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Date : 20000111


Dossier : IMM-1664-99



Entre :

     OFELIA ARUTINOVA, MARINA ARUTINOVA,

     IRENE ARUTINOVA

     Partie demanderesse

Et:


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Partie défenderesse




     MOTIFS D'ORDONNANCE



LE JUGE ROULEAU


[1]      Il s'agit en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire en application de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration à l'encontre d'une décision de la Section du statut de réfugié (le tribunal) rendue le 8 mars 1999 selon laquelle les demanderesses ne sont pas des réfugiées au sens de la Convention.

[2]      Les demanderesses, Ofelia Arutinova, Marina Arutinova et Irène Arutinova, sont citoyennes de Géorgie et vivent dans la région de Tbilissi. Elles revendiquent le statut de réfugié en raison de leur nationalité arménienne. En effet, elles allèguent avoir une crainte de persécution du fait qu'elles auraient été victimes d'insultes, de discrimination, de menaces, d'agression et d'incitation à quitter leur pays de la part de voisins et de membres de groupes nationalistes, et ce, en raison de leur nationalité arménienne.

[3]      Le 22 décembre 1997, l'époux de la demanderesse Marina aurait été tué au cours d'une agression par l'un des quatre individus qui se seraient introduits dans l'appartement de la famille Arutinova. La police aurait arrêté ces individus mais n'aurait accusé qu'un seul. Ce dernier aurait été libéré après 45 jours de séjour dans un hôpital psychiatrique. Il serait le neveu du procureur du district et un membre actif d'un mouvement nationaliste.

[4]      Le 24 mars 1998, l'époux d'Irène aurait été assassiné avec une arme à feu dans la rue par l'un des quatre agresseurs. Les demanderesses affirment s'être vues refuser l'aide des autorités policières. Elles affirment qu'un policier leur auraiti répondu: "Nous en avons assez de vos plaintes, allez-vous en les arméniens".1

[5]      Ainsi, craignant pour leur vie, elles auraient quitté la Géorgie le 8 juin 1998, pour arriver au Canada où elles ont demandé le statut de réfugié le 10 juin 1998.

[6]      Le tribunal a conclu que les demanderesses n'ont pas démontré qu'elles craignaient d'être persécutées à cause de leur nationalité arménienne.

[7]      Le tribunal a souligné qu'afin d'établir une crainte de persécution les demanderesses devaient démontrer l'incapacité de l'État à les protéger. Selon le tribunal, elles ont reçu l'aide et la protection de la police puisque les présumés agresseurs auraient été arrêtés et il n'a pas été démontré que l'État ne voulait pas ou ne pouvait pas protéger les demanderesses.

[8]      Le tribunal remarque que les demanderesses n'auraient pas porté plainte ou tenté de connaître les raisons de la libération du présumé meurtrier de l'époux de Marina. En ce qui concerne l'incident du 23 mars 1998 lors duquel l'époux d'Irène serait décédé, les demanderesses n'auraient pas tenté obtenir de renseignements concernant l'enquête parce qu'elles auraient été traitées comme des criminelles.

[9]      Le tribunal a donc rejeté les explications des demanderesses n'ayant pas été convaincu que l'État ne pouvait pas assurer leur protection. De plus, le tribunal affirme n'accorder aucune crédibilité aux demanderesses car la preuve documentaire ne supporterait pas leurs allégations.

[10]      Les demanderesses ont déposé un certificat médical ainsi que les certificats de décès de leurs époux. Toutefois, selon le tribunal, ces documents n'établissent pas que les blessures ayant causé la mort des époux ont un lien quelconque avec les situations de persécution.

[11]      Le tribunal déclare que la preuve est insuffisante pour établir que le retour des demanderesses en Géorgie entraînerait des risques de persécution.

[12]      Le tribunal a mentionné que les documents ne démontrent aucun problème de discrimination dans la région de Tbilissi. Or, les demanderesses allèguent que la pièce P-30 révèle que certains problèmes existent à Tbilissi. Elles s'appuient sur l'arrêt Muzychka c. M.C.I., IMM-1113-96, 7 mars 1997, pour affirmer que le tribunal a erré dans ses conclusions.

