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Date : 20050921

Dossier : T‑1699‑04

Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

ENTRE :

 

THOMAS J. FENNELLY

demandeur

 

 

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

ORDONNANCE

 

VU la demande de contrôle judiciaire d’une décision du ministre des Pêches et des Océans, en date du 25 août 2004, qui rejetait la demande présentée par le demandeur pour le renouvellement d’un permis de pêche exploratoire du crabe;

 

ET APRÈS lecture des pièces produites et audition des conclusions des parties;

ET pour les motifs délivrés aujourd’hui;

 

LA COUR ORDONNE :

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


 

 

Date : 20050921

Dossier : T‑1699‑04

Référence : 2005 CF 1291

 

ENTRE :

 

THOMAS J. FENNELLY

demandeur

 

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

LE JUGE KELEN

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision du ministre des Pêches et des Océans (le ministre) en date du 25 août 2004, qui lui a refusé le renouvellement d’un permis de pêche exploratoire du crabe.

 

LES FAITS

 

[2]               Le demandeur, un pêcheur, pratique la pêche commerciale à Terre‑Neuve depuis 1972. Il exploite deux bateaux : un chalutier à rampe arrière de 75 pieds, baptisé le NM « Bear Cove Point », et un chalutier polyvalent de 95 pieds baptisé le NM « Sandy Joanne ».

 

a)         Les permis de pêche

 

[3]               En 1995, le demandeur obtenait un permis de pêche exploratoire du crabe, qui l’autorisait à pêcher le crabe des neiges dans les divisions 3LMNO de l’Organisation des pêches de l’Atlantique Nord‑Ouest (OPANO), au large de Terre‑Neuve et à l’extérieur de la zone canadienne des 200 milles. Le permis était délivré pour utilisation sur le NM « Bear Cove Point » et il a été renouvelé chaque année depuis 1996.

 

[4]               En 1996, le demandeur obtenait un permis de pêche exploratoire du pétoncle, qui l’autorisait à pêcher le pétoncle dans les divisions 3LNO de l’OPANO, à l’extérieur de la zone des 200 milles. Le permis était délivré pour utilisation sur le NM « Sandy Joanne » et il a été renouvelé chaque année depuis 1997.

 

[5]               Le 26 juin 1998, le demandeur envoyait au ministère des Pêches et des Océans (le MPO) une lettre où il demandait l’autorisation d’effectuer une « campagne d’évaluation » du crabe des neiges dans la division 3N de l’OPANO, à l’extérieur de la zone des 200 milles, pour savoir s’il y avait des stocks de crabe des neiges dans cette région. La demande a été approuvée, et un permis de pêche exploratoire du crabe fut délivré au demandeur pour une période de 30 jours le 30 octobre 1998 (le deuxième permis de pêche du crabe). Le permis, qui était délivré pour utilisation sur le NM « Sandy Joanne », était valide du 1er novembre 1998 au 30 novembre 1998. Par modification apportée au permis le 30 novembre 1998, la validité du permis fut prolongée de 15 jours, jusqu’au 15 décembre 1998.

 

[6]               Le travail exploratoire mené par le NM « Sandy Joanne » donna des résultats, puisque environ 200 000 livres de crabe furent débarquées en 45 jours. En 1999, le demandeur sollicitait le renouvellement des deux permis de pêche exploratoire du crabe. Le permis de pêche du crabe applicable au NM « Bear Cove Point » fut renouvelé. Le permis de pêche du crabe applicable au NM « Sandy Joanne » ne l’a pas été. Par lettre datée du 24 février 2000, le MPO justifiait ainsi son refus de renouveler le permis applicable au NM « Sandy Joanne » :

[TRADUCTION] Il est nécessaire de préciser que vous étiez autorisé à utiliser le « Sandy Joanne » dans la pêche exploratoire du crabe, à l’extérieur de la zone des 200 milles, comme bateau de remplacement temporaire pour votre navire, le « Bear Cove Point », que vous êtes actuellement autorisé à utiliser pour la pêche exploratoire du crabe des neiges dans les divisions 3NO de l’OPANO. L’approbation d’utilisation du « Sandy Joanne » comme bateau de remplacement temporaire pour la pêche exploratoire de 1998 à l’extérieur de la zone des 200 milles ne confère au « Sandy Joanne » aucun statut dans la pêche du crabe.

 

b)         Le premier appel

 

[7]               Le demandeur a fait appel de la décision du MPO de ne pas renouveler son permis au Comité régional d’appel relatif à la délivrance des permis (le Comité régional), un organisme établi en vertu de la Politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans l’Est du Canada, 1996. Le Comité régional offre un mécanisme d’appel interne à ceux qui ne sont pas satisfaits des décisions des fonctionnaires du MPO. Le Comité régional a recommandé au directeur général régional du MPO de rejeter l’appel du demandeur. Le directeur général régional a accepté cette recommandation et, par lettre datée du 5 avril 2002, il a notifié au demandeur sa décision défavorable.

