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                                                                                                                                          Date : 20031020

                                                                                                                            Dossier : IMM-5570-02

                                                                                                                        Référence : 2003 CF 1211

Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                    RIADH BEN SOLTA BOUAOUNI

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction

1                      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision défavorable rendue le 18 septembre 2002 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission).


Les faits

2                      Le demandeur, Riad Ben Solta Bouaouni, est originaire de Tunisie et il a 32 ans. Il prétend craindre avec raison d'être persécuté pour ses opinions politiques, en tant que membre de l' « Union générale des étudiants tunisiens » ou « UGET » . Le demandeur déclare craindre tant les policiers que les étudiants activistes islamistes.

3                      Le demandeur s'est inscrit à l'Université de Kairouan en 1994 et il a pris part, en novembre de la même année, à une grève générale d'opposition au système d'éducation. Étant pourchassé par les policiers, il a passé quatre jours sans nourriture dans le désert. Le demandeur a décidé de joindre les rangs de l'UGET, une organisation vouée à la protection des droits des étudiants, ce qu'il a fait le 7 décembre 1996.

4                      Le demandeur déclare avoir été battu par des étudiants islamistes en février 1997, et que des membres des forces de sécurité sont restés à l'écart sans intervenir, désireux qu'ils étaient de voir déshonorer le mouvement étudiant radical. Selon le demandeur, des policiers ont par la suite infiltré le mouvement étudiant sur le campus. Le 13 avril 1997, des policiers ont arrêté et interrogé le demandeur, et ils lui ont demandé de révéler l'identité d'étudiants activistes. Le demandeur a refusé de le faire, et on l'a frappé avec des outils et on lui a infligé, comme moyens de torture, des décharges électriques et des brûlures de cigarettes. De nouveau, deux mois plus tard, on a conduit le demandeur au poste de police et on l'a battu. On lui a interdit de se rendre dans une autre province sans d'abord aviser la police de ses projets et de ses allées et venues.


5                      Le demandeur déclare qu'il était également recherché par des activistes islamistes, lesquels pensaient qu'il avait révélé leur identité aux policiers. Craignant pour sa vie, le demandeur s'est enfui de Tunisie. Il est arrivé au Canada le 31 juillet 2000 et, le 18 janvier 2001, il a revendiqué le statut de réfugié.

La décision de la Commission

6                      La Commission a fait état du récit du demandeur, tel qu'il est décrit ci-dessus. Après examen de la preuve, la Commission a décidé de ne pas prêter foi au récit de persécution du demandeur. Elle a déclaré que le témoignage de ce dernier était entaché d'omissions et de contradictions et dénué de crédibilité.

7                      Selon la Commission, le demandeur a omis de faire état dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) d'importants événements qu'il a révélés lors de son témoignage oral. Il a ainsi révélé dans ce témoignage que des étudiants islamistes l'ont régulièrement harcelé et battu pendant les six premiers mois de 1996, et l'ont obligé à ne pas renouveler son adhésion à l'UGET. Interrogé sur les motifs pour lesquels il n'avait pas mentionné ces renseignements dans son FRP, le demandeur a répondu qu'il lui fallait consigner son récit dans deux pages. La Commission a déclaré ne pas prêter foi à cette explication. Elle a relevé le fait que le demandeur n'avait joint les rangs de l'UGET que le 7 décembre 1996, soit à une date postérieure aux incidents de harcèlement.


8                      La Commission a également déclaré que le demandeur avait omis de raconter dans son FRP que de 10 à 15 étudiants islamistes, sortis de prison en 1997-1998, l'avaient harcelé et battu à chaque jour de 1997 à 2000. La Commission a déclaré que ce récit divergeait de celui énoncé dans le FRP, où le demandeur mentionnait uniquement être recherché par des étudiants islamistes sortis de prison en 1997 et en 2000.

9                      La Commission a cité Basseghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n ° 1867 (QL) au soutien du principe selon lequel un demandeur doit fournir tous les détails pertinents dans l'exposé circonstancié contenu dans le FRP, puis donner des précisions à leur égard pendant le témoignage oral.

