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Date : 20030725

Dossier : IMM-4243-02

Référence : 2003 CF 917

ENTRE :

                                                              BACHIR DAMEN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF LUTFY

[1]                Le demandeur, un citoyen du Liban, demande le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés selon laquelle il n'est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, S.C. 2001, ch. 27.


[2]                Dans son Formulaire de renseignements personnels, le demandeur a prétendu qu'il craignait d'être persécuté par les forces de sécurité syriennes et libanaises et par le groupe Hezbollah. Ses allégations portent notamment sur des événements qui se sont produits au cours des années 80 et 90. Cependant, dans ses exposés oraux, le demandeur a particulièrement insisté sur quatre incidents survenus en 2000.

[3]                Le 18 août 2000, le demandeur a quitté le Liban à destination du Canada pour des raisons familiales. Il avait au préalable obtenu un visa de visiteur en vue de faire ce voyage.

[4]                Le premier incident serait survenu environ deux jours avant son départ du Liban, alors qu'on lui avait signifié un document le citant à comparaître devant Yousef Smaha au « quartier général » du groupe Hezbollah situé à Karak, soit à environ 35 minutes en voiture de son domicile au Liban. Le demandeur ne s'est pas présenté comme on le lui avait ordonné parce qu'il considérait qu'il s'agissait d'une simple interrogation de routine et parce qu'il ne voulait pas retarder son voyage au Canada. Il n'a pas pris cette requête au sérieux et n'a pas conservé le document qu'on lui avait remis.   


[5]                Dans son Formulaire de renseignements personnels, le demandeur décrit le deuxième incident dans les termes suivants : [traduction] « Une semaine plus tard, des membres du groupe Hezbollah se sont présentés à mon domicile et ont demandé à mon épouse où j'étais. Elle leur a dit que j'étais parti au Canada. » Au cours de son témoignage, le demandeur a ajouté que ces mêmes membres du groupe Hezbollah avaient proféré des menaces à l'endroit de son épouse en lui affirmant qu'ils étaient en mesure de le forcer à revenir au Liban. L'avocat du demandeur reconnaît que cet incident s'est produit plus tôt « qu'une semaine plus tard » si l'on tient compte des prétendues dates auxquelles l'incident suivant s'est produit.

[6]                Au cours du troisième incident, on aurait prétendument tiré des coups de feu sur la porte du garage de sa résidence. Selon le Formulaire de renseignements personnels, cet incident [traduction] « est survenu vers le 22 août 2000 » . Au cours de son témoignage, le demandeur a indiqué que cet événement s'était produit pendant la nuit du 24 août 2000.   

[7]                Le 6 octobre 2000, soit environ six semaines après les prétendus coups de feu, le demandeur a pour la première fois exprimé son intention de revendiquer le statut de réfugié.

[8]                Le quatrième incident, qui concerne un document qu'aurait délivré le groupe Hezbollah au demandeur lui indiquant qu'un mandat d'arrestation avait été délivré contre lui, est décrit dans le Formulaire de renseignements personnels de la façon suivante :

[traduction]

Le 27 décembre, un autre de mes amis au Liban a reçu une lettre. Son nom est Ali Hattoum et il a des rapports avec certaines personnes qui lui ont permis de prendre possession de cette lettre. Dans cette lettre, il est indiqué que le groupe Hezbollah a délivré un mandat d'arrestation contre moi. Ce mandat d'arrestation a été distribué à tous les bureaux du groupe Hezbollah et des forces de sécurité au Liban. [Non souligné dans l'original]


[9]                Le document qu'a délivré le groupe Hezbollah est daté du 25 août 2000 et s'adresse à [traduction] « tous les membres du conseil des opérations et à tous les membres responsables » . L'extrait important de la version traduite du document est ainsi rédigé [traduction] : « Nous demandons à tous les membres du groupe Hezbollah de délivrer un mandat d'arrestation au nom de Bachir Rachid Damen, né à Majdel Tarchich en 1966. Son numéro de statut est le 24. Le nom de sa mère est Ikbal Araji. Le sujet est en état d'arrestation parce qu'il collabore avec l'ennemi, soit Israël. » [Non publié]

[10]            Bien que l'avocat fasse référence à ce document comme à un « mandat d'arrestation » , il serait plus approprié de le décrire comme une lettre rédigée par le groupe Hezbollah demandant à ce que l'on délivre un mandat d'arrestation contre le demandeur.

[11]            Essentiellement, le demandeur conteste la décision qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire et qui concerne l'évaluation de ce document du groupe Hezbollah à laquelle a procédé le tribunal. Les arguments du demandeur comportent un double aspect.

[12]            D'abord, le demandeur prétend que le tribunal a commis une erreur en mettant en doute son omission à déposer en preuve la lettre originale qu'a obtenue son ami Ali Hattoum. Une copie de la lettre envoyée par M. Hattoum par télécopieur au demandeur est celle qui a été versée au dossier de la Section de la protection des réfugiés.


[13]            L'avocat du demandeur a allégué qu'il n'était pas raisonnable de la part du décideur de s'attendre à ce que le demandeur obtienne une copie originale de la lettre concernant la délivrance d'un mandat d'arrestation produite par le groupe Hezbollah, l'agent de persécution. À mon avis, cet argument n'a pas de poids. Selon le Formulaire de renseignements personnels du demandeur, le document en question est une lettre qu'a obtenue son ami Ali Hattoum. Si le demandeur en avait eu l'intention, il lui aurait été aisé d'obtenir la lettre originale auprès de M. Hattoum. De plus, la production du document original aurait été conforme à l'article 36 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228. Au cours de l'audience concernant le statut de réfugié, l'avocat du demandeur a admis dans ses observations finales que [traduction] « tout ce dont nous disposons est une télécopie du document en question. » À mon avis, l'intérêt que portait le tribunal à la lettre rédigée par le groupe Hezbollah n'était ni déraisonnable ni capricieux.

