Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20020604

Dossier : IMM-2992-01

Référence neutre : 2002 CFPI 636

Ottawa (Ontario), le mardi 4 juin 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                                OSCAR CESSA BULBARELA,

                                                LUCILA PADILLA NARVAEZ,

                                           OSCAR DE JESUS CESSA PADILLA

                                              et JAQUELINE CESSA PADILLA

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]                 Oscar Cessa Bulbarela, son épouse Lucila Padilla Narvaez, leur fils Oscar De Jesus Cessa Padilla et leur fille Jacqueline Cessa Padilla demandent le contrôle judiciaire de la décision du 15 mai 2001 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a conclu qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

LE CONTEXTE

[2]                 Dans leurs Formulaires de renseignements personnels (FRP), ainsi que dans leurs témoignages devant la SSR, les demandeurs adultes ont avancé les faits suivants.

[3]                 Les demandeurs sont tous citoyens du Mexique. Le 28 avril 1999, alors qu'il rentrait chez lui après son travail, M. Cessa a été témoin de l'enlèvement d'un homme d'affaires près de son domicile. Quand les policiers sont arrivés, ils ont interrogé M. Cessa pour savoir ce qu'il avait vu. Le jour suivant, M. Cessa a reçu un appel téléphonique de menace visant sa famille parce qu'il aurait « parlé » . Il a reçu un appel semblable par la suite. Les demandeurs adultes déclarent que ces appels ont été faits par des policiers, puisque ces derniers étaient les seules personnes à qui M. Cessa avait parlé de l'enlèvement. Plus tard, les demandeurs ont appris par les médias que la personne enlevée était impliquée avec des policiers dans la contrebande d'armes et le trafic des stupéfiants et qu'on avait retrouvé son corps sans vie.


[4]                 M. Cessa a alors décidé d'accompagner son frère qui se rendait en vacances au Canada. Ils sont arrivés au Canada le 5 mai 1999 et M. Cessa y est demeuré en tant que visiteur jusqu'au 27 juillet 1999. Il déclare que l'objectif de son voyage était de voir si les appels téléphoniques de menace cesseraient en son absence.

[5]                 Lors du séjour de M. Cessa au Canada, son épouse a reçu deux ou trois autres appels téléphoniques de menace. Le 20 mai 1999, deux hommes ont pénétré par effraction dans son domicile et ils ont violé Mme Padilla sous la menace d'armes à feu. Ils lui ont déclaré que ceci constituait des représailles parce que son mari avait « parlé » . Mme Padilla s'est alors rendue chez sa mère et sa soeur dans une autre ville et elle n'a mentionné ces événements à son mari qu'après son retour au Mexique.

[6]                 Après le retour de M. Cessa au Mexique, les menaces ont continué et il a été pris en chasse alors qu'il conduisait sa voiture. À la mi-août 1999, les demandeurs se sont cachés au domicile des parents de M. Cessa. Ils sont venus au Canada le 17 septembre 1999.

LA DÉCISION DE LA SSR

[7]                 La SSR a accepté que Mme Padilla avait été violée, mais elle a conclu que la preuve des revendicateurs au sujet des circonstances et de la motivation du viol n'était pas crédible.


[8]                 Pour rejeter la preuve des revendicateurs adultes au sujet du viol, la SSR s'appuie sur trois conclusions d'invraisemblance et une d'incohérence, sur le fait que M. Cessa n'a pas mentionné dans son FRP un deuxième appel téléphonique de menace reçu avant son voyage au Canada, et sur l'absence de toute mention de leur crainte des policiers dans le rapport du psychologue.

[9]                 Subsidiairement, la SSR a conclu que même si elle avait accepté comme crédible la preuve des revendicateurs au sujet des motifs du viol subi par Mme Padilla, les revendications devaient néanmoins être rejetées parce que leurs craintes n'étaient reliées à aucun des motifs énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention.


