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Date : 20031216

Dossier : IMM-5461-02

Référence : 2003 CF 1476

ENTRE :

                                                              MABEL ANA RUSCONI

                                                                                                                                                  demanderesse

                                                                                   et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                 Les présents motifs font suite à l'audition d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié prononçant le désistement de la demande du statut de réfugié au sens de la Convention présentée par la demanderesse. La décision faisant l'objet du contrôle est datée du 29 novembre 2002.

[2]                 Pour arriver à la décision ici contestée, la SPR s'est fondée sur le paragraphe 168(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1], qui est rédigé comme suit :

168. (1) Chacune des sections peut prononcer le désistement dans l'affaire dont elle est saisie si elle estime que l'intéressé omet de poursuivre l'affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu'elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication.

168. (1) A Division may determine that a proceeding before it has been abandoned if the Division is of the opinion that the applicant is in default in the proceedings, including by failing to appear for a hearing, to provide information required by the Division or to communicate with the Division on being requested to do so.

CONTEXTE

[3]                 La demanderesse est une citoyenne de l'Argentine âgée d'environ soixante-cinq ans. Elle ne parle pas et ne comprend pas les langues officielles du Canada. Dans sa demande du statut de réfugié au sens de la Convention, la demanderesse allègue craindre avec raison d'être persécutée soit par les adversaires politiques de son mari, soit par son mari, ou par toutes ces personnes. Sa demande a été renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en octobre 2001. La Commission a reçu le Formulaire de renseignements personnels de la demanderesse à la fin du mois de novembre 2001. Depuis, le contenu du formulaire en question a été modifié en profondeur.

[4]                 La demanderesse n'a pas comparu devant la SPR à la mi-février 2002 pour la fixation de la date d'audience. Elle a assisté à l'audience sur le désistement qui a eu lieu par la suite et a fourni une explication pour justifier son défaut de comparaître antérieur. La SPR a accepté son explication. L'audience a été fixée à la mi-mai 2002. Peu de temps avant la date prévue de l'audience, la SPR a été avisée que la demanderesse avait été grièvement blessée dans un accident. La demanderesse a donc demandé l'ajournement de l'audience sur le fond. Sa demande d'ajournement a été accueillie, et une nouvelle date tombant au cours du mois d'août a été retenue pour la fixation de la date de l'audience sur le fond. La date du mois d'août a apparemment été choisie en fonction de la période de convalescence de la demanderesse. La demanderesse n'a encore une fois pas comparu à l'endroit et à la date où devait être fixée la nouvelle date d'audience. Encore une fois, elle a été convoquée à une audience au cours de laquelle elle devait exposer les raisons justifiant qu'on ne prononce pas le désistement de sa demande. La demanderesse a assisté à l'audience sur le désistement. L'explication qu'elle a donnée pour justifier son défaut de comparaître était la même que l'explication qu'elle avait fournie pour justifier son absence lors de la première audience, soit qu'elle n'avait pas reçu d'avis concernant la date et le lieu de l'audience.

[5]                 La SPR a rejeté l'explication de la demanderesse. Elle a conclu :

[traduction] La demanderesse a omis de poursuivre sa demande avec diligence. Le tribunal estime qu'il n'y a pas eu de manquement à la justice naturelle et que la demanderesse s'est vu accorder plusieurs occasions d'être entendue. Par conséquent, la Section de la protection des réfugiés prononce le désistement de la demande[2].


QUESTION EN LITIGE

[6]                 Dans le dossier de la demande déposé pour le compte de la demanderesse, l'avocat a ainsi formulé l'unique question que soulève la présente demande de contrôle judiciaire :

[TRADUCTION] La décision de la Commission de prononcer le désistement de la demande du statut de réfugié présentée par la demanderesse est-elle déraisonnable?

ANALYSE

[7]                 Mon collègue le juge Lemieux a écrit ce qui suit aux paragraphes 27 et 28 de la décision Ahamad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[3], où il était question d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision touchant une audience sur le désistement semblable à celle que je dois trancher en l'espèce :

Dans l'arrêt Baker, [...] le juge L'Heureux-Dubé a ajouté à l'arrêt que la Cour suprême avait rendu dans l'affaire Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [...]. Compte tenu de l'analyse qui a été faite dans ces deux arrêts, de l'absence d'une clause privative, de l'objet du contrôle judiciaire (question de droit par opposition à expertise d'enquête factuelle) et de l'objectif que vise la disposition, je conclus que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à l'égard de la décision dans laquelle la SSR a conclu que le demandeur s'était désisté de sa revendication du statut de réfugié est celle de la décision raisonnable simpliciter. À mon avis, le fondement de la décision de la SSR ne suppose pas de considérations principalement juridiques, par exemple, l'interprétation d'une disposition législative, ni de conclusions de fait à l'égard desquelles l'alinéa 18(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale [...] exigerait que l'on fasse preuve d'une plus grande retenue. En l'espèce, le fondement de la décision est une question à la fois de fait et de droit.


