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Date : 20031002

Dossier : T-1258-02

Référence : 2003 CF 1128

ENTRE :

COLLEEN GRACE KOOTENHAYOO, aussi appelée COLEEN KOOTENAY, RACHEL JONES et CELINA M. POTTS

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

GORDON A. ALGER, DORIS AGINAS, LOIS KOOTENAY, SANDY WAYNE ALEXIS, BARBARA PAUL, DARRYL POTTS, DARWIN ALEXIS, CHARLIE LETENDRE et RODERICK ALEXIS

                                                                                                                                          défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE KELEN

[1]                Les demanderesses sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du défendeur Gordon A. Alger, fonctionnaire électoral, de ne pas nommer une commission d'appel en matière électorale au motif que les demanderesses n'ont pas fait appel à l'intérieur du délai d'appel fixé par le Règlement électoral coutumier de la Première nation Alexis (le Règlement électoral).

[2]                Cette demande se rapporte à des élections générales qui avaient été fixées au 18 juin 2002 par la Première nation Alexis (la bande) pour combler les postes de chef et de sept conseillers de la bande, ainsi qu'à un deuxième tour de scrutin tenu le 8 juillet 2002.


LES DEMANDERESSES

[3]                Les trois demanderesses sont membres de la bande. Deux d'entre elles, Rachel Jones et Celina Potts, se sont présentées, sans succès, aux postes de conseillères de la bande lors des élections générales du 18 juin 2002. La troisième demanderesse, Coleen Kootenay, avait exprimé le souhait de se porter candidate à un poste de conseillère, mais avait été informée par le fonctionnaire électoral qu'elle n'était pas éligible parce qu'elle n'habitait pas dans un rayon de cent kilomètres de la réserve indienne Alexis n ° 133, ainsi que l'exige le paragraphe 6.4 du Règlement électoral.

LES DÉFENDEURS

[4]                Dans cette action, les défendeurs sont l'actuel chef et l'actuel conseil de la bande, ainsi que le fonctionnaire électoral pour les élections générales du 18 juin 2002 et le deuxième tour de scrutin du 8 juillet 2002. Ce sont :

a) Roderick Alexis, élu chef de la bande aux élections générales du 18 juin;

b) Doris Aginas, Lois Kootenay, Sandy Wayne Alexis, Barbara Paul, Darryl Potts et Darwin Alexis, élus conseillers de la bande aux élections du 18 juin;

c) Charlie Letendre, qui a obtenu le même nombre de voix que son frère Lonnie Letendre pour le dernier poste de conseiller aux élections du 18 juin, mais qui l'a finalement emporté au deuxième tour tenu le 8 juillet 2002;


d) le défendeur restant, Gordon A. Alger, qui est le premier dirigeant de la société First Nations Governance Inc. et qui a été engagé par la bande comme directeur général des élections du 18 juin 2002. Il n'est pas membre de la bande et n'a pas de liens personnels avec la bande ni aucun des candidats aux élections générales du 18 juin. Avant d'établir sa propre entreprise, M. Alger avait travaillé durant 21 ans pour le ministère des Affaires indiennes et du Nord, période au cours de laquelle il avait pour tâche de surveiller les élections au sein des bandes dans le nord-ouest de la Saskatchewan. Selon ses estimations, il est intervenu dans quelque 200 à 300 élections et référendums de premières nations et a mené des enquêtes électorales qui portaient sur des allégations d'irrégularités électorales. M. Alger a aussi occupé le poste de fonctionnaire électoral aux élections générales de la Première nation Alexis tenues en 1998, ainsi qu'à des élections partielles tenues en 2000.