 

[8]               Le demandeur a fait appel de cette décision à l’Office des appels relatifs aux permis de pêche de l’Atlantique (l’Office des appels), un autre organe d’appel établi en vertu de la Politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans l’Est du Canada, 1996. Le rôle de l’Office des appels est décrit ainsi au paragraphe 35(7)c) du chapitre 7 de la politique :

L’Office formule des recommandations au ministre sur les appels refusés conformément à l’application du processus d’appel régional et, pour ce faire :

 

i)                 détermine si le requérant a été traité équitablement conformément aux politiques, méthodes et procédures du ministère;

 

ii)               détermine si des circonstances atténuantes justifient une dérogation aux politiques, méthodes ou procédures établies.

 

 

[9]               Lors de l’audition de l’appel, un représentant du MPO a soutenu que le deuxième permis de pêche du crabe n’était qu’une autorisation donnée au demandeur d’utiliser le NM « Sandy Joanne » comme bateau de remplacement pour le NM « Bear Cove Point », et qu’il ne s’agissait pas d’un permis autonome de pêche du crabe. Par conséquent, la demande de renouvellement du deuxième permis de pêche du crabe, en 1999, avait été traitée par le ministère comme une demande de nouveau permis. Le MPO faisait valoir que, puisqu’un moratoire avait été décrété en 1996 sur la délivrance de nouveaux permis de pêche exploratoire du crabe, le ministre était fondé à refuser au demandeur la délivrance d’un nouveau permis.

 

[10]           Le demandeur a contesté la prétention du MPO selon laquelle le deuxième permis de pêche du crabe n’était qu’une autorisation d’utiliser le NM « Sandy Joanne » comme bateau de remplacement pour le NM « Bear Cove Point ». Selon lui, s’il avait tenté d’obtenir un permis autonome de pêche du crabe pour le NM « Sandy Joanne », c’était parce que les niveaux de capture du pétoncle étaient faibles et qu’il lui fallait trouver un autre emploi pour le bateau. Il a aussi fait remarquer que chaque permis portait un numéro différent et que le ministère ne l’avait jamais informé qu’il lui faudrait « remiser » ou cesser d’utiliser le NM « Bear Cove Point » pour pouvoir utiliser le NM « Sandy Joanne » dans la pêche du crabe. Selon le demandeur, on lui avait délivré un permis autonome en 1998 et, compte tenu des politiques et pratiques actuelles du MPO, il avait droit au renouvellement du permis chaque année.

 

c)         Le premier rapport de l’Office des appels

 

[11]           Dans un rapport daté du 29 avril 2002, l’Office des appels faisait au ministre la recommandation suivante :

[TRADUCTION]

RECOMMANDATION :           Appel rejeté

 

L’Office croit que M. Tom Fennelly a été traité équitablement puisqu’aucun nouveau permis exploratoire de pêche du crabe n’a été délivré depuis 1998 [erreur typographique – il faudrait plutôt lire 1996].

 

Cependant, l’Office croit que, compte tenu du travail fait par M. Fennelly et des retombées pour les autres pêcheurs de crabe de Terre‑Neuve, si de nouveaux permis étaient délivrés, un deuxième permis de pêche exploratoire du crabe devrait être délivré à cette entreprise.

 

 

d)         La première décision du ministre et la première demande déposée devant la Cour fédérale

 

[12]           Le ministre a accepté la recommandation de l’Office des appels et, par lettre datée du 6 septembre 2002, il a rejeté la demande de renouvellement du deuxième permis de pêche du crabe. Le demandeur a contesté la décision du ministre en déposant une demande de contrôle judiciaire. Voir la décision Fennelly c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [2003] A.C.F. n° 1398 (C.F.). La juge Heneghan a fait droit à la demande au motif que l’Office des appels et le ministre avaient tous deux négligé de se demander si le NM « Sandy Joanne » était utilisé comme bateau de remplacement ou plutôt à la faveur d’un permis autonome délivré en octobre 1998. Elle s’est exprimée ainsi, au paragraphe 43 :

Il s’agissait d’une détermination factuelle essentielle puisque, comme l’Office des appels le faisait remarquer au début de son rapport, le ministre n’avait pas approuvé de « nouveaux permis » depuis 1996. Si le demandeur ne demandait pas un nouveau permis, mais simplement la réattribution d’un permis détenu antérieurement, les politiques applicables auraient pu influer sur la recommandation de l’Office des appels et sur la décision définitive du ministre.

 

 

e)         Le deuxième rapport de l’Office des appels

 

[13]           La juge Heneghan a renvoyé l’affaire au ministre pour nouvelle décision conforme à ses motifs. Le ministre a alors constitué une nouvelle formation de l’Office des appels [traduction] « pour qu’elle instruise toute l’affaire et se prononce sur le statut du NM SANDY JOANNE, en précisant s’il était utilisé comme navire de remplacement ou à la faveur d’un permis autonome délivré en octobre 1998 ». La séance de l’Office des appels s’est déroulée le 26 mai 2004 à Halifax. Durant la séance, le MPO a maintenu sa position, affirmant que le deuxième permis de pêche du crabe n’était pas un permis autonome, mais plutôt une autorisation d’utiliser le NM « Sandy Joanne » comme bateau de remplacement pour le NM « Bear Cove Point ».

