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Date : 20040415

Dossier : IMM-5202-03

Référence : 2004 CF 571

Ottawa (Ontario), le 15 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MICHAEL L. PHELAN

ENTRE :

                                                     VARINDER SINGH CHANNA

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Contexte

[1]                Le présent contrôle judiciaire porte sur la question de savoir si le commissaire de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le commissaire ou la CISR) a tiré des conclusions manifestement déraisonnables quant à la crédibilité de la demande d'asile du demandeur.


[2]                Le demandeur est un Sikh de l'Inde âgé 26 ans. Il a prétendu être victime de persécution du fait de son appartenance à un groupe social, savoir les présumés terroristes. Il a quitté l'Inde en raison de trois incidents. Ces incidents sont au coeur des conclusions du commissaire et sont décrits dans les paragraphes qui suivent.

[3]                Cinq agents de police ont arrêté le demandeur et l'ont accusé d'avoir rencontré des terroristes et d'avoir des liens avec eux. On l'a emmené au poste de poste de police et battu parce qu'il ne voulait pas révéler le nom des terroristes en question (qu'il a nié connaître).

[4]                Il a prétendu que six mois plus tard, un collègue et lui ont été arrêtés par cinq agents de police alors qu'ils transportaient des boîtes à lunch. Les policiers les auraient alors accusés de fournir des armes et de la nourriture à des terroristes. Il aurait été détenu, interrogé et battu jusqu'à ce qu'il perde connaissance. Il a soutenu également avoir reçu des coups de pieds et d'autres coups au visage, ce qui lui aurait causé une cataracte dans chaque oeil. La preuve fournie sur ce point par un médecin canadien est quelque peu contradictoire à celle fournie par un médecin indien.

[5]                Un autre six mois plus tard, il a encore une fois été emmené par la police. Parce qu'il a été incapable d'identifier les terroristes qu'on lui montrait sur une série de photos, le demandeur a été battu jusqu'à ce qu'il ne puisse plus marcher.

[6]                Le commissaire a rejeté la demande d'asile en raison de la non-plausibilité de ces trois incidents et d'une omission dans le Formulaire de renseignements personnels (le FRP), omission ayant trait à la question de la protection de l'État.

[7]                En ce qui concerne le premier incident, le commissaire l'a jugé non plausible parce qu'il était non plausible, selon lui que cinq policiers, sans raison aucune, aient pris le demandeur pour cible, l'aient arrêté, l'aient détenu et l'aient interrogé sans lui donner quelques indices quant à ce qui les avaient fait conclure qu'il était un ami des extrémistes et qu'il était lui-même un des leurs.

[8]                Pour ce qui est du deuxième incident, le commissaire l'a également jugé non plausible, parce qu'il était non plausible, selon lui, que la police ait jugé que des boîtes à lunch destinées à répondre aux besoins d'une ou deux personnes puissent permettre de soupçonner le demandeur et son collègue de transporter de la nourriture pour un plus grand nombre de personnes. Le commissaire n'a pas accepté non plus la proposition suivant laquelle les cataractes étaient le résultat des coups qu'aurait alors reçus le demandeur. Cette conclusion repose sur la preuve d'un médecin canadien portant qu'il n'y avait qu'une faible possibilité que les cataractes du demandeur résultent d'un traumatisme, et que celles-ci étaient plus probablement le résultat de la malnutrition du demandeur


[9]                Le commissaire a jugé que le troisième incident avait été inventé, parce qu'il était non plausible, selon lui, que la police, qui soupçonnait le demandeur d'être en relation avec des terroristes et qui le faisait probablement surveiller, n'ait pu en arriver à la conclusion que le demandeur était le simple charpentier qu'il prétendait être et qu'il ne rencontrait bel et bien pas d'extrémistes.

[10]            Le commissaire a également tiré une conclusion défavorable de l'omission du demandeur de déclarer dans son FRP qu'il avait communiqué avec son député pour lui parler de la conduite de la police, fait que le demandeur a toutefois mentionné à l'audience.

