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Date : 20030514

Dossier : T-1931-02

Référence neutre : 2003 CFPI 591

ENTRE :

CYNTHIA LYNNE HOFER, administratrice de la

SUCCESSION DE JOCHEN HOFER,

également connu sous le nom de JOHN HOFER, décédé

demanderesse

                                                                            et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                  Il s'agit de savoir si, pour permettre la présentation d'une preuve par ouï-dire au moyen d'un affidavit, il devrait y avoir une exception au paragraphe 81(1) des Règles, qui est ainsi libellé :

Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s'ils sont présentés à l'appui d'une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l'appui.

Affidavits shall be confined to facts within the personal knowledge of the deponent, except on motions in which statements as to the deponent's belief, with the grounds therefor, may be included.


[2]                  La preuve par ouï-dire en question se trouve dans l'affidavit complémentaire de la demanderesse, Mme Hofer, veuve du défunt, John Hofer. Par cet affidavit, Mme Hofer cherche à établir qu'une demande d'approbation de qualification de vol de nuit a été envoyée par télécopie à Transports Canada le 5 décembre 1999.

[3]                  L'affidavit traite en partie de conversations ayant eu lieu entre Mme Hofer et son conjoint, feu John Hofer, au sujet de l'envoi à Transports Canada de documents pour le permis. Dans une autre partie de l'affidavit, Mme Hofer relate une conversation téléphonique précise avec Mme Andrea Hinken quelque temps après le mois d'octobre 2001. Mme Hinken, qui avait travaillé avec M. Hofer dans son entreprise, se rappelait qu'elle avait envoyé à Transports Canada la demande de permis pour l'approbation de qualification de vol de nuit par télécopie le 5 décembre 1999. Malheureusement, même si la preuve de Mme Hinken est également présentée sous la forme d'une déclaration solennelle, la demanderesse n'a pas pu trouver Mme Hinken pour qu'elle puisse être contre-interrogée. D'où la demande ici en cause, visant une dispense d'application du paragraphe 81(1) des Règles, qui exclut la preuve par ouï-dire ou, subsidiairement, l'octroi d'un délai destiné à permettre de trouver Mme Hinken pour qu'elle établisse un affidavit devant être admis à titre d'affidavit complémentaire en vertu de l'article 312 des Règles.


[4]                  Il est opportun de rendre maintenant une décision au sujet du paragraphe 81(1) des Règles, plutôt que de s'en remettre au juge qui présidera l'instruction. Le défendeur a le droit de connaître le plus tôt possible la preuve qu'il devra réfuter et d'avoir ensuite la possibilité de procéder à un contre-interrogatoire valable et d'enquêter, dans la mesure où il est réellement possible de le faire, afin de déterminer la véracité de tout élément attribué admis qui constitue du ouï-dire. La Cour d'appel fédérale a en bonne partie examiné la question dans l'arrêt Canadian Tire Corp. c. P.S. Partsource Inc (2001), 267 N.R. 135. Dans cet arrêt, en parlant du paragraphe 81(1) des Règles, la Cour d'appel a dit que la règle elle-même n'admettait aucune exception à l'exigence voulant que les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, mais qu'il s'agissait d'une règle de pratique et de procédure illustrant le principe général interdisant le ouï-dire. Cela étant, la Cour n'a pas mis de côté les exceptions de common law à la règle du ouï-dire, y compris une approche fondée sur des principes et, plus récemment l'exception fondée sur la fiabilité et la nécessité. En outre, la Cour d'appel a signalé que l'article 55 des Règles permettait à la Cour, dans des circonstances spéciales, de dispenser une partie de l'observation d'une de ses règles : voir Canadian Tire (précité), page 139.

[5]                  Il est maintenant clair que le paragraphe 3 de l'affidavit complémentaire de Mme Hofer, dans lequel est relatée la conversation qu'elle a eue avec feu son conjoint, peut être admise. Ce paragraphe est certes nécessaire. Il comporte toutes les marques de la fiabilité. Il s'agit d'un paragraphe qui peut facilement être assujetti à un contre-interrogatoire, le poids de la preuve et l'effet du contre-interrogatoire devant être appréciés par le juge qui présidera l'instruction.

[6]                  Les paragraphes 5 et 6 de l'affidavit de Mme Hofer posent plus de problèmes. Mme Hofer y dit que Mme Hinken lui a fait part de la demande d'approbation de qualification de vol de nuit faite par M. Hofer, élément qui, selon moi, indique également pourquoi Mme Hinken se rappelait que la demande de permis avait été transmise à Transports Canada au mois de décembre 1999. Malheureusement, comme je l'ai noté, la demanderesse n'a pas pu trouver Mme Hinken.

[7]                  Il incombe à Mme Hofer de prouver la nécessité et la fiabilité des déclarations attribuées à Mme Hinken. Je dois ici soupeser les éléments, y compris d'une part la possibilité de trouver Mme Hinken pour qu'elle puisse établir un affidavit au sujet duquel elle pourrait être contre-interrogée par téléphone sinon en personne et la fiabilité de la preuve par ouï-dire maintenant soumise par rapport, d'autre part, au préjudice subi par le défendeur, qui ne peut procéder à aucun contre-interrogatoire valable s'il peut uniquement interroger Mme Hofer pour vérifier ce qu'on a dit à celle-ci au cours d'une conversation qu'elle a eue avec Mme Hinken il y a plusieurs années, la conversation étant relatée dans une déclaration solennelle que Mme Hinken a fournie.


