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Date : 20030211

Dossier : IMM-2485-02

Référence neutre : 2003 CFPI 143

Ottawa (Ontario), le 11 février 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                                  PAULO JORGE SAMBA JOAQUIM

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de lui reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention le 3 mai 2002.

[2]                 Le demandeur, un citoyen d'Angola, prétend craindre avec raison d'être persécuté du fait des opinions politiques qui lui sont imputées.

[3]                 Avant d'arriver au Canada et de revendiquer le statut de réfugié le 31 octobre 2000, le demandeur a détruit un faux passeport portugais et un passeport angolais authentique à la suggestion d'un étranger.

[4]                 Le premier jour de l'audience devant la Commission, le 14 décembre 2001, le demandeur a témoigné et a été jugé [traduction] « raisonnablement crédible » .

[5]                 La Commission était toutefois préoccupée par la destruction des passeports. Avec le consentement écrit du demandeur, elle a demandé à l'ambassade portugaise si ce dernier était déjà allé au Portugal ou avait présenté une demande de statut dans ce pays.

[6]                 Dans les semaines qui ont suivi, l'ambassade a fourni des renseignements contredisant le témoignage et la preuve documentaire du demandeur. Ainsi, la Commission a appris qu'un citoyen angolais portant le même nom que le demandeur était entré au Portugal en février 1998, avec un visa délivré par l'ambassade portugaise à Luanda, en Angola.

[7]                 Le demandeur a témoigné une deuxième fois et a donné des explications à la Commission au sujet des renseignements obtenus de l'ambassade du Portugal.


LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[8]                 La Commission a résumé de la façon suivante les explications données par le demandeur :

Le revendicateur a alors raconté comment son père et sa mère l'avaient emmené au bureau des visas et avaient obtenu le visa à des fins autres que pour son propre voyage au Portugal. Il a dit qu'un passeport angolais avec pareil visa valait de l'or. Lorsqu'on lui a fait remarquer que son père était détenu le 2 février, juste avant la date de délivrance du visa, le revendicateur a alors dit que sa mère était passé le prendre et qu'il ne se souvenait pas d'avoir revu ce passeport avec le visa par la suite. Il a insisté sur le fait qu'il n'était jamais allé au Portugal et a insinué que quelqu'un d'autre devait avoir utilisé le passeport. À un moment donné, on a également laissé entendre que la police avait peut-être saisi le visa.

Lorsqu'on a fait remarquer au revendicateur qu'il avait, à la dernière séance, déclaré qu'il était arrivé aux États-Unis muni d'un passeport angolais valide qu'il avait alors détruit, le revendicateur a alors dit qu'il avait obtenu un nouveau passeport angolais valide en même temps que le faux passeport portugais. Il avait obtenu ce passeport parce qu'il avait initialement l'intention de demander l'asile aux États-Unis et qu'il devait prouver sa nationalité. On a alors demandé au revendicateur pourquoi il avait détruit cette preuve essentielle de sa nationalité après avoir décidé de demander l'asile au Canada plutôt qu'aux États-Unis. Le revendicateur n'a pu que répondre qu'il avait suivi les conseils de l'étranger dans l'avion à destination des États-Unis, étranger qui lui avait dit de ne pas rester aux États-Unis, mais de se rendre au Canada, et de détruire tous ses documents.

[9]                 La Commission a considéré que ces explications n'étaient pas crédibles et que le demandeur l'avait induite en erreur au sujet du voyage au Portugal. En outre, elle a relevé des invraisemblances qui mettaient en doute la véracité du témoignage du demandeur dans l'ensemble. En conséquence, la Commission a conclu que le demandeur n'était ni crédible ni digne de foi.


LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]            Selon le demandeur, la Commission a commis les erreurs suivantes :

-           elle n'a pas fait de commentaires sur les explications qu'il a données au regard de questions importantes;

-           elle a tiré des conclusions de fait qui n'étaient pas étayées par la preuve;

-           elle n'a pas tenu compte d'éléments de preuve qui lui avaient été correctement présentés lorsqu'elle a tiré des conclusions de fait;

-           elle n'a pas examiné le véritable fondement de la crainte du demandeur.

[11]            Toutes les questions soulevées par le demandeur sont liées à la conclusion de la Commission concernant l'absence de crédibilité.

