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Date : 20030502

Dossier : IMM-1893-02

Référence : 2003 CFPI 432

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                                 CONG DANH DO

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                  MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                                   

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 M. Cong Danh Do (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire d'une déclaration faite par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le défendeur). Dans la déclaration, une représentante du ministre, Mme Claudette Deschênes (la représentante du ministre), a émis au nom du ministre un avis selon lequel le demandeur constituait un danger pour le public au Canada (l'Avis de danger). L'Avis de danger a été émis le 12 avril 2002 suivant l'alinéa 46.01(1)e) et le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi). Des « avis de danger » avaient précédemment été émis envers ce demandeur, mais ils ont par la suite été annulés. On fera référence à ces avis de danger simplement en les désignant comme les « avis de danger » . Seule la déclaration faisant actuellement l'objet du contrôle sera désignée comme l' « Avis de danger » .

[2]                 Les questions en litige soumises à la Cour sont celles de savoir si l'équité procédurale est absente dans la procédure qui a conduit à l'émission de l'Avis de danger et si des erreurs de droit ont été commises lorsque l'Avis de danger a été émis ou si l'Avis de danger lui-même était fondé sur des conclusions de fait erronées.

[3]                 La présente demande est accueillie pour les motifs ci-après énoncés.

LES FAITS

[4]                 Le demandeur, qui était âgé de 32 ans au moment de l'audience en l'espèce, est un résident permanent du Canada. Il est entré au Canada en 1982. Il avait quitté le Vietnam avec son frère alors qu'il avait huit ans. Entre le moment de son départ du Vietnam et son arrivée au Canada, il a séjourné dans des camps en Thaïlande avant de venir à Montréal par avion.


[5]                 Le demandeur a été reconnu coupable de plusieurs infractions criminelles au Canada. En décembre 1990, il a été reconnu coupable d'une introduction par infraction, d'une agression au moyen d'une arme à feu en ayant l'intention de blesser ou de mettre en danger la vie d'une personne et causant des lésions corporelles et d'une utilisation d'une arme à feu dans le but de commettre une infraction. Il a été condamné à une peine totale de deux ans d'emprisonnement pour ces infractions.

[6]                 En mars 1996, le demandeur a été reconnu coupable de fraude et il a été condamné à un an de prison. En septembre 1996, le demandeur a été condamné à un total de quarante mois de prison pour trois chefs d'accusation de complot en vue de faire du trafic de stupéfiants, trois chefs d'accusation de trafic de stupéfiants et trois autres chefs d'accusation de trafic de stupéfiants pour lesquels des sentences ont été imposées simultanément aux peines imposées pour les autres chefs d'accusation. Une autre condamnation pour deux chefs d'accusation de fraude a été prononcée en mai 1997.

Les instances antérieures

[7]                 Au cours de sa détention, le demandeur a fait l'objet de nombreux rapports d'évaluation. Ces rapports, préparés par Service correctionnel Canada (SCC), sont inclus dans le dossier certifié (DC) fourni par le défendeur. Des évaluations psychiatriques et psychologiques préparées par le Centre régional de réception (CRR) du Québec figuraient parmi les rapports soumis.


[8]                 L'un des rapports préparés par le CRR, communiqué le 24 avril 1997, mentionnait que le demandeur présentait un risque de comportement violent moindre que la moyenne. Un rapport cumulatif de la situation du demandeur, connu comme le « Rapport récapitulatif » , a été préparé en 1998. Le Rapport récapitulatif ne mentionnait pas le rapport préparé en 1997 par le CRR qui était favorable au demandeur. Il mentionnait cependant un rapport de 1991 qui déclarait que le demandeur était une personne dangereuse.

[9]                 Se fondant sur le Rapport récapitulatif, un représentant du défendeur a émis un avis de danger en date du 8 juillet 1998. Cet avis de danger a été annulé lors du contrôle judiciaire effectué par Mme le juge Tremblay-Lamer : voir à cet égard la décision Do c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 797 (1re inst.) (QL). Le juge Tremblay-Lamer a déclaré que l'omission du représentant du défendeur d'avoir tenu compte du rapport préparé en 1997 par le CRR constituait une erreur et rendait l'avis de danger susceptible de contrôle. Bien que ce rapport n'ait pas été mentionné dans le Rapport récapitulatif, le défendeur pouvait néanmoins facilement le consulter, ce qui était extrêmement pertinent selon la Cour.

[10]            La détention du demandeur par SCC a pris fin par une libération d'office le 8 juin 1999. À sa sortie de prison, le demandeur a été détenu par le défendeur. Un arbitre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) a libéré le demandeur après le paiement d'une caution de 3 000 $ et le demandeur est allé vivre avec son épouse et son enfant. La décision de l'arbitre a été rendue le 10 juin 1999.


