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Date : 20030115

Dossier : IMM-4502-01

Référence neutre : 2003 CFPI 31

TORONTO (ONTARIO), LE MERCREDI 15 JANVIER 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU                                     

ENTRE :

                                                               ARKADI TREIGUER

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision, rendue aux termes de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi), par laquelle l'agente des visas Sara Trillo (l'agente) a rejeté la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur à titre d'entrepreneur.

[2]                 Le paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (le Règlement), définit un entrepreneur comme un immigrant :

a)            qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter au Canada une entreprise ou un commerce, ou d'y investir une somme importante, de façon à contribuer de manière significative à la vie économique et à permettre à au moins un citoyen canadien ou résident permanent, à part l'entrepreneur et les personnes à sa charge, d'obtenir ou de conserver un emploi, et

b)            qui a l'intention et est en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion de cette entreprise ou de ce commerce.

[3]                 Dans sa lettre de refus, l'agente a déclaré que le demandeur ne correspondait pas à la définition d'entrepreneur parce qu'il n'avait [TRADUCTION] « ni la capacité ni l'expertise ni les liquidités pour exploiter avec succès une entreprise au Canada » . Elle a en outre fait remarquer que le projet d'entreprise du demandeur n'était pas viable et qu'elle ne voyait pas de quelle façon le demandeur pourrait « contribuer de manière significative à la vie économique » du Canada.

[4]                 Dans son affidavit, assermenté aux fins de l'instance, l'agente précise les motifs de ses conclusions défavorables comme suit :

1.                    le demandeur n'a pas fourni de documentation suffisante pour convaincre l'agente qu'il avait l'expérience nécessaire pour exploiter une entreprise rentable;

2.                    le demandeur n'avait pas de liquidités et ses affirmations quant à la valeur marchande de son entreprise en Russie n'ont pas été jugées dignes de foi par l'agente;

3.                    le demandeur connaissait peu les détails de son projet d'entreprise et ne pouvait pas répondre adéquatement aux questions de l'agente à cet égard.


[5]                 Trois questions sont soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire :

1.         l'agente a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu'elle a pris en compte des facteurs non pertinents?

2.         l'agente a-t-elle omis de prendre en compte des éléments de preuve dont elle disposait ou a-t-elle mal interprété ces éléments de preuve?

3.         la décision de l'agente était-elle de quelque façon déraisonnable ou a-t-elle été prise d'une façon abusive ou arbitraire?

1.         L'agente a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu'elle a pris en compte des facteurs non pertinents?

[6]                 Le demandeur prétend d'abord que l'agente a accordé une importance exagérée à la question de la rentabilité de son entreprise en Russie et a par conséquent ajouté un « facteur extérieur » à son évaluation. Le demandeur cite la décision Cho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 808 (QL) (1re inst.), dans laquelle M. le juge Blais fait remarquer (au paragraphe 30) :

Or, la loi ne prévoit nullement que l'entreprise devait être rentable ni que le demandeur devait avoir exploité sa propre entreprise.


[7]                 Le défendeur ne conteste pas la prétention selon laquelle l'expérience en gestion et la rentabilité d'une entreprise précédemment exploitée ne sont pas des exigences absolues pour un entrepreneur. Cependant, la jurisprudence de la Cour appuie clairement la prétention selon laquelle il existe des facteurs pertinents pour évaluer les capacités d'un demandeur selon la définition : voir les décisions Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 677 (QL) (1re inst.), au paragraphe 14, Seghal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 385 (QL) (1re inst.), aux paragraphes 8 et 9, et Chou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 819 (QL) (1re inst.), aux paragraphes 32 et 33. Comme le défendeur le fait remarquer, même la décision Cho, précitée, appuie sa position. Le juge Blais a déclaré que « l'agent des visas doit tenir compte de divers facteurs pour apprécier la capacité du demandeur de diriger activement une entreprise au Canada » et que la rentabilité d'une entreprise existante est l'un des facteurs à prendre en compte (aux paragraphes 31 et 33).