 

[14]           L’Office des appels a conclu qu’un deuxième permis autonome avait été délivré au demandeur, mais il a recommandé que le permis ne soit pas renouvelé. La recommandation complète de l’Office est ainsi rédigée :

[TRADUCTION]

RECOMMANDATION :           Appel rejeté

 

L’Office, se fondant sur les documents et les éléments de preuve présentés à l’audience, s’est demandé si le permis exploratoire NF‑956‑98 […] avait ou non été délivré en tant qu’autorisation d’utiliser le NM « Sandy Joanne » comme bateau de remplacement, ou plutôt en tant que nouveau permis.

 

L’Office n’a constaté aucune preuve attestant que le permis avait été délivré en tant qu’autorisation d’utiliser le NM « Sandy Joanne » comme bateau de remplacement pour le « Bear Cove Point ». Il avait été clairement délivré pour le « Sandy Joanne ». Aucun document n’appuyait une demande portant sur un bateau de remplacement, et le ministère a été incapable de montrer qu’il s’agissait d’un bateau de remplacement.

 

L’Office dit que, même si le MPO n’avait sans doute pas l’intention de délivrer un permis autonome pour le « Sandy Joanne », ce qui est démontré par le fait qu’aucune modification n’a été apportée au plan de gestion du crabe de 1997‑1998, il reste qu’un permis autonome a été délivré.

 

Selon l’Office, M. Fennelly n’aurait pas dû recevoir un permis autonome pour le « Sandy Joanne » en 1998, et l’Office recommande donc qu’il ne soit pas renouvelé.

 

 

f)          La deuxième décision du ministre

 

[15]           Après réception de la recommandation de l’Office des appels, le ministre a pris la décision suivante, le 20 août 2004 (j’en fais le résumé) :

1.      le permis autorisant l’utilisation du « Sandy Joanne » n’a été délivré que pour une campagne d’évaluation se rapportant au crabe;

 

2.      ce permis était valide pour une courte période, c’est‑à‑dire 30 jours (période prolongée de 15 jours);

 

3.      le permis aurait été délivré pour le « Bear Cove Point », qui est le navire utilisé par le demandeur pour la pêche du crabe. À ce stade, le demandeur avait capturé la totalité de son quota de 100 tonnes de crabe, en utilisant le « Bear Cove Point », et le bateau était utilisé par une autre entreprise pour la pêche d’une autre espèce et ne pouvait donc pas servir pour la campagne d’évaluation;

 

4.      puisque le bateau du demandeur, le « Sandy Joanne », était disponible, il a été autorisé à faire la campagne d’évaluation du stock de crabe. Si le « Bear Cove Point » avait été disponible, c’est ce bateau‑là qui aurait été autorisé à faire la campagne d’évaluation;

 

5.      en 1999, le demandeur a reçu un quota de 125 tonnes de crabe des neiges, qui devaient être pêchées avec le « Bear Cove Point » durant la saison de pêche 1999;

 

6.      selon la Politique, les titulaires de permis qui font une pêche expérimentale ou exploratoire bénéficient d’une priorité quand des permis additionnels sont délivrés, mais aucun permis additionnel de pêche du crabe des neiges n’a été approuvé ou délivré en 1999;

 

7.      la délivrance du permis au demandeur pour le « Sandy Joanne » ne signifiait nullement qu’un permis semblable serait délivré dans l’avenir; et

 

8.      Manifestement, le « Sandy Joanne » a été utilisé durant une très courte période pour une campagne particulière d’évaluation du stock de crabe des neiges, campagne qui s’est déroulée à la fin de 1998.

 

 

[16]           Le ministre a donc refusé de délivrer au demandeur un deuxième permis de pêche du crabe des neiges pour le « Sandy Joanne ».

 

[17]           Par lettre datée du 25 août 2004, le demandeur était informé que son appel avait été rejeté. La lettre contient en partie ce qui suit :

[TRADUCTION] Le ministre a pris une décision après examen minutieux de toute l’information disponible, et j’ai le regret de vous informer qu’il a rejeté votre appel. Le ministre est arrivé à la conclusion que la délivrance d’un permis de pêche exploratoire, en particulier d’un permis destiné à une campagne d’évaluation, ne signifie nullement qu’un permis semblable sera délivré au cours des années suivantes. Le permis délivré pour une campagne d’évaluation autorisait l’utilisation temporaire du navire « Sandy Joanne » pour une campagne particulière d’évaluation du stock de crabe des neiges, campagne qui s’est déroulée à la fin de 1998, et ce permis ne comportait aucun autre droit ou privilège de renouvellement à son expiration.

 

 

g)         La deuxième demande déposée devant la Cour fédérale

 

[18]           Le demandeur a déposé le 17 décembre 2004 la présente demande de contrôle judiciaire. Il sollicite une ordonnance annulant la décision du ministre du 25 août 2004 et renvoyant l’affaire au ministre pour nouvelle décision conforme aux motifs de la Cour.

 

 

LES POINTS LITIGIEUX

 

[19]           Les points litigieux suivants sont soulevés dans la demande de contrôle judiciaire :

 

1.         Quelle norme de contrôle est applicable à la décision du ministre de ne pas renouveler le deuxième permis de pêche du crabe des neiges délivré au demandeur?

 

2.         La recommandation de l’Office des appels est‑elle sujette à révision et, dans l’affirmative, selon quelle norme?

