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Date : 20030514

Dossier : T-1484-01

Référence : 2003 CFPI 594

OTTAWA (ONTARIO), LE 14 MAI 2003

En présence de MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU                             

ENTRE :

                                                     RAMESH MAN SHRESTHA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur interjette appel de la décision datée du 22 juin 2001 par laquelle la juge de la citoyenneté Suzanne Pinel a décidé qu'il ne remplissait pas les conditions de résidence préalables à l'attribution de la citoyenneté canadienne qui sont énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi). En l'espèce, la juge de la citoyenneté a conclu qu'il manquait 858 jours au demandeur sur le minimum de 1 095 de jours de résidence requis dans les quatre ans (1 460 jours) qui ont précédé la date de sa demande.

[2]                Le demandeur travaille pour le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) et il a été affecté à des postes à l'étranger, aux Maldives et en Irak, depuis qu'il est devenu résident permanent du Canada. Il est actuellement en poste au Ghana et il a renouvelé son contrat, qui prendra fin en 2004.

[3]                La juge de la citoyenneté n'était pas convaincue que le demandeur avait rempli les conditions de résidence prévues par la Loi et a conclu :

[Traduction] Vous avez été admis au Canada le 12 décembre 1996. Après un peu moins d'un mois au Canada, vous êtes retourné aux Maldives le 10 janvier 1998 afin de reprendre vos fonctions au sein de l'UNICEF pour une absence prolongée de 77 jours. Cette première absence prolongée a été suivie de dix autres absences prolongées ... [i]l est difficile d'établir une résidence dans une période aussi courte. De plus, entre vos absences, lors de vos retours au Canada pour rendre visite à votre famille, vous n'êtes jamais resté plus longtemps qu'entre deux semaines et un mois. Après avoir présenté votre demande, vous avez renouvelé un contrat pour une période de quatre ans, cette fois au Ghana ... vous ... avez travaillé et résidé à l'étranger.

Dans les quatre ans qui ont précédé la date de votre demande de citoyenneté, vous avez été présent au Canada pendant 237 jours et absent du pays pendant 1 140 jours. Il vous manque 858 jours sur le minimum de 1 095 jours requis par l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

Je comprends l'importance de votre affectation, mais je considère que votre demande de citoyenneté est prématurée pour l'instant. Je ne doute absolument pas que vous ferez éventuellement un excellent citoyen canadien mais, pour le moment, je ne peux malheureusement pas approuver votre demande de citoyenneté.

[4]                La question soulevée par le présent appel de la décision de la juge de la citoyenneté est celle de savoir si cette dernière a conclu à juste titre que le demandeur ne remplissait pas les conditions de résidence prévues par la Loi.


[5]                Il a été établi que la norme de contrôle applicable dans les affaires concernant la révision de la décision d'un juge de la citoyenneté est proche de la décision correcte, avec la retenue due envers les connaissances et l'expertise particulières du juge de la citoyenneté (Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177, par. 33 (C.F. 1re inst.) (Lam)).

[6]                Les conditions concernant la résidence sont énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, dont voici le texte :


5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois_:

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante_:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

(je souligne)

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

(c) has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to section 24 of the Immigration Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

(emphasis added)



[7]                En vertu de cette disposition, une personne peut se voir attribuer la citoyenneté canadienne si elle est résidente permanente du Canada depuis son admission à titre d'immigrant ayant obtenu le droit d'établissement et qu'elle a résidé au Canada pendant trois ans dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande de citoyenneté. En résumé, les trois conditions à remplir pour obtenir la citoyenneté sont les suivantes :

1.         la personne a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent;

2.         elle n'a pas perdu depuis son admission le titre de résident permanent en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2;

3.         elle a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout (1 095 jours), la durée de sa résidence étant calculée suivant la formule prescrite au paragraphe 5(1) de la Loi.

[8]                La question de savoir si les deux premières conditions ont été remplies n'a pas été débattue en l'espèce. Par conséquent, l'analyse ne portera que sur la troisième condition.