POINTS LITIGIEUX

[5]                La question soulevée dans cette demande concerne les tentatives des demanderesses de faire appel du résultat des élections générales. Elles disent que les élections ont été entachées d'irrégularités parce qu'un traducteur des membres de la bande qui ne parlaient que le Stoney n'était pas là, que des électeurs inhabiles à voter et des personnes ivres ont été autorisées à voter et que certains électeurs ont été achetés. Les deux points suivants se font jour :


1.          la bonne interprétation du délai de dépôt d'un avis d'appel en ce qui concerne les élections; et

2.          le fonctionnaire électoral a-t-il donné des raisons de croire que le délai de dépôt de l'avis d'appel entre ses mains ne commencerait à courir qu'à la date du deuxième tour de scrutin? Cette question comprend celle de savoir si le défendeur Alger a dit à la demanderesse Kootenay qu'elle devait attendre le deuxième tour avant de faire appel.

LES RÈGLES ÉLECTORALES APPLICABLES

[6]                Les paragraphes 13.1 et 13.2 du Règlement électoral codifient les griefs d'appel possibles et la procédure officielle de dépôt d'un appel :

[traduction]

13.           APPELS EN MATIÈRE ÉLECTORALE

13.1         Délai d'appel et griefs d'appel

Dans un délai de cinq (5) jours consécutifs, y compris le jour du scrutin, tout électeur peut faire appel du résultat des élections, des élections partielles ou du deuxième tour de scrutin, en alléguant les griefs suivants :

13.1.1       une erreur a été commise dans l'interprétation ou l'application du présent règlement, erreur qui a sensiblement et directement influé sur la tenue et le résultat des élections; ou

13.1.2       un candidat n'était pas éligible en application du paragraphe 6.4; ou

13.1.3       un candidat s'est rendu coupable de corruption électorale ou de complicité de corruption électorale, ce qui comprend notamment les pots-de-vin, les menaces et l'intimidation à l'égard de candidats, d'électeurs, du fonctionnaire électoral ou d'agents de scrutin; ou

13.1.4       certaines personnes ont voté alors qu'elles n'étaient pas habiles à voter; ou


13.1.5       toute autre circonstance, événement ou action qui a modifié irrégulièrement et directement la conduite et le résultat des élections.

13.2        Avis d'appel

13.2.1       Un avis d'appel en forme écrite, signé par l'appelant, doit être transmis au fonctionnaire électoral, avec indication des griefs d'appel, et accompagné d'un dépôt de trois cents dollars (300 $) en espèces.

13.2.2       L'avis d'appel doit être reçu par le fonctionnaire électoral dans les trois (3) jours qui suivent le jour du scrutin.

LE DÉLAI D'APPEL

[7]                Il y a une contradiction entre le délai d'appel indiqué au paragraphe 13.1 et celui indiqué au paragraphe 13.2.2 du Règlement électoral, mais cette contradiction est sans conséquence sur la présente demande. Les demanderesses disent que le délai d'appel à retenir est le délai de cinq jours, et les défendeurs partagent ce point de vue. Selon M. Alger, le délai d'appel signifie une durée de cinq jours, et j'admets que c'est là la bonne interprétation du Règlement électoral.

LES AVIS D'APPEL


[8]                Après qu'est reçu un avis d'appel en la forme requise, le fonctionnaire électoral doit, selon le Règlement électoral, nommer un comité d'appel en matière électorale. Les demanderesses ont tenté à plusieurs reprises, sans succès, de faire appel du résultat des élections du 18 juin. Mme Potts a transmis par télécopieur un avis d'appel à M. Alger le 23 juin 2002, mais l'avis d'appel a été refusé parce qu'il n'avait pas été reçu à l'intérieur du délai d'appel fixé au paragraphe 13.1 et qu'il n'était pas accompagné du dépôt requis. Quatre membres de la bande, dont Mme Potts et Mme Jones, ont envoyé une lettre d'appel à M. Alger le 27 juin 2002. L'appel a de nouveau été refusé parce qu'il avait été introduit hors délai et qu'il n'était pas accompagné du dépôt requis. Le 11 juillet 2002, M. Alger recevait de Mme Kootenay une lettre non datée indiquant qu'elle souhaitait faire appel du résultat des élections du 18 juin. Mme Kootenay écrivait que son appel était fondé sur la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-6, et que, selon ce qu'elle croyait comprendre, elle avait « deux semaines pour faire appel du résultat des élections du 18 juin 2002 » . M. Alger a répondu à Mme Kootenay, dans une lettre datée du 12 juillet 2002, que les élections de la bande se déroulaient en conformité avec le Règlement électoral et que son avis d'appel était invalide parce qu'il avait été déposé en dehors du délai d'appel et qu'il n'était pas accompagné du dépôt requis. Les demanderesses ne contestent pas que ces avis d'appel étaient défectueux.