 

3.         L’Office des appels a‑t‑il négligé de remplir son mandat, c’est‑à‑dire de voir si le demandeur avait été traité équitablement?

 

4.         La composition et la structure de l’Office des appels donnaient‑elles lieu à une crainte raisonnable de partialité?

 

 

ANALYSE

Point n° 1

Quelle norme de contrôle est applicable à la décision du ministre de ne pas renouveler le second permis de pêche du crabe délivré au demandeur?

 

[20]           Le pouvoir du ministre de délivrer des permis de pêche lui vient de l’article 7 de la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F‑14 (la Loi), ainsi rédigé :

7. (1) En l’absence d’exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, octroyer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêcheries -- ou en permettre l’octroi --, indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche.

 

7. (1) Subject to subsection (2), the Minister may, in his absolute discretion, wherever the exclusive right of fishing does not already exist by law, issue or authorize to be issued leases and licences for fisheries or fishing, wherever situated or carried on.

 

(2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’octroi de baux, permis et licences pour un terme supérieur à neuf ans est subordonné à l’autorisation du gouverneur général en conseil.

(2) Except as otherwise provided in this Act, leases or licences for any term exceeding nine years shall be issued only under the authority of the Governor in Council.

 

[21]           Dans la décision Tucker c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [2000] A.C.F. n° 1868 (C.F. 1re inst.), le juge Rothstein (membre de droit) avait conclu qu’une décision prise selon l’article 7 de la Loi est sujette à révision selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. Après analyse pragmatique et fonctionnelle, je suis arrivé à la même conclusion.

 

[22]           Le premier facteur à considérer dans cette analyse est la présence ou l’absence d’une clause privative ou d’un droit d’appel prévu par un texte de loi. La Loi ne renferme aucune clause privative applicable aux décisions discrétionnaires du ministre, et elle ne prévoit non plus aucun droit d’appel. Ce facteur est donc neutre.

 

[23]           Le second facteur, c’est‑à‑dire le niveau de spécialisation du décideur par rapport à celui de la Cour, signale une norme de contrôle qui est moins inquisitoire. Le ministre est détenteur d’une spécialisation considérable dans la délivrance des permis de pêche. Voir la décision Tucker, précitée, au paragraphe 13. Par ailleurs, « le fait que, officiellement, le décideur soit le ministre est un facteur militant en faveur de la retenue ». Voir l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 59.

 

[24]           Les troisième et quatrième facteurs commandent eux aussi une retenue judiciaire élevée. L’objet de l’article 7 de la Loi sur les pêches est de conférer au ministre un large pouvoir discrétionnaire dans la gestion des pêches. Ainsi que l’expliquait le juge Major dans l’arrêt Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 R.C.S. 12, au paragraphe 37 :

Cette interprétation de la portée du pouvoir discrétionnaire du Ministre est conforme à la politique globale de la Loi sur les pêches. Les ressources halieutiques du Canada sont un bien commun qui appartient à tous les Canadiens. En vertu de la Loi sur les pêches, le Ministre a l’obligation de gérer, conserver et développer les pêches au nom des Canadiens et dans l’intérêt public (art. 43). Les permis sont un outil dans l’arsenal de pouvoirs que la Loi sur les pêches confère au Ministre pour gérer les pêches. Ils permettent de restreindre l’accès à la pêche commerciale, de limiter le nombre de pêcheurs et de navires et d’imposer des restrictions quant aux engins de pêche utilisés et à d’autres aspects de la pêche commerciale.

 

[25]           Lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire selon l’article 7, le ministre doit prendre en compte et mettre en équilibre une diversité d’intérêts rivaux. De plus, même si la décision requiert l’examen de diverses lois et politiques, elle est aussi fortement tributaire des faits. Mettant en équilibre tous ces facteurs, j’arrive à la conclusion que la norme de contrôle applicable à la décision du ministre est la décision manifestement déraisonnable.

 

[26]           Dans la décision Area Twenty Three Snow Crab Fishers’ Association et autres c. Le procureur général du Canada et autre, 2005 CF 1190, au paragraphe 22, le juge Mosley arrivait à la même conclusion à propos d’une décision prise par le ministre en vertu de l’article 7 de la Loi sur les pêches :

Toutes ces considérations montrent que la norme de contrôle de l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au Ministre par l’article 7 de la Loi sur les pêches est celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans l’arrêt Voice Construction Ltd. c. C.G.W.U., Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609, au paragraphe 18, la Cour suprême explique, que pour être qualifiée de manifestement déraisonnable, une décision doit « frôler l’absurde ».

 

 

Point n° 2

La recommandation de l’Office des appels est‑elle sujette à révision et, dans l’affirmative, selon quelle norme?