[11]            Le 6 août 1999, le défendeur a une fois de plus émis un avis de danger suivant l'alinéa 46.01e) et le paragraphe 70(5) de la Loi. Cet avis a été annulé lors du contrôle judiciaire effectué par M. le juge Rouleau : voir à cet égard la décision Do c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 199 F.T.R. 247 (C.F. 1re inst.). Le demandeur a été expulsé le 19 juin 2000, avant que la demande de contrôle judiciaire ait été tranchée. Sa demande de sursis avait été rejetée.

[12]            Le juge Rouleau a accueilli la demande de contrôle judiciaire au motif que les documents récapitulatifs sur lesquels la représentante du défendeur avait fondé l'avis de danger auraient dû être communiqués au demandeur. Il s'agissait d'une erreur de ne pas avoir communiqué au demandeur les documents sur lesquels la décision était fondée afin qu'il puisse comprendre la façon selon laquelle l'affaire serait présentée au décideur et commenter ces documents. La Cour a fondé sa décision, en majeure partie, sur la décision de la Cour fédérale Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 1 C.F. 619 (1re inst.), et sur l'arrêt Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 407 (C.A.).


[13]            Même si l'omission d'avoir communiqué au demandeur les documents précédemment mentionnés constituait pour la Cour un motif suffisant pour annuler l'avis de danger, le juge Rouleau a fait des commentaires sur d'autres aspects de l'avis de danger dont la Cour disposait. Le juge Rouleau a déclaré qu'il était d'opinion qu'il y avait suffisamment d'éléments de preuve pour permettre au décideur d'émettre un avis de danger et que la présomption légale selon laquelle le décideur avait tenu compte de toute la preuve ne pouvait pas être réfutée en l'espèce. Il n'avait en outre pas été établi qu'on n'avait pas tenu compte des raisons d'ordre humanitaire. Le juge Rouleau a de plus déclaré que les motifs justifiant l'avis de danger étaient appropriés.

[14]            Le 28 février 2002, la Section d'appel de l'immigration (la SAI) de la CISR a rendu une ordonnance autorisant le demandeur à entrer de nouveau au Canada pour l'audition de l'appel qu'il avait présenté relativement à la mesure de renvoi prise envers lui le 17 novembre 1998.

L'Avis de danger

[15]            Le 16 mars 2002, une Demande pour l'avis du ministre a été présentée. Cette demande était signée par Mme Denise Bédard, une analyste au service du défendeur, et par Mme Linda Hill, Directrice, traitement des cas. Dans la demande, les condamnations au criminel du demandeur et les rapports du SCC se trouvaient dans la section « Profil de danger » . Les prétentions du demandeur ont alors été mentionnées et il a été discuté des facteurs touchant les risques auxquels le demandeur serait exposé au Vietnam. Mme Bédard et Mme Hill ont finalisé la demande en déclarant qu'elles demandaient au ministre d'émettre un avis selon lequel le demandeur constituait un danger pour le public au Canada.


[16]            Le 12 avril 2002, la représentante du ministre a émis l'Avis de danger. Selon elle, les renseignements obtenus du demandeur étaient insuffisants pour la convaincre que la recommandation de Mme Bédard et Mme Hill ne devrait pas être suivie. Elle a conclu que la Demande pour l'avis du ministre et que le Rapport sur l'avis du ministre appuyaient solidement son opinion selon laquelle le demandeur constituait un danger pour le public au Canada. Un avis énonçant que le demandeur et son avocat avaient été informés de la demande, et qu'ils avaient reçu des copies de cette demande et des documents l'appuyant afin qu'ils puissent présenter leurs observations, était joint à l'Avis de danger.

[17]            Lorsque l'Avis de danger a été communiqué, le demandeur se préparait à revenir au Canada pour l'audition de l'appel qu'il avait présenté relativement à la mesure de renvoi prise envers lui le 17 novembre 1998. La SAI avait rendu le 28 février 2002 une ordonnance autorisant le demandeur à revenir au Canada, sous réserve des conditions y énoncées, pour l'audition de cet appel.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[18]            Les questions suivantes sont soulevées dans la présente demande :

a)         La représentante du ministre a-t-elle émis l'Avis de danger d'une façon abusive, illégale ou déraisonnable, sans tenir compte de tous les éléments de preuve pertinents dont elle disposait ou a-t-elle émis l'Avis de danger sans en avoir la compétence?

b)         La représentante du ministre devait-elle tenir compte des raisons d'ordre humanitaire lorsqu'elle a décidé d'émettre l'Avis de danger? Si oui, a-t-elle omis d'accorder suffisamment d'importance à ces raisons?


LES PRÉTENTIONS

Demandeur

[19]            La représentante du ministre a rendu une décision abusive en omettant de tenir compte d'éléments de preuve qui militaient en faveur d'une conclusion selon laquelle le demandeur ne constituait pas un danger pour le public. Notamment, on n'a pas tenu compte de trois rapports qui mentionnaient que le demandeur ne constituait pas un danger. Ces rapports avaient été préparés par des intervenants qui n'avaient pas un intérêt direct dans l'issue de la présente affaire.