[9]                L'avis d'appel en question ici est une lettre de Mme Kootenay datée du 9 juillet 2002, à laquelle est jointe la lettre du 27 juin 2002 des deux autres demanderesses. Ces lettres, ainsi qu'un dépôt de 300 $, ont été envoyées par courrier recommandé à la boîte postale de M. Alger, à Meadow Lake, en Saskatchewan, le 10 juillet 2002. Elles sont arrivées au bureau de poste de Meadow Lake le 12 juillet 2002 et ont été retirées par M. Alger le 17 juillet 2002. Dans sa lettre, Mme Kootenay disait qu'elle faisait appel du résultat des élections générales tenues le 18 juin, et cela en raison de malversations. Le deuxième tour de scrutin qui s'était déroulé le 8 juillet est mentionné dans la ligne objet de la lettre, mais Mme Kootenay ne s'est pas opposée au résultat du deuxième tour.


DÉCISION CONTESTÉE

[10]            La décision contestée se trouve dans une lettre du défendeur Alger, en date du 17 juillet 2002, adressée à la demanderesse Kootenay, lettre où l'on peut lire que l'avis d'appel « ne répondait pas aux exigences des articles 13.1 et 13.2 du Règlement électoral coutumier de la Première nation Alexis » . Le défendeur Alger estimait que le délai de cinq jours fixé pour les appels à l'encontre des résultats électoraux commençait à courir à la date des élections générales, non à celle du deuxième tour.

ANALYSE

La bonne interprétation du délai d'appel

[11]            Le premier argument des demanderesses est que, selon les dispositions du Règlement électoral, le délai d'appel se rapportant aux élections générales ne commence à courir qu'à l'achèvement du deuxième tour de scrutin s'il y en a un. Elles disent que le « processus électoral tout entier » n'a pris fin que le 8 juillet et que le délai d'appel a donc expiré le 12 juillet, date à laquelle l'avis d'appel est arrivé au bureau de poste de Meadow Lake.


[12]            Je ne partage pas cet avis. La seule interprétation possible du paragraphe 13.1 est que le délai d'appel commence à courir le jour des élections générales visées par l'appel, qu'un deuxième tour ait lieu ou non. En disant qu'un électeur peut faire appel « du résultat des élections, des élections partielles ou du deuxième tour de scrutin » , au paragraphe 13.1, les rédacteurs du Règlement électoral voyaient à l'évidence chacun de ces rendez-vous électoraux comme un événement distinct et songeaient à la possibilité que l'un quelconque des trois événements donne lieu à un appel. L'interprétation la plus logique du paragraphe 13.1 est que le délai d'appel est conçu pour commencer à courir à la date de l'événement qui est l'objet de l'appel, c'est-à-dire à la date des élections générales, à celle des élections partielles ou à celle du deuxième tour. Par ailleurs, il serait absurde de soutenir que l'appel à l'encontre de résultats électoraux doit être différé jusqu'après la tenue d'un deuxième tour de scrutin quand un appel qui serait accueilli à l'encontre du résultat des élections initiales pourrait supprimer la nécessité d'un deuxième tour. Il est évident que cette circonstance était envisagée par les rédacteurs du Règlement lorsqu'ils ont fixé au paragraphe 12.3 le délai de l'annonce d'un deuxième tour :

[traduction]

12.3         Avis de deuxième tour

Dans un délai de sept (7) jours après le scrutin précédent ou après la date de la décision afférente du comité d'appel en matière électorale, le fonctionnaire électoral affichera un avis de deuxième tour, de la même manière, en la même forme et aux mêmes endroits que l'avis initial d'élections dont fait état le paragraphe 8.1.2. [Italique ajouté.]