[14]            Le deuxième argument du demandeur concerne la conclusion à laquelle est parvenu le tribunal et selon laquelle le document qu'a produit le groupe Hezbollah n'a été versé au dossier de la Section de la protection des réfugiés que le 18 juin 2002, soit environ vingt-deux mois après la délivrance du document. En fait, le document a été produit le 11 janvier 2001, soit environ deux semaines après le 27 décembre 2000, date à laquelle M. Hattoum l'aurait reçu et l'aurait, semble-t-il, télécopié au demandeur.

[15]            Bien que j'admette que le tribunal a commis une erreur de fait ou de droit, je ne peux admettre l'argument du demandeur selon lequel il serait parvenu à une conclusion différente en ce qui concerne l'authenticité du document et le bien-fondé de la revendication du statut de réfugié s'il n'avait pas commis une telle erreur.

[16]            Le tribunal s'est appuyé sur deux autres motifs principaux pour conclure que le document qu'a produit le groupe Hezbollah était un document fabriqué. Ainsi :

[traduction]

Par ailleurs, je suis plutôt enclin à admettre la preuve documentaire précitée qui indique que les membres du groupe Hezbollah ne procèdent pas à l'arrestation de collaborateurs israéliens suspects au détriment de la preuve du demandeur pour le motif qu'elle provient de sources indépendantes qui ne portent aucun intérêt à la présente revendication du statut de réfugié. De plus, j'ai constaté que le certificat de police délivré par le Lebanese Department of Internal Security Forces Judicial Police Headquarters à Beyrouth le 23 septembre 2000, dont il est fait mention précédemment, indique que le demandeur n'a jamais été accusé ou reconnu coupable d'un crime ou d'une infraction quelconque commis au Liban. Par conséquent, il est peu plausible à mon avis que le groupe Hezbollah ait demandé aux forces de sécurité libanaises de procéder à l'arrestation du demandeur puisque si tel avait été le cas, la police judiciaire à Beyrouth n'aurait pas produit ce certificat de police. [Non publié]

Bien que le certificat de police mentionne seulement qu'aucune accusation n'a été portée contre le demandeur, ce dernier a expliqué que ce document [traduction] « [...] confirme que je n'ai jamais été reconnu coupable d'aucune infraction au Liban. » .

[17]            Le tribunal a constaté certaines contradictions dans le témoignage du demandeur en ce qui concerne les prétendus incidents survenus en 2000. Il a également examiné la preuve documentaire ayant trait aux activités du groupe Hezbollah et de ses cibles au Liban. En s'appuyant sur cette preuve documentaire, le tribunal a conclu que [traduction] « [...] le profil du demandeur ne correspond pas à celui d'une personne qui risquerait au Liban d'être menacée ou harcelée par des membres du groupe Hezbollah pour le motif qu'on la soupçonne d'être un collaborateur ou un espion des Israéliens. »

[18]            Après avoir moi-même examiné la transcription de l'audience concernant le statut de réfugié et la preuve documentaire pertinente, je suis convaincu que l'erreur qu'a commise le tribunal concernant la date de production du document du groupe Hezbollah n'est ni essentielle ni importante quant aux motifs de sa décision et quant à sa décision défavorable : Rohm & Haas Co. of Canada c. Canada (Tribunal Antidumping), [1978] A.C.F. no 522 (QL) (C.A.), au paragraphe 9; Owusu c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] A.C.F. no 434 (QL) (C.A.); Miranda c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 437 (QL) (CFPI) et Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc., [2000] 3 C.F. 282, au paragraphe 22. On peut facilement faire la distinction entre les faits énoncés dans l'arrêt Owusu Ansah c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 442 (QL) (C.A.) qu'a fait valoir le demandeur et ceux de la présente procédure.

[19]            Le demandeur a omis d'établir que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur susceptible de révision en rendant sa décision aux termes de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, telle qu'elle a été modifiée. Lors d'observations très brèves, les deux parties ont prétendu que la norme appropriée de contrôle était manifestement déraisonnable. Pour les motifs que je viens d'énoncer, je conclus que la décision du tribunal n'était ni non fondée ni manifestement déraisonnable. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


[20]            En réponse à sa requête, le demandeur disposera d'un délai de sept jours à compter de la date des présents motifs pour proposer à la certification une question grave de portée générale. L'avocate du défendeur peut produire sa réponse dans les sept jours à compter de la date de signification des observations du demandeur.   

                                                                                                                                      « Allan Lutfy »                   

Juge

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-4243-02

INTITULÉ :                                       Bachir Damen

                                                                                                                                           demandeur

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration                         

                                                                                                                                             défendeur

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                EDMONTON

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 9 juillet 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge en chef Lutfy

DATE DES MOTIFS :                     Le 25 juillet 2003

COMPARUTIONS :

                                                           Kevin E. Moore

POUR LE DEMANDEUR OU L'APPELANT

Kerry Franklin

POUR LE DÉFENDEUR OU L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude de Kevin E. Moore                                                          POUR LE DEMANDEUR

10735, 107e Avenue, bureau 300                                              OU L'APPELANT

Edmonton (Alberta)    T5H 0W6

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration                        POUR LE DÉFENDEUR

10199, 101e Rue, bureau 211                                                    OU L'INTIMÉ

Edmonton (Alberta)    T5J 3Y4


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