. Mon épouse n'y est pas allée parce que sa grossesse était contraire à la politique et qu'elle ne voulait pas se faire avorter. Elle est allée se cacher chez ses soeurs à Shen Zhen, à environ 120 km. (non souligné dans l'original)

[25]            Au vu du passage susmentionné du FRP du demandeur, je ne crois pas injustifiée la déduction de la SSR selon laquelle les agents du BPF ont bel et bien demandé à l'épouse de subir un examen gynécologique.

[26]            Dans la transcription d'audience, à la page 209, le demandeur a dit que son épouse n'était jamais là lorsque les agents du BPF se présentaient chez eux. Cette précision semble contredire le texte apparent de l'extrait susmentionné du FRP. Je ne crois pas que les déductions de la SSR soient injustifiées.


[27]            Le demandeur affirme aussi que la SSR a mal interprété la preuve concernant la raison pour laquelle la fille du demandeur ne fréquentait plus l'école. Selon la SSR, l'épouse du demandeur avait dit que sa fille n'allait plus à l'école parce que la famille n'avait pas payé les amendes imposées pour refus de l'épouse de se soumettre à un examen gynécologique. Selon la SSR, ce témoignage ne s'accordait pas avec le témoignage du demandeur selon lequel c'est l'État qui interdisait à sa fille de fréquenter l'école.

[28]            Le demandeur a déclaré dans son témoignage que lui et son épouse sont opposés à la politique de planisme familial et que c'est la raison pour laquelle les membres de sa famille ont de la difficulté à bénéficier des services gouvernementaux. Il a témoigné que cela voulait dire « mettre un arrêt à tout ce qui concerne la famille, et aux services gouvernementaux. Si l'on s'adresse à l'administration pour telle ou telle formalité, par exemple pour ma fille à l'école, c'est le blocage... »

[29]            L'épouse du demandeur a déclaré que sa fille n'allait plus à l'école « parce qu'elle ne détient pas le certificat d'enfant unique » et que « avant qu'elle ne soit admise en première année, il faut présenter tous les documents » . Priée de dire comment s'y prennent, en ce qui concerne l'école, les femmes de Guangzhou qui ont deux enfants, l'épouse du demandeur a répondu « il faut dépenser beaucoup d'argent pour acheter tout cela ou bien vous aurez une forte amende » .

[30]            Je crois qu'il n'était pas déraisonnable pour la SSR de déduire de ces témoignages que, selon l'épouse, l'enfant n'allait pas à l'école parce que la famille n'avait pas payé l'amende. Ce témoignage ne s'accorde pas avec le témoignage du demandeur pour qui le gouvernement avait refusé de scolariser sa fille parce que la famille était opposée à la politique de planisme familial. À mon avis, la SSR n'a pas mal interprété ces témoignages.


[31]            Finalement, le demandeur affirme que la SSR a mal interprété le témoignage de son épouse lorsqu'elle a conclu que l'épouse ne craignait pas elle-même la stérilisation. Le demandeur dit que la SSR n'avait pas devant elle ce témoignage.

[32]            La SSR a indiqué dans sa décision que l'épouse du demandeur ne craignait pas personnellement la stérilisation à moins qu'elle ne devienne de nouveau enceinte. La SSR n'a pas dit que l'épouse du demandeur ne craignait pas la stérilisation en général, mais qu'elle craignait la stérilisation pour le cas où elle tomberait de nouveau enceinte. Cette conclusion n'était pas injustifiée et ne constitue pas une erreur amendable.

C.         La SSR a-t-elle commis une erreur parce qu'elle a ignoré des témoignages concordants qui n'ont pas été mis en doute?

[33]            Selon le demandeur, la SSR n'a pas mis en doute le témoignage de sa mère et de sa soeur, et elle a donc commis une erreur en tirant des conclusions qui ne s'accordent pas avec leurs témoignages. Selon le demandeur, sa mère a témoigné que les agents du BPF avaient dit au demandeur ou à son épouse de subir une stérilisation, et sa soeur a témoigné qu'il était assez probable que, si l'épouse du demandeur n'était pas stérilisée, c'est probablement le demandeur qui le serait.


[34]            La SSR a le loisir d'apprécier la preuve d'après son sérieux et sa solidité : Hassan, précité. En préférant la preuve documentaire relative à la probabilité d'une stérilisation plutôt que le témoignage de la mère et de la soeur du demandeur, la SSR n'a pas commis une erreur sujette à révision.

Conclusion

[35]            Je suis d'avis que la SSR n'a commis aucune erreur sujette à révision dans la décision qu'elle a rendue. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[36]            Les parties ont eu l'occasion de soulever une question grave de portée générale, ainsi que le prévoit l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et elles ne l'ont pas fait. Je ne me propose pas de certifier une question grave de portée générale.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                         « Edmond P. Blanchard »            

                                                                                                             Juge                               

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-1698-02

INTITULÉ :              Zhi Qiang Xu c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 6 février 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                                     le 1er avril 2003

COMPARUTIONS :

Kyle C. Hyndman                                                 POUR LE DEMANDEUR

Mme Banefsheh Sokhansanj                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCrea et associés                                              POUR LE DEMANDEUR

102 - 1012, avenue Beach

Vancouver (C.-B.) V6E 1T7

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

900 - 840, rue Howe

Vancouver (C.-B.) V6Z 2S9

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