[13]      Les demanderesses soutiennent que le tribunal se devait d'expliquer dans ses motifs les raisons pour lesquelles il accordait plus de crédibilité à la preuve documentaire qu'aux témoignages oraux. À cet égard, elles citent l'affaire Agranovski c. M.E.I., IMM-2709-95, dans laquelle Madame la juge Tremblay-Lamer écrivait:

En choisissant de croire la preuve documentaire au lieu du témoignage oral du requérant, la Commission se devait de donner des motifs pour ce choix. Ce principe est claire de l'affaire Okyere-Akosah c. M.E.I. dans laquelle la Cour d'appel fédérale a statué à la page 389: "Since there is a presumption as to the truth of the appellant's testimony (...) The Board was bound to state in clear and unmistakable terms why it preferred the documetnary evidence over the appellant's testimonial evidence"."

[14]      Les demanderesses prétende que le tribunal s'est appuyé sur un élément de preuve qui n'est pas récent, soit la pièce A-5. Cette preuve date de mai 1996. Il appert que le procureur des demanderesses aurait soulevé ce point lors de l'audience sans que le tribunal n'y réponde.

[15]      Elles citent des extraits des pièces P-26 et P-30 pour démontrer que le tribunal a erré en déclarant qu'il n'y avait pas de preuve convaincante sur la crainte de persécution. Elles citent un extrait de la pièce P-26: "... in his word the law is ignored altogether in Georgia". Elles citent ensuite la pièce P-30: "Les hommes d'état et d'église sont explicitement impliqués dans le processus de destruction de monuments...".

[16]      Les demanderesses maintiennent qu'il est faux de dire que la police pouvait les aider puisqu'un agent leur aurait dit "Nous en avons assez de vos plaintes, allez-vous en les arméniens".

[17]      Le défendeur fait valoir le fait que le tribunal pouvait conclure que les demanderesses n'avaient pas démontré l'incapacité de l'État géorgien à les protéger. Il invoque la décision Canada v. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, pour rappeler qu'en matière de protection étatique il existe une présomption voulant qu'en l'absence d'une preuve claire et convaincante à l'effet contraire, les états sont présumés capables de protéger leurs ressortissants. Il cite ensuite l'arrêt M.C.I. c. Kadenko (1997), 206 N.R. 272 (C.A.F.):

Lorsque l'État en cause est un état démocratique comme en l'espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membre du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l'État en cause.

[18]      Ainsi, tel qu'indiqué dans la décision du tribunal, les demanderesses ont vu la protection de l'État se concrétiser lors d'un premier incident. En ce qui a trait au deuxième incident, le défendeur souligne que les autorités policières ont initié une enquête mais les demanderesses n'ont pu fournir qu'une description générale des agresseurs. Tout comme le tribunal le démontre, les demanderesses n'ont demandé aucun renseignement concernant l'enquête par la suite.

[19]      Le tribunal a fondé sa décision sur l'absence de crédibilité des allégations de persécution des demanderesses vu leur nationalité, en raison de l'incompatibilité de ces allégations avec la preuve documentaire. Le défendeur maintient que le tribunal est en droit de préférer la preuve documentaire au témoignage d'un revendicateur. Il soutient qu'une simple lecture des motifs du tribunal permet de constater qu'il a suffisamment motivé sa décision et affirme que les raisons qui l'ont mené à conclure à l'absence de crédibilité sont expliquées.

[20]      En ce qui concerne les allégations des demanderesses selon lesquelles la pièce P-30 contredirait la conclusion du tribunal, le défendeur affirme qu'elles ne sont pas fondées. Tout d'abord, il remarque que la traduction de la pièce P-30 est incomplète. De plus, l'extrait de cette pièce auquel les demanderesses font référence serait en fait de l'information puisée par l'auteur de l'article dans un volume décrivant l'action "anti-arménienne" de 1988 à 1998.