[20]            En outre, l'Avis de danger ne mentionne pas l'épouse du demandeur ni son enfant né au Canada, ce qui indique qu'on n'en a pas tenu compte. Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada exige que, lors de toute analyse des raisons d'ordre humanitaire, il y ait un examen complet et équitable de l'intérêt des enfants qui risquent d'être affectés par une décision.

[21]            Parmi les raisons d'ordre humanitaire dont il fallait tenir compte, il y avait le fait que le fils du demandeur risquait d'être privé de son père durant son enfance et le fait que les liens personnels et culturels du demandeur, de même que sa famille immédiate et sa famille étendue, sont entièrement au Canada. Au Vietnam, il a été accusé d'être un « traître » et il a été arrêté et emprisonné.

[22]            Le demandeur conteste l'opinion du défendeur selon laquelle il constitue maintenant un danger au Canada en raison d'actes violents qu'il a posés dans le passé. Ces actes violents remontent à plus de douze ans et le demandeur n'a pas eu depuis de démêlés avec la justice pour de tels actes. Il n'y a pas non plus d'éléments de preuve appuyant la prétention du défendeur selon laquelle les policiers ont dit qu'il était irrécupérable (selon ce que le demandeur a déclaré dans ses prétentions). Les rapports du psychologue et les autres rapports au dossier donnent à penser le contraire. Le demandeur prétend qu'en l'absence de preuve qu'il constitue un danger pour le public au Canada, la représentante du ministre n'avait pas compétence pour émettre l'Avis de danger.

[23]            Lorsqu'elle a tiré la conclusion selon laquelle le danger pour le Canada était plus grand que les risques auxquels le demandeur serait exposé s'il devait quitter le pays, la représentante du ministre n'a pas mentionné l'épouse du demandeur, une citoyenne canadienne, ni leur enfant. L'arrêt Baker, précité, exige que le défendeur tienne compte de l'intérêt de l'épouse et de l'enfant lorsqu'il examine les raisons d'ordre humanitaire.


[24]            La Cour a statué que les principes énoncés dans l'arrêt Baker s'appliquent aux affaires dans lesquelles un avis de danger fait l'objet d'un contrôle : voir à cet égard la décision Andino c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 1 C.F. 70 (1re inst.). Dans cette décision, le juge en chef adjoint Lutfy a réitéré le principe de l'arrêt Baker selon lequel ceux dont les intérêts peuvent être affectés par une décision ont le droit à ce que leurs intérêts soient examinés de façon complète et équitable.

[25]            La décision Andino, précitée, confirme également le principe établi par la Cour dans la décision Bhagwandass, précitée. Au paragraphe 28, M. le juge Gibson a déclaré, dans la décision Bhagwandass, que l'obligation d'équité requise à l'égard d'un avis de danger n'est pas simplement de nature « minimale » .

[26]            Selon le demandeur, les motifs énoncés en l'espèce sont de nature minimale et ils ne consistent qu'en des généralités. Ils ne montrent pas que la représentante du ministre avait tenu compte de quelque façon de l'épouse et de l'enfant du demandeur et ils ne donnent aucune indication au demandeur à l'égard de la manière dont la décision a été rendue.

[27]            Le demandeur mentionne en outre que le défendeur n'a pas contesté les requêtes que l'avocat a présentées afin de faire ouvrir de nouveau son dossier et d'obtenir une autorisation pour qu'il puisse entrer de nouveau au Canada. Le demandeur soumet que si le défendeur l'avait perçu comme une personne qui constituait un danger, il aurait pu contester ces requêtes.

Défendeur


[28]            La procédure de laquelle l'Avis de danger a résulté était compatible avec les exigences de la décision Bhagwandass et de l'arrêt Chu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CAF 113, [2001] A.C.F. no 554 (C.A.) (QL). La décision est raisonnable et elle s'appuie sur la preuve.

[29]            Dans les affaires dans lesquelles les deux premiers avis de danger ont été annulés, les décisions ne s'appuyaient pas sur le bien-fondé de l'avis de danger lui-même. Le défendeur souligne que dans la décision qui a annulé le deuxième avis de danger, le juge Rouleau a reconnu qu'il y avait suffisamment d'éléments de preuve pour appuyer une conclusion selon laquelle le demandeur constituait un danger pour le public au Canada. Seules des questions d'équité procédurale ont empêché que les deux premiers avis de danger résistent à un examen judiciaire.

