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Date : 20020411

Dossier : IMM-2634-01

OTTAWA (ONTARIO), LE 11 AVRIL 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                                        ERIKA SUKI ZAMBO ET AL.

                                                                                                                                                  Demandeurs

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     Défendeur

                                                                     ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                                           « Luc Martineau »                   

                                                                                                                                  Juge

Traduction certifiée conforme

                                                         

Richard Jacques, LL.L.


Date : 20020411

Dossier : IMM-2634-01

Référence neutre : 2002 CFPI 414

ENTRE :

                                                        ERIKA SUKI ZAMBO ET AL.

                                                                                                                                                  Demandeurs

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     Défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MARTINEAU:

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 16 janvier 2001 dans laquelle la Commission a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.


FAITS

[2]                 Les demandeurs sont citoyens de la Hongrie. Ils affirment éprouver une crainte fondée de persécution en raison de leur origine ethnique tzigane (Rom). Gyula Zambo est le revendicateur principal. Son épouse, Gyulane Ilona Zambo, son fils, Zsolt Zambo, sa fille, Erika Suki Zambo, son gendre, Csaba Suki, et son petit-fils, aussi appelé Csaba Suki (le revendicateur mineur) ont également présenté une revendication conjointe du statut de réfugié.

[3]                 L'histoire des demandeurs remonte à l'année 1965, alors que la famille de Gyulane a acquis une notoriété en raison du fait qu'elle-même et son frère, un joueur de soccer reconnu, n'ont pas été autorisés à monter dans l'autobus de l'équipe qui transportait les autres joueurs et leurs familles pour participer à une partie de soccer. Ils n'ont pu monter dans l'autobus en raison de leur origine tzigane.

[4]                 Gyula et Gyulane ont travaillé en tant qu'écrivains jusqu'en 1983, année où ils ont ouvert un café-restaurant à Hajdunanas. Des policiers harcelaient leurs clients en procédant constamment à des vérifications d'identité. Un slogan raciste a même été écrit sur la porte du café-restaurant. Afin de fuir tout préjudice et discrimination dont leurs enfants faisaient également l'objet, la famille a décidé de s'installer à Budapest en 1987 et a loué l'entreprise à un Hongrois.


[5]                 En 1991, Gyulane a fondé la Hungarian Gypsy Mother's Association (la HGMA) qui avait pour objectif d'améliorer les conditions des femmes tziganes de la Hongrie en matière d'éducation, de santé, de travail et de bien-être. Son travail au sein de la HGMA lui a permis de se mettre en contact avec diverses autres organisations et de voyager. En 1995, elle a représenté l'Association en Chine et aux États-Unis. Gyula, pour sa part, avait trouvé un emploi à titre de comptable, mais il n'a travaillé que de 1992 à 1996. Le couple est arrivé au Canada le 30 septembre 1998 et a revendiqué le statut de réfugié le 30 novembre 1998.

[6]                 Erika était également une activiste membre de la HGMA. Elle a suivi des cours en coiffure, en journalisme et en analyse politique à la Budapest School of Politics. En 1995, elle a occupé un emploi pour le compte de Antonia Haga, un membre Rom du parlement. Dans le cadre de ses fonctions, elle a voyagé en Autriche, en Tchécoslovaquie, en France, en Allemagne, en Italie, en Turquie et en Yougoslavie. Elle a également participé à des conférences à Pékin, en 1995, aux États-Unis, en 1996 ainsi qu'en Espagne en 1997.

[7]                 Erika et Csaba se sont mariés le 15 mai 1993, et leur fils est né le 16 février 1994. Lorsqu'ils étaient en Hongrie, Csaba a occupé divers emplois, notamment à titre de vendeur, d'agent de sécurité, de garde du corps et de cuisinier. Il a également travaillé dans un lave-auto.


[8]                 Pour sa part, Zsolt a poursuivi une carrière de joueur de soccer professionnel. Il a prétendu, devant la Commission, que la discrimination raciale dont il avait été victime avait été un facteur qui l'avait empêché de se joindre à une équipe professionnelle. Zsolt a occupé un emploi d'installateur de lignes téléphoniques de 1995 jusqu'à ce qu'il quitte la Hongrie à destination du Canada.

