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                                                                                                                                           Date : 20030714

                                                                                                                             Dossier : IMM-2770-01

                                                                                                                           Référence : 2003 CF 874

Ottawa (Ontario), le 14 juillet 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                                       ALLA RYZAK

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                         MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision défavorable rendue par l'agent d'immigration, M. John Battista (l'agent), en date du 22 mai 2201, à l'égard de la demande déposée par Mme Alla Ryzak (la demanderesse) et sa fille, Elena Ryzak, dans le but d'obtenir l'autorisation de présenter de l'intérieur du Canada une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des raisons d'ordre humanitaire suivant le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, (la demande CH).

[2]                 L'audience du contrôle judiciaire du 9 mai 2002 a été ajournée sine die afin de permettre à l'avocat de procéder à des contre-interrogatoires sur les affidavits de John Battista, l'agent d'immigration dont la décision fait l'objet du contrôle judiciaire, et de Darlene Phillips, une employée de la Section du droit de l'immigration du ministère de la Justice. Je remarque, dans le cahier de la jurisprudence et de la doctrine du défendeur, que l'avocat du défendeur a écrit à l'avocat de la demanderesse à trois reprises pour lui demander si de nouveaux éléments de preuve seraient déposés par la demanderesse et sa fille. Aucun autre élément de preuve n'a été déposé et l'audience de la demande de contrôle judiciaire a repris le 26 juin 2003.

Les faits

[3]                 La demanderesse et sa fille sont citoyennes d'Israël. La mère est née en 1957 et la fille en 1982. Mme Alla Ryzak, la demanderesse principale, sera nommée « la demanderesse » .


[4]                 Le 28 avril 1998, la demanderesse et sa fille sont entrées au Canada en tant que visiteuses pour une période de six mois. Quelques jours après son arrivée, la demanderesse principale a rencontré son futur époux, M. Zubkov, un résident permanent du Canada. En septembre 1998, la demanderesse a présenté une revendication du statut de réfugiée au sens de la Convention. Elle a ensuite épousé M. Zubkov en février 1999 et elle a présenté sa première demande CH le 15 mars 1999. M. Zubkov parrainait sa demande et c'est cette demande qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire. La revendication du statut de réfugiée a fait l'objet d'un désistement en mai 1999.

[5]                 Le 6 avril 2000, l'agent a écrit à la demanderesse pour lui demander d'autres documents à l'égard de la demande CH et pour lui donner la possibilité de soumettre d'autres observations.

[6]                 Le 4 mai 2000, l'agent a reçu une lettre de M. Zubkov par laquelle ce dernier l'informait qu'il était séparé de la demanderesse et qu'il souhaitait retirer son parrainage à l'endroit de la demanderesse et de sa fille et que par conséquent il ne soumettrait pas les documents requis.

[7]                 Par une lettre datée du 6 juin 2000, l'agent a informé la demanderesse que son époux avait retiré son parrainage. Il a déclaré : [TRADUCTION] « Je partage ces renseignements avec vous compte tenu des changements de circonstances afin de vous donner la possibilité de soumettre des observations à cet égard » . L'agent a demandé que tous les renseignements lui soient transmis par écrit dans les trente jours de la date de la lettre.

[8]                 L'affidavit de l'agent énonce qu'il n'a pas reçu d'autres renseignements en réponse à la lettre datée du 6 juin 2000.


[9]                 La demanderesse déclare qu'elle a présenté une autre demande CH le 19 décembre 2000. Les raisons énoncées dans cette demande étaient que sa fille et elle avaient des bébés nés au Canada, que la demanderesse était victime de violence conjugale et qu'elle et sa fille étaient toutes deux établies dans la société canadienne.

La décision de l'agent

[10]            Dans sa lettre datée du 22 mai 2001, l'agent déclare que le dossier de la demanderesse a été examiné le 15 mai 2001 et qu'il a conclu qu'une dispense ne serait pas accordée. Dans sa note au dossier, l'agent déclare qu'il a pris en compte les raisons suivantes qui étaient énoncées dans la demande CH, à savoir : la demanderesse vivait au Canada depuis trois ans, elle était veuve et elle était mariée à un résident permanent.

