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Dossier : T-1865-02

Référence neutre : 2003 CFPI 373

ACTION DE DROIT MARITIME,

RÉELLE ET PERSONNELLE

ENTRE :

                                                       NHM INTERNATIONAL INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                                                                 F.C. YACHTS LTD.,

LES PROPRIÉTAIRES DU NAVIRE À MOTEUR ALL RISKS,

également appelé F.C. YACHTS LTD., NUMÉRO DE COQUE QFY76003K102, ET TOUTES AUTRES PERSONNES INTÉRESSÉES DANS LEDIT NAVIRE

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                 Les présents motifs relatifs aux dépens font suite à une requête qui a donné lieu à une ordonnance datée du 10 janvier 2003, ainsi qu'à cette ordonnance elle-même, dans laquelle on prévoyait en conclusion : « [traduction] si les parties ne peuvent s'entendre sur les dépens, elles pourront présenter des observations écrites » .


[2]                 J'ai examiné une lettre de l'avocat de la demanderesse, datée du 4 février 2003, ainsi qu'une lettre de l'avocat des défendeurs, F.C. Yachts Ltd., datée du 18 mars 2003. La question en litige entre les parties est celle de savoir si l'on doit recourir aux dépens procureur-client correspondant aux frais juridiques de 14 037 $ (à l'exclusion des débours) de la demanderesse, ou encore aux dépens d'un montant inférieur prévus au Tarif B. Je désire souligner qu'en l'espèce, les avocats actuels des défenderesses, F.C. Yachts Ltd., ne sont pas les avocats qui ont rédigé les documents et ont comparu à l'audience relative à la requête de F.C. Yachts Ltd. en fixation d'un cautionnement pour la libération du navire All Risks.

ANALYSE

[3]                 L'avocat de la demanderesse signale que, dans mes motifs du 21 janvier 2003, j'ai fait remarquer qu'il serait « excessif, voire inconcevable et extravagant » de soutenir que le cautionnement doit refléter un engagement de construire le navire sur la base du prix de revient majoré (paragraphe 32). J'ai également indiqué qu'aller de l'avant avec une garantie fondée sur la formule du prix de revient majoré, en ignorant les documents générés et la conduite des parties, ce serait autoriser « un abus des procédures de saisie et de cautionnement, et un abus à l'endroit de NHM International Inc. » (paragraphe 37). J'ai également déclaré, en résumé, qu'il était « inconcevable, extravagant et déraisonnable » qu'on puisse demander un cautionnement additionnel de 800 000 $ sur le fondement de pures conjectures (paragraphe 44). Ce sont là des facteurs à prendre en compte lorsqu'on établit les dépens.


[4]                 La Cour a ordonné, pour garantir la réclamation de 1 980 000 $US de F.C. Yachts Ltd., le versement d'un cautionnement de 125 000 $US ainsi que de la somme de 71 000 $US, la retenue sur le prix du navire. L'avocat de la demanderesse signale que le cautionnement exigé par la Cour n'était donc que de 3 000 $US plus élevé que le montant proposé par la demanderesse.

[5]                 Dans sa requête, l'avocat de la demanderesse demande les dépens entre le procureur et son client, déclarés être, sans véritable ventilation de 14 000,37 $, et soutient que des dépens de 14 000 $ devraient être déclarés payables immédiatement par F.C. Yachts Ltd. à la demanderesse.

[6]                 L'actuel avocat de F.C. Yachts Ltd. souligne à juste titre que l'insuccès n'est pas un motif pour adjuger des dépens punitifs; agir ainsi inciterait les tiers à ne pas demander un cautionnement approprié. C'est une observation valable qui s'appliquerait à une partie demandant un cautionnement d'un montant justifié, ou même un cautionnement gonflé par des attentes légitimes; je pense à cet égard à des affaires de sauvetage, où le montant attribué pourrait s'avérer très élevé. En l'espèce, toutefois, le montant du cautionnement demandé par F.C. Yachts Ltd. dépassait toute attente raisonnable, se fondait sur nombre de conjectures et d'hypothèses, ne s'appuyait sur aucun document ou règle de droit et ainsi, comme je l'ai mentionné, était à ce point inconcevable, extravagant et déraisonnable que cela constituait un abus. La différence entre une demande de cautionnement qui constitue un abus et une autre correspondant uniquement au pôle le plus optimiste peut être difficile à cerner, mais les parties, les avocats et la Cour devraient pouvoir clairement départager l'une et l'autre situation lorsqu'elles se présentent.