10                  La Commission a déclaré ne pas juger crédibles les déclarations du demandeur portant que les policiers étaient restés à l'écart pendant qu'il était battu par d'autres étudiants puisque, selon la preuve documentaire, il est bien connu que la police détient des membres de groupes islamistes militants. La Commission a également jugé invraisemblable que le demandeur, après avoir été battu et harcelé pendant trois ans par des activistes islamistes, ne dévoile pas leur identité aux policiers ni ne demande à ceux-ci de le protéger. La Commission s'est également demandée comment il se pouvait que le demandeur ait pu obtenir un passeport et quitter légalement le pays alors que, selon la preuve documentaire, le gouvernement restreint la liberté de circulation de ses opposants.


11                  Finalement, la Commission a conclu que le demandeur s'était contredit au sujet de son arrestation le 13 avril 1997. Le demandeur a déclaré qu'à cette date, des policiers étaient venus le chercher chez lui pour le conduire au poste de police. À une autre occasion lors de son témoignage, toutefois, le demandeur a déclaré qu'on lui avait délivré une assignation le 12 avril 1997 et qu'il s'était présenté au poste de police le 13 avril 1997. Interrogé sur cette contradiction, le demandeur a déclaré que deux policiers étaient venus chez lui le 12 avril 1997, et qu'ils lui avaient remis une citation à comparaître le 13 avril 1997. La Commission n'a pas prêté foi à cette explication, puisqu'il est précisé dans la citation que le demandeur a reçu celle-ci le 13 avril 1997. Elle en a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

12                  La Commission a déclaré n'accorder aucun poids aux rapports médicaux du demandeur faisant état de certaines cicatrices et blessures, parce qu'elle ne croyait pas le récit du demandeur et que ce dernier n'avait pas démontré que les blessures subies étaient liées à un motif visé à la Convention ou qu'il avait été victime de torture. La Commission a réitéré sa conclusion selon laquelle le demandeur n'était pas crédible en raison d'incohérences et de contradictions dans son témoignage.


13                  La Commission a statué que la revendication tardive du statut de réfugié par le demandeur ne cadrait pas avec une crainte subjective d'être persécuté; elle a conclu en l'absence de crainte subjective d'être persécuté du demandeur. La Commission a conclu que le demandeur ne s'était pas acquitté du fardeau lui incombant de démontrer qu'il avait été persécuté, et conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une « personne à protéger » aux termes des alinéas 97(1)a) et b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

Questions en litige

14                  Le demandeur soulève les questions qui suivent.

(i)         Le droit du demandeur à une instruction équitable et impartiale a-t-il été respecté?

            (ii)        La Commission a-t-elle omis de tenir dûment compte des rapports médicaux du demandeur?

            (iii)      La Commission a-t-elle omis d'examiner les arguments soulevés à l'audience et portant que le demandeur était un réfugié sur place?

            (iv)      La Commission a-t-elle appliqué de manière erronée l'article 97 de la Loi?

Analyse

            (i)         Le droit du demandeur à une instruction équitable et impartiale a-t-il été respecté?

15                  Le demandeur soutient que la Commission a fait preuve de scepticisme et de mauvaise foi lorsqu'elle a analysé sa revendication, et que cela équivaut à de la partialité ayant donné lieu à une instruction inéquitable.


16                  Le demandeur soutient également que les contradictions existant entre ses témoignages écrit et oral relevées par la Commission constituaient, plutôt, de simples omissions dans son FRP sur lesquelles il a choisi de s'étendre lors de son témoignage de vive voix. Le demandeur soutient que le défaut de mentionner dans son FRP le harcèlement incessant des étudiants islamistes de 1997 à 2000 n'est pas une omission ayant une incidence quelconque sur les actes de persécution allégués dans ce formulaire. Pour ce qui est de son souvenir de la date exacte en avril 1997 où la police l'a interrogé, le demandeur signale avoir déclaré dans son témoignage ne pas pouvoir la préciser avec certitude. Il prétend que la conclusion de la Commission quant à l'existence de contradictions dans son témoignage n'est pas étayée par la preuve et dénote la mauvaise foi de la Commission.