[9]                Le mot « résidence » n'est pas expressément défini au paragraphe 2(1) de la Loi. Les juges de notre Cour ont exprimé des opinions contradictoires quant à la nécessité de maintenir une présence physique au Canada pendant la période pertinente de quatre ans. Pour certains juges, la période d'absence d'un an autorisée par la loi au cours de la période de quatre ans donne de bonnes raisons de penser que la présence physique de la personne qui demande la citoyenneté est obligatoire pendant les trois autres années (Re Pourghasemi (1993), 19 Imm. L.R. (2d) 259 (C.F. 1re inst.); Re Chou (1997), 40 Imm. L.R. (2d) 308 (C.F. 1re inst.); Chang, [1998] A.C.F. no 148, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Cheung (1998), 148 F.T.R. 237).

[10]            Toutefois, d'autres juges de notre Cour ont considéré que les conditions relatives à la résidence à l'alinéa 5(1)c) de la Loi comportent davantage qu'un simple calcul des jours. L'auteur d'une demande de citoyenneté dont le domicile est établi au Canada ne cesse pas de résider dans ce pays lorsqu'il part pour une fin temporaire, soit pour affaires, soit pour des vacances, soit pour poursuivre des études. Par conséquent, les périodes d'absence peuvent être comptées dans le nombre total de jours requis si le juge de la citoyenneté est convaincu que les absences peuvent être justifiées (In re la Loi sur la citoyenneté et in re Antonios E. Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (Papadogiorgakis), et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liu, [1999] A.C.F. no 122).

[11]            Plus particulièrement, dans Re Koo, [1993] 1 C.F. 286, aux pages 293 et 294, la juge Reed a opté pour une interprétation libérale des conditions de résidence et a dit que le critère est celui de savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant « vit régulièrement, normalement ou habituellement » . En d'autres mots, le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence? La juge Reed a ensuite énuméré une liste de questions que l'on peut poser pour rendre une telle décision :


(1)            la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

(2)            où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

(3)            la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

(4)            quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

(5)            l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

(6)            quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[12]            En l'espèce, la juge de la citoyenneté a appliqué le critère formulé dans Re Koo, précitée, mais elle n'a pas examiné chacune des questions, soulignant simplement que le demandeur n'avait pas établi sa résidence avant de partir encore une fois pour travailler aux Maldives et de s'absenter du Canada pendant de longues et fréquentes périodes. Toutefois, le demandeur a fourni une explication à chacune de ses absences (dossier certifié, p. 24) :

No

Du (J/M/A)

Au (J/M/A)

Raisons de l'absence                

1.

10/01/1997

28/03/1997

Emploi auprès des Nations Unies aux Maldives   

2.

06/04/1997

23/08/1997

Emploi auprès des Nations Unies aux Maldives

3.

10/09/1997

24/12/1997

Travail humanitaire dans le nord de l'Irak

4.

15/01/1998

05/04/1998

Travail humanitaire dans le nord de l'Irak

5.

18/04/1998

04/08/1998

Travail humanitaire dans le nord de l'Irak

6.

28/08/1998

27/12/1998

Travail humanitaire dans le nord de l'Irak

7.

20/01/1999

14/04/1999

Travail humanitaire dans le nord de l'Irak

8.

30/04/1999

03/08/1999

Travail humanitaire dans le nord de l'Irak

9.

04/09/1999

22/12/1999

Travail humanitaire dans le nord de l'Irak

10.

05/01/2000

07/01/2000

Travail humanitaire dans le nord de l'Irak

11.

09/01/2000

01/04/2000

Travail humanitaire dans le nord de l'Irak

12.

07/04/2000

12/04/2000

Travail humanitaire dans le nord de l'Irak

13.

18/04/2000

29/08/2000

Travail humanitaire dans le nord de l'Irak

14.

20/09/2000

30/03/2001

Travail humanitaire dans le nord de l'Irak jusqu'au 16 octobre 2000 et réaffectation au Ghana depuis

[13]            Le demandeur ne conteste pas le nombre de jours pendant lesquels, selon les calculs de la juge de la citoyenneté, il était absent du Canada, mais il soutient tout simplement que ses absences étaient justifiées et pouvaient compter pour le temps de résidence.