[10]            Afin d'arriver à cette conclusion subsidiaire, la SSR a noté que les revendicateurs alléguaient que les policiers étaient à l'origine de l'enlèvement de l'homme d'affaires et qu'ils étaient les agents de leur persécution. Les demandeurs sont arrivés à cette conclusion en se fondant sur le fait que seuls les policiers savaient que M. Cessa avait été interrogé par leurs services et qu'ils étaient aussi les seuls à connaître son nom, son adresse, son numéro de téléphone et le fait que son fils fréquentait l'école. Toutefois, la SSR a noté qu'au vu du témoignage de M. Cessa, quatre personnes avaient constaté qu'il était témoin de l'enlèvement. La SSR a conclu, au vu du témoignage de M. Cessa qu'il vit dans une petite ville où tout le monde connaît les affaires des autres, que d'autres personnes que les policiers pouvaient être au courant du nom de M. Cessa, de son adresse et de son numéro de téléphone, du fait que son fils fréquentait l'école, ainsi que de l'interrogatoire de M. Cessa par les policiers.

[11]            Par conséquent, la SSR a conclu que l'allégation portant que les policiers étaient impliqués dans la persécution n'était qu'une hypothèse. En l'absence d'une implication des policiers dans l'enlèvement, rien dans la preuve n'appuie l'allégation de M. Cessa qu'il était en mesure de dénoncer les malversations commises par les policiers, ce qui aurait fait qu'il pouvait être perçu par les agents de persécution comme ayant une opinion sur une question pouvant mettre en cause l'appareil de l'État.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[12]            Les demandeurs soulèvent deux questions au sujet de la décision de la SSR :

1.          La SSR a-t-elle commis une erreur en rejetant leur crédibilité?

2.          La SSR a-t-elle commis une erreur en concluant à l'inexistence d'un lien entre les revendicateurs et leur statut civil ou politique, lien qui les aurait placés dans le cadre de la définition de réfugié au sens de la Convention?


ANALYSE

[13]            Bien que les conclusions de la SSR au sujet du manque de plausibilité et sa conclusion sur une incohérence ne soient pas appuyées par la preuve dont elle était saisie, la question du lien suffit à trancher l'affaire selon moi. Étant donné que la conclusion de la SSR au sujet du lien ne s'appuyait pas sur ses conclusions quant à la crédibilité, il n'est pas nécessaire d'examiner l'impact de toute erreur qui aurait pu être commise dans la conclusion de crédibilité.

[14]            L'avocat des demandeurs a soutenu que la question du lien est une question de fait et que la SSR a mal interprété la preuve en disant que des témoins avaient constaté que M. Cessa avait vu l'enlèvement, ce qui n'était pas le cas. Par conséquent, il allègue que la SSR a commis une erreur en ne concluant pas que les policiers étaient les agents de la persécution. Étant donné que M. Cessa était en mesure de dénoncer des malversations commises par les policiers, il était perçu par ceux-ci comme ayant une opinion sur une question qui pouvait mettre en cause l'appareil de l'État. Par conséquent, le fondement de la crainte des demandeurs était leur opinion politique présumée.


[15]            En réponse à cet argument, l'avocat du ministre a soutenu que la question de savoir s'il y a un lien avec la définition de réfugié au sens de la Convention est une question de fait qui relève carrément de l'expertise de la SSR. On ne peut intervenir dans une telle conclusion, à moins que la décision de la formation puisse être décrite comme manifestement déraisonnable.

[16]            Avec égards, la jurisprudence de la Section de première instance de la Cour fédérale ne correspond pas complètement à l'interprétation avancée par les avocats.

