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Date : 20030417

Dossier : IMM-2790-02

Référence : 2003 CFPI 454

OTTAWA (ONTARIO), LE 17 AVRIL 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU                                     

ENTRE :

                                                                    HADIXHE NOGA

                                                                                                                                                  demanderesse

                                                                                   et

                                                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                             ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 30 mai 2002 dans laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention selon la définition donnée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi). La Commission a résumé comme suit les faits saillants de la revendication de la demanderesse.


[2]                 La demanderesse est une citoyenne de l'Albanie âgée de 71 (maintenant 72) ans. Elle prétend appartenir à une famille anticommuniste. Après l'effondrement du régime communiste, tous les membres de sa famille ont adhéré au Parti démocratique (le PD). La demanderesse est devenue membre de ce parti en mai 1993. Elle soutient avoir participé à de nombreuses réunions et conférences tenues par l'Organisation des femmes du parti démocratique. Comme elle a parlé tout haut des horreurs du régime communiste, elle s'est taillé dans la région une réputation de farouche partisane du PD.

[3]                 La demanderesse prétend qu'en mars 1997, elle se trouvait à la maison en compagnie de son petit-fils quand un cocktail Molotov a été lancé à l'intérieur. Son petit-fils a été blessé et sa maison a été dévastée par les flammes. La demanderesse s'est alors cachée. Au cours du même mois, la demanderesse et sa famille se sont rendus en Turquie. En juin 1997, le fils de la demanderesse a quitté la Turquie à destination du Canada. Il a revendiqué le statut de réfugié dès son arrivée et la Commission a accueilli sa revendication. Au cours des années, les autres membres de sa famille ont rejoint son fils au Canada et elle s'est retrouvée seule en Turquie. Parce qu'elle avait peur de rester seule en Turquie, elle est retournée en Albanie en juin 1999 et elle est allée vivre chez sa soeur, à Borsh.

[4]                 La demanderesse a également témoigné que la population de la région entourant le village était surtout constituée de sympathisants socialistes et que son arrivée n'est pas passée inaperçue. Elle a même été abordée par la femme d'un socialiste convaincu, qui a commencé à l'agresser verbalement. En novembre 1999, une bombe a été placée dans la maison de sa soeur. Son neveu a été tué et la moitié de la maison a été détruite. La demanderesse croit que les socialistes prenaient la maison pour cible parce qu'elle-même s'y trouvait. Cet incident l'a décidée à quitter le pays. Ses frères l'ont aidée à se procurer un faux passeport et, le 25 décembre 1999, elle a pris l'avion pour le Canada. À son arrivée, elle est tombée extrêmement malade et elle a été malade jusqu'en février 2000. Elle a revendiqué le statut de réfugié une fois qu'elle a été rétablie.


[5]                 Comme nous l'avons mentionné précédemment, la demanderesse prétend qu'elle était membre du PD et que, pour cette raison, le gouvernement socialiste la prenait pour cible. Toutefois, la Commission a décidé que « son profil, ses antécédents et ses activités politiques au sein du PD n'appuient aucunement [l']allégation [selon laquelle le gouvernement socialiste la prenait pour cible » .

[6]                 Premièrement, la Commission était prête à admettre qu'une explosion, survenue en mars 1997, avait mis le feu à la maison de la demanderesse à Tirana, mais elle n'a pas cru que la bombe visait personnellement la demanderesse. À cet égard, la Commission a noté :

Le tribunal soupçonne que les socialistes avaient l'intention de blesser le fils de la revendicatrice ou de lui envoyer un message, et ce dernier est par la suite parti pour le Canada et a été accepté comme réfugié. La conclusion du tribunal à cet égard est appuyée par le retour volontaire de la revendicatrice en Albanie, en juin 1999.

[7]                 J'estime qu'il était loisible à la Commission d'inférer que l'attaque à la bombe de 1997 visait le fils de la demanderesse, et non pas la demanderesse. La question est maintenant de savoir si les conclusions de la Commission relativement à la deuxième attaque à la bombe en 1999 sont manifestement déraisonnables.