[9]                 Erika, Csaba, Zsolt et le revendicateur mineur ont voyagé à destination du Canada et ont réclamé le statut de réfugié le 15 septembre 1998. Cependant, Csaba s'est désisté de sa première revendication du statut de réfugié en juillet 1999 lorsqu'il est retourné en Hongrie pour aller aux funérailles de son parrain. Il a repris l'avion à destination du Canada le 24 août 1999 et a présenté sa deuxième revendication du statut de réfugié à cette date.

[10]            Les demandeurs ont décrit devant la Commission les diverses formes de harcèlement dont ils ont été victimes au sein de la collectivité en raison de leur origine ethnique. Ils ont affirmé craindre d'être persécutés par la police, des Hongrois et des skinheads. Ils se sont appuyés sur une série d'événements afin de fonder leur crainte de persécution, notamment :

a) En 1993, Zsolt a été agressé par des skinheads alors qu'il était à bord d'un tramway à Budapest. Il a subi des blessures mineures. La police lui a mentionné qu'elle ne pouvait rien faire à moins que Zsolt puisse identifier ses agresseurs et lui indiquer où ils se trouvaient.


b) Le 24 juillet 1993, le café-restaurant de Gyula et de Gyulane à Hajdunanas a été incendié. On prétend que la police connaissait les pyromanes, mais un rapport officiel du service d'incendie indique que la cause est inconnue.

c) Le 30 juillet 1993, Csaba a été détenu pour la nuit au poste de police après une vérification d'identité systématique. Il a été libéré le matin suivant après que l'on a constaté qu'il s'agissait d'une erreur et que ses documents étaient authentiques.

d) Au cours de l'été de 1995, Erika, Csaba et leur fils ont emménagé dans un nouvel appartement à Budapest. Les autres locataires se sont opposés à ce que des Roms emménagent dans l'immeuble et les ont harcelés. Le 9 octobre 1995, un Hongrois a délibérément mis le feu à leur appartement en leur absence.

e) En 1996, Zsolt a été arrêté. Son expérience est semblable à celle de Csaba, telle qu'elle est décrite ci-dessus.

f) Un avocat spécialisé en immigration à Toronto qui représentait les membres de sa famille dans le cadre d'une autre audience du statut de réfugié a reçu une menace de mort proférée à l'égard de Gyulane.


g) En 1998, des commandos ont fait une rafle dans l'appartement de Gyula et de Gyulane à Budapest et ont arrêté Gyula. Ce dernier a été amené au poste de police, mais on lui a ensuite dit de rentrer chez lui car il s'agissait d'une erreur. Cependant, il s'agit d'une allégation qui n'a pas été admise par la Commission.

[11]            Outre le témoigne des demandeurs, la Commission a entendu M. Hegyesi, un ancien membre des forces policières hongroises à Budapest (de 1984 à 1994). Il a attesté qu'à cette époque, les forces policières ne comptaient que quelques Roms parmi leurs membres. Il a indiqué que les vérifications d'identité auxquelles procédait la police étaient fréquentes à l'époque du communisme. Il a ajouté que les citoyens d'origine tzigane étaient identifiés sur les formulaires du service de police par la lettre C et que les agents de police pouvaient distinguer les Roms des Hongrois par leur apparence physique. M. Hegyesi a mentionné que la plupart des policiers hongrois avaient des préjugés envers les Roms et que ces derniers faisaient l'objet d'une vérification plus minutieuse à la suite d'accidents de la route ou au cours de vérifications d'identité au hasard. Il a également signalé que le service de police tardait davantage à intervenir lorsqu'un tzigane était agressé et bien que les plaintes que déposaient des tziganes aient été entendues et que des enquêtes aient été ouvertes, celles-ci étaient considérées comme non prioritaires et, souvent, demeuraient non réglées.


