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                                                                                                                                 Date : 20030424

                                                                                                                    Dossier : IMM-4875-01

                                                                                                               Référence : 2003 CFPI 503

Ottawa (Ontario), le 24 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE JOHANNE GAUTHIER

ENTRE :

                                                           ABUL QASIM NAQVI

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

1.                   M. Naqvi sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle l'agent des visas du Haut-commissariat du Canada à Colombo, au Sri Lanka, a rejeté la demande de résidence permanente (dans la catégorie des demandeurs indépendants) qu'il avait présentée.

Les faits

2.                   Le demandeur et sa famille sont citoyens du Pakistan. Le demandeur a présenté une demande en tant qu'ingénieur électricien (CNP 2133). Les compétences et l'évaluation du dossier du demandeur ne sont pas des questions en litige étant donné qu'il a obtenu plus de points que les 70 points exigés aux termes des dispositions statutaires.


3.                   La demande de M. Naqvi a été rejetée suivant le paragraphe 19(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi), qui prévoit que les agents des visas ne peuvent pas délivrer de visas à des personnes lorsqu'ils ont des motifs raisonnables de croire qu'elles n'ont pas la capacité de subvenir à leurs besoins et à ceux des personnes à leur charge. Notamment, l'agent des visas a conclu en l'espèce que M. Naqvi n'avait pas suffisamment de ressources financières pour s'établir au Canada.

4.                   À cet égard, le Guide de l'immigration mentionne que chaque cas devrait être évalué individuellement et que le montant d'argent nécessaire varie passablement. Néanmoins, le Guide recommande que chaque demandeur principal possède une somme de 10 000 $CAN et une somme additionnelle de 2 000 $CAN pour chacune des personnes à sa charge.

5.                   Au départ M. Naqvi avait mentionné que sa famille ne l'accompagnerait pas au Canada. Il avait soumis un document bancaire émis par la Habib Bank Limited qui certifiait qu'à l'heure de la fermeture des bureaux, le 13 juillet 2000, le solde du compte du demandeur s'élevait à 500 500 roupies (approximativement 11 000 $CAN).

6.                   Le 26 septembre 2000, on a informé M. Naqvi que son entrevue aurait lieu le 14 décembre 2000 et qu'il devrait apporter lors de cette entrevue les originaux de tous les documents qu'il avait soumis avec sa demande et les originaux des documents indiqués par la lettre « X » dans la lettre. L'un de ces documents précisément requis était le document suivant :


[TRADUCTION]

(X)       preuve de liquidités récentes d'un montant de 9 904 $CAN pour votre établissement au Canada : relevés bancaires, dépôts à terme et certificats bancaires. Veuillez noter que vous devriez éviter de soumettre des lettres de la banque qui mentionnent seulement le solde de votre compte bancaire à une certaine date. Nous exigeons des relevés bancaires qui montrent les transactions effectuées au cours d'au moins la dernière année.

                                                                                                              [Non souligné dans l'original.]

7.                   Lors de l'entrevue, M. Naqvi a modifié sa demande pour inclure son épouse et ses quatre enfants en tant que personnes à charge. Il a en outre été discuté de la situation financière de M. Naqvi au cours de l'entrevue. Les notes du STIDI pertinentes sont rédigées comme suit :      [TRADUCTION]

LIQUIDITÉS :

ARGENT DANS LES COMPTES BANCAIRES 11 000 $

INDEMNITÉ DE RETRAITE DE 37 000 $. IL DÉCLARE QUE L'INDEMNITÉ EST INVESTIE. Il ENVERRA LA PREUVE.

IL PRÉTEND POSSÉDER UN MONTANT ADDITIONNEL DE 32 000 $CAN SOUS FORME D'INVESTISSEMENT DANS UN IMMEUBLE.

Cependant, M. Naqvi n'a envoyé aucun document démontrant qu'il avait effectivement investi le fonds de retraite reçu de la société Pakistan Steel Mill pour laquelle il avait travaillé pendant plus de 20 ans.


8.                   Le 10 juillet 2001, l'agent des visas, après avoir conclu que M. Naqvi satisfaisait aux critères de sélection et qu'il n'existait pas de préoccupations liées à la criminalité, à la sécurité ou à des raisons d'ordre médical, a remarqué qu'il manquait encore un élément de preuve démontrant qu'on pouvait considérer que M. Naqvi remplissait les conditions prévues à l'alinéa 19(1)b).

9.                   Le 11 juillet 2001, l'agent des visas a envoyé une lettre à M. Naqvi lui demandant de fournir dans les 60 jours une preuve démontrant qu'il possédait une somme de 20 000 $CAN. Il faut remarquer que l'agent des visas, lorsqu'il a demandé une preuve que M. Naqvi possédait le montant total qui était nécessaire pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, n'a pas dit à M. Naqvi que le document déjà émis par la Habib Bank constituait un élément de preuve satisfaisant à l'égard de la somme de 11 000 $CAN.

