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Date : 20041119

Dossier : IMM-4024-04

Référence : 2004 CF 1629

ENTRE :

                                                     THI LAN HUONG NGUYEN

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                Il y a quelques années, la vie de Mme Nguyen était chaotique. Elle se trouvait et se trouve toujours au Canada illégalement. Elle était et est toujours sous le coup d'une mesure d'expulsion. Elle est tombée amoureuse d'un ivrogne qui était aussi toxicomane. Ils ont tous les deux accumulé des antécédents judiciaires. Elle a été témoin d'un meurtre. La province de Colombie-Britannique lui a retiré ses deux premiers enfants, qui ont été donnés en adoption. Depuis, elle a compris et il est à souhaiter que c'est pour de bon. Elle et son conjoint se sont depuis mariés. Il ne consomme plus d'alcool et de drogues et il travaille. Ils ont eu deux autres enfants qui leur ont été retirés à la naissance mais qui leur ont depuis été remis. La demanderesse est une femme au foyer. Ses enfants bénéficient d'une aide soutenue de la part de la collectivité.


[2]                Elle a essayé en vain de régulariser sa situation au Canada. Elle est arrivée du Vietnam munie d'un visa d'étudiant. Elle n'a pas présenté de demande d'asile mais elle a demandé la protection du ministre par le biais de l'examen des risques avant renvoi (ERAR) prévu à l'article 112 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, 2001 L.C. ch. 27. Sa demande a été refusée.

[3]                Elle a demandé au ministre d'examiner sa situation et de lui permettre de demeurer au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire. Là encore, sa demande a été refusée. La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire de cette décision.

[4]                J'ai fait droit hier à l'audience à la demande de contrôle judiciaire. Voici les motifs que j'ai alors promis de rendre.

[5]                La demanderesse invoquait plusieurs moyens à l'appui de sa demande. Je m'en tiendrai à un seul. L'article 25 de la Loi porte sur les motifs d'ordre humanitaire. Il oblige le ministre à tenir compte de l'intérêt supérieur des enfants directement touchés. Même si elle était de toute évidence de bonne foi, la fonctionnaire du ministre a tiré une conclusion qui est à ce point déraisonnable que force m'est de conclure qu'elle ne s'est pas montrée, pour reprendre la formule maintenant célèbre de l'arrêt Baker c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817, « réceptive, attentive et sensible » à l'intérêt supérieur des enfants.


[6]                Les membres de cette famille ont de toute évidence besoin de beaucoup d'aide et ils recourent aux services qui leur sont offerts à Vancouver. En plus du regard attentif de la direction de la protection de la jeunesse - dans le cas présent, Big Brother est le bienvenu -, les enfants, qui sont encore très jeunes, bénéficient de la relation harmonieuse et stable de leurs parents, ainsi que de l'appui de la collectivité, par le biais de leur Église, de leur participation au programme "Building Blocks" qui vient en aide aux parents vietnamiens et au programme "Mother Goose" qui est destiné aux mères et à leurs enfants.

[7]                Il incombait à Mme Nguyen d'avancer des faits propres à justifier sa demande (Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 2 C.F. 555; Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 2 R.C.F. 635; 2004 CAF 38). L'avocate du ministre a souligné à juste titre qu'on ne saurait reprocher à la fonctionnaire de ne pas avoir tenu compte d'éléments qui n'ont pas été plaidés que devant notre Cour. Elle disposait toutefois d'amplement d'éléments de preuve en ce qui concerne les enfants, leur situation précaire passée ainsi que la bonne période qu'ils traversent présentement.

[8]                La fonctionnaire a souligné que Mme Nguyen avait elle-même provoqué la situation dans laquelle elle s'était retrouvée. C'est vrai, mais je crois que, pour elle, les enfants faisaient partie du scénario qu'elle avait élaboré sans tenir compte de leurs besoins particuliers.

[9]                Pour ce qui est de « l'intérêt supérieur de l'enfant » , je ne peux que reprendre les propos formulés par le juge Décary dans l'arrêt Hawthorne :

[4]      On détermine l' « intérêt supérieur de l'enfant » en considérant le bénéfice que retirerait l'enfant si son parent n'était pas renvoyé du Canada ainsi que les difficultés que vivrait l'enfant, soit advenant le renvoi de l'un de ses parents du Canada, soit advenant qu'elle quitte le Canada volontairement si elle souhaite accompagner son parent à l'étranger. Ces bénéfices et difficultés constituent les deux côtés d'une même médaille, celle-ci étant l'intérêt supérieur de l'enfant.

[10]            Dans le cas qui nous occupe, les enfants sont trop jeunes pour décider par eux-mêmes s'ils souhaitent accompagner leur mère au Vietnam ou s'ils préfèrent demeurer avec un père seul qui, séparé de sa femme, pourrait se remettre à boire. La fonctionnaire s'est dite d'avis que, si les enfants devaient accompagner Mme Nguyen, les membres de la famille de cette dernière l'aideraient à se réinstaller là-bas et que les enfants, qui sont trop jeunes pour avoir créé des liens avec un pays quelconque, s'intégreraient aisément à la société vietnamienne. Qui plus est, le père, qui est citoyen canadien, pourrait peut-être les rejoindre.


[11]            La fonctionnaire n'a absolument pas tenu compte de l'appui que la collectivité pourrait offrir au Vietnam à une personne expulsée du Canada et à ses enfants. Ainsi qu'un poète l'a dit : « L'être humain ne vit pas seul sur son île. Il fait partie d'un tout » (No man is an island, entire of itself). Julia a trois ans et Jordan, deux ans. Le « tout » dont ils font partie est moins complet que celui d'autres enfants. Ils sont spécialement vulnérables. Ils sont Canadiens et Britanno-Colombiens. Ils ont besoin de leurs parents qui, à leur tour, ont besoin de l'appui des autorités locales et de la collectivité locale. Pour demeurer dans l'esprit de John Donne, l'expulsion de Thi Lan Huong Nguyen constituerait une perte non seulement pour eux mais aussi pour nous tous.

[12]            L'affaire doit être renvoyée à la Commission pour être examinée par un autre fonctionnaire qui rendra une nouvelle décision.

                                                                              « Sean Harrington »                  

                                                                                                     Juge                               

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 9 novembre 2004

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-4024-04

INTITULÉ :                                                    THI LAN HUONG NGUYEN c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 18 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 19 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Andrew Z. Wlodyka                                                      POUR LA DEMANDERESSE

Brenda Carbonell                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lowe & Company                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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