[12]            Le défendeur prétendait qu'en tant que tribunal spécialisé la Commission était la mieux placée pour tirer des conclusions au sujet de la crédibilité du demandeur puisqu'elle disposait de l'ensemble de la preuve, et qu'elle n'a pas commis d'erreur de droit ou de fait à cet égard.

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE


[13]            Les questions de crédibilité sont des questions de fait. Dans l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315, M. le juge Décary a statué, aux p. 316 et 317, plus précisément au paragraphe 4, que le tribunal est le mieux placé pour évaluer la crédibilité d'un revendicateur :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

L'ANALYSE

[14]            La crédibilité d'un demandeur dans les affaires d'immigration est capitale pour que le statut de réfugié lui soit reconnu. Le revendicateur doit absolument être crédible pour convaincre la Commission.

[15]            Selon un principe bien établi, l'évaluation de la crédibilité d'un demandeur est la prérogative de la Commission en raison de sa spécialisation, mais aussi parce qu'elle est en mesure d'observer et d'écouter le demandeur et de soupeser la preuve dans son ensemble.

[16]            La Cour interviendra au regard des questions de crédibilité si l'erreur qui est alléguée est vraiment évidente et irréfutablement injuste. Une telle situation est exceptionnelle.


[17]            À la lecture de la décision, il appert que la Commission a tiré une conclusion particulière d'absence de crédibilité sur la foi des explications données par le demandeur après que les renseignements ont été obtenus de l'ambassade portugaise et qu'elle a tiré une autre conclusion générale d'absence de crédibilité et de sincérité sur la foi de certaines invraisemblances.

[18]            Contrairement à ce que prétend le demandeur, la Commission a fait référence aux explications qu'il a données et a fait des commentaires à ce sujet lorsqu'elle a tiré sa conclusion particulière quant à l'absence de crédibilité. La Commission ne croyait tout simplement pas que quelqu'un d'autre que le demandeur était allé au Portugal en février 1998. Les commentaires de la Commission figurent à la page 2 de sa décision.

[19]            La transcription de l'audience du 24 avril 2001 montre bien les doutes que la commissaire de la Commission avait au sujet de la crédibilité :

[traduction] Je suis cependant habilitée à tirer des conclusions défavorables de cela, ce qui signifie que je peux ne pas ajouter foi à ce que vous dites. Je vous ai donné la possibilité d'essayer et d'expliquer ces faits d'une façon - - avec sincérité, parce que je ne crois pas que vous me disiez la vérité maintenant. Aucun de nous n'est un expert dans l'appréciation de la vérité, vous savez. Nous essayons seulement et nous faisons de notre mieux, mais j'ai nettement l'impression que vous essayez seulement de vous défendre et de faire croire que peut-être vous y êtes allé avec vos parents pour l'obtenir. Sauf que maintenant les dates ne correspondent pas puisque votre père était censé être en prison. (Dossier du tribunal, à la p. 390)

[20]            L'avocat du demandeur prétendait que l'unique commissaire du tribunal a exprimé des idées arrêtées lorsqu'elle a dit qu'elle était disposée à envisager de reconnaître le statut de réfugié au demandeur si celui-ci admettait être allé au Portugal en février 1998. Le demandeur fait valoir que ce commentaire est manifestement déraisonnable.


[21]            Il est vrai qu'un tel commentaire n'aurait pas dû être fait, mais je ne pense pas qu'il dénote des idées arrêtées. Les explications données par le demandeur étaient telles que l'on ne pouvait pas y ajouter foi. Le commentaire fait par la commissaire dans ce contexte n'était pas manifestement déraisonnable.

[22]            Ayant pris connaissance du témoignage du demandeur sans toutefois avoir eu le bénéfice d'observer ce dernier à l'audience, je ne vois aucune raison de considérer que la présente affaire constitue un cas exceptionnel et d'intervenir au regard de la conclusion tirée par la Commission relativement à la crédibilité. En fait, il s'agit d'une conclusion sensée et bien fondée. Il ressort de la transcription que le demandeur a répondu aux questions avec hésitation et sans montrer d'empressement. Il adaptait ses réponses aux questions posées. Or, une telle attitude ne peut amener une conclusion différente sur la crédibilité.

[23]            Les autres questions soulevées par le demandeur sont toutes liées à la conclusion d'absence de crédibilité. Je ne les examinerai pas spécifiquement.