[17]            Dans la décision Jayesekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. 1393 (1re inst.), le juge Gibson a fait une revue de la jurisprudence portant sur la nature légale de la question du lien. Il déclare ceci, aux paragraphes 18 à 23 :

Comme nous l'avons vu, l'avocat du défendeur a allégué que la question relative au lien est une question de fait et qu'à ce titre la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable. Au soutien de sa thèse, l'avocat a cité la décision Mia c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) [voir la note 2 en bas de page], dans laquelle Madame le juge Tremblay-Lamer a écrit au paragraphe 16 :

De plus, comme le précisent la jurisprudence récente, telles les décisions Leon c. MCI ... et Lara c. MCI ..., l'existence d'un lien entre les actes de persécution et un motif énoncé dans la Convention est une question de fait qui relève nettement de l'expertise du tribunal, de sorte que la Cour ne peut intervenir que si le tribunal a rendu sa décision de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve dont il disposait.                                                                                 [citations omises]

       Dans la décision Leon c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) [voir la note 3 en bas de page], citée par Madame le juge Tremblay-Lamer, le juge Jerome, juge en chef adjoint à l'époque, a indiqué au paragraphe 13 :

[...] La détermination de l'existence d'un « lien » est largement une question de fait et relève entièrement du champ de compétence du tribunal.                                     [Non souligné dans l'original]

      Dans la décision Lara c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) [voir la note 4 en bas de page], Monsieur le juge Evans, alors juge à la Section de première instance, a indiqué au paragraphe 14 :


La faiblesse de l'argument du demandeur sur ce point tient à ce que le lien entre les agissements abusifs et les motifs de persécution au sens de la Convention est une conclusion de fait, à laquelle la Cour ne peut pas toucher à moins qu'elle n'ait été tirée de façon abusive ou arbitraire, ou au mépris des éléments de preuve produits devant la section du statut; [...]

[la citation de la décision Leon, précitée, a été omise]

      Avec égards pour mon collègue et mes anciens collègues de la Section de première instance, j'arrive à une conclusion différente.

      Dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc. [voir la note 5 en bas de page], Monsieur le juge Iacobucci, s'exprimant au nom de la Cour, a fourni des indications très utiles concernant les distinctions entre les questions de fait, les questions de droit et les questions mixtes de droit et de fait. Voici ce qu'il a écrit aux paragraphes 34 et 35 :

Les parties ne s'entendent pas du tout sur la nature du problème dont était saisi le Tribunal. Les appelantes affirment qu'il s'agit d'une question de fait, alors que l'intimésoutient que c'est une question de droit. À mon avis, il s'agit d'une question de droit et de fait.

[...] En résumé, les questions de droit concernent la détermination du critère juridique applicable; les questions de fait portent sur ce qui s'est réellement passé entre les parties; et, enfin, les questions de droit et de fait consistent à déterminer si les faits satisfont au critère juridique. [...]

La question de savoir si un ensemble de faits donnés, comme ceux qu'allègue le demandeur en l'espèce, constitue dans sa situation des « opinions politiques » ou des opinions politiques présumées, exige qu'on interprète l'expression « opinions politiques » telle qu'elle figure dans la définition de « réfugié au sens de la Convention » contenue au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration. L'interprétation de l'expression « opinions politiques » dans le contexte de la définition de « réfugié au sens de la Convention » n'est pas sans difficultés [voir la note 6 en bas de page]. Au regard des indications fournies par Monsieur le juge Iacobucci dans l'arrêt Southam, précité, je suis convaincu que l'interprétation de l'expression « opinions politiques » dans le contexte de la définition de « réfugié au sens de la Convention » est une question de droit. Et s'agissant de l'application des faits d'une espèce donnée à cette question, je suis convaincu qu'il s'agit alors d'une question de droit et de fait.

______________________________

Note 2 : [2000] A.C.F. no 120, (C.F. 1re inst.) en direct : QL, (FCC).

Note 3 : [1995] A.C.F. no 1253, (C.F. 1re inst.) en direct : QL, (FCC).

Note 4 : [1999] A.C.F. no 264, (C.F. 1re inst.) en direct : QL, (FCC).

Note 5 : [1997] 1 R.C.S. 748.