[30]            Les personnes qui ne sont pas des citoyens canadiens n'ont pas un droit absolu à entrer ou à demeurer au Canada : voir à cet égard l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711. Lorsque le demandeur a été reconnu coupable des infractions pour lesquelles il a subi un procès en 1990, il est devenu une personne décrite au sous-alinéa 27(1)d)(i) de la Loi. À cet égard, il a enfreint l'une des conditions sous lesquelles il avait obtenu l'autorisation de demeurer au Canada et l'arbitre avait par conséquent le droit de le soumettre à une expulsion à la suite d'une enquête. Le sous-alinéa 27(1)d)(i) prévoit ce qui suit :



27. (1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas :

                                                [...]

27. (1) An immigration officer or a peace officer shall forward a written report to the Deputy Minister setting out the details of any information in the possession of the immigration officer or peace officer indicating that a permanent resident is a person who

                 [...]d) a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale, [...] :

(i) soit pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été imposée,

(ii) soit qui peut être punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans;

                                                [...].

(d) has been convicted of an offence under any Act of Parliament, [...], for which a term of imprisonment of more than six months has been, or five years or more may be, imposed;

                                                [...].


[31]            La Cour suprême a statué que la norme de contrôle applicable à un avis selon lequel un réfugié au sens de la Convention constitue un danger pour la sécurité du Canada est celle de la décision manifestement déraisonnable : voir à cet égard l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1. La même norme devrait être appliquée lorsque la personne qui fait l'objet de l'avis de danger n'est pas un réfugié au sens de la Convention. L'exercice du pouvoir discrétionnaire que le Parlement avait l'intention d'accorder au ministre pour qu'il soit utilisé par ses représentants n'entre pas dans la compétence de la Cour. L'appréciation de la preuve fait partie de ce pouvoir discrétionnaire que la Cour ne devrait pas s'approprier.

[32]            En outre, la preuve n'appuyait pas entièrement la conclusion selon laquelle le demandeur ne constituait pas un danger pour le public au Canada. Le juge Rouleau l'a reconnu dans sa décision et il a en outre déclaré qu'il n'existait pas de preuve démontrant que la représentante du ministre avait omis de tenir compte des documents que le demandeur présentait comme des documents lui étant favorables. Ces documents étaient mentionnés dans la Demande pour l'avis du ministre.


[33]            Les documents que le demandeur essayait de faire prendre en compte par le ministre, en tant qu'éléments de preuve lui étant favorables, démontrent en fait que le risque de récidive de sa part est encore présent. Même si le demandeur prétend avoir été réhabilité, il existe suffisamment d'éléments de preuve qui appuient l'opinion selon laquelle il constitue un danger pour le public. Ses condamnations pour des infractions en matière de drogue sont expressément mentionnées, de même que le fait que sa libération d'office ait été révoquée en 1999 après qu'il eut été pris à conduire sans permis en violation d'une condition de sa libération. Le dossier criminel du demandeur, pris dans son ensemble, et sa participation à un groupe asiatique du crime organisé montrent que le demandeur risque de commettre de nouvelles infractions et qu'il demeure encore un danger pour le public au Canada.

[34]            L'Avis de danger mentionne effectivement les raisons d'ordre humanitaire applicables au dossier du demandeur. Il a également été fait référence à ces raisons dans la Demande pour l'avis du ministre dans laquelle les prétentions du demandeur sur cette question sont mentionnées. Dans sa décision à l'égard du deuxième avis de danger, le juge Rouleau déclare que le demandeur ne l'a pas convaincu qu'on n'a pas tenu compte de l'intérêt de son enfant.


[35]            Un décideur est présumé avoir tenu compte de tous les éléments de preuve dont il disposait : voir à cet égard l'arrêt Woolaston c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration), [1973] R.C.S. 102. Le demandeur n'a pas réfuté la présomption selon laquelle la représentante du ministre a effectivement tenu compte de toutes les raisons d'ordre humanitaire. Il n'a pas fourni la preuve claire et convaincante nécessaire pour réfuter cette présomption.

[36]            Les prétentions du demandeur à l'égard de l'application de l'arrêt Baker à la présente affaire ne sont pas bien fondées. L'arrêt Baker ne comportait pas la question d'un avis de danger. En outre, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Baker, a seulement déclaré que l'équité procédurale exige qu'un agent d'immigration tienne compte de l'intérêt des personnes affectées par une décision importante. L'arrêt Baker ne fait pas obstacle au renvoi du Canada de toute personne qui a des enfants nés au Canada sans qu'il soit tenu compte des circonstances.

[37]            La préoccupation principale de la représentante du ministre en l'espèce est la question de savoir si le demandeur constitue un danger présent ou futur pour les gens qui vivent au Canada. Il s'agit d'une question extrêmement différente de celle qui a fait l'objet du contrôle dans l'arrêt Baker, dans lequel les raisons d'ordre humanitaire jouaient un rôle plus important.


