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Date : 20030821

Dossier : IMM-6616-02

Référence : 2003 CF 988

Vancouver (Colombie-Britannique), le jeudi 21 août 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                       AUGUSTINA CASTELANOS DUARTE

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE KELEN


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Section des réfugiés) a rejeté, le 26 novembre 2002, la revendication du statut de réfugié de la demanderesse, l'allégation selon laquelle la demanderesse craignait subjectivement d'être persécutée dans son pays d'origine, Cuba, n'étant pas crédible.

LES FAITS

[2]                 La demanderesse est une citoyenne cubaine; elle craint d'être persécutée par les autorités cubaines, qui croient à tort qu'elle est une prostituée à cause de son association à un citoyen canadien qui s'appelle Joseph Pomeroy. Au milieu des années 1990, M. Pomeroy faisait des affaires à Cuba et, pendant qu'il était là, il a rencontré la demanderesse dans un restaurant où celle-ci travaillait. Après qu'ils eurent commencé à entretenir des relations, M. Pomeroy envoyait des vêtements à la demanderesse et lui rendait parfois visite à Cuba. M. Pomeroy a par la suite donné de l'argent à la demanderesse pour lui permettre d'acheter une meilleure maison à Cuba, pour sa mère et elle-même. Les autorités cubaines voyaient la relation d'un oeil suspect; la demanderesse affirme qu'elles l'ont mise en état d'arrestation et détenue pendant quatre jours, au mois de décembre 1995, parce qu'elle aurait été une prostituée.


[3]                 Au mois d'août 1998, la demanderesse est venue au Canada à l'aide d'un visa de visiteur pour voir M. Pomeroy. Elle est retournée à Cuba au mois de novembre 1998 pour transférer sa maison à sa mère; en effet, elle affirme que les autorités cubaines confisquent la propriété de tout ressortissant qui quitte le pays pour une longue période. La demanderesse a de nouveau été arrêtée par la police et elle a été détenue parce qu'on soupçonnait qu'elle était une prostituée. Après cet événement, la demanderesse a décidé de venir au Canada pour revendiquer le statut de réfugié; en utilisant un visa de sortie frauduleux, elle est arrivée au Canada au mois de mai 1999. Au mois de février ou au mois d'avril 2000 (le dossier n'est pas clair sur ce point), la demanderesse a revendiqué le statut de réfugié.

LA DÉCISION

[4]                 Après qu'une audience eut été tenue le 22 octobre 2002, la Section des réfugiés a rejeté la revendication pour le motif qu'elle n'était pas crédible, c'est-à-dire parce qu'il n'existait aucune crainte subjective de persécution. La décision de retourner à Cuba qu'avait prise la demanderesse au mois de novembre 1998 et le fait qu'elle avait tardé à revendiquer le statut de réfugié au Canada ont été cités comme des actions incompatibles avec l'allégation selon laquelle la demanderesse craignait subjectivement d'être persécutée. Le tribunal n'a pas retenu l'explication que la demanderesse a donnée lorsqu'elle a affirmé qu'elle avait été obligée de retourner à Cuba pour transférer sa maison à sa mère, ce qui n'était pas compatible avec une crainte subjective de persécution.


POINTS LITIGIEUX

[5]                 La demande de contrôle judiciaire a été présentée au mois de décembre 2002; on a demandé à la Section des réfugiés un enregistrement de l'audience. La Section des réfugiés a alors découvert qu'elle n'avait pas d'enregistrement à sa disposition. La demanderesse sollicite maintenant l'annulation de cette décision :

(1)         parce qu'en omettant de fournir à la Cour une transcription de l'audience, la Section des réfugiés a porté atteinte à son droit à la justice naturelle;

(2)         parce que l'agent de protection des réfugiés (l'APR) n'a pas communiqué les documents pertinents dans le délai prévu par les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles);

(3)         parce que la Section des réfugiés a tiré une conclusion erronée au sujet de la question du retard.

