Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030530

Dossier : T-845-03

Référence : 2003 CFPI 689

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le vendredi 30 mai 2003

En présence de Monsieur le juge Blais                                  

ENTRE :

                                                                 PAUL S. BINING et

                                                        PARMINDER KAUR BINING

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                               défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une requête, datée du 28 mai 2003, dans laquelle on sollicite au nom des demandeurs une ordonnance de sursis de la demande de fourniture de renseignements du 1er mai 2003 signifiée aux demandeurs jusqu'à ce que l'audition de l'avis de demande déposé par les demandeurs le 21 mai 2003 ait eu lieu et que la Cour se soit prononcée quant à l'obligation des demandeurs de fournir les renseignements exigés.

[2]                 Il s'agit d'une demande de dernière minute. Les demandeurs souhaitaient qu'elle soit entendue d'urgence le vendredi 30 mai 2003.

[3]                 J'ai examiné attentivement les dossiers des demandeurs et de la défenderesse.

FAITS

[4]                 Par lettre datée du 18 mars 2003, la défenderesse a communiqué avec les demandeurs pour tenter d'obtenir des réponses à certaines questions. Le 10 avril 2003, la défenderesse a écrit aux demandeurs pour les informer que si les réponses n'étaient pas reçues au plus tard le 24 avril 2003, elle n'aurait d'autre choix que de prendre des mesures en fonction des renseignements déjà au dossier.

[5]                 Le 1er mai 2003, un avis de fourniture de renseignements a été signifié à chacun des demandeurs en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu et du paragraphe 289(1) de la Loi sur la taxe d'accise.

[6]                 Essentiellement, ces avis portent sur les mêmes questions que celles abordées dans la lettre envoyée aux demandeurs le 18 mars 2003.

[7]                 Le 21 mai 2003, les demandeurs ont présenté, en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, une demande de jugement déclaratoire portant que les demandes de renseignements constituent un abus de procédure et une atteinte aux droits garantis aux articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés et qu'elles devraient être annulées suivant le paragraphe 24(1) de la Charte, et portant en outre que les demandes sont par ailleurs nulles et illégales et devraient être annulées conformément aux alinéas 18.1a) et 18.1(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale. Les demandeurs sollicitent maintenant une demande de sursis de la demande de fourniture de renseignements du 1er mai 2003 au motif qu'elle soulève une question grave, que les demandeurs subiront un préjudice irréparable si le sursis n'est pas accordé, et que la prépondérance des inconvénients leur est favorable.

QUESTION GRAVE

[8]                 Les demandeurs prétendent que la défenderesse a en sa possession toute la preuve documentaire nécessaire pour justifier une nouvelle cotisation et que cette nouvelle cotisation devrait tenir compte des dépôts bancaires inexpliqués qui font l'objet de la demande de renseignements.


[9]                 De l'avis des demandeurs, répondre à la demande de renseignements aurait pour effet de faire abstraction, en rapport avec les dépôts bancaires, de toute référence à une source qui ne représente pas un revenu et que cela mènerait à la conclusion que les dépôts non identifiés sont des revenus n'ayant pas été déclarés. Les demandeurs soutiennent que la demande de renseignements vise uniquement à procéder éventuellement à une enquête criminelle reposant sur les dépôts bancaires inexpliqués qui ont été découverts lors de la vérification, que la demande de renseignements est donc utilisée dans ce contexte aux fins d'une enquête criminelle et que les demandeurs ne devraient pas être placés en situation d'auto-incrimination en répondant à ces demandes.

[10]            Les demandeurs s'appuient sur deux arrêts récents de la Cour suprême du Canada, soit R. c. Jarvis 2002 CSC 73 et R. c. Ling 2002 CSC 74, dans lesquels « la Cour a statué que lorsqu'un examen dans un cas particulier a pour objet prédominant d'établir la responsabilité pénale d'un contribuable, les fonctionnaires de l'ADRC doivent renoncer à leur faculté d'utiliser les pouvoirs de contrainte que leur confère l'article 231.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu » .

[11]            De son côté, la défenderesse prétend qu'elle a en sa possession les relevés bancaires des demandeurs et que ces relevés indiquent que des dépôts de source inconnue ont été faits.