DÉCISION DE LA COMMISSION

[12]            Premièrement, la Commission a fait une distinction entre la discrimination et la persécution. Elle a conclu, à cet égard, que les allégations des demandeurs ne répondaient pas à la norme plus stricte de persécution requise pour réclamer la protection des réfugiés. En particulier, la Commission a fait observer que les demandeurs avaient été en mesure d'acquérir une éducation et d'assurer leurs moyens de subsistance. Puisque la Commission a conclu que l'arrestation de Csaba en 1993 n'a pas entraîné de torture et qu'il s'agissait d'un incident isolé, elle a également conclu que, de par sa nature, il ne s'agissait pas de persécution. En ce qui concerne la confrontation entre Zsolt et les skinheads en 1993, la Commission est parvenue à la conclusion que les blessures qui lui ont été infligées n'étaient pas suffisamment graves pour équivaloir à de la persécution. Enfin, en ce qui a trait aux incendies, la Commission a indiqué que le harcèlement ayant pour mobile le racisme peut être considéré comme de la persécution si les victimes souffrent d'un traumatisme émotionnel ou d'un dommage moral grave. Cependant, la Commission, dans le cas de la présente cause, n'était pas disposée à tirer une telle conclusion puisque aucun rapport psychologique ou preuve d'expert n'a été déposé.

[13]            Deuxièmement, la Commission a conclu que les allers et retours des demandeurs entre la Hongrie et le Canada étaient inconciliables avec une crainte subjective de persécution.


[14]            Troisièmement, la Commission a tenu compte du fondement objectif de la crainte qu'éprouvaient les demandeurs d'être persécutés par les skinheads, la police et les Hongrois. La Commission a noté qu'un seul des demandeurs avait été victime d'une agression commise par des skinheads et elle a conclu que la crainte d'éventuelles agressions allait en diminuant. La Commission, aux pages 13 et 14 de ses motifs, a ainsi indiqué que :

[traduction]

Une preuve documentaire fiable montre que les activités des skinheads ont radicalement diminué depuis le début des années 1990, époque où celles-ci avaient atteint leur sommet. Le tribunal admet les conclusions tirées des arrêts clés dans lesquels la preuve indique que le nombre de skinheads a diminué et est sans doute inférieur à 1 000 par rapport à une population de Roms de plus d'un demi-million. Le tribunal conclut à l'absence de preuve probante démontrant que la minorité Rom en Hongrie serait constamment et systématiquement la cible de préjudices graves de la part des skinheads. Le tribunal conclut qu'il est peu probable que les demandeurs seraient aujourd'hui victimes d'une agression commise par les skinheads s'ils retournaient en Hongrie. [Renvois omis]

[15]            La Commission a également conclu qu'il y avait moins qu'une simple possibilité que les demandeurs soient persécutés s'ils retournaient en Hongrie. Elle a noté que Csaba et Zsolt, les deux demandeurs qui avaient été détenus, n'avaient pas prétendu qu'ils avaient été battus par des agents de police. De plus, les femmes qui parmi les demandeurs, ont été les plus actives sur le plan politique, n'ont jamais été arrêtées par les forces policières hongroises. À la page 14 de ses motifs, la Commission a indiqué que :

[traduction]

La preuve documentaire n'établit pas que les Roms qui circulent dans les rues de la Hongrie risquent vraisemblablement d'être persécutés par la police.

Aucune référence n'a été citée, en bas de page, relativement à cette allégation.


[16]            La Commission a ensuite formulé des commentaires concernant la crainte des demandeurs d'être persécutés par les Hongrois. Ici, la Commission a tenu compte de l'ensemble de la preuve documentaire qu'ont déposée les demandeurs et qui rend compte de l'étendue de la discrimination à l'égard des Roms en Hongrie. Toutefois, la Commission a indiqué que ces mêmes documents décrivaient également les sérieux efforts que déployait le gouvernement hongrois pour refréner la discrimination raciale dont les Roms sont victimes. Par conséquent, la Commission a conclu que l'État pouvait adéquatement protéger les demandeurs contre leurs voisins d'origine ethnique hongroise.

[17]            Quatrièmement, la Commission a conclu que les demandeurs n'avaient pas été en mesure de réfuter la présomption générale selon laquelle les États étaient en mesure d'assurer la protection de leurs propres citoyens. En dépit du témoignage de M. Hegyesi et des allégations selon lesquelles la police a commis une faute après l'incendie survenu à Hajdunanas, la Commission a conclu, en s'appuyant en partie sur la preuve documentaire et sur le témoignage des demandeurs, que les Roms bénéficient d'une meilleure protection à Budapest que dans la plupart des régions rurales du pays. La Commission a particulièrement tenu compte de l'intervention des autorités lors de l'incendie survenu dans l'appartement des demandeurs en 1995.


