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Date : 20030908

Dossier : IMM-3982-02

Référence : 2003 CF 1039

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2003

Présent:    L'honorable juge Blais

ENTRE :

                             GURGEN BAHARYAN

                         HRIPSIME BAGHDASSARIAN

                                                               Demandeurs

                                    et

          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                    

                                                                Défendeur

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]              Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [le tribunal], en date du 25 juillet 2002, par laquelle le tribunal a conclu que Gurgen Baharyan et Hripsime Baghdassarian [les demandeurs] ntaient pas des réfugiés au sens de la Convention, tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration [la Loi].


FAITS

[2]             Les demandeurs sont citoyens de l'Arménie. Le demandeur principal, Gurgen Baharyan,est âgé de 31 ans et sa femme, Hripsime Baghdassarian, est âgée de 25 ans.

[3]                 Les demandeurs ont quitté leur pays le 8 novembre 2000 pour revendiquer, lors de leur arrivée au Canada, le statut de réfugié en déclarant avoir une crainte bien fondée de persécution basée sur leur appartenance à un groupe social.

[4]             L'audience des demandeurs devant le tribunal a eu lieu le 21 mai 2002, devant un panel composé des commissaires Maîtres Yves Boisrond et Donald Archambault. Durant l'audience, le tribunal a fourni un interprète français-arménien et arménien-français nommée Laura Dnoian.

[5]             Le 25 juillet 2002, le tribunal a décidé que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.


[6]             Après l'audience, le procureur des demandeurs a donné à Albert Tavadian, interprète spécialisé en langue arménienne et agréé à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [CISR] depuis plusieurs années, le mandat dcouter les cassettes du procès-verbal afin de vérifier la qualité de la traduction du français en arménien et de l'arménien au français effectuée par madame Dnoian.

QUESTIONS EN LITIGE

[7]                 1.        Les erreurs relevées dans l'interprétation ont-elles empêché les demandeurs d'avoir une audition équitable et ont-elles porté atteinte aux droits qui leur sont garantis à l'article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte]?

2.          Le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que les demandeurs n'ont pas réussi à faire la preuve d'une « possibilité raisonnable » de persécution en cas de retour dans leur pays?

ANALYSE

1.        Les erreurs relevées dans l'interprétation ont-elles empêché les demandeurs d'avoir une audition équitable et ont-elles porté atteinte aux droits qui leur sont garantis à l'article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte]?


[8]                 Le procureur du défendeur suggère, à juste titre, qu'il ne suffit pas de démontrer qu'il y a eu des erreurs d'interprétation pour justifier l'intervention de la Cour; il faut, en outre, comme le juge Evans, alors qu'il était à la section de première instance, dans l'arrêt Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1999) 1 Imm. L.R. (3d) 287, [1999] A.C.F. no 1148, se demander si:

[para.16]      ...Il est important de ne pas perdre de vue la question ultime: les lacunes de l'interprétation sont-elles graves au point d'avoir effectivement privé l'intéressé de la possibilité raisonnable de faire valoir son point de vue devant la tribunal administratif?

[9]                 Il est vrai que l'on peut constater que le témoignage du demandeur principal a été laborieux.

[10]            Les demandeurs ont déposé un affidavit de monsieur Tavadian, lequel a relevé plusieurs passages où l'interprète de l'audience, madame Dnoian, aurait mal traduit de l'arménien au français, et du français à l'arménien.

[11]            La transcription par écrit d'une audition enregistrée sur bandes magnétiques peut évidemment entraîner certaines erreurs.

[12]            J'ai relu les notes sténographiques en parallèle à l'affidavit de monsieur Tavadian pour arriver à la conclusion que la plupart des erreurs ont été corrigées avant la fin de l'audience, et qu'aucune de ces erreurs n'avait une incidence sur les conclusions auxquelles le tribunal est arrivé.

[13]            J'ai constaté que la transcription a été réalisée par Francine Langevin qui en a certifié la véracité et l'authenticité. Monsieur Tavadian lui-même, lorsqu'il réfère à la transcription, a commis plusieurs erreurs qui apparaissent évidentes à la lecture des paragraphes 10, 15.3, 20 et 21 de son affidavit lorsque comparé à la copie certifiée, et réduisent considérablement la portée de son témoignage.

[14]            J'en conclus que les erreurs de l'interprète madame Dnoian n'ont en aucun cas dénaturé les témoignages, et que la décision n'a pu en être altérée de quelque façon.

[15]            Dans l'arrêt Gajic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 154, 2003 FCT 108, le juge O'Keefe mentionne au paragraphe 11:

[para. 11]      Même si je croyais erronément que l'interprète a bien interprété le témoignage et que s'il y avait eu des erreurs, celles-ci n'étaient pas importantes pour l'issue de l'affaire, il y aurait une raison additionnelle pour ne pas retenir ce motif. Aucune objection n'a été soulevée lors de l'audience devant le tribunal quant à une mauvaise interprétation et ce point ne peut donc pas, en la présente instance, être soulevé à ce stade-ci pour renverser la décision du tribunal. Cela a étéclairement établi dans l'arrêt Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 4 C.F. 85 (C.A.F.), au paragraphe 19:


Comme je l'ai dit, compte tenu du problème qu'il avait eu à la première séance de la section du statut, l'appelant semble avoir été parfaitement au courant du droit qu'il avait d'obtenir l'assistance d'un interprète compétent. Lorsque sa conduite, au cours de la troisième séance et pendant un certain temps par la suite, est appréciée compte tenu du fait qu'il avait sans aucun doute connaissance de son droit, il est difficile d'interpréter cette conduite comme étant autre chose qu'une indication claire que la qualité de l'interprétation satisfaisait l'appelant lors de l'audience elle-même. Par conséquent, à mon avis, le juge Pelletier n'a pas commis d'erreur en statuant que l'appelant avait renoncé au droit qu'il possédait en vertu de l'article 14 de la Charte du fait qu'il ne s'était pas opposé à la qualité de l'interprétation dès qu'il avait eu la possibilité de le faire au cours de l'audition de sa revendication.