[11]            L'agent a mentionné que M. Zubkov avait retiré son parrainage, que la demanderesse n'avait pas répondu lorsqu'il lui avait donné la possibilité de réfuter les questions touchant le retrait du parrainage, qu'elle n'avait pas travaillé au Canada, que la demanderesse et sa fille n'avaient pas de parents au Canada et que le père et la soeur de la demanderesse vivaient à l'étranger.

[12]            L'agent a déclaré qu'il n'était pas convaincu que la demanderesse et sa fille étaient suffisamment établies pour que le fait qu'elles doivent quitter le Canada et tenter d'obtenir un visa d'immigrant suivant les exigences statutaires habituelles entraîne pour elles des difficultés indues et disproportionnées. Pour ces motifs, l'agent n'était pas convaincu que les raisons étaient suffisantes pour justifier une dispense de l'application du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration.


Les questions en litige

[13]            La décision de l'agent est-elle susceptible de contrôle en raison du fait que : i) il n'a pas donné à la demanderesse la possibilité de dissiper les préoccupations qu'il avait à l'égard du retrait du parrainage; ii) il n'a pas reçu la demanderesse et sa fille en entrevue avant de rendre sa décision; iii) il n'a pas examiné le statut de la demanderesse en tant que victime de violence familiale et il a omis de prendre en compte les enfants de la demanderesse et de sa fille qui étaient nés au Canada?

La norme de contrôle

[14]            Suivant le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, le ministre est autorisé à accorder à une personne une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe 114(1) ou faciliter son admission au Canada de toute autre manière lorsqu'il est convaincu qu'une telle dispense devrait être accordée ou que l'admission devrait être facilitée compte tenu de raisons d'ordre humanitaire. La procédure est hautement discrétionnaire et, à cet égard, il appartient au demandeur de convaincre l'agent que les raisons d'ordre humanitaire sont suffisantes pour justifier une recommandation favorable. La norme de contrôle applicable à une décision rendue suivant le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration est celle de la décision raisonnable simpliciter : voir à cet égard l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.


Analyse

[15]            La demanderesse prétend d'abord que l'agent a accordé une [TRADUCTION] « importance marquée » au fait que l'époux répondant avait unilatéralement retiré son parrainage. La demanderesse prétend qu'elle n'a jamais contesté le retrait du parrainage et qu'elle aurait dû avoir la possibilité de dissiper la [TRADUCTION] « mauvaise impression que le ministre avait à son endroit » .

[16]         La section 7.3 des anciennes directives IP5, en vigueur au moment où la décision datée du 22 mai 2001 a été rendue par l'agent, traite du retrait d'un parrainage. Elle est rédigée comme suit :

7.3 Retrait du parrainage

La résiliation d'un parrainage ne peut se faire qu'avec le consentement des deux parties (répondant et CIC, pour le gouvernement fédéral) qui l'ont conclu. En général un répondant ne peut retirer son parrainage qu'avant une décision CH. Une fois une décision favorable de dispense de visa rendue, on ne doit pas accepter d'annuler le parrainage, même en cas de rupture d'un mariage.

Si le parrainage est retiréavant que la décision de dispense de visa ne soit prise

- informer le demandeur du retrait du parrainage

- donner au demandeur la possibilitéde fournir des renseignements supplémentaires compte tenu des changements de circonstances

- prendre la décision CH une fois tous les faits pertinents connus

Note : Il est important dtre sensible aux problèmes de violence familiale


[17]            En l'espèce, le défendeur prétend que la lettre datée du 6 juin 2000 était censée informer la demanderesse du retrait du parrainage et lui donner la possibilité de fournir des renseignements supplémentaires et, par conséquent, il prétend que les exigences prévues dans les directives IP5 ont été respectées.