[38]            L'intérêt supérieur de l'épouse ou de l'enfant d'un demandeur ne l'emportera pas toujours sur d'autres raisons. L'avis de danger, compte tenu de sa nature, peut être justifié même après un examen approprié de l'intérêt des membres de la famille. L'alinéa 3i) de la Loi prévoit que l'un des objectifs de la politique d'immigration est de maintenir et de garantir la santé, la sécurité et l'ordre public au Canada. Lorsque cet objectif a été examiné par rapport aux crimes pour lesquels le demandeur a été condamné, il était raisonnable de conclure que l'objectif avait priorité sur les raisons d'ordre humanitaire. En outre, le demandeur a présenté des observations à la représentante du ministre. Il a eu pleinement l'occasion de présenter des observations à l'égard des raisons d'ordre humanitaire telles que celles touchant sa famille à ce moment.

ANALYSE

[39]            Les deux principales questions traitées par les parties sont la question du caractère raisonnable de la décision, c'est-à-dire la question de savoir si la décision était une décision qui pouvait raisonnablement être prise compte tenu de la preuve dont la représentante du ministre disposait, et celle de savoir si les raisons d'ordre humanitaire ont été examinées de façon appropriée.

Le caractère raisonnable fondé sur la preuve                       


[40]            La Cour a établi que la norme de contrôle applicable à la question de l'émission d'un avis de danger était la décision raisonnable simpliciter : voir à cet égard la décision Bhagwandass et également la décision Mullings c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 607, (2001) 206 F.T.R. 93 (C.F. 1re inst.). L'application de cette norme de contrôle aux décisions de cette nature est fondée sur l'arrêt Baker de la Cour suprême. Dans l'arrêt Baker, Mme le juge L'Heureux-Dubé a examiné les facteurs dont il faut tenir compte pour établir la norme de contrôle appropriée, selon ce qui a été énoncé dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, et elle a conclu que la norme de contrôle ne devait pas être une norme d'une aussi grande retenue que celle du caractère « manifestement déraisonnable » . La Cour a adopté une position semblable à l'égard du contrôle judiciaire des avis de danger; une certaine retenue est justifiée, mais pas un niveau de retenue qui ferait qu'un avis de danger ne pourrait être annulé que s'il était entaché d'une erreur qui ressort de la décision de façon évidente.

[41]            Les dispositions en vertu desquelles l'Avis de danger a été émis sont l'alinéa 46.01(1)e) et le paragraphe 70(5). Ces dispositions sont rédigées comme suit :


46.01 (1) La revendication de statut n'est pas recevable par la section du statut si l'intéressé se trouve dans l'une ou l'autre des situations suivantes :

                                                [...]

46.01 (1) A person who claims to be a Convention refugee is not eligible to have the claim determined by the Refugee Division if the person

                                                  

                                                [...]

e) l'arbitre a décidé, selon le cas :

(e) has been determined by an adjudicator to be

(i) qu'il appartient à l'une des catégories non admissibles visées à l'alinéa 19(1)c) ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) et, selon le ministre, il constitue un danger pour le public au Canada,

(i) a person described in paragraph 19(1)(c) or subparagraph 19(1)(c.1)(i) and the Minister is of the opinion that the person constitutes a danger to the public in Canada,

(ii) qu'il appartient à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)e), f), g), j), k) ou l) et, selon le ministre, il serait contraire à l'intérêt public de faire étudier sa revendication aux termes de la présente loi,

(ii) a person described in paragraph 19(1)(e), (f), (g), (j), (k) or (l) and the Minister is of the opinion that it would be contrary to the public interest to have the claim determined under this Act;

(iii) qu'il relève du cas visé au sous-alinéa 27(1)a.1)(i) et, selon le ministre, il constitue un danger pour le public au Canada,

(iii) a person described in subparagraph 27(1)(a.1)(i) and the Minister is of the opinion that the person constitutes a danger to the public in Canada, or

(iv) qu'il relève, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, il constitue un danger pour le public au Canada.

(iv) a person described in paragraph 27(1)(d) who has been convicted of an offence under any Act of Parliament for which a term of imprisonment of ten years or more may be imposed and the Minister is of the opinion that the person constitutes a danger to the public in Canada.


70 (5) Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a) ou b), qui, selon la décision d'un arbitre :

70 (5) No appeal may be made to the Appeal Division by a person described in subsection (1) or paragraph (2)(a) or (b) against whom a deportation order or conditional deportation order is made where the Minister is of the opinion that the person constitutes a danger to the public in Canada and the person has been determined by an adjudicator to be

a) appartiennent à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), c.1), c.2)

ou d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

(a) a member of an inadmissible class described in paragraph 19(1)(c), (c.1), (c.2) or (d);

b) relèvent du cas visé à l'alinéa 27(1)a.1) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

(b) a person described in paragraph 27(1)(a.1); or

c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.

(c) a person described in paragraph 27(1)(d) who has been convicted of an offence under any Act of Parliament for which a term of imprisonment of ten years or more may be imposed.


