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Date : 20000420


Dossier : IMM-2631-99

Entre :


ARMANDO MILIAN SANCHEZ

JONHARMAND MILIAN SANCHEZ

SINAI MILIAN VERA

CARMEN GRACIELA VERA PINERO

AMELIA NATHALY VERA MIJARES

MERCEDES HORTEN VERA DE MILIAN

     Partie demanderesse,

Et:


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     Partie défenderesse.


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE NADON


[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire d"une décision de la Section du Statut de Réfugié de la Commission de l"Immigration ("la Section du Statut") rendue le 6 avril 1999, selon laquelle les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention tel que défini par l"article 2(1) de la Loi sur l"immigration.

[2]      Le demandeur principal, M. Armando Milian Sanchez, est citoyen du Venezuela et déclare avoir une crainte bien fondée de persécution basée sur ses opinions politiques. Les autres demandeurs1 ont basé leurs revendications sur celle du demandeur principal.2

[3]      Le demandeur allègue qu"il participait à un mouvement pour la protection de l"environnement et qu"il dénonçait les grandes entreprises qui n"observaient pas les règles de contrôle. Par conséquent, il a été attaqué par les représentants de ces compagnies et il a été détenu par la police pour avoir dénoncé le vandalisme d"une école. Il a également été menacé. Un soir, lors d"une réunion chez lui, sa maison a été mitraillée. Quelques jours plus tard, il a quitté son pays pour venir au Canada. Sa famille est venue le rejoindre par la suite.

[4]      La Section du Statut a conclu que le demandeur principal n"avait "aucune crédibilité" puisque son récit était incohérent, invraisemblable et contradictoire. Elle note d"abord que le demandeur a soumis trois récits expliquant pourquoi il a quitté son pays: premièrement, il a soumis son Formulaire de renseignements personnels ("FRP") le 17 mai 1995; ensuite, il a fait un ajout le 25 mars 1996 dans lequel il a mentionné l"incident de la mitraillette pour la première fois; enfin, il a soumis un tableau chronologique le 25 janvier 1999.

[5]      La Section du Statut a demandé au demandeur principal pourquoi il n"avait pas mentionné l"incident de la mitraillette dans son FRP. Il a répondu comme suit: "Je ne peux pas vous dire pourquoi [sic ] n"a pas été mentionné."3 La Section a conclu ainsi:

Le tribunal s"interroge donc sérieusement sur l"authenticité de cet incident car il est raisonnable de penser que, vu son importance et le rôle déterminant qu"il semble avoir joué dans la décision du demandeur de venir au Canada, s"il était effectivement produit, le demandeur l"aurait sûrement indiqué dans son tout premier FRP.

Cette conclusion, eu égard à la preuve, m"apparaît entièrement raisonnable. Dans son FRP, le demandeur réfère à d"autres incidents qui ont eu lieu; par exemple, il indique qu"il a été détenu pendant deux jours après avoir dénoncé le vandalisme d"une école en 1994, qu"il a été renvoyé de son emploi à cause de ses activités politiques, et qu"il a été agressé avec une arme à feu en janvier 1995. Pourtant, il ne mentionne pas que sa maison fut mitraillée une année plus tard, soit en mars 1996. Il me semble tout à fait invraisemblable que le demandeur puisse oublier de mentionner un incident d"une telle importance dans son FRP, puisqu"il s"agissait de l"incident qui l"aurait convaincu de venir au Canada.