Analyse

[11]            Il n'est pas contesté en l'espèce que la norme de contrôle applicable aux conclusions quant à la crédibilité est la décision manifestement déraisonnable. Il n'est pas suffisant d'établir qu'il existe une interprétation différente et plus raisonnable des faits.

[12]            Le demandeur conteste la conclusion du commissaire relativement au premier incident au motif que celui-ci n'aurait pas dû tirer une conclusion défavorable du fait que le demandeur n'avait pas réussi à expliquer pourquoi la police l'avait détenu. Le demandeur invoque sur ce point la décision Kong c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 101.

[13]            Cependant, le commissaire n'a pas jugé non plausible l'incapacité du demandeur d'expliquer la conduite de la police. Le commissaire a tiré une conclusion de non-plausibilité fondée sur le fait que la police, qui est supposée se comporter raisonnablement, en ce sens qu'elle est supposée avoir des raisons d'agir, aurait plus probablement interrogé le demandeur en lui donnant quelques indices sur les raisons pour lesquelles elle le soupçonnait. La situation en l'espèce ressemble davantage à celle de l'affaire Sepehri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. 1123, qu'à celle de l'affaire Kong, précitée.

[14]            La CISR peut apprécier la preuve du demandeur en se fondant sur la raison et le bon sens (voir Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415. C'est exactement ce qu'a fait le commissaire.

[15]            Le demandeur soutient que relativement au deuxième incident, le commissaire a accordé trop d'importance aux boîtes à lunch. La conclusion tirée par le commissaire n'a rien de manifestement déraisonnable. C'est le demandeur lui-même qui, tant dans son FRP que dans son témoignage de vive voix, a parlé des boîtes à lunch comme l'élément déclencheur de l'abus de pouvoir des policiers.


[16]            Le demandeur prétend que le commissaire a mal interprété la preuve médicale quant à la cause des cataractes et qu'il n'a pas dûment tenu compte de l'ensemble de la lettre du médecin canadien. Le demandeur prétend que la lettre confirme l'incident où il aurait reçu des coups autour des yeux, ce qui aurait causé les cataractes.

[17]            Il aurait été possible d'en arriver à une autre conclusion, mais le commissaire était autorisé à donner le poids qu'il a donné à la lettre du médecin indien, qui avait été établie après que le demandeur eut déposé sa demande d'asile. Le commissaire était autorisé à accepter, suivant la prépondérance des probabilités, la conclusion du médecin canadien quant au lien de causalité, conclusion selon laquelle les cataractes du demandeur n'avaient vraisemblablement pas été causées à l'occasion des présumées agressions.

[18]            Enfin, le demandeur reproche au commissaire d'avoir tiré une conclusion défavorable relativement à une omission dans son FRP. Le demandeur prétend qu'il est manifestement déraisonnable d'accorder autant d'importance au fait qu'il a omis de dire qu'il avait communiqué avec son député pour lui parler de la conduite de la police.

[19]            Le demandeur a pu donner une explication convaincante relativement à l'omission, mais cela n'en fait pas pour autant une explication crédible. L'argument du demandeur aurait peut-être été plus solide si la conclusion du commissaire quant à la crédibilité avait reposé entièrement sur cette omission.

[20]            Toutefois, eu égard à l'ensemble de la preuve, dans un cas où le commissaire avait des réserves relativement au récit du demandeur relatif à la violence policière, il n'était pas manifestement déraisonnable pour le commissaire de conclure que l'omission du demandeur de parler de la brutalité policière à son député, fait n'ayant été soulevé qu'à l'audience en contre-interrogatoire, était un facteur défavorable qui nuisait à sa crédibilité générale.

[21]            Pour ces motifs, je conclus que la décision de la CISR sur les points en cause n'est pas manifestement déraisonnable.

[22]            Il n'y a aucune question à certifier.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-5202-03

INTITULÉ :                                                    VARINDER SINGH CHANNA

c.

MCI

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 16 MARS 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :             LE JUGE MICHAEL L. PHELAN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 15 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :                         

Lorne Waldman                                                 POUR LE DEMANDEUR

Stephen Jarvis                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates                                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

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