[8]                 En l'espèce, la rentabilité de l'entreprise du demandeur n'était que l'un des nombreux facteurs pris en compte par l'agente. L'agente a en outre pris en compte les actifs du demandeur, la connaissance des affaires et l'expertise démontrées par le demandeur par ses réponses aux questions posées au cours de l'entrevue et la viabilité de son projet d'entreprise. Dans les circonstances, je suis d'avis que la conclusion que l'agente a fondée sur l'absence de rentabilité n'est pas excessive et n'équivaut pas à une erreur de droit : voir la décision Hui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 60 (QL) (1re inst.), aux paragraphes 9 et 10, citée dans la décision Cho, précitée, au paragraphe 33.


2.         L'agente a-t-elle omis de prendre en compte des éléments de preuve dont elle disposait ou a-t-elle mal interprété ces éléments de preuve?

[9]                 Le demandeur prétend que les documents soumis à l'agente justifiaient une conclusion selon laquelle son entreprise en Russie était rentable et qu'il avait suffisamment d'actifs pour exploiter une entreprise commerciale au Canada. Le demandeur prétend par conséquent que l'agente, lorsqu'elle a tiré des conclusions défavorables quant à ces questions, a omis de prendre en compte des éléments de preuve dont elle disposait ou a mal interprété ces éléments de preuve.

[10]            Premièrement, je remarque que l'agente a effectivement reconnu qu' « un petit » profit avait été réalisé en 1999. Les documents au dossier montrent qu' « Electropromkomplekt » , l'entreprise qui appartenait au demandeur et qu'il exploitait, a déclaré une perte d'environ 7 000 $US pour l'année 1998 et des profits d'environ 14 500 $US pour l'année 1999. Aucun relevé quant aux profits et pertes n'a été soumis pour l'année 2000, même si l'avis d'entrevue précisait que de tels relevés devaient être fournis pour trois années récentes.

[11]            Au paragraphe 12 de son affidavit, l'agente a déclaré :

[TRADUCTION]


En l'absence d'autres rapports de comptables, de bilans ou de déclarations de revenu, je n'avais pas la possibilité de vérifier les montants des divers rapports et relevés soumis par le demandeur, de voir une meilleure ventilation des montants (comme un bilan ou une déclaration de revenu aurait permis de le faire) ou de voir une ventilation des montants plus détaillée que celle apparaissant dans les documents soumis. Toutes ces possibilités de vérification avaient pour but d'essayer de me convaincre que le demandeur avait l'expérience nécessaire en affaires et en gestion, comme l'expérience en gestion d'entreprise rentable. J'ai rappelé au demandeur que nous exigions que tous les demandeurs fournissent les documents d'affaires pour leur entreprise, comme les rapports du comptable, les bilans et les déclarations de revenu pour les trois dernières années ainsi que des traductions officielles de chacun des documents. Ces exigences ont été mentionnées au demandeur pour la première fois dans une lettre qui lui avait été envoyée afin de l'aider à se préparer pour l'entrevue (voir la pièce A). Le demandeur n'avait aucune explication quant aux raisons pour lesquelles il ne pouvait pas fournir les documents demandés et leurs traductions. J'ai continué à examiner son dossier afin de voir si je pouvais trouver d'autres documents qui auraient établi que le demandeur pouvait avoir l'expérience nécessaire en affaires et en gestion, mais je n'ai rien trouvé à cet égard. J'ai accordé une certaine importance à l'expérience du demandeur à Baltika, à ses lettres de recommandation et ses nombreux contrats, mais en fin de compte le demandeur n'a pas fourni suffisamment d'éléments de preuve démontrant qu'il avait exploité une entreprise rentable ou qu'il était capable de le faire.

[12]            Compte tenu de l'absence d'information financière fiable et vérifiée, je suis d'avis que la conclusion précédemment mentionnée est raisonnable et compatible avec la preuve.


