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Date : 20030109

Dossier : T-2137-99

Référence neutre : 2003 CFPI 12

OTTAWA (ONTARIO), LE 9 JANVIER 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                                               BRIAN C. BRADLEY

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une requête écrite présentée par le demandeur en vertu de l'article 369 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles), DORS/98-106, visant à obtenir une ordonnance déclarant le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le Tribunal) coupable d'outrage au tribunal et sollicitant d'autres réparations.

[2]                 Certains renseignements généraux sont nécessaires pour la compréhension du contexte de la présente requête ainsi que de son véritable objet.

[3]                 Le 22 mars 1996, le demandeur a formulé une demande de pension d'invalidité en vertu de la Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P-6, en raison d'invalidités découlant de blessures subies lors d'un incident sur le NCSM Qu'Appelle le 14 juillet 1990.

[4]                 Le 4 février 1997, le ministère des Anciens Combattants a rejeté la demande. Les appels interjetés devant le comité de révision et le Tribunal ont également été rejetés le 8 mai 1997 et le 3 décembre 1997 respectivement.

[5]                 Le demandeur a ensuite sollicité le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal. Le 27 janvier 1999, la Cour a annulé la décision du Tribunal et renvoyé l'affaire à une formation différemment constituée pour que celle-ci procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l'affaire.

[6]                 Le 18 mai 1999, une nouvelle formation du Tribunal a tenu une nouvelle audition et a rejeté la demande du demandeur.

[7]                 Le demandeur a présenté, avec sa demande pour que le Tribunal réexamine sa décision, un rapport médical supplémentaire ainsi que quelques décisions dans d'autres affaires.


[8]                 Le 25 novembre 1999, le tribunal a refusé de réexaminer sa décision.

[9]                 Le demandeur a ensuite sollicité le contrôle judiciaire de cette nouvelle décision du Tribunal. Le 13 juillet 2001, la Cour a de nouveau annulé la décision du Tribunal et renvoyé l'affaire à une formation différemment constituée du Tribunal pour que celle-ci procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l'affaire.

[10]            Une nouvelle audition a eu lieu le 14 août 2002.

[11]            Alléguant que, [traduction] « à la suite d'une audition dans des affaires de cette nature, il est normal de s'attendre à une décision de la part du Tribunal dans les 30 jours de l'audition » , le demandeur a déposé la présente requête en outrage au tribunal le 25 octobre 2002, déclarant que le temps écoulé depuis le 14 août 2002 [traduction] « excède actuellement la période normale de 30 jours mentionnée ci-dessus et, également, la période de 60 jours que le Tribunal s'est lui-même imposée » .

[12]            La requête a été contestée par l'intimé.

[13]            Je crois utile de faire maintenant référence aux règles de la Cour applicables aux ordonnances pour outrage ou aux autres ordonnances connexes.


[14]            Les articles 466 à 472 des Règles établissent un code régissant l'outrage au tribunal. Sous réserve de l'article 467, est coupable d'outrage au tribunal quiconque « désobéit à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour » (alinéa 466b)). Les Règles prévoient une procédure en deux étapes. La première étape est une requête sollicitant une ordonnance de justification exigeant de la personne qui a, selon ce qui est allégué, commis un outrage au tribunal qu'elle comparaisse pour répondre aux allégations d'outrage. Une ordonnance de justification peut être délivrée si la Cour est d'avis qu'il existe une preuve prima facie de l'outrage reproché (paragraphe 467(3)). La deuxième étape est l'audience pour outrage en tant que telle. Elle ressemble à un procès pour une infraction criminelle. L'allégation d'outrage doit être prouvée « hors de tout doute raisonnable » (article 469). Les témoignages sont donnés oralement à l'audience et la personne à qui l'outrage au tribunal est reproché ne peut être contrainte à témoigner (article 470).