Je suis d'avis que M. Alger a eu raison de calculer le délai d'appel en se servant de la date du premier tour du scrutin.


[13]            Il est bien établi en droit que la méthode moderne d'interprétation des lois consiste à rechercher l'intention du législateur, en lisant les termes d'une loi dans leur contexte global, selon le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur. Voir l'arrêt R. c. Jarvis [2002] C.S.C. 73, au paragraphe 77. La Première nation Alexis a codifié dans son Règlement électoral de 1997 ses coutumes et traditions relatives à l'élection d'un chef et d'un conseil. La bande a indiqué, pour le dépôt d'un avis d'appel à l'encontre du résultat d'élections générales, d'élections partielles ou d'un deuxième tour, un délai de cinq jours à compter du jour du scrutin. La conjonction « ou » donne à entendre qu'il faut considérer trois genres d'élections. L'un des objets de la brièveté d'un délai est que tout différend soit contesté immédiatement, examiné immédiatement et résolu immédiatement. De plus, par l'article 13.2, on s'assure que l'avis d'appel n'est pas frivole, en exigeant un dépôt de 300 $, et l'on précise que l'avis d'appel doit être reçu par le fonctionnaire électoral dans les trois jours qui suivent le jour du scrutin. Pour les raisons exposées ci-haut, ce délai de « trois jours » contredit le délai de « cinq jours » indiqué dans la section 13.1, et, selon la Cour, la bonne interprétation de cette contradiction ou ambiguïté est que le délai d'appel est de cinq jours à compter du jour du scrutin. Mais il s'agit de cinq jours à compter du jour du scrutin qui fait l'objet de l'appel, et le deuxième tour de scrutin est manifestement considéré par le Règlement électoral comme des élections qui ne sont pas les élections générales. À mon avis, cette interprétation du délai d'appel rend compte du sens ordinaire des mots, ainsi que de l'esprit et de l'objet du Règlement électoral.

ATTENTES LÉGITIMES

[14]            Les demanderesses disent aussi que M. Alger leur a donné des raisons de croire que le délai d'appel ne commencerait à courir qu'à la date du deuxième tour de scrutin. La preuve des demanderesses sur ce point figure dans les paragraphes 9 et 10 d'un affidavit établi sous serment par Mme Rachel Jones le 4 septembre 2002 :

[traduction]

9.              Je suis informée par Coleen Kootenay, et je crois sincèrement, que, immédiatement après les élections du 18 juin 2002, Coleen Kootenay s'est adressée au fonctionnaire électoral pour lui dire qu'elle souhaitait introduire une procédure d'appel en raison des nombreuses irrégularités qui s'étaient produites au cours des élections. Le fonctionnaire électoral a alors remis à Coleen Kootenay sa carte d'affaires, en lui disant qu'il lui faudrait attendre jusqu'après le deuxième tour de scrutin pour introduire une procédure d'appel. Coleen Kootenay lui a dit alors qu'elle transmettrait une lettre au fonctionnaire électoral. Est annexée ci-joint, sous la cote « G » , une copie de la lettre transmise par Coleen Kootenay au fonctionnaire électoral.

10.            Je suis informée par Celina Potts, et je crois sincèrement, que le lendemain des élections du 18 juin 2002, Celina Potts a communiqué avec Gordon Alger pour l'informer qu'elle avait de nombreux doutes sur la tenue des élections et qu'elle voulait faire appel des résultats électoraux. Celina Potts fut alors invitée par Gordon Alger à lui envoyer une lettre exposant ses sujets de préoccupation, mais qu'il n'était pas nécessaire d'envoyer de l'argent ou d'introduire une procédure d'appel en bonne et due forme puisqu'il devait y avoir un deuxième tour de scrutin et que « les élections de 2002 ne sont pas terminées tant que le deuxième tour de scrutin n'a pas eu lieu » .