 

[27]           En l’espèce, les poins soulevés par le demandeur portent sur la recommandation non contraignante de l’Office des appels. Le rôle de l’Office des appels et la relation entre sa recommandation et la décision du ministre ont été commentés ainsi par la Cour d'appel fédérale dans l’arrêt Jada Fishing Co. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (2002), 288 N.R. 237, aux paragraphes 12 et 13 :

Il est clair que le ministre a le pouvoir, en vertu de l’article 7 de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F‑14, de rendre, à discrétion, des décisions au sujet des licences d’exploitation de pêcheries. En revanche, la formation [l’Office des appels] n’avait pas cette compétence en vertu de la loi et elle a simplement formulé des recommandations que le ministre était en droit d’accepter ou de rejeter. À première vue, les recommandations de la formation ne sont donc pas, de par leur nature, susceptibles de contrôle. En l’espèce, en raison de l’ampleur de l’avis de demande de contrôle judiciaire présenté au juge Pelletier, je suis convaincu que la Cour peut contrôler une décision discrétionnaire du ministre qui se fonde, en partie, sur une recommandation de la formation.

 

Dans le présent appel, les appelantes cherchent à faire annuler l’ordonnance du juge qui a siégé en révision et elles ne font référence qu’à la « décision » de la formation et à la conduite de celle dernière; il n’y est pas fait mention du ministre. La décision du ministre, en date du 3 avril 1998, est cependant toujours valide. De toute façon, la décision ou recommandation de la formation, qui est inexorablement liée à la décision du ministre, est sans effet juridique, à moins que le ministre ne l’« adopte » en tant qu’un des fondements de sa décision. Je suis d’avis que le présent appel ne peut se poursuivre qu’en tant que contrôle de la décision du ministre fondé sur le paragraphe 18.1(4) de la Loi, bien que l’appel soit présenté sous le couvert d’une contestation de la recommandation de la formation. La Cour contrôle donc, dans le présent appel, l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre.

 

[28]           Se fondant sur l’arrêt Jada Fishing de la Cour d’appel, la juge Heneghan est arrivée à la conclusion, dans la décision Fennelly, précitée, que la recommandation de l’Office des appels était sujette à révision. Elle s’est exprimée ainsi aux paragraphes 46 et 47 :

En l’espèce, la décision faisant l’objet du contrôle est celle du ministre, communiquée au moyen de la lettre du 6 septembre 2002. Cette lettre, après avoir mentionné l’audience tenue par l’Office des appels le 29 avril 2002, disait que le ministre [TRADUCTION] « a pris une décision après examen minutieux de toute l’information disponible [...] ». À mon avis, il est raisonnable d’inférer que le rapport et la recommandation de l’Office des appels constituaient un fondement de la décision du ministre. Cela est compatible avec l’objet de la Politique d’émission des permis, qui a créé l’Office des appels, selon lequel le rapport et la recommandation de l’Office des appels devraient guider la décision définitive du ministre.

Il s’ensuit, à mon avis, que le rapport et la recommandation de l’Office des appels peuvent être examinés par la Cour, comme ce fut le cas dans l’arrêt Jada Fishing, précité, lorsque la Cour d’appel fédérale a examiné le caractère raisonnable de la recommandation de l’Office des appels et le respect des exigences de l’équité procédurale.

 

[29]           En l’espèce, la lettre du sous‑ministre adjoint datée du 25 août 2005 utilise les mêmes mots : « a pris une décision après examen minutieux de toute l’information disponible […] » Je suis donc d’avis, comme l’était la juge Heneghan, que la décision de l’Office des appels est sujette à révision car il est raisonnable de supposer qu’elle constituait l’un des fondements de la décision du ministre. (Voir aussi la décision Decker c. Canada (Procureur général) (2004), 259 F.T.R. 216 (C.F.), juge O’Keefe).

 

[30]           Ayant conclu que la recommandation de l’Office des appels est sujette à révision, j’examinerai maintenant la norme de contrôle qu’il faut appliquer. Selon le demandeur, la norme est la décision raisonnable simpliciter. Compte tenu de l’arrêt Jada Fishing, précité, je partage son avis. Le juge Malone, s’exprimant pour la Cour, écrivait, au paragraphe 14 :

Appliquant la méthode pragmatique et fonctionnelle établie dans l’arrêt Baker, précité, je suis d’accord avec le juge qui a siégé en révision pour dire que le facteur le plus important en l’espèce est l’importance des conséquences de la décision pour les appelantes. Je suis d’avis que la norme de contrôle applicable aux recommandations discrétionnaires de la formation devrait être celle de la décision raisonnable et, d’après l’arrêt Baker, précité, les recommandations seraient déraisonnables si elles n’étaient pas étayées par des motifs susceptibles de résister à un examen quelque peu plus approfondi.

 

 

[31]           Concluant que la norme de contrôle à appliquer était la décision raisonnable simpliciter, le juge Malone relevait aussi que le pouvoir discrétionnaire de l’Office des appels n’est pas aussi large que celui conféré au ministre par l’article 7 de la Loi sur les pêches.

 

[32]           Par conséquent, la Cour évaluera la recommandation de l’Office des appels selon la norme de la décision raisonnable.

 

Point n° 3

L’Office des appels a‑t‑il négligé de remplir son mandat, c’est‑à‑dire de voir si le demandeur avait été traité équitablement?

 

[33]           L’unique argument invoqué par le demandeur pour dire que la décision du ministre devrait être annulée est que l’Office des appels n’a pas rempli son obligation de vérifier si le demandeur avait été traité équitablement.