[8]                 Le raisonnement de la Commission doit être considéré dans son ensemble. Il est formulé comme suit :

Relativement au second et dernier incident, qui a occasionné le récent départ d'Albanie de la revendicatrice, le tribunal n'était pas convaincu que la bombe, qui avait été placée dans la maison de la soeur de la revendicatrice en novembre 1999, avait la revendicatrice pour cible. Le tribunal fait remarquer que la revendicatrice est une dame de 71 ans sans profil politique notoire suffisant pour constituer une menace pour le gouvernement ou attirer l'attention des membres du Parti socialiste.

La preuve documentaire confirme que le gouvernement est susceptible de cibler des activistes politiques ou des journalistes qui constituent une menace pour son autorité. La revendicatrice ne tombe toutefois dans aucune de ces catégories. Considérant ce qui précède, le tribunal conclut que la crainte fondée de persécution de la revendicatrice au motif de ses opinions politiques réelles ou présumées, ou en raison de son appartenance à un groupe social, si elle devait retourner en Albanie, ne repose pas sur un fondement objectif suffisant.


[9]                 La demanderesse prétend que la conclusion de la Commission selon laquelle la deuxième attaque à la bombe ne pouvait la viser est manifestement déraisonnable. Je ne suis pas d'accord. L'allégation que la demanderesse était personnellement visée par le gouvernement socialiste ou par des membres du Parti socialiste relève entièrement de la conjecture. Les auteurs des attaques demeurent inconnus. On ne sait pas très bien pourquoi ils s'en prennent à une dame de 71 ans sans profil politique notoire. Dans la présente affaire, la Commission a examiné la preuve documentaire, y compris un rapport d'Amnesty International soumis par la demanderesse. Le rapport indique que le gouvernement peut s'en prendre à des activistes politiques ou des journalistes connus qui constituent une menace pour son autorité. Le rapport décrit un certain nombre d'incidents, dont ceux visant un secrétaire du PD âgé de 37 ans, un journaliste de la télévision, un militant de 38 ans qui scandait des slogans lors d'une manifestation, et le président de la section locale du PD pour Tropoja (pièce C-3, aux pages 126 à 154 : site Web d'Amnesty International, 2001-05-18, Albania, Torture and ill-treatment-an end to impunity?, dossier certifié, aux pages 135 à 141). Il était donc loisible à la Commission, compte tenu du profil particulier de la demanderesse, de ses antécédents, de ses activités et de la preuve documentaire au dossier, de conclure qu'elle n'était pas prise pour cible par le gouvernement socialiste ou par des membres du Parti socialiste. Par conséquent, il était raisonnable pour la Commission de conclure que la crainte de persécution de la demanderesse au motif de ses opinions politiques réelles ou présumées, ou en raison de son appartenance à un groupe social, si elle devait retourner en Albanie, ne reposait pas sur un fondement objectif suffisant.

[10]            L'avocat de la demanderesse prétend également que la Commission n'a pas donné le bénéfice du doute à sa cliente. Le HCNUR, au paragraphe 196 de son Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié (le Guide), affirme :

C'est un principe général de droit que la charge de la preuve incombe au demandeur. Cependant, il arrive souvent qu'un demandeur ne soit pas en mesure d'étayer ses déclarations par des preuves documentaires ou autres, et les cas où le demandeur peut fournir des preuves à l'appui de toutes ses déclarations sont l'exception bien plus que la règle. [...] Cependant, même cette recherche indépendante peut n'être pas toujours couronnée de succès et il peut également y avoir des déclarations dont la preuve est impossible à administrer. En pareil cas, si le récit du demandeur paraît crédible, il faut lui accorder le bénéfice du doute, à moins que de bonnes raisons ne s'y opposent. [Non souligné dans l'original.]

[11]            Au paragraphe 204 du Guide, on ajoute :


Néanmoins, le bénéfice du doute ne doit être donné que lorsque tous les éléments de preuve disponibles ont été réunis et vérifiés et lorsque l'examinateur est convaincu de manière générale de la crédibilité du demandeur. Les déclarations du demandeur doivent être cohérentes et plausibles, et ne pas être en contradiction avec des faits notoires.