[8]                  Il y a peut-être un semblant de fiabilité dans la preuve par ouï-dire attribuée à Mme Hinken. C'est sa nécessité qui me pose un problème. Selon la preuve qu'elle a fournie, Mme Hofer croyait que Mme Hinken s'était installée à Vancouver et ensuite probablement en Allemagne, son pays d'origine, mais malheureusement Mme Hofer ne sait pas où est Mme Hinken à l'heure actuelle ou comment la joindre. Cette preuve ne fournit pas de détails au sujet de ce qui a réellement été fait pour trouver Mme Hinken. Je dois soupeser le préjudice fort réel subi par le défendeur, du fait qu'il ne peut pas contre-interroger Mme Hinken, par rapport au semblant de fiabilité et à l'absence de preuve de nécessité.

[9]                  J'ai conclu que la demanderesse n'a pas satisfait au critère complet qui s'applique pour qu'il soit fait exception à la règle interdisant le ouï-dire, lequel a été énoncé dans l'arrêt R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531, aux pages 546 et 547. Je reconnais ici, comme l'a souligné la Cour suprême du Canada, que la nécessité doit être interprétée comme une « nécessité raisonnable » . Rien n'indique, dans les documents de Mme Hofer, si des recherches raisonnables ont été faites en vue de trouver Mme Hinken. De même, il faut tenir compte du critère énoncé dans l'arrêt R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915, où Monsieur le juge en chef Lamer, aux pages 931 et 932, fait des remarques au sujet de la nécessité en tant qu'élément de l'exception à la règle interdisant le ouï-dire et, à la page 932, au sujet du fait que l'élément fiabilité doit être respecté. En l'espèce, il existe clairement une garantie indirecte de fiabilité dans la preuve par affidavit déposée par Mme Hofer, où sont relatées les conversations avec feu son conjoint, mais je ne suis pas aussi certain qu'il y ait une garantie indirecte de fiabilité au sujet de la preuve par ouï-dire de Mme Hinken. Compte tenu de tous ces facteurs, y compris le préjudice sérieux que subira le défendeur s'il ne peut pas procéder à un contre-interrogatoire valable au sujet de la preuve de Mme Hinken, les paragraphes 5 et 6 de l'affidavit de Mme Hofer, lequel a été déposé au mois d'avril 2003, sont radiés.

[10]            En radiant deux paragraphes de l'affidavit de Mme Hofer, je tiens compte de la mise en garde que la Cour d'appel a faite dans l'arrêt Canadian Tire, à la page 140, à savoir que les plaideurs ne doivent pas prendre l'habitude de recourir systématiquement à des requêtes en radiation de la totalité ou d'une partie d'un affidavit. En l'espèce, les deux paragraphes contiennent clairement des éléments constituant du ouï-dire qui portent sur une question controversée et qui, s'ils ne sont réglés qu'à l'instruction, causeraient clairement un préjudice.

[11]            Il reste la demande qui a été faite pour que la demanderesse obtienne l'autorisation de la Cour afin de trouver Mme Hinken et pour qu'un affidavit établi par celle-ci soit admis en preuve conformément à l'article 312 des Règles. Mme Hofer a toujours eu la faculté d'essayer de trouver Mme Hinken. Toutefois, comme je l'ai dit, il n'existe aucun élément de preuve faisant état des efforts qui ont été faits jusqu'à ce jour pour trouver Mme Hinken. De plus, il n'existe pas suffisamment d'éléments de preuve pour rendre une décision anticipée au sujet de la question de savoir si l'autorisation de déposer cet affidavit conformément à l'article 312 des Règles devrait être accordée. Je mentionnerai ici la décision Marshall c. Canada (Solliciteur général) (2002), 216 F.T.R. 85, aux pages 89 et 90 (1re inst.) en ce qui concerne les principes régissant les affidavits complémentaires. Il s'agit de principes que Mme Hofer devra respecter en cherchant à obtenir l'autorisation de soumettre un affidavit complémentaire pour dépôt.

[12]            De la même façon qu'il serait injuste d'admettre par ouï-dire la preuve de Mme Hinken, ce qui causerait un préjudice, il serait également injuste de ne pas accorder à Mme Hofer un délai additionnel raisonnable pour faire un effort concerté afin de trouver Mme Hinken. Je fais cette remarque malgré la nature accélérée du contrôle judiciaire, car il semblerait que la preuve de Mme Hinken puisse être fort importante et aider ainsi la Cour. Mme Hofer disposera donc d'un délai de 45 jours pour demander à déposer tout affidavit complémentaire établi par Mme Hinken. Puisque le succès est partagé, les dépens suivront l'issue de la cause.

                               « John A. Hargrave »                   

Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 14 mai 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

DOSSIER :                                                               T-1931-02

INTITULÉ :                                                              Cynthia Lynne Hofer, administratrice de la succession de Jochen Hofer, également connu sous le nom de John Hofer, décédé

c.

Le procureur général du Canada

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                      Monsieur le protonotaire Hargrave

DATE DES MOTIFS :                                            Le 14 mai 2003

ARGUMENTATION ÉCRITE :

Kelsey K. Monarque                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Tracy J. King                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bosecke & Song                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Edmonton (Alberta)

Morris A. Rosenberg                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Edmonton (Alberta)

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