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                                                                                                                                           Date : 20031107

                                                                                                                             Dossier : IMM-4320-02

                                                                                                                         Référence : 2003 CF 1307

Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                  HASAN DHAIFULLAH ALKUHALI

                                                    (également appelé Hasan Alkuhali)

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction

[1]                 Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision défavorable de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 26 juillet 2002, qui a refusé au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention.


Les faits

[2]                 Le demandeur, Hasan Alkuhali, est un ressortissant yéménite âgé de 42 ans. Il dit qu'il est une personne qui requiert d'être protégée contre un groupe terroriste local, l'Armée islamique d'Aden-Abyan (l'AIAA). Le demandeur est arrivé au Canada le 15 décembre 2000, via les États-Unis, et il a immédiatement revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.

[3]                 Le demandeur dit que le 1er novembre 2000, cinq hommes masqués et lourdement armés sont arrivés chez lui et ont tenté de le recruter pour une guerre sainte contre le gouvernement du Yémen et contre les étrangers qui aidaient le gouvernement. Les hommes ont offert des armes, de l'argent et une voiture au demandeur s'il décidait de se joindre à eux.

[4]                 Le demandeur a refusé et l'un des hommes masqués, qui, selon ce que croit le demandeur, était un membre de l'AIAA, lui a dit qu'il avait 24 heures pour y réfléchir et qu'il devrait songer à lui-même ainsi qu'à sa famille.

[5]                 Le demandeur a décidé de s'enfuir à Taiz sans informer la police de l'altercation. Il est resté à Taiz durant deux semaines tout en cherchant à obtenir un faux passeport. Il n'y a pas réussi et il s'est rendu à Sanaa, où il a pu acheter un faux passeport américain et un billet d'avion pour les États-Unis.


[6]                 Le demandeur a passé huit jours dans la région de Détroit et a trouvé que le niveau de criminalité de cette région était trop élevé. Il est donc parti pour le Canada le 15 décembre 2000. Il a le même jour, à Windsor (Ontario), fait état de son intention de revendiquer le statut de réfugié.

Décision de la Commission

[7]                 La Commission a estimé que la crainte du demandeur d'être persécuté au Yémen en raison de ses opinions politiques n'était pas fondée. Elle a aussi jugé que le demandeur n'était pas une personne à protéger car il n'y avait aucun motif réel de croire qu'il serait personnellement exposé à la torture, ni aucune possibilité sérieuse pour lui d'être soumis, au Yémen, à une menace pour sa vie ou à des peines cruelles et inusitées. Dans ses conclusions, la Commission a tenu compte de plusieurs facteurs.

[8]                 La Commission a estimé que le demandeur était un témoin généralement crédible et elle n'a pas mis en doute son Formulaire de renseignements personnels (FRP) ni sa déposition. Selon la Commission, le point à décider dans la revendication était de savoir s'il était objectivement raisonnable pour le demandeur de ne pas avoir recherché une protection d'État. La Commission s'est exprimée ainsi : « ... Bien que les États soient présumés être en mesure de protéger leurs ressortissants, le demandeur d'asile avait la possibilité de réfuter la présomption relative à la protection avec "une preuve claire et convaincante" » . La Commission a estimé, au vu de la preuve, que le demandeur n'avait pas réfuté cette présomption.


[9]                 La Commission a jugé que, bien que le demandeur eût dit qu'il n'était pas allé solliciter l'aide de la police parce qu'il estimait qu'elle était corrompue et dangereuse, il n'avait pas apporté la preuve de ces allégations. La Commission a relevé que le demandeur avait dit être sûr que des membres de la police avaient infiltré l'AIAA et en faisaient partie. Le demandeur avait dit aussi que le gouvernement était incapable d'appréhender les membres de l'AIAA, encore qu'il eût admis que le gouvernement avait pourchassé et fait inculper plusieurs membres de ce groupe.

[10]            Le demandeur a dit que le chef de l'AIAA était Oussama ben Laden, car il savait que ben Laden apportait un soutien financier aux terroristes. Le demandeur a dit que le groupe comptait des membres dans le monde entier et qu'il voulait recueillir des millions de dollars pour son « djihad » grâce aux rançons payées pour la libération des étrangers kidnappés par l'AIAA.