[42]            Bien que, compte tenu des dispositions précédemment énoncées, la conséquence juridique directe d'un avis de danger puisse être d'empêcher qu'une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention soit recevable ou qu'un appel à la SAI soit présenté, l'effet pratique est que cet avis tranche la question de savoir si une personne peut demeurer au Canada, lorsqu'elle y est établie, ou si elle devra quitter le pays. C'est ce qu'a mentionné le juge Gibson dans la décision Bhagwandass. Par conséquent, ces considérations établiront l'obligation d'agir équitablement envers un demandeur. Il faut également tenir compte de ces considérations lors de l'établissement du caractère raisonnable, quant au fond, de la décision.


[43]            En l'espèce, l'obligation d'agir équitablement a été respectée. Le demandeur a reçu les documents sur lesquels l'Avis de danger était fondé. Ces documents comprenaient la Demande pour l'avis du ministre et le Rapport sur l'avis du ministre. Le motif pour lequel le deuxième avis de danger a été annulé n'est par conséquent pas une question en litige à l'égard du présent Avis de danger.

[44]            La question du caractère raisonnable de l'Avis de danger présente un plus grand intérêt en l'espèce. Dans la décision du juge Rouleau, par laquelle le deuxième avis de danger a été annulé, la Cour a, au paragraphe 26, déclaré ce qui suit :

J'estime que la preuve était suffisante pour permettre au décideur d'exprimer l'avis que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada. Le demandeur a commis des crimes graves au Canada. Les documents présentés à la représentante du ministre n'étaient pas tous favorables au demandeur, malgré les prétentions de celui-ci. [...]

[45]            La preuve dont la représentante du ministre disposait en l'espèce continue à être suffisante pour que le demandeur ne puisse pas prétendre qu'elle milite totalement en faveur d'une conclusion selon laquelle il ne constitue pas un danger pour le public. Le demandeur mentionne à juste titre que les plus récents rapports dans son dossier sont principalement des évaluations qui lui sont favorables. Parmi ces évaluations, il y a le rapport psychologique daté du 24 avril 1997 qui mentionne que le niveau de risque que présentait le demandeur était faible. Également, parmi les éléments de preuve qui sont favorables au demandeur, on retrouve le rapport intitulé « Suivi du Plan Correctionnel » et les décisions d'un arbitre qui ont permis sa libération à deux reprises, l'une en 1999 et l'autre en 2000.

[46]            Cependant, ces trois rapports favorables sont, dans une certaine mesure, écartés par d'autres documents contenus dans le DC. Ces documents comprennent des rapports préparés par le SCC qui mentionnent que le demandeur continue à présenter un danger pour autrui. Ils comprennent également des renseignements à l'égard de nombreuses infractions pour lesquelles le demandeur a fait l'objet de condamnations. Il est difficile de ne pas tenir compte d'une si grande variété de crimes contre la personne, de crimes contre la propriété et d'infractions en matière de drogues, notamment lorsque l'historique de ces infractions s'étend sur une période de plusieurs années.

[47]            Cela dit, le DC ne révèle aucune transgression majeure par le demandeur depuis sa mise en liberté en 1999. Rien ne démontre que le demandeur ne se soit pas essentiellement conformé aux conditions de sa mise en liberté. Il n'a pas été surpris dans des endroits comme des bars de karaoké, des salles de billard ou d'autres lieux où il avait accepté de ne pas se rendre, ces sortes de lieux étant les endroits où il s'associait avec des personnes liées au crime. Le seul fondement de la révocation de sa mise en liberté d'office dans la décision rendue le 6 octobre 1999 par la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) était que son agent de libération conditionnelle l'avait pris à conduire sans permis un véhicule automobile.    


[48]            Les personnes qui sont en libération conditionnelle ont une obligation générale de ne violer aucune loi pendant qu'ils font l'objet des conditions de libération. Cependant, au Québec, l'infraction de conduite sans permis n'est soumise qu'aux dispositions du Code de la sécurité routière, L.R.Q., c-24.2. L'article 141 du Code de la sécurité routière prévoit une amende entre 300 $ et 600 $ pour chaque infraction. Il ne s'agit par conséquent pas d'une infraction à une loi fédérale qui constitue l'une des conditions auxquelles doit être liée l'infraction entraînant pour un contrevenant la préparation d'un rapport suivant l'alinéa 27(1)d) de la Loi.

[49]            À la page 5 de la décision de la CNLC, les membres du tribunal ont fait les commentaires qui suivent :

La Commission a des doutes raisonnables de croire qu'en apparence vous donnez toutes les allures d'un individu conformiste, mais qu'il en est tout autrement lorsque vous n'êtes pas sous surveillance. Votre agent de libération conditionnelle ne peut plus vous faire confiance parce que vous avez manqué d'honnêteté et de transparence, parce qu'à plusieurs reprises il a dû vous rappeler vos obligations et que malgré cela, vous n'avez pas hésité à le défier en conduisant à plus d'une reprise un véhicule automobile sans permis. Il est bien difficile pour la Commission dans les circonstances d'en arriver à la conclusion que les risques de récidive ne sont plus présents et en conséquence, elle révoque votre libération d'office.      