17                  Eu égard aux arguments du demandeur concernant la partialité, le défendeur soutient que de tels arguments doivent être présentés à la première occasion (Del Moral c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. n ° 782 (QL)), ce que le demandeur n'a pas fait. Dans Del Moral, le procureur du demandeur n'a jamais soulevé à l'audience la question d'un manque d'impartialité, ni présenté la moindre objection à cet égard. Le juge Dubé a déclaré que, pour faire valoir la crainte raisonnable de partialité de la part du tribunal, une partie doit alléguer entorse à la justice naturelle à la première occasion. Selon la jurisprudence de notre Cour, le défaut d'un demandeur de soulever séance tenante la question de la crainte raisonnable de partialité fait présumer qu'il a renoncé à l'invoquer (Abadalrithah c. M.E.I. (1988), 40 F.T.R. 3067; Hernandez c. M.C.I. [1999] A.C.F. 607 (1re inst.)).


18                  Dans Comm. for Justice c. L'Office national de l'énergie, [1978] 1 S.C.R. 369, à la page 394, la Cour suprême du Canada a énoncé le critère à appliquer eu égard à la crainte raisonnable de partialité :

[...] à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le tribunal], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

19                  Le demandeur aurait dû soulever l'argument de la partialité à la première occasion possible à l'audience. Même si cet argument avait été présenté à la Commission à l'audience, toutefois, j'estime qu'il manque d'éléments de preuve pour étayer la prétention du demandeur concernant la crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire. L'incohérence dans le témoignage du demandeur relativement à l'interrogatoire d'avril 1997, relevée par la Commission, est bien étayée par la preuve, et on ne peut dire que la conclusion défavorable de la Commission quant à la crédibilité est manifestement déraisonnable. J'estime que ces conclusions ne constituent pas une preuve de partialité. Sur le fondement de la preuve qui m'a été présentée et en application du critère énoncé dans Comm. for Justice, précité, l'argument du demandeur fondé sur la crainte raisonnable de partialité du commissaire ne peut être admis.


(ii)        La Commission a-t-elle omis de tenir dûment compte des rapports médicaux du demandeur?

20                  Le demandeur soutient également que la Commission a commis une erreur en n'accordant aucun poids aux rapports médicaux présentés précisant que son corps portait la marque de brûlures de cigarettes. La jurisprudence requiert, selon le demandeur, que lorsqu'un rapport médical est soumis, la Commission en tienne compte et le commente lorsqu'il contredit sa propre conclusion (Berete c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 359 (QL), au paragraphe 6). Dans Kouassi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. n ° 1199 (QL), aux paragraphes 13 et 15, le juge Tremblay-Lamer a déclaré que la Commission avait l'obligation de déclarer pourquoi elle n'attribuait pas de poids à un rapport médical donnant des précisions sur des marques physiques et des symptômes psychologiques semblant étayer la revendication du statut de réfugié du demandeur.

21                  Le défendeur signale que, dans les affaires mentionnées par le demandeur, la Commission n'avait pas fait la moindre mention des rapports médicaux tandis qu'en l'espèce, elle a mentionné le rapport du demandeur ainsi que le motif pour lequel elle ne lui attribuait pas de poids. Le défendeur déclare qu'il convient que la Commission accorde peu de poids à un rapport médical lorsqu'il se fonde sur des faits auxquels elle ne prête pas foi.


22                  J'estime, comme le défendeur, qu'il y a lieu de distinguer la présente affaire de celles citées par le demandeur, où la Commission n'avait pas même fait mention de rapports médicaux. En l'espèce, la Commission a motivé sa décision de ne pas accorder de poids au rapport concerné. Elle a ainsi déclaré que le rapport ne précisait pas en quoi les cicatrices du demandeur pourraient être reliées à un motif visé à la Convention ou aux sévices et actes de torture allégués. La Commission a de plus déclaré que, puisqu'elle ne croyait pas le récit du demandeur, elle n'attribuait pas de poids à son rapport médical.

