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                                                  IMM-1431-96

 

 

ENTRE

 

                  GLENDA SANTANA CAMPOS et

                     REYNA ELIDA CAMPOS,

 

                                                 requérantes,

 

                             et

 

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                      intimé.

 

                   MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

 

LE JUGE GIBSON

 

 

 

          Les présents motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié, de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal), a conclu que les requérantes n'étaient pas des réfugiées au sens de la Convention, selon la définition figurant au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1].  La demande des requérantes a été entendue par le tribunal le 9 août 1994.  La date de la décision du tribunal est le 27 mars 1996, soit presque 20 mois après l'audition de l'affaire[2].

 

          Les requérantes sont citoyennes du Salvador.  Elles revendiquent le statut de réfugié au sens de la Convention parce qu'elles prétendent avoir raison de craindre d'être persécutées, dans l'éventualité de leur retour au Salvador, du fait de leur appartenance à un groupe social, à savoir leur famille, et de leurs opinions politiques, réelles ou présumées.

 

          Les faits qui sous-tendent la présente demande peuvent être brièvement résumés comme suit.  En novembre 1989, un frère des requérantes a été tué par des guérilleros de MFLN après qu'il eut été détenu pendant 45 jours.  Dans les années suivantes, les requérantes et d'autres membres de leur famille ont reçu des notes exigeant qu'ils se joignent au MFLN et appuient celui-ci.  En octobre 1984, un autre frère des requérantes a été tué par le MFLN.  Dans les années suivantes, trois frères des requérantes et une soeur se sont enfuis du Salvador.  Trois d'entre eux ont été déclarés réfugiés au sens de la Convention au Canada et le quatrième l'a été aux États-Unis.  La seule soeur restante des requérantes au Salvador s'est mariée, a changé son nom et déménagé à un autre village.  Les requérantes sont restées dans leur propre village pour s'occuper de leur mère âgée et malade.  Une fois en 1990 et encore en 1991, une des soeurs a été emmenée par des membres du MFLN alors qu'elle se trouvait dans un autobus public, et elle a été harcelée.  Vers la fin de 1992, la mère des requérantes est décédée.  En janvier 1993, la maison des requérantes a été saccagée pendant qu'elles étaient absentes.  Par crainte, les requérantes ont déménagé à une autre ville ou à un autre village où vivait leur tante.  Les requérantes ne sont jamais adressées à la police ni à aucune autre autorité gouvernementale pour demander protection, craignant qu'elles ne soient considérées comme des espionnes pour le MFLN.  À la maison de leur tante, selon les requérantes, on leur a demandé d'appuyer un candidat et un parti politiques particuliers.  Elles ont été menacées de conséquences non précisées si elles ne le faisaient pas.  Les requérantes n'ont jamais été politiquement actives.

 

          À la suite de la demande selon laquelle les requérantes devaient appuyer un candidat et un parti politiques particuliers, elles conclu qu'elles devaient quitter le Salvador.  Elles sont arrivées au Canada le 6 septembre 1993 et, peu de temps après, elles ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.

 

          L'avocat des requérantes soutient que le tribunal a eu tort sur les points suivants :

 

          en premier lieu, en concluant que l'histoire des requérantes concernant la demande reçue avant le départ du Salvador selon laquelle elles devaient appuyer un candidat et un parti particuliers n'était pas vraisemblable;

 

          en second lieu, en n'examinant pas, ou du moins en mentionnant pas, la preuve documentaire approfondie dont disposait le tribunal concernant la situation du pays d'origine qui, selon lui, favorisait la revendication des requérantes;

 

          en troisième lieu, en n'analysant pas ou même en n'examinant pas la jurisprudence pertinente sur la question du «groupe social»;

 

          en quatrième lieu, en différant, pendant une période déraisonnable, à rendre sa décision;

 

          en cinquième lieu, en tenant compte de facteurs peu pertinents.

 

          Le tribunal a conclu que le témoignage des requérantes sur la demande selon laquelle elles devaient appuyer un candidat et un parti particuliers n'était pas vraisemblable, et qu'il s'agissait d'un embellissement pour étayer leur revendication.  Dans L'affaire Aguebor c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration[3], le juge Décary s'est prononcé en ces termes :

 

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage.  Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent?  Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.  Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier.