[11]            La Commission a reconnu que l'AIAA était un groupe terroriste violent bénéficiant d'un réseau international, mais elle a jugé que le demandeur n'avait pas prouvé que la police était corrompue et le gouvernement inefficace. La Commission avait en revanche une preuve documentaire qui indiquait que le gouvernement du Yémen faisait de réels efforts pour protéger à la fois ses ressortissants et les étrangers contre l'AIAA. Il était établi que des chefs et membres qui avaient commis ou tenté de commettre des actes terroristes avaient été arrêtés, poursuivis et punis. La Commission a donc estimé qu'il était objectivement déraisonnable pour le revendicateur de ne pas avoir recherché la protection du gouvernement yéménite après avoir reçu des menaces de l'AIAA.


[12]            S'agissant de l'assistance policière, la Commission a de nouveau affirmé qu'il appartenait au demandeur de produire une preuve claire et convaincante montrant que la police n'apporterait pas sa protection au demandeur et à sa famille. La Commission a estimé, au vu de la preuve, que le demandeur « ne s'est pas acquitté de l'obligation de produire des preuves claires et convaincantes montrant que la police, à laquelle il n'a pas porté plainte, ne ferait pas des efforts rigoureux pour le protéger contre l'AIAA » . La Commission a aussi estimé que le revendicateur n'avait pas établi qu'il était tout à fait vraisemblable qu'il serait, au Yémen, soumis personnellement à une menace pour sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités, selon ce que prévoit l'alinéa 97(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Finalement, la Commission a jugé que le demandeur ne pouvait invoquer l'alinéa 97(1)a) de la Loi en affirmant qu'il serait exposé à un risque de torture, puisque la définition de « torture » ne comprend que la torture aux mains d'un agent de la fonction publique.

Point en litige

[13]            Cette demande de contrôle judiciaire soulève le point suivant :

A.         La Commission a-t-elle commis une erreur justifiant une révision lorsqu'elle a dit que le demandeur n'avait pas réfuté la présomption de l'existence d'une protection d'État?


Norme de contrôle

[14]            Ce point est une question mixte de droit et de fait, et je suis donc d'avis que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à l'unique point soulevé dans cette demande est la norme de la décision raisonnable simpliciter (voir l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc. [1997] 1 R.C.S. 748).

Analyse

[15]            Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada avait jugé qu'un revendicateur doit apporter une preuve claire et convaincante de l'incapacité d'un État de protéger ses ressortissants. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil d'État ou sans un aveu d'impuissance d'un État à offrir une telle protection, il faut présumer que l'État est en mesure de protéger ses ressortissants. Cette présomption renforce l'idée selon laquelle la protection internationale est une solution de dernier recours, qui doit être recherchée lorsque tous les autres moyens ont été explorés en vain. À la page 724 des motifs de la Cour, monsieur le juge La Forest écrivait :

... l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l'État [traduction] « aurait pu raisonnablement être assurée » . En d'autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État.


[16]            Lors de l'instruction de cette affaire, le demandeur a fait valoir que la Commission avait mal énoncé le critère à appliquer pour répondre à la question de l'existence d'une protection d'État. Dans ses motifs, la Commission écrivait que la question est « de savoir s'il y avait des preuves claires et convaincantes montrant que la police ne pouvait pas raisonnablement faire des efforts rigoureux pour assurer cette protection » . Le demandeur prétend que le critère exposé dans l'arrêt Ward requiert « une preuve claire et convaincante de l'incapacité d'un État d'assurer une protection » et non « une preuve que la police ne pouvait pas raisonnablement faire des efforts rigoureux pour assurer cette protection » . Le demandeur soutient que, si la Commission avait posé la bonne question, elle serait sans doute arrivée à une conclusion différente sur ce point. Je n'accepte pas cet argument. Eu égard aux motifs de la Commission considérés dans leur intégralité, je suis d'avis que la Commission a saisi et appliqué le bon critère. D'ailleurs, même si je devais accepter l'argument du demandeur selon lequel le critère n'a pas été bien exprimé dans les motifs de la Commission, cette faille ne serait pas déterminante pour l'issue du litige. Ainsi que mes motifs ci-après le montreront, je suis d'avis que la Commission n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a dit que le demandeur n'avait pas apporté la preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État de le protéger, et qu'il n'avait donc pas réfuté la présomption selon laquelle l'État est en mesure de protéger ses ressortissants.