23                  Le demandeur conteste les conclusions défavorables de la Commission quant à la crédibilité et à la vraisemblance. La Cour d'appel fédérale a établi qu'à l'égard de telles questions la norme de contrôle appropriée est celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315, aux pages 316 et 317, le juge Décary a déclaré ce qui suit, au paragraphe 4 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. [...]


24                  J'ai examiné avec soin les conclusions en matière de crédibilité et de vraisemblance de la Commission et j'ai étudié les observations orales et écrites du demandeur relatives à ces conclusions. J'estime que la Commission a clairement motivé les raisons pour lesquelles elle a conclu que le demandeur n'était pas crédible. La Commission a dûment pris en compte toute la preuve dont elle disposait, et elle n'a pas commis d'erreur en ne mentionnant pas spécifiquement dans ses motifs chaque élément de cette preuve. La preuve donnait ouverture à ses conclusions sur la crédibilité et la vraisemblance, et elle a relevé à juste titre certains éléments de preuve omis dans le FRP du demandeur. J'estime que ces conclusions de la Commission, dans les circonstances, n'étaient pas déraisonnables de telle manière que l'intervention de la Cour soit justifiée.

            (iii)      La Commission a-t-elle omis d'examiner les arguments soulevés à l'audience et portant que le demandeur était un réfugié sur place?

25                  Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en omettant d'examiner les arguments voulant qu'il soit un réfugié sur place, soit un individu qui n'était pas un réfugié lorsqu'il a quitté son pays, mais qui l'est devenu à une date ultérieure (Ghazizadeh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 465 (QL)).

26                  Le demandeur déclare ce qui suit dans son mémoire des faits et du droit :

Le tribunal a mentionné lors de l'audition avoir de connaissances spécialisées sur la Tunisie, ainsi le tribunal doit être au courant de la déclaration publique de la ministre de l'immigration et de la citoyenneté de l'époque l'Honorable Mme Caplan, vers la mi-février 2002, à l'effet qu'environ 150 tunisiens venus au Canada durant l'année 2000 à titre de visiteur, que plusieurs d'entre eux manque à l'appel, et d'autres ont demandé le statut de réfugié et que des mesures sont prise avec l'ambassade de Tunisie au Canada afin de les retracer;

Suite à cette annonce publique, les autorités tunisiennes au Canada ont immédiatement fait une vérification des ressortissants tunisiennes ayant obtenu un visa de visiteur à l'ambassade de Canada durant cette période, et ont alerté la sécurité intérieur tunisienne de procéder à des vérifications sur place en Tunisie;

Lors de l'audition, le demandeur a témoigné que la police tunisienne est toujours à sa recherche;


27                  Le demandeur soutient que la déclaration de la ministre et les mesures prises par ses fonctionnaires ont permis aux autorités tunisiennes d'être au fait de sa revendication du statut de réfugié au Canada; cela lui occasionnerait en Tunisie de graves problèmes aux mains desdites autorités. Le demandeur soutient qu'il est par suite un réfugié sur place, et que la Commission a commis une erreur en omettant de traiter spécifiquement de cette question dans ses motifs.

28                  Je ne souscris pas aux prétentions du demandeur. Il n'y a tout simplement pas de preuve quant au fait que le demandeur soit un réfugié sur place. L'argument du demandeur repose sur deux éléments. Premièrement, en raison de ses connaissances spécialisées, la Commission aurait dû connaître d'office la déclaration de la ministre. Deuxièmement, les autorités tunisiennes au Canada auraient informé les forces de sécurité en Tunisie de la présence ici du demandeur.

29                  Les allégations avancées dans le mémoire des faits et du droit du demandeur ne sont pas étayées par un affidavit de ce dernier, comme le requiert l'alinéa 10(2)a) des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d'immigration, DORS/93-22, tel que modifié par DORS/98-235. Il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve pour démontrer que la déclaration de la ministre aurait sur le demandeur l'incidence alléguée permettant de faire valoir le statut de réfugié sur place. Le témoignage du demandeur est spéculatif et ses allégations dans l'exposé des faits et du droit ne sont pas étayées par la preuve. La prétention du demandeur selon laquelle il est un réfugié sur place est donc sans fondement.