[14]            À mon avis, même si le demandeur a une explication raisonnable pour ses longues absences, il n'en demeure pas moins qu'il n'a jamais prouvé qu'il avait centralisé son mode de vie au Canada. Il a démontré qu'il avait loué un appartement, acheté une maison et une automobile, obtenu un permis de conduire ainsi qu'une carte d'assurance-maladie de la province de l'Ontario, conservé une police d'assurance, produit des déclarations de revenus, rendu visite à sa famille immédiate qui habite au Canada chaque fois qu'il en a eu l'occasion et renouvelé à temps son permis de retour (dossier certifié, pages 30-95). Il n'a toutefois pas convaincu la juge de la citoyenneté qu'une situation purement temporaire était à l'origine de ses absences et je ne peux pas conclure qu'il existe une preuve selon laquelle, pendant la période pertinente, il s'est efforcé de trouver du travail ici, au Canada, sauf lorsqu'il est arrivé en décembre 1996, quand il a cherché du travail pendant un peu moins d'un mois. Il n'y avait également aucune preuve qu'il avait établi sa résidence avant de partir pour la première fois.

[15]            Je souligne que, dans l'extrait tiré de Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Lam (1999), 166 F.T.R. 308, cité par le juge Pelletier, tel était alors son titre, dans Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 376, la juge Simpson a dit que l'interprétation libérale des conditions de résidence dans Papadogiorgakis, précitée, reposait sur la prémisse que la résidence antérieure au Canada avait été établie avant que Papadogiorgakis parte étudier à l'étranger. Dans cette affaire, le demandeur avait été admis au Canada grâce à un visa d'étudiant le 5 septembre 1970 et avait obtenu la résidence permanente le 13 mai 1974. Papadogiorgakis avait été présent au Canada du 5 septembre 1970 jusqu'au 28 janvier 1976 avant de partir aux États-Unis pour étudier, c'est-à-dire cinq ans et demi après s'être établi au Canada. Par comparaison, le demandeur en l'espèce n'a été présent au Canada que pendant un peu moins d'un mois avant de partir pour les Maldives. Comme l'a souligné le juge Pelletier, tel était alors son titre, dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Ting, [2002] A.C.F. no 1161, une autre affaire portant sur le cas d'un « étudiant » , au paragraphe 11 :

S'il [Papadogiorgakis] avait demandé la citoyenneté canadienne avant de commencer ses études aux États-Unis, il aurait satisfait aux conditions de résidence du fait de sa présence physique au Canada. Il s'agissait véritablement dans ce cas d'une personne profondément attachée au Canada qui avait été présente dans ce pays pendant une longue période avant d'aller étudier à l'étranger. La décision Padadogiorgakis n'étaie donc pas la proposition générale selon laquelle une personne est automatiquement présumée résider au Canada pendant qu'elle étudie à l'étranger.


[16]            Je souligne que le demandeur ne semble avoir aucun lien important avec un autre pays. Toutefois, ce n'est pas le seul critère qui permette de satisfaire aux conditions de résidence prévues dans la Loi. Une décision récente importante dont les faits ressemblent beaucoup à ceux de la présente espèce est Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1415 (Ahmed). Dans cette affaire, le demandeur est arrivé au Canada en 1994 et a présenté une demande de citoyenneté en 1999. Il est resté au Canada pendant une courte période et, incapable de trouver un emploi dans son domaine, il a passé une entrevue aux Nations Unies à New York en janvier 1995. Par suite de l'entrevue, il s'est vu offrir par l'Organisation mondiale de la Santé un poste d'administrateur technique en Afghanistan débutant en octobre 1995.

[17]            Dans Ahmed, précitée, la juge Layden-Stevenson a insisté sur le fait que « dans un courant jurisprudentiel bien établi, la Cour a décidé que pour remplir les conditions requises par la Loi sur la citoyenneté, la résidence doit, dans une première étape, être établie et, dans une deuxième étape, être maintenue [...] » . Même si le demandeur semblait avoir résidé pendant 15 mois au Canada avant son départ, la juge Layden-Stevenson a conclu au paragraphe 9 :

[...] Compte tenu de l'insuffisance de la preuve présentée au juge de la citoyenneté en ce qui a trait à la période de quinze mois qui sépare l'arrivée de l'appelant au Canada et son départ du Canada, je ne peux conclure que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en ne concluant pas que l'appelant a établi sa résidence au Canada pendant cette période.