[7]                 L'avocat de F.C. Yachts Ltd. soutient qu'en eux-mêmes les documents, la recherche, l'argumentation et la comparution requis dans le cadre de la requête n'avaient pas un caractère particulièrement complexe. La demanderesse devait néanmoins se préparer, notamment en termes de documentation, pour faire face à de nombreux arguments, dont certains assez nébuleux et difficiles à saisir, et il a fallu trois heures pour la requête. Si c'étaient là les seuls facteurs, les dépens pourraient correspondre à la partie supérieure de la colonne III de l'annexe B. La question des dépens procureur-client ayant toutefois été soulevée, de manière légitime, je me pencherai donc sur celle-ci.

[8]                 Si F.C. Yachts Ltd. avait accepté la garantie offerte par la demanderesse, ou encore avait négocié pour en arriver à un montant additionnel raisonnable, elle aurait dans l'un et l'autre cas été adéquatement protégée. Toutefois, la demande de F.C. Yachts Ltd. allait au-delà de ce qui est raisonnable, au point même de devenir abusive. Cela fait entrer en jeu le concept de l'effet dissuasif des dépens pour contrer les actes déraisonnables, un sujet qui a longuement été traité dans un intéressant article de Gordon Turriff, Towards a New World of Costs, publié au volume 51 de Advocate, à la page 717. Dans cet article, M. Turiff a fait référence aux récentes affaires Houweling Nurseries Ltd. c. Fisons Western Corporation (1988), 37 B.C.L.R. (2d), une décision du juge d'appel McLachlin (tel était alors son titre), autorisation d'en appeler à la Cour suprême du Canada refusée, 37 B.C.L.R. (2d), tel qu'il est noté à la page 2, ainsi que Fullerton c. Matsqui District (1992), 74 B.C.L.R. (2d) 311 (C.A. C.-B.).

[9]                 Dans Houweling, le juge McLachlin, écrivant au nom de la Cour, a fait observer ce qui suit :


[traduction]

[...] Dans notre système de règlement des litiges, les dépens ont non seulement pour but d'indemniser dans une certaine mesure la partie qui a gain de cause, mais ils visent aussi à dissuader l'autre partie de présenter une action ou une défense frivoles. Lorsqu'elles évaluent le risque de déposer une action ou une défense particulière, les parties devraient être en mesure de prévoir avec une certaine précision la sanction qui les attend si elles n'ont pas gain de cause.

(Page 25)

Ce passage est circonscrit par le principe selon lequel il est justifié que les dépens restent relativement modestes; sinon, ils auraient un effet dissuasif sur les demandes et les défenses valables. Je reviendrai sur l'interaction entre l'effet dissuasif des dépens à l'endroit, d'un côté, des actions inappropriées, de l'autre, des demandes et défenses valables.

[10]            Dans Fullerton (précitée), la Cour d'appel, qui traitait là aussi des dépens procureur-client, a fait observer ce qui suit :

[traduction]

Des dépens spéciaux, ou dépens procureur-client, ne sont donc adjugés que lorsqu'un tribunal souhaite marquer sa réprobation face à une certaine faute. Parce que le tribunal exprime sa désapprobation, les dépens ne sont plus une simple indemnité et deviennent en fait une pénalité.

(Page 318)

Les tribunaux attribuent des dépens spéciaux pour pénaliser certaines fautes. De tels dépens vont donc au-delà de la simple indemnisation [...]

(Page 319)

[11]            Le juge McLachlin a clairement restreint la portée des dépens procureur-client dans Young c. Young (1994), 160 N.R. 1 (C.S.C.), à la page 41 :


Les dépens comme entre procureur et client ne sont généralement accordés que s'il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d'une des parties. Le peu de fondement d'une demande [...] ne constituent pas des raisons d'accorder les dépens sur cette base.

[12]            Il est bien clair en jurisprudence que les dépens procureur-client ont un caractère exceptionnel. Dans Canada (Ministre du Revenu national) c. Hassanali, succession (1996), 197 N.R. 51 (C.A.F.), à la page 54, la Cour d'appel fédérale a souligné que les dépens procureur-client constituent une mesure de redressement exceptionnelle. La Cour d'appel fédérale y a renvoyé à Bland c. Commission de la capitale nationale (1993), 1 C.F. 541 (C.A.F.), où l'on a déclaré, à la page 544, que « [l]es frais entre le procureur et son client sont exceptionnels et ne doivent être accordés qu'en raison d'une faute reliée au litige » .