 

[34]           Le rôle de l’Office des appels est de faire des recommandations au ministre sur les appels en matière de permis, en déterminant si le requérant a été traité équitablement conformément aux politiques, méthodes et procédures du ministère et en déterminant si des circonstances atténuantes justifient une dérogation aux politiques, méthodes ou procédures établies.

 

a)         Non‑application des politiques

 

[35]           Selon le demandeur, l’Office des appels n’a pas dans cette affaire vérifié si l’équité avait été observée au regard des politiques du MPO. Le demandeur dit que l’Office n’a pas tenu compte de ce qui suit :

1.      le paragraphe 22(5) de la Politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans l’Est du Canada, 1996, qui prévoit que « les titulaires de permis de pêche exploratoire pourront se voir accorder la préséance pour l’obtention de permis ordinaires pour la même pêche »;

 

2.      la Politique sur les nouvelles pêches (septembre 2001), page 5, section 3, n° 8, qui prévoit que « les détenteurs de permis de pêche exploratoire (phase II) auront la priorité en ce qui concerne les permis réguliers »; et

 

3.      la pratique selon laquelle, jusqu’en 1999, tous les permis de pêche exploratoire du crabe dans la catégorie des bateaux de plus de 65 pieds étaient renouvelés.

 

 

[36]           Le demandeur dit qu’il a appelé l’attention de l’Office des appels sur ces politiques et pratiques, mais qu’il n’en a pas été tenu compte dans la recommandation. La Cour est d’avis que, si l’Office des appels n’a pas fait expressément état des politiques dans sa recommandation, cela ne signifie pas qu’il n’en a pas tenu compte. Les politiques applicables sont énumérées par l’Office des appels dans le sommaire qui précède la recommandation (et, parmi elles, la Politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans l’Est du Canada, 1996, le Plan de gestion du crabe et la Politique sur les nouvelles pêches). Elles ont manifestement été prises en compte par l’Office.

 

[37]           Par ailleurs, la politique prioritaire du MPO est qu’il y avait un moratoire sur les nouveaux permis de pêche du crabe, c’est‑à‑dire qu’aucun nouveau permis de pêche du crabe n’a été délivré en 1999. Par conséquent, la politique selon laquelle les titulaires de permis de pêche exploratoire peuvent se voir accorder la priorité dans l’attribution de permis ordinaires pour la même pêche ne s’applique pas puisqu’aucun nouveau permis ordinaire n’était délivré. Le Plan de gestion du crabe de 1999 ne prévoyait aucun nouveau titulaire de permis. Cette conclusion saute aux yeux. Aucune appréciation de l’équité n’était donc requise. L’Office des appels concluait ainsi :

[TRADUCTION] Selon l’Office, M. Fennelly n’aurait pas dû recevoir un permis autonome pour le « Sandy Joanne » en 1998, et l’Office recommande donc qu’il ne soit pas renouvelé.

 

[38]           D’autres politiques du MPO soumises à l’Office des appels indiquent clairement que les pêcheurs tels que le demandeur n’ont pas automatiquement droit au renouvellement de leurs permis. Par exemple :

(i)      Le paragraphe 7(1) de la Loi sur les pêches prévoit que le ministre peut, comme il l’entend, délivrer des permis de pêche.

 

(ii)     Le paragraphe 16(2) du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93‑53, prévoit que « la délivrance d’un document quelconque à une personne n’implique ou ne lui confère aucun droit ou privilège futur quant à l’obtention d’un document du même type ou non ».

 

(iii)    Le paragraphe 22(3) de la Politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans l’Est du Canada, 1996, précise que « la délivrance d’un permis de pêche exploratoire à une personne ne suppose aucun engagement de la part du ministre à délivrer un permis semblable à la même personne après expiration du permis de pêche exploratoire ».

 

[39]           Il appert de la preuve qu’il y avait un moratoire sur la délivrance des permis de pêche du crabe depuis 1996 et qu’aucune autre entreprise ne détenait plus d’un permis de pêche exploratoire du crabe pour les divisions 3LNO de l’OPANO à l’extérieur de la zone des 200 milles. Par ailleurs, rien ne donnait à penser que les fonctionnaires du MPO avaient de quelque façon laissé croire au demandeur que le deuxième permis de pêche du crabe, qui était valide pour une durée de 30 jours, serait renouvelé dans l’avenir. Vu la preuve que l’Office des appels avait devant lui, il m’est impossible de dire que sa recommandation de rejeter l’appel du demandeur était déraisonnable ou injuste. La Cour a d’ailleurs confirmé à maintes reprises qu’un permis de pêche est un privilège accordé par le ministre et que le titulaire du permis n’a pas un droit acquis à son renouvellement. Voir l’arrêt Re Joys et Ministre du Revenu national (1995), 128 D.L.R. (4th) 385 (C.A.F.), la décision Tucker, précitée, et l’arrêt Everett c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1994] A.C.F. n° 418 (C.A.F.).