[24]            J'aimerais faire une dernière remarque. Il est évident qu'après la première séance la Commission avait une opinion favorable du demandeur. Cependant, lorsqu'elle a reçu les nouveaux renseignements de l'ambassade du Portugal, elle a révisé son évaluation initiale parce que le demandeur n'avait pas dit au départ qu'il avait obtenu un visa du Portugal. Les explications qu'il a données ensuite n'ont pas convaincu la Commission. Celle-ci a réexaminé la preuve avec une perspective différente et est arrivée à des conclusions d'invraisemblance et à une conclusion générale d'absence de crédibilité.

[25]            L'approche adoptée par la Commission en recevant, en évaluant et en réévaluant la preuve montre bien qu'elle s'est attachée à découvrir la vérité dans l'intérêt de toutes les parties concernées.

[26]            L'avocat du demandeur a proposé la question suivante à des fins de certification :

[traduction] Le tribunal commet-il une erreur s'il indique à un revendicateur qu'une réponse particulière à une question mènera à une décision favorable (ou défavorable)?

[27]            L'avocat du défendeur s'est opposé à la certification de cette question pour trois raisons. En premier lieu, il soutient que la question n'est pas appropriée parce qu'elle ne porte pas sur la preuve contenue dans le dossier dont dispose la Cour. La commissaire n'a jamais dit qu'elle rendrait une certaine décision si le demandeur donnait une certaine réponse, mais plutôt qu'elle était [traduction] « disposée à rendre une décision favorable au demandeur si celui-ci expliquait comment et pourquoi il était allé au Portugal et pourquoi il n'en avait rien dit auparavant » .

[28]            En deuxième lieu, le défendeur soutient que la question ne devrait pas être certifiée parce qu'elle ne permettrait pas de trancher un appel de la présente affaire. Les réponses données par le demandeur au sujet du visa portugais obtenu en 1998 n'ont pas été déterminantes en l'espèce. Il ressort clairement de la décision que la commissaire avait aussi d'autres préoccupations, comme le montrent les deux conclusions d'invraisemblance qu'elle a tirées et les doutes sérieux qu'elle avait concernant le témoignage du demandeur sur ses différents passeports.

[29]            Enfin, le défendeur soutient que la question n'a pas une portée générale car il faut se fonder sur les faits et le contexte particuliers en cause dans une affaire pour déterminer si un commissaire a interrogé un revendicateur ou s'est adressé à lui d'une manière incorrecte.

[30]            Je conviens avec l'avocat du défendeur que la question proposée ne satisfait pas aux critères qui servent à décider si une question doit être certifiée. Les remarques suivantes formulées récemment par M. le juge Martineau dans Monteiro c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no 1720, peuvent s'appliquer en l'espèce :

Dans l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liyanagamage (1994), 176 N.R. 4, la Cour d'appel fédérale a précisé, au paragraphe 4, qu'une question certifiée est une question qui « transcende les intérêts des parties au litige, [qui] aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale [...] et [qui] est aussi déterminante quant à l'issue de l'appel » . De plus, dans la décision Huynh c. Canada, [1995] 1 C.F. 633 (C.F. 1re inst.) (confirmé par [1996] 2 C.F. 976 (C.A.F.)), la Cour a indiqué qu' « [u]ne question certifiée ne se rapporte pas à l'affaire qui est entendue; elle vise à clarifier un point de droit de portée générale qui n'a pas été réglé » . Les questions proposées en l'espèce ne permettent pas de trancher l'appel. En outre, il serait difficile, en raison du dossier et des circonstances particulières en cause, de clarifier, dans le cadre d'un appel, tout point de droit de portée générale qui n'a pas été réglé. Par conséquent, aucune question de portée générale ne sera certifiée.


Par conséquent, la question proposée à des fins de certification est trop précise et trop liée aux faits en cause en l'espèce pour clarifier un point de droit de portée générale qui n'a pas été réglé. Aucune question ne sera donc certifiée.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée et qu'aucune question ne soit certifiée.

             « Simon Noël »                

                                                 Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                      IMM-2485-02

INTITULÉ :                      PAULO JORGE SAMBA JOAQUIM et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 28 janvier 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Monsieur le juge Simon Noël

DATE DES MOTIFS :    Le 11 février 2003

COMPARUTIONS :

David Morris                                                         POUR LE DEMANDEUR

John Unrau                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Morris                                                         POUR LE DEMANDEUR

Bell, Unger, Morris

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice du Canada

Ottawa (Ontario)

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