[50]            Deux aspects des déclarations de la CNLC méritent d'être mentionnés en l'espèce. L'un de ces aspects est l'absence de quelque mention significative de ces déclarations dans la Demande pour l'avis du ministre ou dans le Rapport sur l'avis du ministre. Il n'y a qu'une déclaration générale selon laquelle la libération d'office du demandeur a été révoquée en raison de son défaut de s'être conformé aux conditions de cette libération. En outre, le désir du demandeur d'obtenir un emploi lucratif, en dépit du fait qu'il ait utilisé illégalement un véhicule automobile, et sa décision de se présenter volontairement pour le renvoi, plutôt que d'attendre qu'un mandat d'arrestation soit lancé contre lui, sont des éléments qui montrent que le demandeur a une attitude plus « conformiste » que celle que la CNLC lui reconnaît.

[51]            Malgré les aspects du DC qui sont favorables au demandeur, il reste de nombreux éléments qui lui sont défavorables, notamment les rapports préparés par le SCC aussi récemment qu'en 2000. La question de savoir si le SCC est la source de renseignements la plus objective envers le demandeur, ou celle de savoir si l'opinion qu'ont les autorités du SCC envers le demandeur est très sévère, est une question qui doit être examinée par la représentante du ministre. Il relève également de la compétence de la représentante du ministre, et non de la cour qui procède au contrôle judiciaire, d'examiner la question de savoir si les éléments de preuve plus récents à l'égard du bon comportement du demandeur devraient avoir priorité sur les rapports plus anciens du SCC et sur les infractions criminelles.

[52]            Par conséquent, bien que la Cour puisse avoir une opinion différente à l'égard de la conclusion tirée, il ne faut pas que la norme de contrôle à appliquer soit établie suivant cette opinion différente. Le rôle de la Cour se limite à établir le caractère raisonnable de la décision en s'appuyant sur la preuve dont elle dispose. Je ne peux pas être d'avis que la représentante du ministre a rendu une décision déraisonnable lorsqu'elle a conclu que la preuve qui était favorable au demandeur ne justifiait pas que soit tirée une conclusion selon laquelle il ne constitue pas un danger pour le public au Canada.


Le caractère raisonnable fondé sur l'examen des raisons d'ordre humanitaire

[53]            La représentante du ministre a fait les commentaires suivants dans le Rapport sur l'avis du ministre à l'égard de ce qu'elle avait examiné afin de tirer la conclusion selon laquelle le demandeur constituait un danger pour le public :

Pour former mon avis, j'ai examiné attentivement les renseignements contenus dans le Rapport sur l'avis du Ministre, ainsi que les éléments de preuves [sic] présentés par les agents du bureau local d'immigration, à l'appui de leur recommandation que Cong Danh DO [...] constitue un danger pour le public [...]. J'ai aussi examiné les renseignements contenus dans la Demande pour l'avis du Ministre en date du 13/03/02, ainsi que les documents de soutien. J'ai également examiné attentivement les observations de l'avocat [...] et celle de monsieur DO [...] et toutes considérations humanitaires qui pourraient exister dans ce cas. Les renseignements fournis par l'avocat du client sont insuffisants pour me persuader que la recommandation des agents du bureau local d'immigration [...] ne devrait pas être suivie. [...] À mon avis, les risques que cette personne représente à la société canadienne sont plus élevés que les risques éventuels auxquels cette personne pourrait être exposée à son retour au Vietnam.

[54]            La Demande pour l'avis du ministre énonce les infractions pour lesquelles le demandeur a été condamné, de même que le rapport psychologique et les autres rapports préparés par le SCC sous le titre « Profil de Danger » . Les observations présentées par le demandeur au ministre ont été résumées sous un autre titre, puis les considérations de renvoi ont été analysées et Mme Bédard et Mme Hill ont finalisé la demande en présentant leurs observations.


[55]            Les raisons d'ordre humanitaire soulevées par le demandeur n'ont été mentionnées que dans le résumé des observations du demandeur dans la Demande pour l'avis du ministre. Le Rapport sur l'avis du ministre ne mentionne pas ces raisons et la représentante du ministre déclare seulement qu'à son avis elle a tenu compte de toutes les raisons d'ordre humanitaire. Dans la Demande pour l'avis du ministre, la déclaration sous le titre « Considérations de renvoi » se concentre presque exclusivement sur les risques auxquels le demandeur lui-même serait exposé au Vietnam. Les raisons d'ordre humanitaire n'ont pas été traitées sous ce titre.