[15]            De plus, si une personne ne se conforme pas à une ordonnance exigeant l'accomplissement d'un acte, l'article 431 permet à la Cour, sans préjudice de son pouvoir de punir pour outrage au tribunal, d'ordonner que « l'acte requis soit accompli par la personne qui a obtenu l'ordonnance ou par toute autre personne nommée par la Cour » . De façon générale, le paragraphe 53(2) précise également que « [l]a Cour peut, dans les cas où les présentes règles lui permettent de rendre une ordonnance particulière, rendre toute autre ordonnance qu'elle juge équitable » .


[16]            Au bout du compte, l'article 2 mentionne que « personne » s'entend notamment d'un office fédéral, d'une association sans personnalité morale et d'une société de personnes et que « tribunal » [version anglaise des Règles seulement] a la même signification que « office fédéral » dans la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, dans sa version modifiée (la Loi).

[17]            J'ai été saisi de l'affaire le 21 novembre 2002. Le Tribunal n'avait encore rendu aucune décision. J'ai décidé d'ajourner l'audition de la requête et de la laisser en suspens jusqu'au 6 janvier 2003. Dans l'intervalle, j'ai pressé le Tribunal de rendre sa décision.

[18]            L'ordonnance délivrée à cette occasion prévoit en partie ce qui suit :

[traduction]

VU que les paragraphes 8(2) et (4) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18 (la Loi sur le TACRA), prévoient que « [l]e président est le premier dirigeant du Tribunal; à ce titre, il en assure la direction et en contrôle les activités notamment en ce qui a trait à la répartition des tâches, à la conduite des travaux du Tribunal, à la gestion de ses affaires internes et à l'exécution des fonctions de son personnel » et que « [e]n cas d'absence ou d'empêchement du président ou de vacance de son poste, la présidence est assumée par le vice-président » ;

VU que le paragraphe 27(1) de la Loi sur le TACRA prévoit que « [l]'appel est entendu par un comité composé d'au moins trois membres désignés par le président » ;

VU que l'article 40 de la Loi sur le TACRA prévoit que « [d]ans la mesure où les circonstances et l'équité le permettent, le Tribunal fonctionne sans formalisme et en procédure expéditive » ;


VU que le Tribunal n'a pas encore rendu de nouvelle décision conformément à l'ordonnance de la Cour, bien qu'apparemment une nouvelle audition ait eu lieu le 14 août 2002;

VU que, dans le dossier de requête du défendeur, il n'y a aucune explication concernant les 13 mois que le Tribunal a pris pour procéder à une nouvelle audition de la présente affaire, ni concernant son retard actuel à rendre une décision à la suite de sa dernière audition qui a eu lieu le 14 août 2002;

VU que, comme la première demande a été présentée il y a plus de six ans et demi, et bien qu'un délai de trois mois pour rendre une décision après une audition ne soit pas déraisonnable en soi, lorsque ce délai est ajouté au délai de 13 mois pour procéder à une nouvelle audition, un tel délai inexplicable soulève de sérieuses interrogations;

VU que le refus ou l'omission de se conformer à une ordonnance de la Cour peut constituer un outrage au tribunal et peut conduire à la délivrance d'une ordonnance de justification en vertu de l'article 467 des Règles, lorsqu'il existe une preuve prima facie de l'outrage reproché;

VU que le paragraphe 53(2) des Règles précise que « [l]a Cour peut, dans les cas où les présentes règles lui permettent de rendre une ordonnance particulière, rendre toute autre ordonnance qu'elle juge équitable » ;

LA COUR ORDONNE :

1.             L'audition de la requête présentée par le demandeur est ajournée et laissée en suspens jusqu'au 6 janvier 2003. Dans l'intervalle, la Cour presse le Tribunal de rendre sa décision;

2.             Dès que l'avocat du défendeur aura reçu la présente ordonnance, il devra la faire signifier au président ou, en son absence, au vice-président du Tribunal et déposer à la Cour la preuve de signification de l'ordonnance au président ou, en son absence, au vice-président du Tribunal dans les dix (10) jours de la présente ordonnance;