[18]            Enfin, la Commission a évalué la prétention des demandeurs selon laquelle ils sont devenus des réfugiés sur place en raison de la lettre de menace déposée en preuve ou des éléments de preuve qu'ils ont recueillis en vue d'appuyer leur revendication du statut de réfugié et celle d'autres demandeurs. Finalement, la Commission a conclu que les éléments de preuve déposés ne pouvaient appuyer les revendications du statut de réfugié des demandeurs pour l'un ou l'autre de ces motifs.

[19]            Par conséquent, la Commission a rejeté les revendications des demandeurs et a conclu qu'il n'existait aucune possibilité raisonnable qu'ils soient persécutés pour l'un ou l'autre des motifs pertinents s'ils retournaient en Hongrie.

QUESTION EN LITIGE

[20]            La présente demande de contrôle judiciaire soulève la question suivante : la Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en omettant de tenir compte de la preuve documentaire pertinente concernant la crainte qu'éprouvent les demandeurs d'être persécutés? À cet égard, lors de l'audience, l'avocat des demandeurs a limité son attaque aux conclusions relatives à l'absence d'une crainte objective de persécution de la part des skinheads et de la police.


ANALYSE

[21]            La définition de « réfugié au sens de la Convention » est énoncée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi) :


« réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

[...]

"Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(...)


[22]            Deux éléments sont essentiels afin d'établir qu'un demandeur éprouve une « crainte fondée » de persécution. Le demandeur doit éprouver une crainte subjective d'être persécuté, et cette crainte doit être objectivement justifiée : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 688; Rajudeen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1984], 55 N.R. 129 (C.A.F.).


[23]            L'élément clé de la décision de la Commission selon laquelle la crainte qu'éprouvaient les demandeurs d'être persécutés par les skinheads n'était pas fondée est sa conclusion qu' « une preuve documentaire fiable montre que les activités des skinheads ont radicalement diminué depuis le début des années 1990, époque où elles avaient atteint leur sommet » . Plus particulièrement, la Réponse à la demande d'information HUN 29312.E (en date du 28 avril 1998) à laquelle fait référence la Commission en note de bas de page relativement à cette affirmation fait état des faits suivants au point 1 :

[traduction]

Selon les renseignements dont nous disposons, le nombre de membres [les skinheads] à l'échelle nationale s'élève à moins de 4 000. Quant au nombre de membres connus sous le nom d' « irréductibles » , il s'élève à moins de 1 000. Une nette majorité de ces membres appartient au groupe d'âge des 15 à 25 ans.

Les skinheads ont commis leurs premiers actes de violence en 1988. Ces groupes étaient principalement originaires de Budapest, mais des factions ont été formées à Szeged, à Debrecen et à Eger.

En 1990, à Eger et à Miskolc, les skinheads ont eu des altercations avec les tziganes Le mouvement a atteint son apogée en 1991 et en 1992. (Par exemple, en 1991, à Budapest, des procédures criminelles ont été engagées contre 50 individus accusés d'avoir commis des crimes de nature raciale.)

Depuis le début des années 1990, ils se sont rassemblés autour du National Welfare Alliance (Népjóléti Szövetség) qui constitue un parti politique. Ce parti n'a aucune chance de remporter un siège au Parlement [hongrois].

Au cours des deux dernières années, les violations de droits reconnus par la loi [impliquant] des skinheads ont essentiellement été repoussées à l'arrière plan, ce qui est en partie attribuable aux mesures énergiques mises en oeuvre par les autorités et en partie au fait que les crimes motivés par la discrimination raciale - en raison des modifications apportées au Code criminel - résultent maintenant en des sanctions beaucoup plus graves.

  

[24]            Par ailleurs, la Commission a choisi de s'appuyer sur les conclusions tirées des arrêts clés (SSR T98-04435, Berger, Bubrin, le 20 janvier 1999, p. 32) « dans lesquels la preuve indique que le nombre de skinheads a diminué et est sans doute inférieur à 1 000 par rapport à une population de Roms de plus d'un demi-million » . Comme l'atteste l'extrait cité plus haut, la preuve au dossier (dossier du tribunal à la page 1140) appuyait cette conclusion en particulier.