10.               Le ou vers le 22 août 2001, M. Naqvi a déposé l'original d'un document émis par la Muslim Commercial Bank Limited (Muslim Bank) qui mentionnait que le compte bancaire qu'il détenait auprès de cette banque avait été ouvert en janvier 1999 et avait un solde actuel de 910 000 roupies (équivalant à 21 967 $CAN).


11.               L'agent des visas chargé du dossier de M. Naqvi, après avoir achevé sa période d'affectation, a quitté le Sri Lanka au début du mois d'août 2001. Au début de septembre 2001, un nouvel agent des visas a examiné le dossier et a remarqué que le document émis par la Muslim Bank comportait des fautes d'orthographe et qu'il était imprimé sur du papier de très mauvaise qualité ce qui a soulevé des doutes à l'égard de la fiabilité de ce document. De plus, l'agent des visas n'était pas convaincu que M. Naqvi avait fourni des éléments de preuve adéquats à l'égard de ses ressources financières étant donné que le compte détenu auprès de la Muslim Bank n'apparaissait pas parmi les sources de financement qui avaient été auparavant communiquées lors de l'entrevue. Par conséquent, il a envoyé une lettre de refus à M. Naqvi.

La question en litige

12.               L'agent des visas a-t-il violé son obligation d'agir équitablement lorsqu'il a omis de donner à M. Naqvi une possibilité de répondre à ses préoccupations à l'égard du document émis par la Muslim Bank et à l'égard de sa capacité de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille?

Analyse

13.               M. Naqvi prétend qu'un agent des visas, lorsqu'il met en doute la fiabilité des documents fournis par un demandeur, a l'obligation d'en informer le demandeur et de lui donner la possibilité de répondre à la préoccupation précise. À cet égard, M. Naqvi s'appuie sur une déclaration de M. le juge Teitelbaum dans la décision Ahmad c. Canada, [1997] A.C.F. 1461 (QL), qui a affirmé ce qui suit au paragraphe 24 :

Les notes SITCI de l'agente ne permettent pas vraiment de savoir si les mots « pas d'argent pour soutenir l'établissement » veulent dire que le requérant n'avait pas assez d'argent ou qu'il n'en avait pas du tout. L'affidavit de l'agente (onglet B du dossier de la demande de l'intimé) ne dit rien à ce sujet. Il ne fait toutefois aucun doute que dans le cas où l'agente a cru que le requérant n'avait pas d'argent, soit qu'elle s'est méprise sur la preuve soit qu'elle n'a pas fait confiance à la validité des attestations bancaires du requérant. Si cette dernière affirmation est exacte, alors peut-être que l'agente avait l'obligation de donner au requérant la possibilité de corriger cette impression.

                                                                                                                                                           (Non souligné dans l'original)


14.               Le demandeur cite en outre les décisions Zheng c. Canada (Ministre la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. 1397 (QL) (C.F. 1re inst.), (au paragraphe 6), et Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 43 (QL) (C.F. 1re inst.), (aux paragraphes 5 et 6), au soutien de sa prétention.

15.               Il affirme de plus, suivant la logique de l'affaire Chou c. Canada, [1998] A.C.F. 819 (QL), (aux paragraphes 17 à 21 et plus particulièrement aux paragraphes 46 et 47), dans laquelle la décision d'un agent des visas a été annulée au motif qu'il avait omis de permettre au demandeur d'expliquer une contradiction qui existait entre un document qu'il avait déposé après l'entrevue et d'autres renseignements contenus au dossier, que les documents soumis après l'entrevue doivent être pris en compte de la même façon qu'un « élément de preuve extrinsèque » et que les demandeurs ont le droit de donner des explications à l'égard des préoccupations précises qui se rapportent à ces documents, ou que ces derniers soulèvent, et de répondre à ces préoccupations.

16.               Le défendeur prétend que l'obligation d'un agent des visas d'informer le demandeur de ses préoccupations est plutôt limitée. Elle ne s'applique qu'aux préoccupations découlant de renseignements ou de documents qui n'ont pas été soumis par le demandeur, c'est-à-dire d'éléments de preuve extrinsèque, selon la définition contenue dans plusieurs décisions rendues par la Cour comme l'arrêt Shah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. 1299 (QL), et la décision Dasent c. Canada (M.C.I.), (1995) 1 C.F. 720 (1re inst.).

17.               Toutefois, dans son exposé des arguments complémentaire, le défendeur a reconnu qu'il pouvait y avoir certaines exceptions à cette obligation limitée lorsque la crédibilité d'un document important est mise en doute et que l'élément de preuve attaqué était convaincant au départ.


18.               La Cour conclut que l'obligation de l'agent des visas d'informer un demandeur de ses préoccupations, bien qu'elle soit effectivement limitée, va au-delà des préoccupations soulevées par un élément de preuve extrinsèque. Lorsque des éléments de preuve importants et d'autres éléments de preuve détaillés sont fournis par un demandeur et que leur crédibilité est mise en doute par l'agent des visas, le demandeur devrait avoir la possibilité de donner des explications à l'égard des préoccupations ou la possibilité de répondre à ces préoccupations.