[12]            Comme l'a récemment expliqué le juge Snider dans la décision Sedigheh et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 239, aux paragraphes 54 à 56, le principe du bénéfice du doute s'applique dans un nombre limité de cas :

Les demanderesses soutiennent que le tribunal a commis une erreur en refusant de donner à la revendicatrice le bénéfice du doute. Dans l'arrêt Chan c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, la Cour suprême du Canada a cité avec approbation au paragraphe 142 les commentaires suivants du Guide du HCNUR :

Néanmoins, le bénéfice du doute ne doit être donné que lorsque tous les éléments de preuve disponibles ont été réunis et vérifiés et lorsque l'examinateur est convaincu de manière générale de la crédibilité du demandeur. Les déclarations du demandeur doivent être cohérentes et plausibles, et ne pas être en contradiction avec des faits notoires.

La doctrine est censée s'appliquer aux cas où le témoignage de la partie revendicatrice est compatible avec la preuve documentaire, mais où la preuve extrinsèque à l'appui de cette version est ténue. En d'autres termes, lorsque la version d'une partie revendicatrice est par ailleurs crédible, le tribunal doit donner le bénéfice du doute à cette partie. Cependant, la partie revendicatrice demeure tenue de prouver sa cause selon la prépondérance des probabilités (R c. Shwartz, [1988] 2. R.C.S. 443.

Les demanderesses n'ont pas précisé les aspects de leur revendication à l'égard desquels elles devraient se voir accorder le bénéfice du doute. Il n'y a aucun élément de preuve indiquant que la Commission n'a pas cru la version que les revendicatrices lui ont relatée. Le tribunal a plutôt conclu à l'absence de crainte objective de persécution. Il ne s'agit pas là d'une conclusion qui donnerait lieu à l'application du principe du bénéfice du doute. [...]

[13]            Cette approche est compatible avec les commentaires suivants du juge Major dans Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, au paragraphe 137 : « Lorsqu[e la] preuve n'est pas disponible sous forme documentaire, le demandeur peut néanmoins établir que sa crainte est objectivement fondée en faisant état, dans son témoignage, de personnes qui se trouvent dans une situation analogue à la sienne. »


[14]            En l'espèce, après avoir examiné à fond la preuve documentaire, la Commission a conclu que la crainte de persécution de la demanderesse ne reposait pas sur un fondement objectif suffisant. En conséquence, le principe du bénéfice du doute ne s'applique pas. Il est bien établi que le demandeur a le fardeau d'établir qu'il craint avec raison, subjectivement et objectivement, d'être persécuté. Il était loisible à la Commission, après avoir examiné la preuve documentaire, de conclure que la demanderesse ne s'était pas acquittée de son fardeau de preuve. Il est également bien établi en droit que dans une demande de contrôle judiciaire, la Cour n'est pas autorisée à substituer sa décision à celle de la Commission. Dans tout contrôle judiciaire d'une conclusion de fait d'un tribunal d'instance inférieure comme la Commission, la question principale qu'il faut se poser est de savoir si la Commission pouvait raisonnablement tirer cette conclusion compte tenu de l'ensemble de la preuve dont elle était saisie. Si la conclusion est raisonnable, elle est doit tenir. Dans la présente affaire, la Commission n'a donc pas tiré des conclusions abusives ou arbitraires, et la preuve documentaire dont elle était saisie (et qu'elle était autorisée à préférer au témoignage de la demanderesse) était suffisante pour appuyer ses conclusions. En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[15]            Les avocats conviennent que la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 30 mai 2002, dans laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention selon la

définition donnée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, soit rejetée. Aucune question de portée générale ne sera certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                       COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                   SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        IMM-2790-02

INTITULÉ :                                                        HADIXHE NOGA

c.

M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 2 AVRIL 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                                     LE 17 AVRIL 2003

COMPARUTIONS :

Micheal Crane                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Matina Karvellas                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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