[25]            Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en se fondant sur ces conclusions tirées des arrêts clés et en concluant que les agressions commises par les skinheads ont diminué depuis le début des années 1990. À leur avis, cette conclusion contredit les divers éléments de preuve documentaire qu'ils ont déposés et qui indiquent que le nombre d'agressions commises par les skinheads contre les Roms en Hongrie a augmenté ou ne peut être déterminé. De plus, les demandeurs affirment que la Commission n'avait aucun motif de rejeter la preuve des demandeurs et qu'elle n'a pas non plus expliqué pourquoi elle préférait s'appuyer sur la preuve tirée des arrêts clés. À cet égard, les demandeurs soutiennent que l'omission de faire état des contradictions dans la preuve qui est présentée constitue une erreur susceptible de révision : Brazda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration [2001], 11 Imm. L.R. (3d) 280 (C.F. 1re inst.).

[26]            J'approuve entièrement les commentaires suivants émis par le juge Blanchard dans la décision Horvath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 901, au par. 7 (C.F. 1re inst.) :

Une décision de principe n'est pas en soi déterminante quant aux autres décisions. Il est loisible à l'avocat des demandeurs de formuler des commentaires sur les éléments de preuve contenus dans les décisions de principe, sur l'importance qu'il convient de leur accorder et de présenter ses propres éléments de preuve.


[27]            Qui plus est, il a été décidé que la Commission ne commettait aucune erreur susceptible de révision si elle omettait de faire état de chaque élément de preuve qui lui était présenté tant et aussi longtemps que la Cour saisie du contrôle judiciaire est convaincue que la Commission a adéquatement tenu compte de la totalité des éléments de preuve : Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration ) [1992], 147 N.R. 317 (C.A.F.); Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.).

[28]            Après avoir examiné les documents qui, selon les demandeurs, avaient été laissés de côté, je ne peux conclure que la Commission a commis une erreur en ne prenant pas en considération cette preuve qui, en soi, n'est pas concluante. À mon avis, les contradictions contenues dans la preuve et qu'ont soulignées les demandeurs sont plus apparentes que réelles. La preuve concernant le nombre de skinheads en Hongrie qui a été déposée devant le tribunal et tirée des arrêts clés figure dans le U.S. DOS Report de 1997 et était essentiellement la même que la preuve présentée en l'espèce devant la Commission. Les demandeurs ne m'ont pas convaincu non plus que la conclusion à laquelle est parvenue la Commission concernant la crainte qu'éprouvait les demandeurs d'être persécutés par les skinheads n'était pas raisonnable.

[29]            Les demandeurs ont également soutenu que la Commission n'avait pas tenu compte de la preuve documentaire qu'ils avaient déposée en vue de démontrer ce qui justifiait leur crainte d'être persécutés par la police s'ils retournaient en Hongrie. Il s'ensuit comme corollaire de cette allégation que la Commission aurait également commis une erreur en concluant que les demandeurs pouvaient se réclamer de la protection de l'État étant donné qu'en fait, ils prétendent avoir été persécutés par les autorités elles-mêmes.


[30]            La Commission a conclu qu'il n'existait aucun fondement objectif relativement à la crainte qu'éprouvaient les demandeurs d'être persécutés par la police. En examinant les témoignages rendus oralement et la preuve documentaire, la Commission a conclu qu'il existait moins qu'une simple possibilité que l'un ou l'autre des demandeurs soit persécuté par la police s'ils retournaient en Hongrie. La Commission a noté dans sa décision qu'Erika et Gyulane Zambo qui, parmi les demandeurs, représentaient les deux plus actives sur le plan politique, n'avaient jamais été arrêtées par la police. Quant aux deux demandeurs qui ont affirmé avoir été arrêtés par la police, soit Csaba Suki et Zsolt Zambo, ils ont mentionné que cela ne s'était produit qu'une seule fois (en 1995 et en 1996 respectivement). De même, dans les deux cas, la police a admis que leur arrestation avait été une erreur et ils ont été libérés le jour suivant sans qu'ils aient été victimes d'un quelconque incident violent pendant qu'ils étaient en détention. Par ailleurs, lorsque les services de police sont intervenus lors de l'incendie criminel survenu à l'appartement en 1995, il semble qu'ils aient agi correctement puisqu'ils ont tenu compte de la déclaration d'Erika Zambo et que le prétendu pyromane a été emmené et qu'il n'a plus jamais été vu dans les environs. Par conséquent, les témoignages de vive voix montrent clairement que la crainte qu'éprouvent les demandeurs d'être persécutés par la police n'est pas fondée.