Note 6 : Voir, par exemple : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, aux pages 745 à 750.


[18]            Je me range à l'analyse et à la conclusion du juge Gibson, qui veut que la décision sur la question de savoir s'il existe un lien avec la définition de réfugié au sens de la Convention est une question de droit et de fait, et je les fais miennes.

[19]            Quant à la norme de contrôle applicable, l'avocat des demandeurs a soutenu qu'il s'agissait de la norme de la décision raisonnable simpliciter alors que l'avocat du ministre a soutenu qu'il s'agissait de la norme de la décision manifestement déraisonnable.

[20]            Je n'ai pas à trancher cette question puisque, même en utilisant la norme de la décision raisonnable simpliciter, je constate que la décision de la SSR était raisonnable et qu'elle n'était pas clairement erronée.

[21]            La SSR a mal décrit la preuve en déclarant que quatre personnes avaient vu que M. Cessa était témoin de l'enlèvement. En fait, les quatre témoins l'ont vu lorsqu'il a été interrogé par les policiers après l'enlèvement. Cette description erronée ne touche pas à une question essentielle, parce qu'elle n'affecte pas la prémisse fondamentale de la SSR qui veut que toute la communauté savait qui avait été interrogé au sujet de l'enlèvement. Au vu de la preuve, la SSR pouvait raisonnablement tirer cette conclusion.


[22]            Il existe aussi de la preuve à l'appui des conclusions subséquentes de la SSR voulant qu'une fois établie l'identité des personnes interrogées par les policiers, il était facile d'obtenir l'information portant sur le nom de M. Cessa, son numéro de téléphone, son adresse et son fils d'âge scolaire. Au vu de cette preuve, il n'était pas déraisonnable pour la SSR de conclure que les revendicateurs n'avaient pas démontré au vu de la prépondérance des probabilités que les policiers étaient à l'origine de la persécution dont ils se plaignent. En d'autres mots, la preuve présentée à la SSR ne menait pas si directement à une déduction que les policiers étaient les agents de la persécution pour que la conclusion de la SSR à l'effet contraire soit manifestement déraisonnable ou clairement erronée.

[23]            On a aussi soutenu au nom de Mme Padilla que la SSR n'a pas tenu compte d'un autre motif de lien, savoir son sexe. Toutefois, comme le soutient l'avocat du ministre, la preuve des demandeurs, qui n'a pas été rejetée aux fins de déterminer la question du lien, porte que Mme Padilla n'a pas été violée à cause de son sexe, mais bien plutôt parce que son mari avait été le témoin d'un crime.


[24]            Au vu de cette preuve, la conclusion de la SSR, savoir que le préjudice que les revendicateurs craignent au Mexique relève d'une vengeance personnelle de la part des éléments criminels dont M. Cessa a été témoin du crime, est une conclusion qu'elle pouvait raisonnablement tirer. Je crois qu'il est bien établi en droit que ni la crainte de représailles relevant d'une vengeance, ni l'existence d'une vendetta personnelle, non plus que la crainte d'actes criminels, ne constitue une crainte de persécution liée à un motif énoncé dans la Convention.

[25]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[26]            Étant donné que je ne considère pas nécessaire de trancher la question de savoir si la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable simpliciter, les avocats n'ont pas présenté de question à certifier. Il n'y aura donc pas de question certifiée.

ORDONNANCE

[27]            LA COUR ORDONNE QUE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Eleanor R. Dawson »

                                                                                                                                                    Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                            IMM-2992-01

INTITULÉ :                                      OSCAR CESSA BULBARELA ET AUTRES c. MCI

                                                                            

LIEU DE L'AUDIENCE :             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :            le 10 avril 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

EN DATE DU :                               4 juin 2002

ONT COMPARU :

M. Neil Cohen                                                     POUR LES DEMANDEURS

M. Greg George                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Neil Cohen                                                     POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.