[17]            Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur en accordant du poids à la preuve selon laquelle la police et le gouvernement du Yémen traquaient, arrêtaient et poursuivaient les terroristes. Le demandeur dit que ces arrestations n'ont eu lieu qu'après que l'AIAA eut commis ou tenté de commettre des actions violentes, et il dit que l'incapacité des autorités yéménites d'anticiper de telles actions violentes révèle l'incapacité de l'État de protéger le demandeur. Le demandeur affirme aussi que la preuve de l'incapacité de la police de mettre un terme aux massacres tribaux devrait jeter un sérieux doute sur l'aptitude de la police à protéger le demandeur contre les menaces terroristes. Le demandeur dit que cette incapacité de la police, combinée à l'incapacité de l'État d'anticiper les actes violents, constitue une preuve claire et convaincante de l'incapacité de la police et du gouvernement du Yémen de protéger le demandeur. Par conséquent, la décision défavorable de la Commission serait à première vue déraisonnable.

[18]            Je suis d'avis que les conclusions de la Commission n'étaient pas déraisonnables, au vu de la preuve. Pour démontrer qu'il n'est pas en mesure d'obtenir la protection de l'État, un revendicateur doit prouver objectivement que l'État est empêché d'apporter une aide ou que lui, le revendicateur, a été empêché physiquement d'obtenir cette aide.

[19]            À mon avis, la preuve produite dans cette affaire montre que le problème du terrorisme est pris au sérieux par l'État et que l'État prend les moyens pour traduire finalement les criminels devant la justice. La preuve documentaire produite fait quelquefois mention de la corruption de la police, mais cela ne permet pas d'affirmer que, à cause de cette corruption, l'État du Yémen est rendu incapable de protéger ses ressortissants. Le demandeur n'a pas apporté la preuve que la police ne le protégerait pas s'il lui demandait son aide, et il n'a pas apporté la preuve qu'une protection d'État est inexistante.


[20]            Le demandeur a évoqué le phénomène des vengeances tribales pour montrer l'inefficacité de la protection d'État en ce qui concerne son cas, mais je ne crois pas que le phénomène des vengeances tribales ait quelque chose à voir avec le cas du demandeur. Le demandeur avait été averti d'une possible attaque de membres de l'AIAA et il n'a pas établi que, eût-il demandé l'aide de la police, il ne l'aurait pas obtenue. Il n'y a aucun parallèle à faire entre le cas des victimes de vengeances tribales et le cas du demandeur.

[21]            Finalement, je dois de nouveau souligner que, selon la jurisprudence relative à la protection d'État, le revendicateur doit d'abord tenter d'obtenir une aide dans son pays d'origine, à moins que cela ne soit objectivement déraisonnable. Lorsqu'elle examine des cas de ce genre, la Commission a le loisir d'examiner tous les moyens raisonnables que le revendicateur aurait pu prendre pour obtenir cette protection. En l'espèce, le demandeur n'est allé consulter personne. Il s'est enfui en présumant, sans raison, que la police ne ferait rien, et il n'a fait aucun effort pour s'informer ou obtenir l'aide d'un organe d'État. Il a agi de la sorte bien qu'il sût que l'État s'efforçait de livrer les terroristes à la justice. Dans ces conditions, je ne crois pas que la Commission ait eu tort de conclure que le demandeur n'avait pas réfuté la présomption de l'existence d'une protection d'État.

[22]            Je suis d'avis que la conclusion de la Commission sur la question de l'existence d'une protection d'État était raisonnable. Le demandeur n'a pas produit une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants, et la demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

Conclusion

[23]            Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


[24]            Aucune des parties n'a proposé qu'une question soit certifiée. La Cour s'abstient de certifier une question.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en date du 26 juillet 2002 est rejetée.

2.         Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »          

                                                                                                                                                                 Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                   IMM-4320-02

INTITULÉ :                                                  Hasan Dhailfullah Alkuhali (également appelé Hasan Alkuhali) c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                         TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                        LE MERCREDI 24 SEPTEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :          LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                                LE 7 NOVEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Michael Korman                                                             POUR LE DEMANDEUR

Matina Karvellas                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman                                                              POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


COUR FÉDÉRALE

                                      Dossier : IMM-4320-02

ENTRE :

            HASAN DHAIFULLAH ALKUHALI

                 (également appelé Hasan Alkuhali)

demandeur

                                       - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                          défendeur

                                                                                         

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                         


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