3.             Le président ou, en son absence, le vice-président du Tribunal, doit faire en sorte qu'une copie de la présente ordonnance est remise personnellement à chacun des membres de la formation du Tribunal qui ont été désignés pour procéder à une nouvelle audition de l'affaire en vertu de l'ordonnance datée du 13 juillet 2001, jointe comme annexe A;

4.             L'avocat du défendeur doit confirmer par écrit à la Cour, au plus tard le 6 janvier 2003, si le Tribunal a rendu sa décision;

5.             Les parties doivent soumettre à la Cour toutes les observations et tous les éléments de preuve supplémentaires au plus tard le 6 janvier 2003. Une copie en sera expédiée à l'autre partie dans le même délai.


[19]            Conformément à l'ordonnance mentionnée ci-dessus, l'avocat du défendeur, qui a [traduction] « vérifié [aujourd'hui] auprès de Mme Jean Dixon, de Charlottetown (I.P.E.), elle-même avocate pour le Tribunal » , a informé la Cour par lettre datée du 20 décembre 2002 [traduction] « que le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) avait rendu une décision dans le dossier du demandeur, laquelle décision était datée du 16 décembre 2002 » .

[20]            J'ai examiné la demande du défendeur visant le rejet par la Cour de la requête du demandeur au motif que l'affaire est devenue théorique, de même que les observations du demandeur et les autres réparations qu'il demande.

[21]            Je remarque que le demandeur n'est pas satisfait de la dernière décision du Tribunal. Parmi un certain nombre de griefs qu'il soulève à l'encontre du Tribunal, il y a la question de la [traduction] « partialité structurelle » . Le demandeur affirme que [traduction] « [c]omme le Tribunal n'a fourni aucune décision juste dans les six décisions qu'il a rendues dans la présente affaire, il est non seulement évident que chacun des membres du Tribunal devrait être remplacé, de même que ses gestionnaires et/ou surveillants, mais aussi que toutes leurs décisions rendues au cours des 7 à 10 dernières années devraient être examinées par un organisme et/ou un tribunal indépendant » .

[22]            J'ai maintenant décidé de rejeter la requête du demandeur visant à l'obtention d'une ordonnance de justification et d'autres réparations, sous réserve du droit du demandeur de formuler une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision rendue le 16 décembre 2002 par le Tribunal.

[23]            Vu que le Tribunal a rendu une décision le 16 décembre 2002, la requête du demandeur visant à l'obtention d'une ordonnance de justification est théorique.

[24]            La demande du demandeur visant à l'obtention de la nomination d'un organisme indépendant et d'autres réparations est également rejetée. De telles réparations ne peuvent être obtenues qu'au moyen d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi. Aucune demande de cette nature n'a été présentée jusqu'ici. Par conséquent, la Cour ne peut traiter aucune des allégations formulées par le demandeur à l'encontre de la décision rendue le 16 décembre 2002 par le Tribunal.

[25]            Il reste la question des dépens. Dans les circonstances, la requête ayant été contestée, j'exerce mon pouvoir discrétionnaire pour accorder des dépens au demandeur. Par conséquent, des dépens d'un montant de 500 $ seront accordés au demandeur en lieu et place des dépens taxés.


                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La requête du demandeur visant à obtenir une ordonnance de justification et d'autres réparations est rejetée sous réserve du droit du demandeur de formuler une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision rendue le 16 décembre 2002 par le Tribunal;

2.         Des dépens d'un montant de 500 $ sont accordés au demandeur en lieu et place des dépens taxés.

                                                                                      « Luc Martineau »                

                                                                                                        Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         T-2137-99

INTITULÉ :                                                        BRIAN C. BRADLEY c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS LA COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      M. LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                                     Le 9 janvier 2003

OBSERVATIONS ÉCRITES :

BRIAN C. BRADLEY                                                     POUR LE DEMANDEUR

LORI RASMUSSEN                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BRIAN C. BRADLEY                                                     POUR LE DEMANDEUR

Lower Sackville (Nouvelle-Écosse)

MORRIS ROSENBERG                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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