[6]      De même, le demandeur n"a mentionné une citation à comparaître au bureau de la garde nationale qu"en janvier 1999, soit presque quatre ans après son arrivée au Canada. Son explication pour cette omission est la suivante: son avocat lui a conseillé d"élaborer son histoire pendant l"audience. La Section du Statut n"a pas accepté son explication:

Sur ce point, il convient tout d"abord de mentionner que cette citation ne comporte pas de date d"émission, ensuite il faut souligner que l"explication fournie par le demandeur ne tient pas à notre avis non seulement parce que le demandeur a l"obligation de mentionner dans son FRP tous les faits relatifs à sa revendication mais aussi avant de préparer le récit de janvier 1999 il avait déjà fait un ajout en mars 1996 pour rapporter l"incident du 16 mars 1995 quand il dit que son domicile a été mitraillé. On lui [sic ] alors demandé pourquoi à l"occasion de cet ajout, il n"avait pas profité pour dire qu"il avait reçu cette citation à comparaître et qu"il avait effectivement comparu. Il a expliqué que son avocat d"alors, soit celui qui avait préparé l"ajout de mars 1996, lui avait alors dit qu"il allait tout mentionner et que lui-même n"avait pris connaissance de l"ajout de mars 1996 qu"en 1997. Mais même si cela était vrai, rien ne justifie qu"il n"ait pas, en 1997, apporté un autre ajout pour mentionner cet épisode dans les événements rapportés.

De plus, dans ses récits de mai 1995, mars 1996 et janvier 1999, le demandeur n"a fait aucune mention d"un mandat d"arrestation émis contre lui, ce qui a amené la Section du Statut à conclure que ce document n"avait aucune valeur probante et "semble avoir été préparé pour les fins de la revendication uniquement, car il [le tribunal] est persuadé que si effectivement le demandeur avait un mandat d"arrestation contre lui, il l"aurait mentionné dans l"un ou l"autre de ses récits..." Je ne peux que conclure, à nouveau, que cette conclusion est tout à fait raisonnable.

[7]      Par ailleurs, lors de l"audience, le demandeur a témoigné que sa femme et ses enfants avaient été menacés depuis son départ du Venezuela. Pourtant, ces menaces ne figurent pas dans les récits du demandeur. Quand on lui a demandé pourquoi il n"avait fait aucune mention de ces menaces, il a répondu: "Je ne peux pas [sic ] pourquoi je ne l"ai pas mentionné par écrit."4 Vu que le demandeur n"a offert aucune explication pour cette lacune, la Section du Statut a indiqué qu"elle était "enclin à penser que cette histoire de menaces envers l"épouse du demandeur et ses enfants a été tout simplement inventée pour les fins de leurs revendications."

[8]      Il ne peut faire de doute que les demandeurs du statut de réfugié doivent relater tous les faits importants à l"appui de leur revendication. La question 37(a) du FRP stipule ce qui suit:

     Relatez dans l"ordre chronologique tous les incidents importants qui vous ont amené(e) à chercher protection à l"extérieur de votre pays de nationalité ou de résidence habituelle antérieure. Veuillez aussi faire mention des mesures prises contre vous, des membres de votre famille ou d"autres personnes se trouvant dans une situation analogue (l"emphase est le mien).

[9]      Ainsi, il me paraît tout à fait raisonnable que la Section du Statut ait regardé d"un mauvais oeil le fait que le demandeur ait omis plusieurs faits importants.5 Dans Basseghi c. M.C.I., [1994] A.C.F. No. 1867, le juge Teitelbaum s"exprimait comme suit:

     Il n'est pas inexact de dire que les réponses fournies dans un FRP devraient être concises, mais il est inexact de dire que ces réponses ne devraient pas contenir tous les faits pertinents. Il ne suffit pas à un requérant d'affirmer que ce qu'il a dit dans son témoignage oral était un développement. Tous les faits pertinents et importants devraient figurer dans un FRP. Le témoignage oral devrait être l'occasion d'expliquer les informations contenues dans le FRP.

En outre, dans Oduro v. M.E.I., [1994] 73 F.T.R. 191 aux pages 194-195, le juge McKeown exprimait l"opinion qui suit:

     The applicant submits that it was wrong to say his testimony was unreliable because it was more detailed than the PIF. In my view the Board determined that the applicant omitted to disclose in his PIF material portions of events related to the determination of whether the applicant was persecuted. It was open to the Board to determine that these additions were added in his testimony to enhance the fear of persecution. It is no answer to say that the Board told him it was only interested in greater detail and not to repeat the contents of the PIF.