 

b)         Attentes raisonnables ou légitimes

 

[40]           La Cour est d’avis que le demandeur n’avait pas d’attentes raisonnables ou légitimes quant à un deuxième permis de pêche commerciale du crabe en 1999 du seul fait qu’il avait obtenu en 1998 un permis de 30 jours qui l’autorisait à sonder des eaux inexplorées afin d’y trouver du crabe. Le demandeur connaissait la politique du MPO selon laquelle aucun nouveau permis n’était délivré pour la pêche du crabe en raison du stock décroissant de cette espèce. Le demandeur savait aussi que le permis de 1998 lui avait été délivré pour le « Sandy Joanne », parce que son bateau de pêche au crabe, le « Bear Cove Point », avait terminé sa pêche au crabe pour 1998 et avait été loué à une autre entreprise pour le reste de l’année. Finalement, le demandeur savait que son travail exploratoire de 1998, couronné de succès, avait entraîné en 1999 une augmentation appréciable de son quota de pêche au crabe attribué au « Bear Cove Point ».

 

c)         Équité au regard du quota attribué à un autre titulaire de permis de pêche du crabe

 

[41]           Le demandeur a aussi prétendu qu’il n’avait pas été traité avec équité par rapport à l’entreprise Off‑Shore Fish Harvesters Inc., une coopérative qui détient un permis de pêche du crabe. Selon le demandeur, le quota de pêche au crabe attribué à cette coopérative avait bénéficié en 1999 d’une augmentation beaucoup plus importante que son propre quota. La question des quotas n’a pas été étudiée par l’Office des appels parce qu’il n’en avait pas été saisi. La seule question qu’il devait trancher concernait la décision de ne pas renouveler le permis temporaire de pêche exploratoire du crabe délivré au demandeur en 1998 pour le « Sandy Joanne ».

 

[42]           Outre qu’il ne s’agit pas là d’un point litigieux, il est évident pour la Cour que les intérêts en cause ne sont pas ceux que prétend le demandeur :

1.      la coopérative embrasse plusieurs bateaux de pêche et plusieurs pêcheurs qui sont membres de la coopérative;

 

2.      le permis délivré à la coopérative relève d’une catégorie différente de celle du permis délivré au demandeur;

 

3.      les deux autres bateaux appartenant à la même catégorie de permis de pêche du crabe que celui du demandeur ont reçu le même quota et la même augmentation du quota; et

 

4.      le quota expressément attribué en 1999 à la région où le demandeur avait fait la campagne d’évaluation de 1998 ne donne au demandeur aucun droit à ce quota. Selon la preuve, l’entreprise Off‑Shore Fish Harvesters Inc. avait elle aussi fait un travail d’exploration dans cette région avec le demandeur et elle a elle aussi trouvé dans cette région un nouveau stock de crabe.

 

 

Point n° 4

La composition et la structure de l’Office des appels donnaient‑elles lieu à une crainte raisonnable de partialité?

 

[43]           La seconde formation de l’Office des appels comprenait trois membres ayant droit de vote. M. Tom Curran, qui travaillait pour le MPO comme chef de la gestion des ressources dans la Région de Terre‑Neuve-et-Labrador, tenait lieu de secrétaire de l’Office des appels. M. Curran ne s’est pas exprimé sur la recommandation, mais il était présent durant la délibération à huis clos de l’Office des appels.

 

[44]           Selon le demandeur, la présence de M. Curran parmi les membres de l’Office des appels, même s’il n’avait pas droit de vote, suscite une crainte raisonnable de partialité. Il dit qu’il est raisonnable de présumer qu’une personne occupant la charge de M. Curran pouvait, durant la délibération à huis clos, être priée d’expliquer davantage les politiques, pratiques et procédures du MPO ou être invitée par les membres votants à conférer sur des points soulevés à l’audience.

 

[45]           Le critère de crainte raisonnable de partialité a été exposé ainsi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’Énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

 

 

À mon avis, la présence de M. Curran à l’Office des appels, y compris sa présence durant la délibération à huis clos, ne soulève aucune crainte raisonnable de partialité, et cela pour les raisons suivantes.

 

[46]           D’abord, la structure des organes d’appel est décrite dans un document qui est publié par le MPO sous le titre « Politiques de gestion des pêches sur la côte Atlantique du Canada ». On peut lire ce qui suit, à la page 13 :

Au premier degré, le Comité d’appel régional de délivrance des permis, composé de fonctionnaires du MPO, examine l’information pertinente fournie par les pêcheurs côtiers admissibles qui ont déposé une demande écrite […] C’est le directeur général régional qui déclare l’appel recevable ou irrecevable.

 

Si l’appel est rejeté par le Comité d’appel régional de délivrance des permis, les pêcheurs peuvent s’adresser à l’Office des appels relatifs aux permis de pêche de l’Atlantique (OAPPA), dont les membres sont recrutés en dehors du ministère et nommés par le ministre des Pêches et des Océans. Le ministre des Pêches et des Océans se base sur les recommandations de ce comité pour arrêter sa décision concernant l’appel.

 

 

Il est clair que le Comité régional et l’Office des appels font partie intégrante du mécanisme d’appel interne établi au sein du ministère. La décision de l’Office des appels est de nature consultative. L’Office des appels est un organe consultatif du ministre, institué par le ministre. Il n’a aucun pouvoir officiel.