 

 

 

 

Compte tenu du dossier de l'espèce, je conclus que la conclusion d'invraisemblance formulée par le tribunal était celle qu'il lui était raisonnablement loisible de tirer.

 

          L'omission par le tribunal de commenter la preuve documentaire dont il disposait était regrettable.  Cela dit, cette omission n'était pas une erreur susceptible de contrôle. L'examen de la preuve documentaire peut conduire seulement à la conclusion que ces requérantes, compte tenu des faits uniques de leur situation, ne courent pas un risque de persécution sérieux.

 

          Le tribunal a conclu que la famille des requérantes  pouvait constituer un groupe social aux fins de la définition de «réfugié au sens de la Convention».  Cela dit, le tribunal a ajouté que la mort des deux frères des requérantes se rapportait, non pas à leur appartenance à leur famille, mais à leur emploi avec le gouvernement salvadorien.  Le tribunal a conclu en outre que d'autres épreuves que les requérantes avaient connues ne les visaient pas en tant que membres de leur famille, mais étaient, au moins dans certains cas, simplement des actes au hasard.  En fin de compte, le tribunal a conclu que les requérantes n'avaient pas souffert de persécution du fait de leur appartenance à leur famille, et qu'il était peu probable qu'elles soient persécutées en raison d'une telle appartenance s'ils étaient renvoyés au Salvador.  Je conclus que ces conclusions étaient celles qu'il lui était raisonnablement loisible de tirer.

 

          Le retard dans le prononcé de la décision du tribunal était en fait malheureuse. Toutefois, le retard en soi, en l'absence d'un préjudice pour les requérantes, ne justifie pas qu'il soit accordé une réparation aux requérantes[4].

 

          En dernier lieu, je ne saurais conclure que le tribunal a tenu compte de facteurs peu pertinents en rendant sa décision.

 

          Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. 

 

          L'avocat des requérantes a recommandé que soit certifiée une question concernant le retard dans le prononcé par le tribunal de sa décision.  L'avocat de l'intimé s'est opposé à la certification au motif que la loi est claire à ce sujet.  Je souscris à l'argument de l'avocat de l'intimé.  Aucune question

 

 

ne sera certifiée.

 

                                      «Frederick E. Gibson»   

                                                Juge

 

 

Toronto (Ontario)

Le 30 janvier 1997

 

 

Traduction certifiée conforme                          

                                 Tan Trinh-viet


                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

 

 

          Avocats et procureurs inscrits au dossier

 

 

 

No DU GREFFE :IMM-1431-96

 

 

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :GLENDA SANTANA CAMPOS ET AL.

 

                                  et

 

                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ                                 ET DE L'IMMIGRATION

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :Le 28 janvier 1997

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto (Ontario)

 

 

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :      le juge Gibson

 

 

EN DATE DU30 janvier 1997

 

 

 

ONT COMPARU :

 

Thomas R. McIver                  pour les requérantes

 

Ann Margaret Oberst               pour l'intimé

 

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McIver & McIver

900-372, rue Bay

Toronto (Ontario)

M5H 2W9                           pour le requérantes

 

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

                                  pour l'intimé

 

 

 


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

 

 

                       IMM-1431-96

 

 

ENTRE

 

  GLENDA SANTANA CAMPOS ET AL.,

 

                      requérantes,

 

                et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

 

                           intimé.

 

 

 

 

      MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 



    [1]L.R.C. (1985), ch. I-2.

    [2]Le paragraphe 69.1(9) de la Loi sur l'immigration est ainsi rédigé :

 

(9) La section du statut rend sa décision sur la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention le plus tôt possible après l'audience et la notifie à l'intéressé et au ministre par écrit.

 

Bien que, comme on le verra plus loin dans les présents motifs, la question du retard s'est posée en l'espèce, il n'a été invoqué devant moi aucun argument sur la violation par le tribunal de l'obligation légale prévue par le paragraphe 69.1(9).

    [3](1993), 160 N.R. (C.A.F.).

    [4]Voir Akthar c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1991), 129 N.R. 71 (C.A.F.) et Hernadez c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 154 N.R. 2321 (C.A.F.).

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