(iv)       La Commission a-t-elle appliqué de manière erronée l'article 97 de la Loi?

30                  Le demandeur soutient que la Commission a interprété erronément l'article 97 de la Loi en appliquant le même critère que celui prescrit par la jurisprudence, relativement à l'article 96, pour la qualité de réfugié au sens de la Convention.

31                  Voici les articles 96 et 97 de la Loi :


96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if


(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,                  (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.                     

                                           (non souligné dans l'original)

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

                                                                    (emphasis added)


32                  Le demandeur soutient que le critère applicable à l'article 97 devrait avoir un caractère davantage objectif que celui utilisé pour statuer sur la qualité de réfugié au sens de la Convention aux termes de l'article 96. Il prétend que le paragraphe 97(1) requiert de procéder à une analyse objective, tenant dûment compte des conditions prévalant dans le pays, de la situation du demandeur. Le demandeur soutient qu'en l'espèce, la conclusion défavorable de la Commission quant à sa crédibilité ne suffit pas pour lui refuser la qualité de personne à protéger. La Commission devrait, en outre, analyser la situation qui règne en Tunisie pour établir dans quelle mesure le demandeur serait exposé au risque d'être torturé, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.


33                  Le défendeur soutient que la Commission n'a pas cru que le demandeur avait été torturé et emprisonné en Tunisie, ni qu'il était perçu par les autorités comme un sympathisant islamiste. Le défendeur laisse donc entendre qu'il n'y avait pas de motifs sérieux de croire que le demandeur était une « personne à protéger » , et que la Commission n'a donc pas interprété erronément l'article 97 de la Loi. Le défendeur ajoute que, s'il fallait admettre l'argument du demandeur au sujet de l'interprétation à donner à l'article 97, tous les revendicateurs de Tunisie obtiendraient automatiquement le statut de « personnes à protéger » en vertu de la Loi.

34                  Notre Cour n'a pas encore procédé à un examen approfondi de l'interprétation à donner à l'article 97, en raison de l'adoption récente de la Loi. Pour étudier comme il convient la question soulevée par le demandeur, je passerai en revue certains articles de la Convention contre la torture intégrés par renvoi à l'article 97 de la Loi. Comme il n'existe pas de jurisprudence de notre Cour à ce sujet, je me guiderai dans mon analyse sur certaines décisions du Comité contre la torture (CCT) des Nations Unies.

35                  L'alinéa 97(1)a) de la Loi découle de l'article premier de la Convention contre la torture (la Convention), laquelle est définie comme suit au paragraphe 2(1) de la Loi :


« Convention contre la torture » La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, signée à New York le 10 décembre 1984 dont l'article premier est reproduit en annexe.

"Convention Against Torture" means the Convention Against Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment, signed at New York on December 10, 1984. Article 1 of the Convention Against Torture is set out in the schedule.


36                  L'article premier de la Convention donne la définition suivante de la torture :



1.    Aux fins de la présente Convention, le terme « torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s'étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant de sanctions légitimes inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.

1.    For the purposes of this Convention, torture means any act by which severe pain or suffering, whether physical or mental, is intentionally inflicted on a person for such purposes as obtaining from him or a third person information or a confession, punishing him for an act he or a third person has committed or is suspected of having committed, or intimidating or coercing him or a third person, or for any reason based on discrimination of any kind, when such pain or suffering is inflicted by or at the instigation of or with the consent or acquiescence of a public official or other person acting in an official capacity. It does not include pain or suffering arising only from, inherent in or incidental to lawful sanctions.


37                  Bien que ne figurant pas à l'annexe de la Loi, l'article 3 de la Convention prévoit pour sa part ce qui suit :


1. Aucun Etat partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.

1. No State party shall expel, return ('refouler') or extradite a person to another State where there are substantial grounds for believing that he would be in danger of being subjected to torture.