 

[47]           Deuxièmement, si un employé du MPO est présent au sein de l’Office des appels, c’est pour tenir lieu de secrétaire à l’Office des appels et lui communiquer l’information générale nécessaire. Son rôle n’est pas de défendre telle ou telle position. Cela a été fait devant l’Office des appels par un représentant du MPO, en la présence de l’avocat du demandeur. L’Office des appels constitue une tribune impartiale composée de spécialistes de la pêche. Le témoignage de M. Curran confirme qu’il n’a joué aucun rôle dans la délibération de l’Office et qu’il n’est pas intervenu dans le débat des trois membres votants de l’Office. Durant son contre‑interrogatoire, M. Curran s’est exprimé ainsi :

[TRADUCTION]

R.   J’étais un spectateur. Les trois membres de l’Office débattaient entre eux. S’ils cherchaient la référence d’un document qui avait probablement été présenté, je les aidais à trouver ce document ou les dirigeais dans la bonne direction. Mais eux seuls ont délibéré.

 

Q.   Vous êtes donc un membre non votant, et il semble que, selon votre compréhension de ce rôle, vous êtes aussi plus ou moins un membre non participant. Vous êtes là comme preneur de notes, comme secrétaire, mais vous ne participez pas en tant que tel à la délibération. Est‑ce ainsi que vous voyez votre rôle?

 

R.   C’est exact.

 

[48]           La Cour est donc d’avis qu’une personne informée constaterait que l’Office des appels donne au ministre un avis impartial non contraignant, mais que l’Office des appels n’est pas une instance autonome pourvu d’un secrétariat indépendant du MPO. Vu le contexte, ce ne serait pas là une structure raisonnable, réaliste ou pratique.

 

[49]           Je reconnais aussi que l’obligation d’équité imposée ici à l’Office des appels est une obligation souple. Après examen du dossier, la Cour arrive à la conclusion que l’audience de l’Office des appels s’est déroulée dans le respect des principes de l’équité procédurale et que la présence d’un employé du MPO comme secrétaire et personne‑ressource de l’Office des appels ne suscite pas une crainte raisonnable de partialité.

 

[50]           Dans un cas semblable faisant intervenir les règles de l’équité quant aux conseils donnés au ministre par l’Office des appels, la Cour d'appel fédérale a reconnu que les exigences de l’équité procédurale sont flexibles. Dans cette affaire, la Cour a jugé qu’il n’y avait pas eu manquement aux règles de l’équité procédurale quand des fonctionnaires du MPO avaient communiqué à l’Office des appels des renseignements factuels en l’absence des appelantes. Voir l’arrêt Jada, précité, juge Malone, au paragraphe 17 :

Dans la présente affaire, les appelantes soutiennent que la formation a contrevenu aux exigences d’équité procédurale parce qu’elle aurait entendu la preuve de fonctionnaires du MPO en l’absence des appelantes et qu’on n’a pas permis à ces dernières de répondre à cette preuve. À cet égard, je suis d’accord avec le juge qui a siégé en révision pour dire que rien au dossier n’indique que les fonctionnaires du MPO aient fait quoi que ce soit de plus que remettre à la formation des renseignements factuels dont les appelantes avaient déjà pris connaissance et qui ne préjudiciaient d’aucune façon aux appelantes.

 

De même, dans la présente affaire, les stricts impératifs de la justice naturelle en matière de partialité ne devraient pas s’appliquer à l’Office des appels. L’Office des appels est un organe consultatif interne œuvrant pour le ministre et composé de trois membres indépendants du ministère. Leur indépendance n’est pas compromise du seul fait qu’un employé du MPO agit comme secrétaire de l’Office.

 

DISPOSITIF

 

[51]           La Cour arrive aux conclusions suivantes :

1.      la décision du ministre et la décision de l’Office des appels de ne pas renouveler le permis temporaire de pêche exploratoire du crabe délivré au demandeur en 1998 pour le « Sandy Joanne » étaient raisonnables et justes; et

 

2.      la présence d’un employé du ministère durant la délibération à huis clos de l’Office des appels, à titre de secrétaire de l’Office, ne suscite pas une crainte raisonnable de partialité.

 

Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

LES DÉPENS

 

[52]           La Cour ne voit nul bien‑fondé dans la cause du demandeur, mais elle reconnaît que cette seconde instance a eu lieu parce que la Cour fédérale avait infirmé la première décision du ministre et de l’Office des appels et renvoyé l’affaire au ministre pour nouvelle décision. Vu les circonstances du demandeur, la Cour a décidé qu’il n’était pas opportun de le condamner aux dépens.

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

OTTAWA (Ontario)

le 21 septembre 2005

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑1699‑04

 

 

INTITULÉ :                                       Thomas J. Fennelly

 

                                                            c.

 

                                                            Procureur général du Canada

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 St. John's (Terre‑Neuve-et-Labrador)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 SEPTEMBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 21 SEPTEMBRE 2005

 

 

COMPARUTIONS :

 

Frederick J. Constantine                                                           POUR LE DEMANDEUR

Douglas Wright

 

Reinhold Endres, c.r.                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patterson, Palmer

St. John’s (Terre‑Neuve-et-Labrador)                                      POUR LE DEMANDEUR

 

Ministère de la Justice

Halifax (Nouvelle‑Écosse)                                                        POUR LE DÉFENDEUR

 

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