COMMUNICATION


[6]                 J'examinerai d'abord la question de la communication, au sujet de laquelle il semble exister une certaine confusion. La demanderesse affirme que le Rapport de l'année 2000 du DOS, sur lequel le tribunal s'est fondé dans sa décision, lui a été communiqué le lendemain de l'audience seulement, la privant ainsi de la possibilité de répondre. Elle affirme que cela ne satisfait pas au délai de 20 jours prévu à l'article 29 des Règles :

Communication de documents par une partie

29. (1) Pour utiliser un document à l'audience, la partie en transmet une copie à l'autre partie, le cas échéant, et deux copies à la Section, sauf si les présentes règles exigent un nombre différent de copies.

Communication de documents par la Section

(2) Pour utiliser un document à l'audience, la Section en transmet une copie aux parties.

Preuve de transmission

(3) En même temps qu'elle transmet les copies à la Section, la partie lui transmet également une déclaration écrite indiquant à quel moment et de quelle façon elle en a transmis une copie à l'autre partie, le cas échéant.

Délai

(4) Tout document transmis selon la présente règle doit être reçu par son destinataire au plus tard :

a) soit vingt jours avant l'audience;

b) soit, dans le cas où il s'agit d'un document transmis en réponse à un document reçu de l'autre partie ou de la Section, cinq jours avant l'audience.

***

Disclosure of documents by a party

29. (1) If a party wants to use a document at a hearing, the party must provide one copy to any other party and two copies to the Division, unless these Rules require a different number of copies.

Disclosure of documents by the Division

(2) If the Division wants to use a document at a hearing, the Division must provide a copy to each party.

Proof that document was provided

(3) Together with the copies provided to the Division, the party must provide a written statement of how and when a copy was provided to any other party.

Time limit

(4) Documents provided under this rule must be received by the Division or a party, as the case may be, no later than           

(a) 20 days before the hearing; or

(b) five days before the hearing if the document is provided to respond to another document provided by a party or the Division.

[7]                 L'examen du dossier révèle que le Rapport de l'année 2000 du DOS a été transmis à la demanderesse avec la documentation en date du 26 mars 2001 fournie dans le cadre de la communication initiale. Il n'est pas contesté que la demanderesse a reçu cette documentation plus de 20 jours avant l'audience. La documentation supplémentaire reçue par la demanderesse le lendemain de l'audience renfermait une copie de la version 2001 de ce rapport (erronément désigné comme étant le rapport de l'année 2002 dans la liste des documents); toutefois, dans sa décision, la Section des réfugiés ne s'est fondée ni sur le rapport 2001 ni sur aucun des autres documents supplémentaires qui avaient été transmis. Tout manquement aux Règles qui peut avoir été commis n'a donc pas influé sur le résultat de l'audience et ne constitue pas un fondement suffisant justifiant l'octroi de la demande.

MANQUEMENT AUX RÈGLES DE JUSTICE NATURELLE ATTRIBUABLE À L'ABSENCE DE TRANSCRIPTION


[8]                 La question suivante se rapporte au fait qu'il n'y avait pas d'enregistrement de l'audience. La Section des réfugiés n'est pas tenue, en vertu des Règles, de fournir aux demandeurs un enregistrement de l'audience et l'absence d'enregistrement à elle seule ne constitue pas un fondement suffisant justifiant l'octroi de la demande : Kandiah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 141 N.R. 232 (C.A.F.). Dans les cas où la loi ne prévoit aucun droit à un enregistrement, les cours de justice doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande d'examen ou sur l'appel : Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. (Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, paragraphes 72 à 87. La demanderesse doit démontrer qu'il existe une « possibilité sérieuse » qu'une erreur ait été commise dans le dossier ou que l'absence d'enregistrement l'empêche de faire valoir ses motifs à l'appui du contrôle : Shergill c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 24.

[9]                 La section des réfugiés a conclu que la demanderesse n'avait pas de crainte subjective crédible d'être persécutée, et ce, pour les motifs ci-après énoncés :

1.          elle ne serait pas retournée à Cuba pour transférer la maison à sa mère si elle avait réellement craint d'être persécutée;

2.          elle n'aurait pas attendu pendant près d'un an après être arrivée au Canada pour revendiquer le statut de réfugié si elle craignait réellement de retourner à Cuba.