[16]            Dans l'arrêt Haque c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1114, le juge Lutfy, tel était alors son titre, mentionne:

[para. 1]      La seule question que soulève la présente demande de contrôle judiciaire consiste à savoir si le témoignage produit à l'audition des revendications du statut de réfugié faites par les requérants a été correctement interprété. Les requérants sont membres d'une même famille composée des parents et de deux enfants mineurs. La section du statut (le tribunal a conclu que le témoignage du père (le requérant principal) portant sur les événements qui ont conduit sa famille à quitter le Bangladesh n'était pas fondé et elle a conclu que les requérants n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

...

[para. 6]      En substance, la plupart des divergences, sinon toutes, mentionnées dans le rapport sont, de l'avis de l'auteur même de ce document, négligeables, manquent parfois de précision ou bien ont été corrigées par la suite. Je conclus qu'aucune d'entre elles n'a d'incidence sur l'audition de la cause ou sur la décision du tribunal.


[para. 7]      Les erreurs et omissions signalées dans le rapport ne sont pas de nature à causer un préjudice aux requérants [Voir Note 3 ci-dessous]. Sans décider si l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. C. Tran [Voir Note 4 ci-dessous] s'applique à une revendication du statut, je trouve que les requérants n'ont pas réussi à prouver que l'interprétation des témoignages n'a pas respecté les critères de continuité, de précision, d'impartialité, de compétence et de contemporanéité établis par le juge en chef Lamer. Je fais mien le raisonnement de ma collègue le juge McGillis dans l'affaire Banegas c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'Immigration) [Voir Note 5 ci-dessous] et , en particulier, ses observations suivantes qui s'appliquent également à l'espèce:

Note 3: Tung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1999), 124 N.R. 388 (C.A.F.).

Note 4: [1994] 2 R.C.S. 951.

Note 5: [1997] J.C.F. No 928 (QL).

Plus particulièrement, aucune des erreurs d'interprétation alléguées n'ont eu une incidence quelconque sur les diverses incohérences relevées dans la preuve du requérant qui ont donné lieu à la conclusion défavorable quant à la crédibilité... Au cours de l'audience, ce dernier a indiqué qu'il comprenait l'interprète, il a bien répondu aux questions et ne s'est pas opposé, en personne ou par l'entremise de son avocat, à la qualité des services d'interprétation. Qui plus est, le requérant n'a pas indiqué dans son affidavit qu'il n'avait pas compris les procédures. [Voir Note 6 ci dessous]

Note 6: Ibid., paragraphe 7.

[17]            Le demandeur principal n'a pas réussi à convaincre la Cour que les conclusions défavorables du tribunal pouvaient être fondées en partie sur des conclusions de faits erronées attribuables à des problèmes de traduction.

2. Le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que les demandeurs n'ont pas réussi à faire la preuve d'une « possibilitéraisonnable » de persécution en cas de retour dans leur pays?

[18]         Les demandeurs ne contestent pas le bien-fondéde la décision du tribunal, à l'effet que leur crainte de persécution n'est pas reliée à l'un des motifs énumérés à la définition de réfugié au sens de la Convention.

[19]            En examinant la question de savoir si une victime faisait partie d'un groupe social, le juge McKeown a conclu par la négative dans l'arrêt Mortera c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993) 71 F.T.R. 236, [1993] A.C.F. no 1319:

[para. 3]      ...

Les requérants soutiennent qu'ils tombent dans la troisième catégorie ci-dessus. S'il est vrai que les capitalistes ou les personnes appartenant à la classe des gens d'affaires étaient considérés comme un groupe persécuté au moment de l'élaboration des définitions de réfugié, la situation est différente à l'heure actuelle. La NPA ne fait pas partie du monolithe communiste tel qu'il existait après la Seconde guerre mondiale, et est strictement un groupe rebelle communiste ou soi-disant communiste à l'intérieur des Philippines. À mon avis, la Cour suprême, en concevant les catégories supra, a rejeté la définition élargie de groupe social qui comprendrait essentiellement toute alliance d'individus ayant un objectif commun, ou une interprétation qui caractériserait un groupe social du fait que ses membres sont tous victimes de persécution. Leur qualité de personnes riches ou de propriétaires terriens ne fait pas des requérants des membres d'un groupe social particulier. Aucune preuve n'a été produite pour établir qu'ils étaient des indicateurs de police ou que la NPA savait qu'ils l'étaient. Le gouvernement savait grâce à d'autres sources qu'ils avaient été victimes d'extorsion.

[20]            Voir aussi dans la même veine, l'arrêt Espina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1998) 160 F.T.R. 71, [1998] A.C.F. no 1755, aux paragraphes 26 à 31.

[21]            J'ai examiné la décision du tribunal, la transcription ainsi que la preuve au dossier et je n'ai trouvé aucun élément pouvant justifier la Cour d'intervenir.


                                           ORDONNANCE

[1]                 En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[2]                 Aucune question pour certification.

                     Pierre Blais                    

      J.C.F.

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