De même, dans Uppal v. Canada (Solicitor General) (1997), 27 Imm.L.R. (2d) 232 à la page 233, le juge Reed en vient à la conclusion que l"événement déclencheur " dans ce cas, une détention de cinq jours " devait être mentionné dans le FRP. Madame le juge Reed s"est exprimée ainsi:

I agree that it is an "old saw" for the Board to say that if the description of an event wasn"t in the PIF, then, the likelihood of it having occurred is dubious. However, in this case the alleged five day detention, in 1988, was a very crucial factor. It was the event which allegedly led to the applicant"s flight from India. It was not unreasonable, in those circumstances, then, for the Board to refer to the fact that the detention was not mentioned in the PIF and to conclude that such absence was a reason for disbelieving that the detention had occurred.

[10]      Je suis en accord complet avec l"opinion de mes collègues. Par conséquent, puisque les demandeurs n"ont pas réussi à me convaincre que la Section du Statut avait commis une erreur, soit de fait ou de droit, qui me permettrait d"intervenir, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[11]      Le dernier point à traiter est la question de certification. Les demandeurs soumettent que la question suivante devrait être certifiée:

À la lumière des arrêts Pushpanathan et Baker, la norme de contrôle judiciaire des décisions rendues par la commission de l"immigration et du statut de réfugié en matière de questions de faits ou de questions mixtes de droit ou de faits est-elle à présent celle de la décision manifestement déraisonnable ou celle de la décision raisonnable simpliciter?

[12]      Dans Liyanagamage v. M.C.I. (1994), 176 N.R. 4, la Cour d"appel fédérale a expliqué comme suit les principes concernant la certification d"une question sérieuse:

In order to be certified pursuant to subsection 83(1), a question must be one which, in the opinion of the motions judge, transcends the interests of the immediate parties to the litigation and contemplates issues of broad significance or general application (see the useful analysis of the concept of "importance" by Catzman J. in Rankin v. McLeod, Young, Weir Ltd. et al. (1986), 57 O.R. (2d) 569 (Ont. H.C.)) but it must also be one that is determinative of the appeal.

[13]      À mon avis, les conclusions concernant la crédibilité du demandeur sont raisonnables. Par conséquent, que la norme de contrôle soit "manifestement déraisonnable" ou "raisonnable simpliciter" n"a aucune pertinence en l"espèce. De toute façon, à mon avis, la norme applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter et c"est cette norme que j"ai appliquée ici6.

[14]      Pour ces motifs, je suis d"avis que la question proposée par les demandeurs ne mérite pas d"être certifiée.


     Marc Nadon

     Juge

O T T A W A (Ontario)

le 20 avril 2000



__________________

1      Les autres revendications concernent Mercedes Horten Vera de Milian, l"épouse du demandeur principal; Jonharmand Milian Vera, fils du demandeur; Sinai Milian Vera, fille du demandeur; Carmen Graciela Vera Pinero, belle-mère du demandeur; Amelia Nathaly Vera Mijares, nièce de l"épouse du demandeur.

2      La Section du Statut a aussi considéré la revendication de Jesus Enrique Cornejo Colorado, l"ex-gendre du demandeur principal, dans la même décision, mais ce dernier a déposé sa propre demande de contrôle judiciaire. Le dossier de M. Colorado porte le numéro IMM-2629-99. Par conséquent, sa demande de contrôle judiciaire sera traitée séparément.

3      Page 189 de la transcription du 25 janvier 1999 (page 841 du Dossier du Tribunal).

4      Page 194 de la transcription du 25 janvier 1999 (page 846 du Dossier du Tribunal).

5      Voir aussi: Grinevich c. M.C.I., [1997] F.C.J. No. 444 et Kutuk c. M.C.I., [1995] F.C.J. No. 1754.

6      Pour une discussion de la norme de contrôle, voir la décision de la Cour suprême du Canada dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748 aux pp. 776 et 777.

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