[12]            La défenderesse prétend que l'avis est tout à fait raisonnable dans les circonstances et que [traduction] « les avis du 1er mai 2003 visent une demande légitime de renseignements portant sur les sources de revenu non imposable des demandeurs, tels les gains faits au jeu, les gains de loterie, les prêts, un héritage, etc. » . La défenderesse ne partage pas non plus l'avis des demandeurs voulant qu'elle devrait se contenter d'établir une nouvelle cotisation à leur égard en laissant à la Cour de l'impôt le soin de décider si les dépôts doivent être considérés comme des revenus imposables.

[13]            Enfin, la défenderesse a mentionné que la possibilité que les demandeurs fassent l'objet de poursuites pénales existe de toute façon, et que les réponses qui seraient fournies dans le cadre des demandes lui permettraient d'en arriver à une cotisation plus exacte.

[14]            Les arguments qu'invoquent les demandeurs ne constituent pas un motif valable de refuser de répondre aux demande de renseignements.

[15]            À mon sens, la défenderesse a présenté des arguments solides à l'appui de ses prétentions.

[16]            Je n'hésite aucunement à conclure que les demandeurs n'ont pas réussi à démontrer l'existence d'une question grave nécessitant d'être tranchée.

PRÉJUDICE IRRÉPARABLE


[17]            Les demandeurs prétendent qu'ils subiront un préjudice irréparable si le sursis ne leur est pas accordé du fait qu'ils seront contraints, sous peine de sanction pénale, de fournir des éléments de preuve potentiellement incriminants qui pourraient être utilisés lors d'éventuelles poursuites pénales pour fraude fiscale; d'autre part, s'ils omettaient de donner suite aux demandes, les demandeurs s'exposeraient selon eux à des poursuites pénales à cet égard, ce qui signifiait qu'ils se trouvaient dans une situation sans issue.

[18]            En réponse à ces prétentions, la défenderesse affirme que si le ministre ne recevait pas de réponse dans un délai raisonnable, il serait préclus de procéder à une nouvelle cotisation; elle ajoute que si les renseignements demandés sont fournis et qu'il est statué par la suite qu'ils ont été obtenus en violation des droits garantis aux demandeurs par la Constitution, ils ne pourront de toute façon être utilisés dans le cadre de poursuites pénales.

[19]            Je n'hésite pas à conclure que les demandeurs ne subiront pas de préjudice irréparable si le sursis ne leur est pas accordé à ce stade-ci.

[20]            Pour réitérer un commentaire que j'ai fait à l'audience, si la majorité des réponses aux demandes étaient négatives, ainsi que le laissent entendre les demandeurs, je ne vois pas comment on pourrait naturellement en déduire que le montant des dépôts faits au compte bancaire doivent être considérés comme un revenu ni comment cela pourrait entraîner des poursuites pénales pour fraude fiscale.


[21]            Comment peut-on prétendre que le fait de ne fournir aucun renseignement sur la source de dépôts bancaires pouvait être considéré comme de l'auto-incrimination? Arriver à de telles conclusions n'est possible qu'en forçant considérablement le sens du libellé de la Loi, ce que je ne suis pas disposé à faire.

PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS

[22]            Les parties prétendent de part et d'autre que la prépondérance des inconvénients joue en leur faveur, mais sur la base de la preuve présentée, je conclus sans hésiter que la prépondérance des inconvénients favorise la défenderesse.

                                                                     ORDONNANCE

[23]            EN CONSÉQUENCE, la Cour ordonne que la présente demande de sursis soit rejetée avec dépens payables immédiatement à la défenderesse.

« Pierre Blais »

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL .L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  T-845-03

INTITULÉ :                                                 PAUL S. BINING ET AL. c. HMQ

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                       Le 30 mai 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         Monsieur le juge Blais

DATE DES MOTIFS :                               Le 30 mai 2003

COMPARUTIONS :

Thomas M. Boddez                                                        POUR LES DEMANDEURS

Robert Carvalho                                                             POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thorsteinssons Tax Lawyers                                        POUR LES DEMANDEURS

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                                                          POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.