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Date : 20030902

Dossier : IMM-4620-02

Référence : 2003 CF 1016

Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                                    GANESHALINGAM PONNIAH

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 16 août 2002 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la revendication du statut de réfugié (la revendication) présentée par Ganeshalingam Ponniah, parfois désigné Ponniah Ganeshalingam dans la documentation, en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi).


CONTEXTE

[2]                 Le demandeur soutient qu'il est un citoyen du Sri Lanka âgé de 40 ans et qu'il est arrivé au Canada où il a revendiqué le statut de réfugié le 7 décembre 2001. Le demandeur a fondé sa revendication sur la crainte d'être persécuté en raison de son appartenance à un certain groupe social.

[3]                 Il soutient qu'avant de quitter le Sri Lanka en 1988 pour un emploi en Arabie saoudite, il a été forcé de travailler pour les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (les TLET) qui, comme il était peu disposé à le faire, l'ont battu et l'ont détenu. Après la mise en liberté du demandeur par les TLET, les forces de sécurité du Sri Lanka ont soupçonné ce dernier d'être membre de ce groupe, et elles l'ont détenu et soumis à des sévices pendant six semaines.

[4]                 Le demandeur déclare que, de retour à Colombo en 1996, il était continuellement exposé à du harcèlement, des mesures de détention et des actes de violence de la part des forces de sécurité, particulièrement aux nombreux postes de contrôle établis dans cette ville.

[5]                 En février 2001, le demandeur s'est rendu au poste de police pour renouveler son permis de résidence à Colombo. On l'a accusé de soutenir les TLET et on l'a détenu et agressé. Les policiers ont communiqué avec le Service des enquêtes criminelles (le Criminal Investigation Department ou CID), et des membres de celui-ci ont interrogé le demandeur pendant des heures et lui ont asséné des coups de tuyau en plastique.

[6]                 Le demandeur prétend qu'une fois mis en liberté, des membres des forces de sécurité lui ont dit de quitter Colombo dans les deux semaines, faute de quoi il serait emprisonné en application de la loi sur la prévention du terrorisme.

LA DÉCISION SOUS EXAMEN

[7]                 La Commission a rejeté la revendication pour manque de crédibilité et parce que le demandeur ne craignait pas avec raison d'être persécuté s'il devait retourner au Sri Lanka.

QUESTIONS EN LITIGE

[8]                 Le demandeur déclare que les questions en litige sont les suivantes :

Les conclusions de la Commission étaient-elles fondées sur des facteurs non pertinents?

La Commission a-t-elle tiré des conclusions non étayées par la preuve?

La Commission a-t-elle omis de tenir compte d'éléments de preuve pertinents étayant la revendication du demandeur?

La Commission a-t-elle omis de motiver de manière adéquate sa conclusion selon laquelle le demandeur n'avait pas raison de craindre d'être persécuté?


LA NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[9]                 En conformité avec Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. n ° 732 (C.A.F.), la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision manifestement déraisonnable.

ANALYSE

[10]            J'en viens à la conclusion que la Commission a commis diverses erreurs en tirant des conclusions défavorables au demandeur et à son épouse en matière de crédibilité. La Commission semble s'être appuyée sur diverses généralisations culturelles curieuses pour tirer ses conclusions quant à la connaissance par l'épouse du demandeur de l'endroit où se trouvait son passeport. Je souscris à l'affirmation du demandeur selon laquelle les stéréotypes et généralisations au sujet de tout un peuple ne peuvent fonder valablement une décision. La Commission doit uniquement se fonder sur des facteurs pertinents pour tirer ses conclusions en matière de crédibilité. Ne constituent pas des facteurs pertinents les suppositions découlant de généralisations culturelles, particulièrement celles ayant trait à des questions secondaires.


[11]            La Commission semble avoir consacré beaucoup d'énergie en l'espèce à mettre en question la crédibilité de l'épouse du demandeur, sans beaucoup s'attarder dans sa décision sur le demandeur lui-même. Je relève que la Commission a fait état de théories complexes concernant la relation entre le demandeur et son épouse et des tentatives passées de réconciliation familiale antérieures à la revendication, mais n'a pas pleinement élaboré ses théories ni étayé ses conclusions de manière satisfaisante. Je signalerai, par exemple, que la Commission se demande comment il se peut que l'épouse du demandeur qualifie sa mère de femme âgée alors qu'elle a 46 ans, tandis que le demandeur se décrit lui-même comme un « jeune Tamoul » alors qu'il a près de 40 ans. De telles questions ont un caractère accessoire par rapport au mandat premier de la Commission.

[12]            Tout en admettant que certains problèmes entourent la décision, l'avocat du défendeur me convie à considérer l'obsession apparente de la Commission vis-à-vis la crédibilité de l'épouse du demandeur comme se rattachant à son souci sous-jacent relié à l'unification de la famille et aux antécédents en matière de parrainage du demandeur et de son épouse. La crédibilité de cette dernière était pertinente, la Commission considérant la revendication du statut des demandeurs comme une tromperie en vue d'obtenir la réunification de la famille.


[13]            Le défendeur fait valoir Law Society of New Brunswick c. Ryan, [2003] A.C.S. n ° 17 au soutien de sa prétention selon laquelle une cour ne doit pas intervenir, à moins que la partie demandant le contrôle judiciaire n'ait démontré positivement que la décision, considérée dans son ensemble, est déraisonnable, et une décision n'est déraisonnable que si aucune voie d'analyse mentionnée dans les motifs ne permettait raisonnablement à la Commission de tirer de la preuve produite la conclusion qui a été la sienne. Le défendeur renvoie également à Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc., [2000] A.C.F. n ° 286 (C.A.F.), au soutien de sa thèse portant que, même si certaines conclusions de fait d'un tribunal sont entachées d'erreur révisable, sa décision devrait néanmoins être confirmée s'il existe d'autres faits pouvant raisonnablement fonder sa conclusion finale.

