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Date : 20030422

Dossier : IMM-493-02

Référence : 2003 CFPI 470

OTTAWA (ONTARIO), LE 22 AVRIL 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                                                     FARUK AHMED

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                                                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                             ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision datée du 9 janvier 2002 dans laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur, un citoyen du Bangladesh, n'était pas un réfugié au sens de la Convention selon la définition donnée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi). Cette définition est formulée comme suit :



2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

2. (1) In this Act,

« réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

"Convention refugee" means any person who

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

[...]

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

...

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

[...]

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

...


[2]                 En l'espèce, la Commission a conclu que le demandeur ne craignait pas avec raison d'être persécuté du fait de ses activités politiques présumées, et ce, en raison du changement de gouvernement dans son pays d'origine. En outre, la Commission a conclu que le demandeur avait fabriqué son récit et que sa revendication n'avait pas de minimum de fondement aux termes du paragraphe 69.1(9.1) de la Loi. Cette disposition prévoit :


69.1(9.1) La décision doit faire état de l'absence de minimum de fondement, lorsque chacun des membres de la section du statut ayant entendu la revendication conclut que l'intéressé n'est pas un réfugié au sens de la Convention et estime qu'il n'a été présenté à l'audience aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel il aurait pu se fonder pour reconnaître à l'intéressé ce statut.

69.1(9.1) If each member of the Refugee Division hearing a claim is of the opinion that the person making the claim is not a Convention refugee and is of the opinion that there was no credible or trustworthy evidence on which that member could have determined that the person was a Convention refugee, the decision on the claim shall state that there was no credible basis for the claim.


[3]                 Je vais commencer par quelques commentaires d'ordre général.


[4]                 Premièrement, il est bien établi en droit que la Commission a une expertise certaine pour statuer sur des questions de fait, en particulier pour apprécier la crédibilité du revendicateur et la possibilité de se prévaloir de la protection de l'État dans son pays d'origine. La décision Lubana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 116 (C.F. 1re inst.), comporte un examen approfondi des principes applicables et de leur mise en oeuvre. Il suffit de dire ici que la Commission est le juge des faits et qu'elle est autorisée à tirer des conclusions raisonnables quant à la crédibilité du récit du revendicateur en se fondant sur le manque de vraisemblance, le bon sens et la raison. En conséquence, pour que la Cour annule une conclusion de fait de la Commission, il doit démontrer que cette conclusion est manifestement déraisonnable : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 50; Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

[5]                 Deuxièmement, le revendicateur doit toujours établir que sa crainte de persécution est fondée. En conséquence, il faut satisfaire aux deux éléments de la définition de « réfugié » contenue à l'article 2 de la Loi, soit l'élément subjectif et l'élément objectif : Rajudeen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.); et Zambo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 23 Imm. L.R. (3d) 267, au paragraphe 22 (C.F. 1re inst.).


[6]                 Troisièmement, la définition de « réfugié » exclut les personnes qui ont perdu leur statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe 2(2) de la Loi, comme par exemple lorsque les raisons de la crainte de persécution ont cessé d'exister. En conséquence, le fait que la situation politique dans le pays d'origine du revendicateur ait évolué de façon à faire disparaître les raisons pour lesquelles il craignait d'être persécuté est pertinent quant à la question de savoir si le revendicateur peut sérieusement prétendre être un réfugié au sens de la Convention. La question n'est donc pas de savoir si le revendicateur craignait avec raison d'être persécuté, mais bien de savoir si cette crainte est toujours justifiée : Mileva c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 398 (C.A.F.), au paragraphe 8. Il faut donc analyser la situation factuelle au moment où sa revendication est jugée.

[7]                 Pour ce qui est des questions particulières soulevées en l'espèce et après avoir appliqué les principes susmentionnés, je conclus qu'il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer les conclusions qu'elle a tirées et qu'il y a des éléments de preuve importants à l'appui des conclusions générales de la Commission.

[8]                 Contrairement à ce que prétend le demandeur, on ne peut pas dire que les conclusions de la Commission ne s'appuyaient pas sur la preuve. Je conclus également que la Commission s'est acquittée de son obligation de fournir des motifs clairs en l'espèce. Elle a écrit :


Le coeur même du récit du revendicateur porte sur ses présumées activités politiques et sur la persécution dont il aurait été victime aux mains du parti alors au pouvoir, la Ligue Awami. Toutefois, lors des élections générales d'octobre 2001, le PNB a été élu avec une majorité écrasante. Le PNB forme maintenant le gouvernement. Les circonstances ont changé de façon considérable. La Ligue Awami, battue à plates coutures aux élections, n'est plus une force majeure dont il faut tenir compte au Bangladesh.

Il n'est certes pas crédible qu'un jeune homme qui prétend se consacrer à fond à la vie politique choisisse délibérément de s'exiler dans un pays étranger alors que le parti pour lequel il a travaillé si fort pendant huit ans a réussi à renverser de façon décisive le gouvernement antérieur qui était la source de sa persécution alléguée. Le revendicateur et le conseil ont fait valoir que puisque M. Ahmed a quitté son pays avant les élections, ses anciens amis allaient maintenant l'ignorer. Le tribunal n'est pas d'accord avec cet argument par trop simpliste. La loyauté est peut-être une qualité fragile dans les milieux politiques, mais le tribunal ne peut néanmoins concevoir qu'un membre de longue date du PNB puisse être victime de persécution aux mains de l'ancien gouvernement et encore moins aux mains de son propre parti. Cela n'a pas de sens.