[21]      Le défendeur soutient que les demanderesses n'ont pas démontré que la preuve plus récente qu'elles ont déposée contredit la conclusion du tribunal selon laquelle il n'y avait pas de problèmes dans les régions comme Tbilissi.

[22]      La pièce P-30 est un résumé daté du 23 septembre 1998 d'un livre démontrant le vandalisme et la destruction de certains monuments et églises arméniens durant la dernière décennie. Une simple référence à Tbilissi y est faite, soit la mention qu'un cimetière fut vandalisé. Je ne suis pas convaincu que cette preuve soit suffisante pour contredire les conclusions du tribunal selon lesquelles il n'y a pas de problèmes sérieux en Tbilissi.


[23]      Il a été clairement établi par la jurisprudence qu'un tribunal est en droit de privilégier la preuve documentaire au témoignage d'un revendicateur; Zhou v. Canada (M.E.I.), [1994] F.C.J. No. 1087 (F.C.A.), Victorov v. Canada (M.C.I.), [1995] F.C.J. No. 900. Bien que les demanderesses soient d'avis que le tribunal n'a pas expliquer ce choix, il appert que ce dernier a affirmé que la preuve documentaire ainsi que les témoignages oraux étaient insuffisants pour démontrer une crainte bien fondée de persécution. Le tribunal a de plus déclaré qu'aucune crédibilité n'était accordée aux demanderesses en raison de la preuve documentaire. À cet égard, il a cité quatre extraits de la preuve documentaire qui souligne l'absence de problèmes sérieux vécus par les arméniens en raison de leur nationalité.

[24]      La pièce A-5 contestée par les demanderesses provient du United States Department of State et fut écrit en mai 1996. Ce document contient le texte suivant:

Based on reporting available to us, Armenians are not being mistreated on an ethnic basis.

[25]      La pièce P-26 mentionne qu'en Géorgie les droits des prisionniers sont souvent violés. Or, cet article ne faisant état que de la condition des prisonniers, il ne s'agit donc pas d'une preuve pouvant servir à corroborer les allégations des demanderesses à l'effet que les citoyens de la Géorgie sont persécutés en raison de leur nationalité.

[26]      La pièce P-30 quant à elle rapporte uniquement des actes de vandalisme commis sur des monuments arméniens. Encore une fois, il ne s'agit pas de preuve démontrant une possibilité de persécution pour les arméniens en Géorgie.

[27]      Le tribunal a conclu ne pas être convaincu que la protection de l'État ne pourrait être raisonnablement assurée. La preuve révèle que l'individu qui aurait tué l'époux de la demanderesse a fait un séjour dans un hôpital psychiatrique. Dans le cas du meurtre de l'époux d'Irène, il appert que la police ait tenté de faire enquête, toutefois en raison du manque d'information sur les agresseurs, aucune arrestation n'a pu être effectuée. Les demanderesses se sont plaintes du fait qu'un agent de police leur aurait dit: "Nous en avons assez de vos plaintes, allez-vous en les arméniens". À ce sujet, je me dois de citer le juge Décary de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire M.C.I. c. Kadenko (1997), 206 N.R. 272:

Lorsque l'État en cause est un état démocratique comme en l'espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l'État en cause.

[28]      Les demanderesses avaient le fardeau de produire des éléments de preuve clairs et convaincants sur l'incapacité de leur pays à protéger ses citoyens; Canada c. Ward, [1993] 2 S.C.R. 689. Cet arrêt a établi le principe suivant:

Le demandeur doit confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer sa protection, en l'absence d'un aveu en ce sens par l'État dont il est le ressortissant. Sauf dans le cas d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.

[29]      Je suis satisfait que les conclusions du tribunal sont bien fondées en fait et en droit. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.







                                     JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 11 janvier 2000

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     1 Voir notes sténographiques p. 79 et affidavit de Marina Arutinova.

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