[31]            Qui plus est, la Commission a pris soin d'ajouter que la preuve documentaire n'établit pas que les Roms qui circulent dans les rues en Hongrie risquent vraisemblablement d'être persécutés par la police. Bien que la preuve documentaire sur laquelle s'appuient les demandeurs démontre que les actes de violence commis par la police contre les Roms sont persistants et réels, les demandeurs ne m'ont pas convaincu que la Commission avait commis une erreur susceptible de révision en concluant qu'il [traduction] « existait moins qu'une simple possibilité que les demandeurs soient persécutés par la police s'ils retournaient en Hongrie » (décision de la Commission à la page 14). Je ne peux conclure que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve pertinente à cet égard. Bien qu'il ait été possible que je parvienne moi-même à une conclusion différente, la Commission a tiré une conclusion de fait qui n'est pas manifestement déraisonnable. Dans la présente cause, la Commission a principalement tenu compte du témoignage des demandeurs et de celui d'un ancien membre des forces policières hongroises de Budapest qui, manifestement, appuient les conclusions auxquelles est parvenue la Commission. Puisque la Commission n'a commis aucune erreur sur ce point, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres allégations qu'ont présentées les demandeurs.

[32]            Dans la présente cause, la Commission a conclu que les demandeurs ne pouvaient attester ni une crainte objective ni un crainte subjective d'être persécutés. La Commission est le juge des faits. La Cour ne peut pas simplement substituer ses propres conclusions à celles de la Commission, mais elle interviendra seulement lorsque la décision rendue par la Commission a été « prise arbitrairement ou de mauvaise foi, qu'elle n'est pas étayée par la preuve ou que [la Commission] a omis de tenir compte des facteurs appropriés » : Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CSC 1, au par. 29. Conséquemment, les demandeurs ne m'ont pas convaincu que la Commission avait commis une erreur susceptible de révision.


[33]            Il existe un autre motif impérieux qui justifie le rejet de la présente demande. Les conclusions auxquelles est parvenue la Commission concernant l'absence d'une crainte subjective de persécution demeurent non contestées. Lorsqu'il est évident qu'aucun résultat différent ne peut être obtenu dans le cadre d'une nouvelle audience, la procédure appropriée consiste à refuser une ordonnance portant tenue d'une nouvelle audience : Popov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1994], 75 F.T.R. 90 (C.F. 1re inst.).

[34]            Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[35]            Les demandeurs ont proposé la certification de la question suivante :

Un tribunal de la SSR peut-il s'appuyer sur une conclusion de fait tirée d'un arrêt clé particulier lorsqu'il est appelé à examiner une preuve documentaire qui est essentiellement nouvelle et contradictoire avec celle présentée dans un arrêt clé particulier, sans explicitement évaluer et résoudre la contradiction que contient la nouvelle preuve documentaire?

  

[36]            À mon avis, la question proposée ne constitue pas une question qui aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale et qui est déterminante quant à l'issue de l'appel : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.F.).

          

OTTAWA (Ontario)

Le 11 avril 2002

                                                                                                                                          « Luc Martineau »                   

                                                                                                                                  Juge

   

Traduction certifiée conforme

                                                         

Richard Jacques, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-2634-01

  

INTITULÉ :                                            Erika Suki Zambo c. M.C.I.

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto, Ontario

  

DATE DE L'AUDIENCE :    Le 19 mars 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         Le juge Luc Martineau

  

DATE DES MOTIFS :                        Le 11 avril 2002

  

COMPARUTIONS :

George Kubes                                                                  POUR LES DEMANDEURS

Michael Butterfield                                                             POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

George Kubes                                                                  POUR LES DEMANDEURS

Toronto, Ontario

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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