[18]            La juge Layden-Stevenson a statué dans Ahmed, précitée, que l'appelant ne remplissait pas les conditions de résidence parce qu'il n'avait pas établi sa résidence au Canada même s'il avait été affecté à un poste à l'étranger. Cette situation se compare à la présente espèce où le demandeur n'a même pas résidé un mois au Canada avant de partir à l'étranger pour occuper son poste auprès de l'UNICEF.

[19]            Je souscris à la décision du juge Layden-Stevenson qui indique que, même si l'appelant travaillait pour les Nations Unies et avait été affecté à l'étranger, comme c'est le cas en l'espèce, cela ne lui permettait pas d'inclure ses absences dans le calcul de la résidence. Tout comme en l'espèce, les membres de la famille d'Ahmed étaient devenus citoyens canadiens et il montrait lui-même les signes passifs habituels de résidence au cours de la période ayant précédé son établissement au Canada, période qui était même plus longue que la période initiale dont il est question en l'espèce. De plus, Ahmed n'avait pas de liens plus forts avec un autre pays que le Canada, comme c'est le cas en l'espèce. Tous ces faits ne suffisaient toutefois pas dans Ahmed pour conclure que la citoyenneté canadienne devait être attribuée au demandeur. De même, ils sont insuffisants en l'espèce pour conclure que la juge de la citoyenneté a commis une erreur, même si cette situation peut sembler injuste.

[20]            Il est évident que le fait que le demandeur ne peut trouver un emploi qu'à l'étranger pour subvenir aux besoins de sa famille constitue une injustice dans la mesure où cela l'empêche de satisfaire aux conditions de résidence préalables à l'attribution de la citoyenneté canadienne en vertu de la Loi. Toutefois, il ressort aussi de la jurisprudence que l'établissement de la résidence au Canada est une condition préalable à l'acquisition de la citoyenneté. Comme l'a indiqué le juge Walsh dans la décision Leung, Re (1991), 42 F.T.R. 149 (C.F. 1re inst.) :


Un grand nombre de citoyens canadiens, qu'ils soient nés au Canada ou naturalisés, doivent passer une grande partie de leur temps à l'étranger en relation avec leur entreprise, et il s'agit là de leur choix. Une personne qui veut obtenir la citoyenneté, toutefois, ne dispose pas de la même liberté, à cause des dispositions du paragraphe 5(1) de la Loi.

[21]            Le demandeur invoque la décision Agha (Re) (1999), 166 F.T.R. 245 (C.F. 1re inst.) (Agha) pour démontrer que la juge de la citoyenneté n'a pas tenu compte de toutes les circonstances entourant ses absences du Canada avant de rejeter sa demande. Selon cette décision, le fardeau de preuve auquel il faut satisfaire consiste à établir, par des faits concrets, des liens avec le Canada :

1.         le demandeur avait centralisé son mode de vie au Canada avant ses absences physiques du pays;

2.         malgré ses absences physiques du Canada, il a maintenu un mode de vie centralisé au Canada.

[22]            Une distinction s'impose entre Agha et la présente espèce. Dans cette affaire, les absences du demandeur avaient été causées par sa maladie, qui était à l'origine de l'échec de son entreprise commerciale au Canada. Le demandeur résidait aussi au Canada depuis septembre 1997 (après l'appel), ce qui a été pris en considération pour établir le caractère temporaire de ses absences. La Cour a conclu qu' « il y avait des circonstances spéciales et exceptionnelles aux absences de M. Agha du Canada qui justifiaient de tenir compte de ces absences pour juger de la condition de résidence imposée par la Loi sur la citoyenneté » . Toutefois, à mon avis, la décision Agha se distingue de la présente espèce et je maintiens ma conclusion précédente.