[13]            Au cours de l'entrevue, le demandeur a en outre déclaré que l'actuelle valeur marchande de l'entreprise à laquelle il faisait référence était d'environ 330 000 $US (au lieu d'environ 89 000 $US qu'il avait au départ inscrit sur son formulaire de demande). L'agente n'a pas jugé que cette déclaration était digne de foi. Le demandeur a en outre fourni des documents démontrant qu'il était propriétaire de deux immeubles en Russie et des évaluations quant à ces immeubles. Le demandeur a déclaré qu'il n'avait pas d'argent déposé dans une banque. L'agente était préoccupée par le manque de liquidités. L'agente n'était pas convaincue, compte tenu de l'instabilité notoire de l'économie russe, que la vente de l'entreprise et des immeubles du demandeur rapporterait un montant suffisant pour financer son entreprise commerciale au Canada. Bien que l'agente ait pu tirer une autre conclusion, sa méthode prudente n'était pas irrationnelle ni arbitraire : voir la décision Dardic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 326 (QL) (1re inst.), au paragraphe 17. Le deuxième motif invoqué pour le contrôle judiciaire doit par conséquent être rejeté.

3. La décision de l'agente était-elle de quelque façon déraisonnable ou a-t-elle été prise d'une façon abusive ou arbitraire?

[14]            L'agente était aux prises avec l'incapacité ou le refus du demandeur de fournir des réponses adéquates et des détails relatifs à son expérience en affaires et à ses projets. Selon l'agente, le demandeur ne connaissait pas les détails de son projet d'entreprise et ne pouvait pas préciser ses projets d'investissement (affidavit de Sara Trillo, au paragraphe 9). En outre, l'agente a déclaré qu'[TRADUCTION] « il ne pouvait ou ne voulait donner aucune explication au sujet de l'entreprise qu'il avait mentionné posséder en Russie, malgré des questions répétées à ce sujet » (idem, au paragraphe 14). Ces constatations ont amené l'agente à conclure [TRADUCTION] « que le demandeur ne connaissait pas bien les procédures en affaires et, par conséquent, qu'il n'était pas un homme d'affaires » .

[15]            Le demandeur, étant donné qu'il a fourni à l'agente des lettres de recommandation et des copies de contrats d'affaires, conteste l'affirmation de l'agente selon laquelle il n'est [TRADUCTION] « pas un homme d'affaires » .


[16]            L'expression utilisée par l'agente peut être inexacte et malencontreuse. Cependant, je partage l'opinion du défendeur selon laquelle cette expression ne doit pas être prise isolément et selon laquelle le contexte permet de comprendre clairement ce que l'agente a voulu dire. L'agente ne voulait pas dire que le demandeur n'avait participé à aucune affaire commerciale. Elle a simplement conclu que, en dépit de sa participation démontrée par les lettres et les contrats, le demandeur ne s'était pas déchargé du fardeau qui lui était imposé de la convaincre qu'il pouvait établir et exploiter avec succès une entreprise au Canada.

[17]            Les termes de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale laissent entendre qu'une décision définitive peut rationnellement s'appuyer sur seulement certains des éléments de preuve dont le tribunal dispose. En l'espèce, le récit que l'agente fait de l'entrevue et qu'elle a noté dans son affidavit et dans les notes du STIDI n'est pas contesté. À mon avis, ce récit établit des motifs suffisants pour appuyer la conclusion de l'agente selon laquelle le demandeur ne correspond pas à la définition d'entrepreneur du paragraphe 2(1) du Règlement.

Conclusion

[18]            Dans l'ensemble, je conclus que l'agente n'a pas commis d'erreur de droit et que ses conclusions quant aux faits sont fondées sur la preuve et qu'elles ne sont pas manifestement déraisonnables, arbitraires ou abusives. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucuns dépens ne seront accordés. Aucun des avocats n'a soumis de question aux fins de la certification.   


                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l'agente des visas a, en date du 28 août 2001, rejeté la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur à titre d'entrepreneur est rejetée sans dépens.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

           Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                    IMM-4502-01

INTITULÉ :                                                   ARKADI TREIGUER

demandeur

        - et -

        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

        DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                        TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE LUNDI 13 JANVIER 2003   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                 LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                LE MERCREDI 15 JANVIER 2003

COMPARUTIONS :                   Jack Davis

Pour le demandeur

    Stephen Jarvis

Pour le défendeur

                                                                                                                   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER : Jack Davis

                                                Avocat

    Davis and Grice

    1110, avenue Finch Ouest, bureau 706

    Toronto (Ontario) M3J 2T2        

Pour le demandeur                        

    Morris Rosenberg

    Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

             Date : 20030115

    Dossier : IMM-4502-01

ENTRE :

ARKADI TREIGUER

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                      défendeur

                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                   

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