[56]            Il est généralement reconnu qu'un tribunal doit présumer qu'un décideur a tenu compte de tous les éléments de preuve dont il disposait à moins que le contraire puisse être établi : voir à cet égard l'arrêt Florea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL). Par conséquent, un décideur n'a pas l'obligation de mentionner chacune des observations faites par un demandeur ou chacun des éléments de preuve présentés simplement pour convaincre une cour de révision qu'il a tenu compte de ces observations ou de ces éléments de preuve.


[57]            Cependant, la nécessité de mentionner certaines des observations ou certains des éléments de preuve augmentera si ces observations ou ces éléments de preuve sont essentiels à la prétention du demandeur. Si le décideur ne mentionne pas clairement les motifs pour lesquels certains éléments de preuve n'ont pas été acceptés, le rejet de ces éléments de preuve sans un motif approprié réduira la mesure dans laquelle la décision pourra résister à un examen judiciaire : voir à cet égard la décision Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). M. le juge Evans (maintenant juge à la Section d'appel) a mentionné cette décision dans son jugement Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.). La Cour a fait remarquer ce qui suit au paragraphe 17 :

[...] plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[58]            Dans l'avis rédigé par la représentante du ministre, la simple mention qu'elle a tenu compte de toutes les raisons d'ordre humanitaire qui pouvaient exister n'est pas appropriée. Compte tenu de l'arrêt Baker et compte tenu de la large mesure dans laquelle les raisons d'ordre humanitaire étaient la pierre angulaire de la prétention du demandeur selon laquelle il ne constituait pas un danger pour le Canada, ces raisons auraient dû faire l'objet d'une plus grande attention. Il appartient à la représentante du ministre d'expliquer plus en détail les raisons pour lesquelles les autres considérations avaient priorité sur les raisons d'ordre humanitaire soulevées par le demandeur. L'Avis de danger est incomplet à cet égard et il devrait être annulé.


[59]            La décision Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 183 F.T.R. 240 (C.F. 1re inst.), rendue par la Cour, est pertinente à deux égards. Dans la décision Gonzalez, précitée, la Cour a examiné la possibilité de tenir compte de la Demande pour l'avis du ministre comme un motif justifiant la décision d'émettre un avis de danger. Une telle méthode est compatible avec l'opinion exprimée dans l'arrêt Baker selon laquelle les documents qui sont préparés par une autre personne que le décideur, mais qui donnent des renseignements à l'égard de la procédure décisionnelle, peuvent être considérés comme certains des motifs, ou tous les motifs, de la décision. Dans la décision Gonzalez, la Cour a statué que la Demande pour l'avis du ministre se concentrait sur le danger auquel serait exposé un demandeur au Nicaragua s'il y était renvoyé et que rien ne démontrait que les raisons d'ordre humanitaire avaient été examinées lors de la décision d'émettre un avis de danger.


[60]            Une erreur similaire a été commise en l'espèce. La Demande pour l'avis du ministre ne fait que mentionner les raisons d'ordre humanitaire dans la section du document dans laquelle sont résumées les prétentions du demandeur. On ne retrouve nulle part, dans la Demande pour l'avis du ministre, dans le Rapport sur l'avis du ministre ou dans les conclusions de la représentante du ministre, une analyse des raisons d'ordre humanitaire. On ne peut pas être certain lorsqu'on lit ces documents précédemment mentionnés que l'une ou l'autre des personnes qui sont intervenues dans la décision a tenu compte des raisons d'ordre humanitaire, sauf pour simplement mentionner que le demandeur avait soulevé ces raisons. On ne peut pas par conséquent conclure que la représentante du ministre ou qui que ce soit qui est intervenu dans la décision a seulement tenu compte de ces raisons, encore moins a donné une explication convaincante quant aux motifs pour lesquels ces raisons ne suffisaient pas à empêcher l'émission d'un avis de danger avec les conséquences qui s'y rattachent. Sur ce fondement, l'Avis de danger ne peut pas être retenu.

[61]            Les avocats ont eu la possibilité de soulever une question de portée générale et ils ont choisi de ne pas le faire. Je suis d'avis que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale. Aucune question ne sera certifiée.

[62]            Pour les motifs précédemment énoncés, la présente demande est accueillie.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.         L'Avis de danger émis envers Cong Danh Do le 12 avril 2002 est annulé.

3.         L'affaire est renvoyée au ministre afin qu'il procède à un nouvel examen d'une manière conforme aux présents motifs.

4.         Aucune question n'est certifiée.

                                                                                    « Michel Beaudry »            

                                                                                                             Juge                       

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-1893-02

INTITULÉ :              CONG DANH DO c. MCI

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 11 mars 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                     Le 2 mai 2003

COMPARUTIONS :

Harry BLANK                                                     POUR LE DEMANDEUR

Martine VALOIS                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Harry BLANK                                                     POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)                                                           


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