[15]            M. Alger conteste la déposition de Mme Jones. Aux paragraphes 40 et 41 de son affidavit, il disait :

[traduction]

40.            S'agissant de l'affirmation selon laquelle Coleen Kootenay est venue m'informer qu'elle souhaitait faire appel tout de suite après les élections du 18 juin, je dis que Coleen Kootenay est venue me trouver le jour des élections, c'est-à-dire le 18 juin 2002, pour me dire qu'elle entendait faire appel. Coleen Kootenay m'a dit aussi qu'elle entendait faire appel bien avant le jour des élections, après que je l'eus informée qu'elle ne pouvait se porter candidate aux élections. Chaque fois que Coleen Kootenay avait l'occasion de s'adresser à moi, elle me disait qu'elle entendait faire appel.

41.            Je démens avoir jamais dit à Coleen Kootenay qu'il lui faudrait attendre que le deuxième tour de scrutin ait eu lieu. Ma réponse à Coleen Kootenay a été la même réponse que celle que j'ai donnée à toute personne manifestant l'intention de faire appel - plus précisément, je lui ai dit qu'elle avait le droit d'introduire une procédure d'appel et qu'elle pouvait consulter un avocat pour l'aider en la matière.


Puis, au paragraphe 44 de son affidavit :

[traduction]

44.            S'agissant des allégations figurant au paragraphe 10 de l'affidavit de Rachel Jones, je ne me souviens pas avoir jamais parlé avec Celina Potts à propos d'un appel. Quoi qu'il en soit, je n'aurais pas dit à Celina Potts ou à quiconque que « les élections de 2002 ne sont pas terminées tant que le deuxième tour de scrutin n'a pas eu lieu » . Cette information est inexacte et je n'aurais pas donné une information que je savais être trompeuse. Je n'aurais pas non plus dit à Celina Potts ou à quiconque de verser le dépôt exigé par le Règlement. Cette information est inexacte et je n'aurais pas donné une information que je savais être trompeuse.

[16]            Les différends de cette nature qui portent sur des faits sont difficiles à régler sur la seule foi d'affidavits. M. Alger a été contre-interrogé sur son affidavit, et son témoignage sur ce qu'il a dit aux demanderesses et sur la date à laquelle il leur avait parlé a été plutôt vague. On peut comprendre qu'il ne se souvienne pas très bien de deux brèves conversations qu'il a eues avec elles alors qu'il s'occupait de deux élections pour la bande. Néanmoins, je suis enclin à croire la version des événements donnée par M. Alger. Comme je le mentionne plus haut, il a beaucoup d'expérience dans l'administration de scrutins pour les bandes et il a développé une réponse uniforme aux demandes d'introduction d'une procédure d'appel. Durant son contre-interrogatoire, il a fait les observations suivantes lorsqu'on l'a prié de préciser ce qu'il avait dit à Mme Kootenay (voir les pages 62 et 63 de la transcription) :

[traduction]

Q              Vous rappelez-vous si elle vous a dit le 18 juin qu'elle voulait faire appel et si vous lui avez remis votre carte d'affaires?

R              Oui, je lui ai remis ma carte d'affaires, et je lui ai dit aussi, toutes les fois qu'elle mentionnait le mot « appel » , qu'elle devrait consulter un avocat. Je donne la même réponse à tout le monde, je leur dis qu'ils ont le droit de faire appel.

[...]

Q              Que lui avez-vous dit exactement?

R              Je lui ai dit qu'elle avait le droit de faire appel, et que mon conseil, c'était qu'elle consulte un avocat.

Q              Et vous vous rappelez parfaitement lui avoir dit cela le 18 juin?


R              Oui. C'est précisément ce que je dis à quiconque mentionne le mot « appel » . Je leur dis qu'ils ont le droit de faire appel, et je leur conseille de consulter un avocat. [Non souligné dans l'original.]

[17]            Je préfère le témoignage de M. Alger à celui des demanderesses. Ni Mme Kootenay ni Mme Potts n'ont produit dans cette demande un affidavit sous serment, alors qu'elles avaient une connaissance personnelle des événements en question. Elles n'ont pas expliqué d'une manière satisfaisante les raisons pour lesquelles cette information figurait dans un affidavit de Mme Jones, qui était l'unique demanderesse n'ayant pas une connaissance personnelle des déclarations que M. Alger avait pu faire. Eu égard à la règle 81(2) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106 , je suis d'avis qu'il convient de tirer une conclusion défavorable de ce que les demanderesses n'ont pas produit d'affidavits de Mme Kootenay et de Mme Potts. Voici le texte de la règle 81(2) :


Poids de l'affidavit

(2) Lorsqu'un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.