2. Pour déterminer s'il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l'existence, dans l'Etat intéressé, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives.

2. For the purpose of determining whether there are such grounds, the competent authorities shall take into account all relevant considerations including, where applicable, the existence in the State concerned of a consistent pattern of gross, flagrant or mass violations of human rights.


38                  Le CCT des Nations Unies a énoncé dans diverses décisions son interprétation de l'article 3 de la Convention. Dans Tahir Hussain Khan c. Canada (Communication n ° 15/1994, Doc. NU A/50/44, 1995), le CCT a ainsi déclaré ce qui suit :


Le Comité doit décider, conformément au paragraphe 1 de l'article 3, s'il existe des motifs sérieux de croire que M. Khan risquerait d'être soumis à la torture. Pour arriver à cette conclusion, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément au paragraphe 2 de l'article 3, y compris de l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité doit toutefois chercher à déterminer si l'intéressé risquerait personnellement d'être soumis à des tortures dans le pays où il retournerait. Il s'ensuit que l'existence dans un pays d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en tant que telle un motif suffisant pour conclure qu'une personne risquerait d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister en effet des motifs supplémentaires donnant à penser que l'intéressé serait personnellement menacé. De même, l'absence d'un ensemble de violations systématiques et graves des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne peut être considérée comme à l'abri de la torture dans son cas particulier.

                                                                                                                             (Non souligné dans l'original)                                 

39                  Il semble, d'après le libellé de l'article 3 de la Convention, que les motifs sérieux doivent être appréciés en tenant compte de « toutes les considérations pertinentes » , y compris l'existence « d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives » . Il découle toutefois clairement de la décision du CCT dans Khan que l'existence d'un ensemble de violations des droits de l'homme dans un pays ne suffit pas, en soi, pour démontrer qu'un intéressé serait personnellement menacé.

40                  Dans Kaveh Yaragh Tala c. Suède (Communication n ° 43/1996, Doc. NU CCT/C/17/D/43/1996) [Tala], le CCT a répété le passage précité de Khan. Dans Tala, la crédibilité du revendicateur était mise en cause. Le CCT a toutefois conclu qu'il y avait des motifs importants de croire que M. Tala risquerait d'être soumis à la torture s'il devait retourner dans son pays d'origine. Le CCT a déclaré ce qui suit, au paragraphe 10.3 :

L'État partie a relevé des contradictions et des incohérences dans le récit de l'auteur, mais le Comité considère qu'une exactitude parfaite ne peut guère être attendue de victimes de la torture et que les incohérences qui peuvent apparaître dans l'exposé des faits par l'auteur ne jettent pas le doute sur la véracité de ses allégations générales, d'autant qu'il a été démontré que l'auteur souffre d'un état réactionnel aigu à une situation très éprouvante. En outre, le Comité a relevé que, d'après le certificat médical, les cicatrices sur les cuisses de l'auteur n'ont pu être provoquées que par une brûlure et que cette brûlure n'a pu être infligée qu'intentionnellement par une personne autre que l'auteur lui-même.


                                                                                                                            (Non souligné dans l'original)                                     