19.               Cette conclusion de la Cour ne modifie en rien la règle selon laquelle un demandeur doit fournir la meilleure preuve et ne doit pas attendre que l'agent des visas lui demande de fournir un meilleur élément de preuve afin de le convaincre qu'il satisfait aux critères d'admission au Canada. Comme l'a mentionné le juge Teitelbaum dans la décision Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. 468 (QL), au paragraphe 19, et comme il l'a été réitéré de façon constante depuis, « le requérant devrait présumer que les préoccupations de l'agent des visas découleront directement de la Loi ou de son règlement d'application » .

20.               Par conséquent, si un demandeur choisit de fournir un élément de preuve peu convaincant pour appuyer sa position, la préoccupation soulevée par un tel élément de preuve ou à son égard découle des conditions prescrites par les dispositions statutaires et l'omission d'informer le demandeur, bien qu'il puisse être préférable de le faire, ne viole pas l'obligation d'agir équitablement.


21.               On a prévenu M. Naqvi qu'il devrait éviter de fournir des documents qui attestaient un solde bancaire à une date précise. Dans son affidavit et dans ses observations écrites, M. Naqvi insiste sur le fait que s'il avait été informé des préoccupations de l'agent des visas, il aurait pu fournir d'autres documents afin de démontrer qu'il possédait les fonds nécessaires pour s'établir ou communiquer avec la banque afin d'obtenir une confirmation des dépôts. Il savait par conséquent qu'il existait de meilleurs éléments de preuve pour démontrer sa capacité financière. Manifestement, il n'a pas fourni ses meilleurs éléments de preuve même s'il avait été prévenu de le faire.

22.               M. Naqvi est un homme instruit et il parle et comprend couramment l'anglais. Il pouvait comprendre l'avis qu'il avait reçu et se rendre compte que le document fourni par la Muslim Bank comportait effectivement plusieurs coquilles et erreurs de grammaire. Il savait que l'agent des visas était convaincu de ses compétences en tant qu'ingénieur à la suite de l'entrevue (voir son affidavit au paragraphe 5) et que sa capacité financière de subvenir aux besoins de sa famille était l'une des questions importantes qu'il restait à régler.

23.               Le fait d'accepter la prétention selon laquelle dans de telles circonstances l'agent des visas devait quand même donner au demandeur une possibilité de dissiper les préoccupations qu'il avait à l'égard de sa situation financière signifierait que les demandeurs peuvent simplement ne pas tenir compte des directives générales, comme celles contenues dans la lettre type du 26 septembre 2000, qui leur sont envoyées.


24.               Dans la décision Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1999) A.C.F. 1274 (QL) (1re inst.), M. le juge Pelletier (maintenant juge à la Section d'appel) a déclaré que l'omission de l'agent des visas d'avoir informé le demandeur de préoccupations découlant du fait qu'il avait soumis une traduction qui n'était pas certifiée conforme ne constituait pas un déni de justice naturelle. Une traduction qui n'était pas certifiée conforme ne satisfaisait pas aux critères du ministère de l'Immigration. Le demandeur avait été prévenu, dans une lettre générale semblable à celle reçue par M. Naqvi le 26 septembre 2000, que des traductions certifiées conformes devraient être fournies. L'agent des visas avait par conséquent le droit de rejeter le document traduit sur-le-champ. Le juge Pelletier a déclaré que l'agent, même s'il avait examiné ce document, n'avait pas perdu le droit de le rejeter et que l'examen n'avait pas, de façon certaine, créé un droit pour le demandeur de donner des explications à l'égard des contradictions résultant de la traduction.

25.               La même logique s'applique en l'espèce. Il aurait peut-être été prévenant d'informer M. Naqvi qu'il y avait un problème l'empêchant de remplir les conditions prévues à l'alinéa 19(1)b) de la Loi, mais l'omission de le faire n'équivaut pas à une violation de l'obligation d'agir équitablement. Il n'existe pas d'erreur susceptible de contrôle en l'espèce et la demande est rejetée.

26.               Les parties ont eu la possibilité de soulever une question grave de portée générale selon l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, mais elles ne l'ont pas fait. Je n'ai pas l'intention de certifier une question grave de portée générale.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question de portée générale n'est certifiée.

« Johanne Gauthier »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-4875-01

INTITULÉ :                                       Abul Qasim Nawvi c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 19 mars 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                    Le juge Gauthier

DATE DES MOTIFS :                     Le 24 avril 2003

COMPARUTIONS :

Sabrina Tozzi                                                                             POUR LE DEMANDEUR

Stephen Jarvis                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green & Spiegel                                                                        POUR LE DEMANDEUR

390, rue Bay

Bureau 2800

Toronto (Ontario)    M5H 2Y2

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)    M5X 1K6


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