En appliquant ces facteurs, je souligne la nature de la décision qui a été prise: il s'agit d'une conclusion selon laquelle un revendicateur du statut de réfugié s'est désisté de sa revendication avant qu'il n'ait eu l'occasion d'exposer le bien-fondé de son omission de se présenter à son audition. Le juge Bastarache a dit, dans l'arrêt Pushpanathan, [...] dans le contexte d'une conclusion selon laquelle un revendicateur du statut de réfugié était exclu en vertu de la section Fa) de l'article premier de la Convention [...], qu'une telle conclusion avait une « grande incidence » sur le revendicateur. Cette approche a été reprise par mon collègue le juge Muldoon dans Cirahan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [...], une affaire qui portait sur le contrôle d'une décision dans laquelle la SSR avait conclu que le demandeur s'était désisté de sa revendication. Le juge Muldoon a dit que « [l]e pouvoir discrétionnaire de la SSR de conclure au désistement doit être examiné attentivement » [soulignement ajouté]. Je suis d'accord.

[Citations omises.]

[8]                 À l'instar du juge Lemieux, je suis d'avis que le pouvoir discrétionnaire de ce qui est devenu aujourd'hui la SPR de conclure au désistement doit être examiné attentivement.

[9]                 Si on l'examine attentivement, doit-on conclure que la décision de la SPR de prononcer le désistement de la demande du statut de réfugié de la demanderesse était déraisonnable? Je suis d'avis que oui.


[10]            La SPR a d'abord rendu sa décision oralement à la fin de l'audience à laquelle assistait la demanderesse, qui n'était pas représentée par un avocat[4]. La SPR a alors prétendu résumer le contexte factuel entourant sa décision. Ce résumé révèle une incompréhension fondamentale du contexte factuel de l'affaire. Après l'introduction de la présente demande de contrôle judiciaire, la SPR a produit les motifs écrits de sa décision. Les motifs écrits en question contenaient un autre prétendu résumé du contexte factuel. Ce contexte y était encore une fois considérablement déformé, et ce, à de nombreux égards. Dans les motifs qu'elle a prononcés oralement et dans ceux qu'elle a exposés par écrit, la SPR a essentiellement fait abstraction du véritable contexte factuel entourant la demande. Sa décision de prononcer le désistement de la demande du statut de réfugié au sens de la Convention de la demanderesse était fondée uniquement sur son rejet de l'explication de la demanderesse quant aux raisons qui l'ont empêchée de comparaître à l'audience du 12 août 2002. Lorsqu'elle a rejeté l'explication donnée par la demanderesse, la SPR n'a pas conclu que son témoignage n'était pas digne de foi.

[11]            Je suis convaincu que la décision faisant l'objet du contrôle judiciaire ne peut pas résister à un « examen attentif » . En d'autres termes, il s'agit d'une décision qui ne peut pas résister à un « examen assez poussé » . Bien qu'il ne fasse aucun doute que c'est au demandeur qu'il incombe de poursuivre sa demande du statut de réfugié au sens de la Convention d'une façon diligente[5], une décision dans laquelle on prononce le désistement d'une demande du statut de réfugié au sens de la Convention, comme la décision dont il est question en l'espèce, a une « grande incidence » sur le demandeur. Il s'ensuit qu'une telle décision doit être mûrement pesée et que les motifs sur lesquels elle est fondée doivent témoigner du soin avec lequel elle est prise. Ce n'est pas le cas dans la présente affaire.


CONCLUSION

[12]            Compte tenu de la brève analyse qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la SPR faisant l'objet du contrôle sera annulée et l'affaire sera renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'un tribunal différemment constitué l'entende à nouveau et rende une nouvelle décision.

[13]            Le défendeur aura sept (7) jours à partir de la date des présents motifs pour présenter des observations écrites relativement à la certification d'une question, s'il l'estime nécessaire. Si le défendeur propose une ou des questions aux fins de certification, la demanderesse aura sept (7) jours pour répondre aux observations du défendeur. Par la suite, le défendeur aura trois (3) jours pour présenter une réponse écrite. La Cour ne rendra un ordonnance qu'après qu'elle aura reçu et étudié les questions proposées aux fins de certification.

                                                                           _ Frederick E. Gibson _            

                                                                                                             Juge                             

Ottawa (Ontario)

Le 16 décembre 2003

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                       COUR FÉDÉRALE

                                                         

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-5461-02

INTITULÉ :                                           MABEL ANA RUSCONI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 9 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                        LE 16 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

D. Clifford Luyt                                       POUR LA DEMANDERESSE

A. Leena Jaakkimainen                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates                          POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]            L.C. 2001, ch. 27.

[2]            Dossier du tribunal, page 6.

[3]            [2000] 3 C.F. 109 (1re inst.).

[4]            Dossier du tribunal, pages 98 et 99.

[5]            VoirSerrahina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 622 (QL) (C.F. 1re inst.).


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