[18]            L'avocat de la demanderesse, dans ses observations faites de vive voix, a déclaré que la demanderesse n'avait jamais reçu la lettre datée du 6 juin 2000 et il a prétendu que cette lettre avait été envoyée à l'adresse de son époux duquel elle était séparée. La demanderesse n'a fourni aucun élément de preuve pour appuyer cette prétention malgré le fait que l'audience ait été ajournée pendant longtemps afin que les parties puissent fournir une telle preuve. Par conséquent, il n'y a aucun élément de preuve démontrant que la demanderesse n'a pas reçu la lettre pas plus qu'il n'y a pas de preuve que la demanderesse a informé le défendeur de son changement d'adresse.

[19]            Je conclus, en me fondant sur la preuve dont je dispose, que la demande de parrainage a été retirée avant que la décision CH ait été rendue. Par conséquent, selon les exigences des directives IP5, précédemment mentionnées, un demandeur doit être informé qu'un parrainage a été retiré et il doit avoir la possibilité de soumettre d'autres observations. Je conclus, en me fondant sur la preuve, que la demanderesse a été informée par la lettre datée du 6 juin 2000 envoyée par l'agent que le parrainage avait été retiré et qu'elle a eu la possibilité de fournir des renseignements supplémentaires. Dans la présente affaire, il ressort de la lettre datée du 6 juin 2000 envoyée par l'agent que les deux exigences ont été respectées étant donné qu'il a déclaré ce qui suit :


[TRADUCTION]

Nous avons reçu une lettre de votre époux nous informant que vous et lui, Yevgeniy Zubkov, êtes maintenant séparés. Il m'informe qu'il vous retire, à vous et à votre fille, son parrainage.

Je partage ces renseignements avec vous compte tenu des changements de circonstances afin de vous donner la possibilité de soumettre des observations à cet égard.

[20]            La demanderesse n'a présenté aucune autre observation sur la question après qu'elle eut reçu la lettre datée du 6 juin. Par conséquent, je conclus que la première prétention de la demanderesse n'est pas fondée.

[21]            Deuxièmement, la demanderesse prétend que l'équité procédurale exige que lui soit donnée la possibilité de connaître les préoccupations de l'agent et de les dissiper, notamment dans les cas où le décideur a [TRADUCTION] « déjà une idée défavorable » .

[22]            Le défendeur prétend que l'arrêt Baker, précité, prévoit clairement qu'il n'est pas essentiel qu'une entrevue soit tenue avant qu'une décision soit rendue dans les cas de demandes CH et qu'il n'y a pas eu de violation de l'équité procédurale dans les circonstances de la présente affaire.


[23]            L'agent a fondé sa décision sur plusieurs facteurs, à savoir : le fait que M. Zubkov ait retiré son parrainage et que la demanderesse n'ait pas répondu lorsqu'il lui a donné la possibilité de réfuter les questions touchant le retrait du parrainage; le fait que la demanderesse n'ait pas travaillé au Canada; le fait qu'elle n'ait pas de parents au pays, mais qu'elle en ait à l'étranger et le fait qu'il ait conclu que la demanderesse ne subirait pas un préjudice disproportionné si elle devait quitter le Canada et présenter une demande de visa d'immigrant suivant la façon habituelle. Il est généralement reconnu qu'un agent a un pouvoir discrétionnaire quant à la question de savoir s'il doit tenir une entrevue. Dans l'arrêt Baker, précité, la Cour suprême a réitéré qu'il n'est pas essentiel, pour que les principes de l'équité procédurale soient respectés, que des entrevues soient tenues.

[24]            Je suis d'avis, selon les circonstances de la présente affaire, qu'il n'était pas déraisonnable pour l'agent, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, de ne pas tenir une entrevue. L'agent disposait de suffisamment de renseignements pour rendre une décision éclairée et la demanderesse n'a pas répondu après qu'on lui eut donné la possibilité de le faire à l'égard de la révocation de parrainage. Je conclus que le droit de la demanderesse à l'équité procédurale n'a pas été violé.