[23]            Pour ce qui est de la question de savoir si les motifs de la juge de la citoyenneté sont suffisants, soulignons que cette question a été définie dans le cadre des demandes de citoyenneté par le juge Lutfy, tel était alors son titre, dans la décision Lam, précitée, comme une obligation de fournir des « motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence » . Dans Ahmed, précitée, la juge Layden-Stevenson a énuméré les critères tirées de l'arrêt R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, et les a adaptés au contexte de la citoyenneté de la manière suivante :

a) Prononcer des décisions motivées fait partie intégrante du rôle du juge.

b) Il ne faut pas laisser le demandeur dans le doute quant à la raison pour laquelle sa demande est rejetée.

c) Il se peut que les motifs s'avèrent essentiels aux avocats des parties pour les aider à évaluer l'opportunité d'interjeter appel et à conseiller leurs clients à cet égard.

d) Chaque omission ou lacune dans l'exposé des motifs ne constituera pas nécessairement un moyen d'appel.

e) L'exposé des motifs joue un rôle important dans le processus d'appel. Lorsque les besoins fonctionnels ne sont pas comblés, la cour d'appel peut conclure qu'il s'agit d'une erreur de droit, suivant les circonstances de l'affaire, et suivant la nature et l'importance de la décision rendue en première instance.

f) Le juge n'est pas tenu à une quelconque norme abstraite de perfection.

g) Le juge s'acquitte de son obligation lorsque ses motifs sont suffisants pour atteindre l'objectif visé par cette obligation, c'est-à-dire lorsque, compte tenu des circonstances de l'espèce, sa décision est raisonnablement intelligible pour les parties et fournit matière à un examen valable en appel de la justesse de la décision du juge.

h) Les juges sont certes censés connaître le droit qu'ils appliquent tous les jours et trancher les questions de fait avec compétence, mais cette présomption a une portée limitée. Même les juges très savants peuvent commettre des erreurs dans une affaire en particulier, et c'est la justesse de la décision rendue dans une affaire en particulier que les parties peuvent faire examiner par un tribunal d'appel.

i) Lorsque la décision du juge de première instance ne suffit pas à expliquer le résultat aux parties, et que la cour d'appel s'estime en mesure de l'expliquer, l'explication que cette dernière donne dans ses propres motifs est suffisante. Une nouvelle audience n'est alors pas nécessaire.


[24]            En l'espèce, dans sa lettre du 22 juin 2001, la juge de la citoyenneté a exposé tous les éléments de preuve orale et documentaire dont elle disposait et qu'elle a examinés, a formulé clairement la question en litige et a analysé les faits conformément au droit applicable. Elle a aussi clairement mentionné les choix qui s'offraient au demandeur, c'est-à-dire soit un appel devant la Cour fédérale soit une nouvelle demande de citoyenneté. Je ne peux pas conclure que les motifs étaient insuffisants ou inadéquats.

[25]            Même si je considère que la présente situation est pour le moins malheureuse et malgré toute la sympathie que je ressens pour le demandeur, je ne crois pas que la décision de la juge de la citoyenneté était erronée suivant la norme de contrôle applicable ni qu'elle a commis une erreur en statuant que la présente demande de citoyenneté était prématurée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que l'appel de la décision datée du 22 juin 2001 par laquelle la juge de la citoyenneté Suzanne Pinel a statué que le demandeur ne remplissait pas les conditions de résidence énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté est rejeté. La demande de citoyenneté est prématurée; néanmoins, le demandeur pourra présenter une autre demande de citoyenneté à une date ultérieure.

                                                                                 « Luc Martineau »         

                                                                                                     Juge                  

Traduction certifiée conforme :

Suzanne Bolduc, LL.B.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :               T-1484-01

INTITULÉ :              RAMESH MAN SHRESTHA c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                             OTTAWA

DATE DE L'AUDIENCE :                           23 AVRIL 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                                  14 MAI 2003

COMPARUTIONS :

KARLA UNGER                       POUR LE DEMANDEUR

LYNN MARCHILDON                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BELL, UNGER, MORRIS                                POUR LE DEMANDEUR

OTTAWA

MORRIS ROSENBERG                                  POUR LE DEMANDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 20030514

                      Référence : T-1847-00

ENTRE :

RAMESH MAN SHRESTHA

                                          demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

       ___                                           

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

___                                                 


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