[14]            Le problème en l'espèce, toutefois, c'est que la Commission n'énonce pas clairement ce qu'elle fait ni pourquoi, particulièrement lorsqu'elle fait montre d'un souci excessif à l'endroit du témoignage de l'épouse du demandeur.

[15]            La Commission met trop l'accent sur des questions nébuleuses concernant l'épouse du demandeur, élabore des théories inachevées et tire des conclusions sans les étayer de fondements adéquats. La Commission est tenue d'expliquer et de justifier le fondement de ses conclusions et les éléments de preuve qu'elle estime pertinents pour en arriver à celles-ci. Le défaut de la Commission de ce faire constituait une erreur révisable.

[16]            En ce qui concerne le traitement par la Commission du témoignage du demandeur lui-même, ce dernier soutient que celle-ci n'a pas tenu compte d'allégations spécifiques de détention et de sévices, avec preuve à l'appui, lorsqu'elle a examiné si le demandeur craignait ou non avec raison d'être persécuté. Le demandeur soutient que c'est une erreur que de tirer une conclusion en matière de vraisemblance sans en donner de véritable motif et sans faire mention de la preuve documentaire produite au soutien de la revendication.

[17]            Comme le juge Cullen l'a déclaré dans Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 497 (C.F. 1re inst.):


[...] J'estime que la Section du statut est, à tout le moins, tenue de faire état des renseignements qui lui sont fournis. Que la documentation déposée soit admise ou rejetée, le requérant doit s'en voir exposer les raisons, surtout lorsqu'il s'agit de documents qui confirment ce qu'il a avancé.

Dans l'arrêt Maldonado c. M.E.I. (1980) 2 CF 302 à la page 305, le juge Heald déclare :

J'estime que la Commission a agi arbitrairement en mettant en doute, sans justes motifs, la véracité des déclarations sous serment du requérant susmentionnées. Quand un requérant juge que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu'elles le sont, à moins qu'il n'existe des raisons d'en douter. En l'espèce, je ne vois aucune raison valable pour la Commission de douter de la sincérité des allégations susmentionnées du requérant.

J'en conclus donc que la Section du statut a commis une erreur de droit en ne précisant pas si elle admettait ou si elle rejetait les trois documents visant directement le requérant, négligeant même de dire si elle en avait tenu compte. Étant tenue de motiver son rejet des déclarations sous serment faites par le requérant, déclarations à l'égard desquelles il existe une présomption de véracité, la Section du statut n'a pas suivi le critère exposé, dans l'arrêt Maldonado (précité), par le juge Heald.

[18]            Selon le défendeur, la conclusion de la Commission concernant la connaissance par le demandeur du sens de l'acronyme CID (il a dit que cela signifiait « espionnage » , ce que la Commission a considéré dépasser l'entendement), et sa conclusion selon laquelle, si le CID soupçonnait réellement le demandeur de porter assistance aux TLET, il ne l'aurait « pas libéré et autorisé à demeurer à Colombo pendant deux semaines » sont des éléments clés de la décision qu'on ne pourrait qualifier d'abusifs ou de manifestement déraisonnables.

[19]            Cela soulève deux problèmes. Il est difficile de conclure d'une décision ne consacrant que deux courts paragraphes aux éléments « clés » , qu'il s'agit bien là pour la Commission de tels éléments clés. Mais plus important encore, la Commission ne mentionne pas pourquoi elle rejette le témoignage du demandeur à cet égard. Elle déclare simplement que le demandeur « n'a pas fourni de réponse raisonnable » au sujet de sa mise en liberté et que la « preuve documentaire ne corrobore pas (ses) allégations » .


[20]            Cela ne suffit pas, particulièrement si, tel que le défendeur le prétend, ces questions constituent les éléments clés de la décision.

[21]            Je conclus que la Commission n'a pas fait état adéquatement de la preuve documentaire présentée par le demandeur, et qu'elle a ainsi commis une erreur de droit. La Commission n'a pas motivé non plus de façon appropriée certaines de ses affirmations quant aux réponses formulées par le demandeur, et quant à la preuve documentaire, n'étayant pas selon ses dires les prétentions du demandeur relativement à la façon dont le CID l'a traité. Cela aussi constituait une erreur de droit.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du 16 août 2002 est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

2.         Aucune question n'est certifiée.

                                                                                      « James Russell »             

                                                                                                             Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-4620-02

INTITULÉ :              GANESHALINGAM PONNIAH

                                                                                                  demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE MERCREDI 23 JUILLET 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS ET

DE L'ORDONNANCE :                                  LE 2 SEPTEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

M. Linus Ward-Anderson                                                Pour le demandeur

M. Brad Gotkin                                                    Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Linus Ward-Anderson                                                 Pour le demandeur

Roach, Schwartz & Associates

Avocats

688, avenue St.Clair Ouest

Toronto (Ontario)    M6C 1B1

Morris Rosenberg                                                 Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                   Date : 20030902

Dossier : IMM-4620-02

ENTRE :

GANESHALINGAM PONNIAH

                                             demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                              défendeur

                                                                         

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                         


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