41                  Une revendication fondée sur l'article 97 doit être appréciée en tenant compte de toutes les considérations pertinentes ainsi que du comportement en matière de droits de la personne du pays concerné. Bien que la Commission doive évaluer objectivement la revendication du demandeur, il lui faut individualiser son analyse. J'estime cette interprétation conforme non seulement aux décisions du CCT des Nations Unies examinées précédemment, mais aussi au libellé même de l'alinéa 97(1)a) de la Loi, qui fait mention d'une personne qui « serait personnellement, par son renvoi [...] exposée [...] » . Il peut y avoir des cas où l'on conclut qu'un revendicateur du statut de réfugié, dont l'identité n'est pas contestée, n'est pas crédible pour ce qui est de la crainte subjective d'être persécuté, mais où les conditions dans le pays sont telles que la situation individuelle du revendicateur fait de lui une personne à protéger. Il s'ensuit qu'une conclusion défavorable en matière de crédibilité, quoique pouvant être déterminante quant à une revendication du statut de réfugié en vertu de l'article 96 de la Loi, ne le sera pas nécessairement quant à une revendication en vertu du paragraphe 97(1). Les éléments requis pour établir le bien-fondé d'une revendication aux termes de l'article 97 diffèrent de ceux requis en regard de l'article 96, la crainte fondée de persécution pour un motif visé à la Convention devant être démontrée dans ce dernier cas. Bien que le fondement probatoire puisse être le même pour les deux revendications, il est essentiel que chacune d'elles soit considérée distincte. Une revendication fondée sur l'article 97 appelle l'application par la Commission d'un critère différent, ayant trait à la question de savoir si le renvoi du revendicateur peut ou non l'exposer personnellement aux risques et menaces mentionnés aux alinéas 97(1)a) et b) de la Loi. On peut soutenir que la Commission pourrait également avoir à appliquer une norme de preuve différente, mais cette question devra être approfondie une autre fois, puisqu'on ne l'a pas fait valoir dans le cadre de la présente demande. La question de savoir si la Commission a valablement examiné les deux revendications doit être tranchée, en tenant compte des éléments différents qui sont requis pour démontrer le bien-fondé de chacune, en fonction des faits d'espèce.


42                  La Commission a conclu en l'espèce que le témoignage du demandeur était entaché d'importantes omissions, contradictions et invraisemblances, ce qui l'a amenée à conclure au manque de crédibilité de son récit. J'ai déjà statué qu'il y avait matière pour la Commission à tirer ces conclusions. Celle-ci n'a pas prêté foi, spécifiquement et en énonçant des motifs détaillés, aux allégations du demandeur concernant son arrestation, sa détention et les actes de torture que des policiers lui auraient fait subir. Il appert, en outre, que la Commission a tenu compte de la situation régnant en Tunisie et qu'elle a examinée de façon particulière, dans ses motifs, la documentation sur le pays qui lui avait été présentée. Rien ne laisse penser que la Commission n'a pas tenu compte d'éléments de preuve dont elle disposait ni qu'elle a interprété erronément tout aspect de celle-ci. Mis à part les éléments de preuve déclarés non crédibles par la Commission, il n'y en avait pas d'autres dont celle-ci disposait et découlant de la documentation sur le pays ou de toute autre source qui auraient pu conduire la Commission à conclure que le demandeur était une personne à protéger. Dans ces circonstances, je conclus que la Commission a bien commis une erreur en omettant d'analyser spécifiquement la revendication fondée sur l'article 97. Je conclus toutefois également, exerçant à cet égard mon pouvoir discrétionnaire, que cette erreur n'a pas d'effet déterminant sur l'issue de l'affaire. Je conclus qu'il y avait matière, eu égard à la preuve, pour la Commission de conclure que le demandeur n'était pas une « personne à protéger » aux termes des alinéas 97(1)a) et b) de la Loi.

Conclusion

43                  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

44                  Les parties ont eu l'occasion de soulever une question grave de portée générale tel que le prévoit l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, chapitre 27, et ils ne l'ont pas fait. Je ne propose pas la certification d'une question grave de portée générale.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE

1.         La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 18 septembre 2002 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est rejetée.

2.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »                

                                                                                                                                                                 Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-5570-02

INTITULÉ :                                        RIADH BEN SOLTA BOUAOUNI c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 9 juillet 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS ET DE

L'ORDONNANCE :                          Le 20 octobre 2003

COMPARUTIONS :

Me Jean-François Fiset                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Me Ian Demers                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Jean-François Fiset                                                                  POUR LE DEMANDEUR

401-10, rue St-Jacques Ouest

Montréal (Québec) H2Y 1L3

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Montréal (Québec)     H2Z 1X4


COUR FÉDÉRALE

     Dossier : IMM-5570-02

ENTRE :

        RIAD BEN SOLTA BOUAOUNI

Demandeur

                   - et -

       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

            ET DE L'IMMIGRATION

                                   Défendeur

                                                                                         

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE

            ET ORDONNANCE

                                                                                         


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