[13]            Dans Smith & Nephew Inc. c. Glen Oak Inc. (1996), 198 N.R. 302, le juge d'appel Hugessen a abordé la question des dépens. Il a donné des exemples d'arguments avancés qui « étaient dénués de tout fondement en droit et indéfendables au vu du dossier factuel » (à la page 314). Il a alors ajouté :

La futilité et le manque de discernement dans la présentation des arguments entraînent un gaspillage du temps et des ressources de la Cour et un ralentissement inutile d'un système judiciaire déjà surchargé. Une réaction s'impose. Je suis donc d'avis d'ordonner que les dépens des appelantes soient taxés seulement en conformité avec la colonne II de la partie II du tarif B [...]

Ce qu'il signalait ainsi c'était que, bien que l'appelant ait eu gain de cause, on le pénalisait pour avoir présenté des arguments mal fondés et indéfendables. Cette situation se retrouve en l'espèce, bien des arguments avancés au nom de F.C. Yachts Ltd. étant à la fois indéfendables de manière raisonnable au vu des faits, ou dénués de tout fondement en droit.


[14]            Des thèses radicales et des allégations déraisonnables, sans être abusives, peuvent également donner lieu à des dépens plus élevés; se reporter par exemple à Kajat c. L'Arctic Taglu (1997), 145 F.T.R. 102 (C.F. 1re inst.), à la page 106. Madame le juge Reed a ordonné une augmentation des dépens en application de la colonne V du tarif B.

[15]            J'en déduis qu'il faut faire preuve de prudence avant d'attribuer des dépens en sus de ceux prévus par le tarif de la Cour fédérale. De fait, il n'est pas dans l'intérêt de l'administration de la justice de faire abstraction de ce tarif, sauf dans des circonstances exceptionnelles ou en cas de faute reliée au litige. Même lorsque des dépens punitifs sont indiqués, je dois examiner quel montant raisonnable de dépens procureur-client il convient d'attribuer.

CONCLUSION

[16]            Je suis réticent en l'espèce, bien qu'il y ait manifestement eu abus, à attribuer les dépens procureur-client de 14 000 $ demandés. Quoique F.C. Yachts Ltd. ait adopté des positions radicales, déraisonnables, voire même extravagantes, aucun mémoire de frais n'est présenté à l'appui de la demande de dépens procureur-client.


[17]            J'ai établi un montant global de dépens en tenant compte de la colonne V du tarif B, mais en estimant que cette seule base serait totalement inadéquate pour indemniser la demanderesse et exprimer la désapprobation face aux positions adoptées par F.C. Yachts Ltd. dans le cadre de la requête en fixation de cautionnement. J'ai également tenu compte du fait toutefois que, depuis que la décision a été rendue sur cette requête, F.C. Yachts Ltd. a changé d'avocat, et que malgré l'incapacité d'en venir à une entente sur la question des dépens, les parties semblent être revenues à des négociations et positions raisonnables.

[18]            J'ai tenu compte de la longueur de la requête et du fait que la demanderesse a manifestement dû beaucoup travailler pour réunir les documents requis et pour se préparer face aux positions adoptées par F.C. Yachts Ltd.

[19]            Compte tenu de tous les facteurs et du fait que les dépens procureur-client ne doivent pas être un chèque en blanc mais plutôt circonscrits dans des limites raisonnables, j'attribue les dépens de la requête pour un montant global de 9 000 $ payable immédiatement.

                                                                                                                                     « John A. Hargrave »            

                                                                                                                                                    Protonotaire                   

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 28 mars 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER

DOSSIER :                                                  T-1865-02

INTITULÉ :                                                 NHM International Inc. c. F.C. Yachts Ltd. et al.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :        Le protonotaire Hargrave

DATE DES MOTIFS :                             Le 28 mars 2003

OBSERVATIONS ÉCRITES :       

David F McEwen                                                                           POUR LA DEMANDERESSE

W Gary Wharton                                                                            POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McEwen, Schmitt & Co.                                                               POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Bernard & Partners                                                                        POUR LES DÉFENDEURS

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

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