La conclusion est simple : M. Ahmed a manqué de chance. En effet, après qu'il eut, en janvier 2001, présenté une revendication fondée sur la persécution dont il aurait été victime aux mains de la Ligue Awami, le parti auquel il a allégué appartenir a pris le pouvoir le 1er octobre 2001, rendant par conséquent son FRP totalement dépourvu de pertinence.

Le tribunal conclut que le revendicateur a fabriqué son récit dans le but d'obtenir la résidence permanente au Canada sans suivre la procédure normale. La protection internationale est un privilège important qui vise à aider les personnes qui font face à un risque raisonnable d'être persécutées si elles retournent dans leur pays d'origine. Elle ne doit pas être utilisée comme une forme d'immigration déguisée. Le tribunal invoque l'affaire Urbanek. L'obtention du droit d'établissement au Canada par des moyens frauduleux, pour une raison ou pour une autre, n'est pas acceptable et l'on devrait décourager cette pratique par tous les moyens.

Puisque le tribunal ne croit pas aux allégations du revendicateur, il n'accorde aucune valeur probante aux documents que celui-ci a produits à l'appui de sa revendication. Le tribunal invoque l'affaire Hamid.


[9]                 Malgré les efforts louables de son avocat, le demandeur ne m'a pas convaincu que les conclusions de la Commission relativement au changement de circonstances, et sa conclusion corollaire quant à l'absence de crainte, étaient abusives ou arbitraires. Tel qu'il ressort des motifs exposés ci-dessus, la Commission a tenu compte des répercussions de ces changements sur le demandeur. À la lumière de la preuve au dossier, malgré le caractère quelque peu récent des changements, il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure, compte tenu du fait que le Parti national du Bangladesh (le PNB) avait été élu avec une majorité écrasante et qu'il formait le gouvernement, que la crainte de persécution du demandeur par la Ligue Awami ne pouvait plus se justifier sur le plan objectif. En conséquence, la Commission a conclu qu'à la lumière des déclarations du demandeur, il était peu probable que ces éléments de preuve puissent étayer son allégation suivant laquelle il craignait avec raison d'être persécuté à son retour dans son pays. Compte tenu du caractère très limité de la crainte que continue d'alléguer le demandeur, j'estime que la Commission n'était pas tenue de dire expressément qu'elle avait considéré ces changements comme étant « réellement efficaces et durables » (une conclusion qui, peut-on soutenir, ressort implicitement de la décision de la Commission).

[10]            En outre, dans la décision de la Commission, le manque de crédibilité du demandeur et l'absence de crainte subjective étaient justifiés. La Commission a souligné que la revendication du statut de réfugié du demandeur était incompatible avec le portrait qu'il avait fait de lui-même, soit un jeune homme qui se consacre à la vie politique, qui s'est battu pendant huit ans dans son pays, et qui cherche maintenant à obtenir le statut de réfugié, alors que son parti forme le gouvernement depuis octobre 2001. Cela rend son récit très peu plausible. En outre, la Commission n'a tout simplement pas cru l'explication du demandeur suivant laquelle ses anciens amis pourraient l'ignorer parce qu'il a quitté le pays. Il était raisonnablement loisible à la Commission de faire ces inférences.


[11]            Cette conclusion défavorable quant à la crédibilité s'appliquait au reste du témoignage du demandeur, en particulier en ce qui touche l'allégation d'agressions possibles par la Ligue Awami malgré le changement de gouvernement : Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.), à la page 244. De plus, puisque les seuls éléments de preuve établissant un lien entre le demandeur et le préjudice allégué se trouvaient dans son témoignage et que le demandeur a été jugé non crédible, la Commission pouvait tirer une conclusion générale selon laquelle la revendication n'avait pas de minimum de fondement dans la mesure où il n'y avait aucune preuve documentaire indépendante et crédible qui étayait par ailleurs la reconnaissance du statut de réfugié du demandeur : Foyet c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1591, au paragraphe 19; et Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 3 C.F. 537, aux paragraphes 19 et 50 (C.A.F.) (arrêt Rahaman).


[12]            En l'espèce, il ressort de la lecture des motifs exposés par la Commission qu'elle a apprécié la preuve orale et documentaire à la lumière du fait, mentionné précédemment, que les « circonstances ont changé de façon considérable » . La conclusion de la Commission suivant laquelle la revendication du demandeur était « dépourvue d'un minimum de fondement » est facile à comprendre et découle directement de ses motifs généraux : Kanvathipillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1172, au paragraphe 32. En outre, le demandeur ne m'a pas convaincu que la Commission n'avait tenu aucun compte d'une « preuve documentaire indépendante et crédible » qui, au moment où la Commission a rendu sa décision et compte tenu du changement de circonstances, « p[ouvait] étayer une reconnaissance du statut de réfugié » , comme l'exige la Cour d'appel fédérale pour empêcher une conclusion d' « absence de minimum de fondement » : arrêt Rahaman, précité, au paragraphe 19.

[13]            En conséquence, rien ne justifie l'intervention de la Cour et la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les avocats conviennent qu'il n'y a pas de question de portée générale à certifier.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, datée du 9 janvier 2002, soit rejetée. Aucune question de portée générale ne sera certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.                                               


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      IMM-493-02

INTITULÉ :                                                                  FARUK AHMED

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE 27 MARS 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                  LE JUGE LUC MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                                                  LE 22 AVRIL 2003

COMPARUTIONS :

DIANE N. DORAY                                                        POUR LE DEMANDEUR

GUY LAMB                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DIANE N. DORAY                                                        POUR LE DEMANDEUR

SYLVIANNE ROY                                                         POUR LE DÉFENDEUR


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