[10]            La demanderesse soutient que lorsqu'elle a témoigné à l'audience, elle a donné des explications raisonnables au sujet de son retour à Cuba (soit le transfert de sa maison) et qu'elle a expliqué pourquoi elle avait attendu 11 mois pour revendiquer le statut de réfugié. La demanderesse affirme qu'en l'absence de transcription, la Cour ne peut pas examiner ces explications afin de déterminer si la conclusion que la Section des réfugiés a tirée au sujet de l'absence de crainte subjective est étayée par la preuve et si cette conclusion est raisonnable.

[11]            Aux fins du présent contrôle judiciaire, je reconnais qu'à l'audience, la demanderesse a témoigné exactement de la façon dont elle le déclare dans son affidavit. Je note que l'affidavit ne renferme aucune explication contredisant les faits sur lesquels la Section des réfugiés s'est fondée.

[12]            Cela étant, j'ai examiné la conclusion de la Section des réfugiés selon laquelle la demanderesse ne craignait pas subjectivement d'être persécutée et je conclus que, dans la preuve par affidavit qu'elle a soumise, la demanderesse n'a fourni aucune explication montrant qu'il n'était pas avec raison loisible à la Section des réfugiés de rendre la décision à laquelle elle est arrivée. Il était avec raison loisible à la Section des réfugiés de conclure qu'une personne qui affirme craindre réellement d'être persécutée si elle retourne dans son pays d'origine ne risquerait pas sa sécurité en vue de transférer un bien immobilier. De même, une personne qui éprouve une crainte subjective réelle d'être renvoyée dans son pays d'origine n'attendrait pas 11 mois pour revendiquer le statut de réfugié.


[13]            Par conséquent, la Cour conclut qu'il existait un fondement raisonnable à l'appui de la conclusion de la Section des réfugiés selon laquelle la demanderesse n'avait pas de crainte subjective crédible d'être persécutée, à supposer que le témoignage de la demanderesse était tel qu'elle l'a déclaré dans son affidavit. Cela étant, la demanderesse n'a pas démontré qu'il existe une « possibilité sérieuse » que l'absence de transcription la privera d'un motif justifiant le contrôle judiciaire.

LE RETARD

[14]            La demanderesse soutient que la Section des réfugiés a commis une erreur en ce qui concerne la conclusion qu'elle a tirée au sujet de la question du retard. Il existe plusieurs jugements dans lesquels la Cour a dit que même si le fait qu'une personne tarde à présenter sa revendication est un facteur important à prendre en considération, il ne s'agit pas d'un facteur décisif : Hue c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] A.C.F. no 283 (QL) (C.A.); Saez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 65 F.T.R. 317; Huerta c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 157 N.R. 225 (C.A.F.); et Papsouev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 168 F.T.R. 99. La proposition juridique à tirer de cette jurisprudence est qu'un retard n'entraîne pas nécessairement le rejet d'une demande étant donné qu'il se peut que l'intéressé ait une raison valable d'avoir tardé à agir. Néanmoins, le retard peut, dans les cas appropriés, constituer un motif suffisant de rejet de la demande. Cela dépendra en fin de compte des faits de l'affaire.

[15]            En l'espèce, la raison que la demanderesse a donnée pour justifier le retard n'était pas acceptable, selon la Section des réfugiés. Dans son affidavit, la demanderesse n'a présenté aucun élément de preuve contredisant les faits sur lesquels la Section des réfugiés s'est fondée à cet égard. Par conséquent, la Section des réfugiés n'a pas commis d'erreur en tenant compte du retard en tant que facteur, lorsqu'elle a apprécié la crédibilité de la demanderesse, qui affirmait craindre subjectivement d'être persécutée si elle était contrainte à retourner à Cuba.

[16]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Ni l'un ni l'autre avocat n'a proposé la certification d'une question. La Cour est d'accord pour dire que la demande ne soulève pas de question grave à certifier.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Michael E. Kelen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-6616-02

INTITULÉ :                                                        AUGUSTINA CASTELLANOS DUARTE

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 19 août 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      Monsieur le juge Kelen

DATE DES MOTIFS :                                     le 21 août 2003

COMPARUTIONS :

Mme Nicole Hainer                                               pour la demanderesse

M. Peter Bell                                                         pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon et associés                                     pour la demanderesse

Vancouver (C.-B.)

M. Morris Rosenberg                                           pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada                    

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