[25]            Troisièmement, la demanderesse prétend que dans sa deuxième demande CH (apparemment déposée le 19 décembre 2000 - après la première demande CH mais avant que soit rendue la décision de l'agent) elle a démontré qu'elle satisfaisait aux critères de la section 8.10 des directives IP5, en vigueur le 22 mai 2001, prévoyant l'examen par un agent de la question de savoir si une demanderesse a subi de la violence de la part de son époux et celle de savoir si une demanderesse a un enfant né au Canada. La demanderesse prétend qu'elle a dû mettre fin à son mariage en raison de la violence qu'elle subissait de la part de son époux canadien. La demanderesse prétend en outre que le fait qu'elle ait un enfant né au Canada aurait dû être pris en compte suivant les directives utilisées pour l'examen de sa demande CH.

[26]            Le défendeur prétend que la demanderesse n'a pas allégué le fait qu'elle et sa fille avaient des nouveau-nés ni qu'elles avaient subi de la violence familiale. Le défendeur mentionne que la demande présentée par la demanderesse était fondée sur son mariage à un résident permanent et sur les difficultés qu'elle subirait si elle devait présenter de l'extérieur du Canada sa demande de résidence permanente. Le défendeur prétend que la demanderesse et sa fille n'ont soumis aucun élément de preuve démontrant que les questions de la violence familiale et des enfants nés au Canada avaient été soumises à l'agent lorsqu'il a examiné la première demande CH et que les seuls problèmes mentionnés expressément dans la demande ont été énoncés comme suit : [TRADUCTION] « Je suis une réfugiée. J'ai des problèmes dans mon pays » . Par conséquent, le défendeur prétend qu'on ne peut pas reprocher à l'agent d'avoir omis de prendre en compte des renseignements dont il ne disposait pas.

[27]        Je ne vois aucun document dans le dossier certifié du tribunal à l'égard de la deuxième demande CH. Je ne dispose non plus d'aucun élément de preuve donnant à penser que l'agent avait été informé des prétentions de la demanderesse selon lesquelles elle avait subi de la violence de la part de son époux ou qu'elle et sa fille avaient des enfants nés au Canada.


[28]            Lors de l'audience, l'avocat de la demanderesse a prétendu que l'agent avait l'obligation d'enquêter plus à fond à l'égard de l'enfant de la demanderesse né au Canada et de ses prétentions de violence familiale même si ces questions ne lui avaient pas été soumises. À mon avis, cet argument n'est pas fondé. Il est bien établi que dans le contexte d'une demande de contrôle judiciaire la Cour doit s'en tenir au dossier qui a été déposé et dont disposait celui qui a rendu la décision faisant l'objet du contrôle judiciaire. Voir à cet égard la décision Asafov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 713 (QL). Par conséquent, je conclus que l'agent n'a pas commis une erreur lorsqu'il a omis d'examiner les questions et les faits précédemment mentionnés dont il ne disposait pas. Dans ces circonstances, je conclus que la décision de l'agent était raisonnable compte tenu de la preuve déposée dans le contexte de la première demande CH.

Conclusion

[29]            Pour les motifs précédemment énoncés, je conclus que le droit de la demanderesse à l'équité procédurale n'a pas été violé. Je conclus en outre que la décision de l'agent est raisonnable compte tenu de la preuve dont il disposait. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

Question certifiée

[30]            La demanderesse propose la question suivante aux fins de la certification :

Quel critère un agent d'immigration doit-il appliquer afin de faire un examen complet et équitable d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire qui lui a été soumise de façon appropriée?


[31]            Je suis d'accord avec l'avocat du défendeur qui a soumis des observations selon lesquelles la question proposée est trop générale et ne peut pas être déterminante dans la présente affaire. Par conséquent, la question proposée ne sera pas certifiée étant donné qu'elle ne satisfait pas au critère de la certification, soit être une question grave de portée générale.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 22 mai 2001 par John Battista est rejetée.

2.         Aucune question de portée générale n'est certifiée.

« Edmond P. Blanchard »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-2770-01

INTITULÉ :                                        Alla Ryzak c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 26 juin 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     Le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                      Le 14 juillet 2003

COMPARUTIONS :

Frederick Wang                                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Martin Anderson                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Frederick Wang                                                                            POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)


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