Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

        



Date : 20000317


Dossier : IMM-2347-99

Entre :

     MARIA TERESA FRANCO JUAREZ

     JUAN ANTONIO MANDUJANO FRANCO

     MONICA MANDUJANO FRANCO

     CLAUDIA MANDUJANO FRANCO

     Demandeurs


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     Défendeur



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE



LE JUGE TREMBLAY-LAMER:


[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire à l"encontre d"une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié ("SSR") selon laquelle les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]      Les demandeurs, Maria Teresa Franco Juarez (la demanderesse), son fils, Juan Antonio Mandujano Franco et ses filles, Monica et Claudia Mandujano Franco, âgés respectivement de 47, 17, 23 et 27 ans, sont citoyens du Mexique. Ils allèguent une crainte bien fondée de persécution en raison de leur appartenance à un groupe social, celui de la famille.

[3]      Les faits essentiels de cette cause sont rapportés par le tribunal dans sa décision:

La revendicatrice et ses 3 enfants ont été obligés de fuir le Mexique en raison des persécutions d"ordre politique dont ils ont été victime [sic] par le gouvernement et les militaires. Ils basent leur histoire sur celle du frère de la revendicatrice, Mariano Franco Juarez, qui se trouve au Canada depuis 1995 avec sa famille. En 1994, celui-ci aurait été victime de tentatives d"extorsion alors qu"il était directeur chez Chrysler Corporation. Convaincu qu"il a à faire à des guérilleros, il aurait dénoncé la chose à la police, qui lui aurait répondu que cela était chose courante au Mexique et qu"elle ne pouvait rien faire pour lui. Refusant toujours de céder, le frère de la revendicatrice principale aurait été constamment harcelé et menacé par les extorqueurs. Étant dans l"exécutif du Parti de la révolution démocratique (P.R.D.), il en parle aux membres du parti. Le P.R.D. engage alors des enquêteurs privés pour aller au fond de la chose. Ceux-ci découvrent que les responsables de ces tentatives d"extorsion sont des gens dans le gouvernement qui, en plus, ont des appuis en haut lieu. Victime de plusieurs tentatives contre sa personne et celle de sa famille, le frère de la revendicatrice quitte pour le Canada où il obtient le statut de réfugié le 10 février 19971.

[4]      Dans sa décision, le tribunal note que les demandeurs fondent leur revendication entièrement sur celle du frère de la demanderesse, ayant découpé et collé sa réponse à la question #37 du Formulaire de renseignements personnels ("F.R.P.") "à la seule différence près qu"elle est précédée par deux petits paragraphes personnalisés". Le tribunal retient que les demandeurs n"ont pas modifié leur F.R.P même si on leur avait donné la possibilité de le faire au début de l"audience, ce qui affecte leur crédibilité.

[5]      Il est bien établi qu"il revient au tribunal d"évaluer la valeur probante des éléments de preuve et de tirer des inférences négatives sur la crédibilité des demandeurs si des faits qu"il considère pertinents ont été ajoutés au F.R.P au moyen de modifications faites pendant l"audition. Mais dans le présent dossier, la demanderesse a fait parvenir une annexe à son F.R.P. avant l"audition et, suite à l"invitation du tribunal, son procureur a même apporté des correctifs au début de l"audience2.

[6]      Certes, les incidents propres aux demandeurs ne sont pas relatés dans le F.R.P de la demanderesse, mais il est incorrect de dire que les demandeurs ne s"en sont pas prévalus de l"opportunité de modifier leur formulaire.

[7]      Cette erreur est cruciale puisqu"elle a miné la crédibilité des demandeurs. La question de crédibilité étant au coeur de la revendication, le tribunal commet une erreur justifiant l"intervention de cette Cour, en se basant sur une interprétation erronée des faits pour conclure à l"absence de crédibilité des demandeurs3.

[8]      De plus, le tribunal a conclu à l"absence de lien avec l"un des cinq motifs de la définition de réfugié. Il tire une telle conclusion uniquement d"une réponse soit-disant spontanée de la demanderesse "qu"ils s"en prendraient à elle par vengeance". Or, une lecture des notes sténographiques révèle qu"il ne s"agissait pas d"une réponse spontanée mais plutôt d"une réponse à une question suggestive de la part de la présidente du tribunal.

[9]      Bien que la question de savoir si un demandeur entretient une crainte de vengeance ou de persécution, soit une question de fait relevant de l"expertise du tribunal, encore faut-il que cette détermination repose sur l"ensemble de la preuve au dossier, ce qui n"est pas le cas en l"espèce.

[10]      Quant au changement de circonstances, j"estime que la preuve documentaire n"appuie pas la conclusion du tribunal. Il est vrai que l"on mentionne que le gouvernement mexicain tente d"éliminer la corruption, mais l"on constate que celle-ci existe toujours. Dans un article daté du 26 août 1998, on rapporte de la bouche même du président Zedillo, que les effets du programme ne se feront pas sentir avant un ou deux ans4. Il n"y a donc au moment de l"audition aucun changement de circonstances.

[11]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Le dossier est retourné pour redétermination devant un panel nouvellement constitué.





     "Danièle Tremblay-Lamer"

                                     JUGE


OTTAWA (ONTARIO)

Le 17 mars 2000

__________________

1      Dossier des demandeurs, à la p. 7.

2      Dossier du tribunal, à la p. 71.

3      Peng c. M.E.I. (1 février 1993), A-1054-90 (C.A.F.); Packhov c. M.C.I. (1999), 160 F.T.R. 49.

4      Dossier du tribunal, à la p. 464.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.