Affidavits on belief

(2) Where an affidavit is made on belief, an adverse inference may be drawn from the failure of a party to provide evidence of persons having personal knowledge of material facts.



[18]            Les affirmations de Mme Kootenay et de Mme Potts contredisent aussi le comportement qu'elles ont eu entre le 18 juin et le 8 juillet. Il est difficile d'admettre qu'elles croyaient véritablement qu'une procédure d'appel ne pouvait être introduite qu'après le deuxième tour de scrutin, alors qu'elles ont tenté à plusieurs reprises avant le 8 juillet d'introduire une telle procédure. Elles n'ont pas fait état, dans aucune de leurs lettres d'appel, des présumées assurances de M. Alger relatives au délai d'appel, même après qu'elles eurent reçu de lui des réponses qui les informaient que le délai d'appel était expiré. De plus, aucune des lettres envoyées comme réponse par M. Alger ne mentionne que le délai d'appel ne commencerait à courir qu'après le deuxième tour de scrutin. Il semble inconcevable qu'il eût en si peu de temps modifié son interprétation du Règlement électoral, et il n'y a aucune raison de croire qu'il agissait d'une manière partisane. M. Alger n'avait aucun lien personnel avec la Première nation Alexis, et son entreprise pâtirait sans aucun doute d'un tel comportement de sa part. Je crois tout à fait l'exposé suivant du paragraphe 8 de son affidavit :

[traduction]

8.              Je connais bien la Première nation Alexis, grâce à mon travail de fonctionnaire électoral. Cependant, je ne suis pas membre de cette première nation, et je n'ai aucun lien personnel avec elle, ni avec son chef, son conseil ou ses membres. Je n'ai aucun intérêt personnel dans l'issue des élections, du deuxième tour de scrutin ou de la présente instance, si ce n'est mon engagement à accomplir mes devoirs de fonctionnaire électoral au mieux de mes capacités, et en accord avec mon éthique professionnelle, mes antécédents et mon expérience.

[19]            Par conséquent, les demanderesses n'ont pas démontré que le défendeur Alger les a confortées dans l'idée qu'elles devaient attendre la fin du deuxième tour de scrutin du 8 juillet pour déposer un avis d'appel à l'encontre des élections générales du 18 juin. Il n'est donc pas nécessaire pour la Cour de se demander si la prétention des demanderesses fondée sur le principe des attentes légitimes portait sur des droits matériels ou sur des points de procédure administrative. Le principe des attentes légitimes ne peut conduire à des droits matériels en dehors du domaine procédural : voir l'arrêt Baker c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, (1999) 2 R.C.S. 817, au paragraphe 26.


DISPOSITIF

[20]            Pour ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire de la décision du fonctionnaire électoral sera rejetée, avec dépens.

                                                                                                                           _ Michael A. Kelen _              

                                                                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-1258-02

INTITULÉ :                                           COLLEEN GRACE KOOTENHAYOO et autres

c.

GORDON A. ALGER et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 16 septembre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      Monsieur le juge Kelen

DATE DES MOTIFS :                          le 2 octobre 2003

COMPARUTIONS :

Nathan J. Whitling                                                                     POUR LES DEMANDERESSES

J. Trina Kondro                                                                         POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Parlee McLaws LLP

Edmonton (Alberta)                                                                   POUR LES DEMANDERESSES

Ackroyd, Piasta, Roth et Day

Edmonton (Alberta)                                                                   POUR LES DÉFENDEURS


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                          Date: 20031002

Dossier : IMM-1258-02

ENTRE :

COLLEEN GRACE KOOTENHAYOO et autres

                                                          demanderesses

- et -

GORDON A. ALGER et autres

                                                                  défendeurs

                                                                       

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                       


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