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Date : 20030430

Dossier : T-1951-00

Référence : 2003 CFPI 535

                  AFFAIRE INTÉRESSANT UN APPEL interjeté en vertu de l'article 81.24

de la Loi sur la taxe d'accise de la décision rendue par le

Tribunal canadien du commerce extérieur le 22 juin 2000

au sujet des appels nos AP-98-093 et AP-98-094 interjetés en vertu de

l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15

ENTRE :

                                                MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                            CAST TERMINALS INC.

                                                                                   et

                                            TERMINUS RACINE (MONTRÉAL) LTÉE

                                                                                                                                               défenderesses

                                                       MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

A.         INTRODUCTION ET CONTEXTE


[1]                 Le ministre du Revenu national (le ministre), interjette appel, en vertu des articles 81.24 et 81.28 de la Loi sur la taxe d'accise (la Loi), de deux décisions rendues le 22 juin 2000 par le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) dans les dossiers AP-98-093 et AP-98-094. Dans ces deux appels, le Tribunal a infirmé, en vertu de l'article 81.19 de la Loi, les décisions du ministre de rejeter les demandes de remboursement de la taxe d'accise payée par les défenderesses sur du combustible diesel utilisé dans la production d'électricité pour alimenter leurs LeTro-porters, qui sont des machines utilisées pour la manutention de conteneurs aux terminaux de Cast Terminals Inc. (Cast) et de Terminus Racine (Montréal) Ltée (Racine) dans le port de Montréal. Le remboursement réclamé par Racine s'élevait à 117 696,96 $ et couvrait la période du 15 novembre 1994 au 31 octobre 1996. La somme réclamée par Cast se chiffrait à 66 563 $ et couvrait la période du 1er mai 1995 au 30 avril 1997.

[2]                 L'article 81.24 de la Loi dispose : « Toute partie à un appel entendu par le Tribunal en vertu de l'article 81.19 [...] peut [...] en appeler de cette décision à la Section de première instance de la Cour fédérale » .

[3]                 L'alinéa 81.28(1)b) de la Loi précise que l'appel interjeté par le ministre en vertu de l'article 81.24 de la Loi est interjeté « de la manière prévue par les règles établies conformément à la Loi sur la Cour fédérale pour l'introduction d'une action » .

[4]                 Le paragraphe 81.28(3) de la Loi prévoit la procédure régissant les appels : « Un appel [...] est réputé être une action devant la Cour fédérale à laquelle la Loi sur la Cour fédérale et les règles établies conformément à cette loi s'appliquent comme pour une action ordinaire [...] » Ce paragraphe prévoit certaines exceptions qui ne nous intéressent pas en l'espèce.

[5]                 Le paragraphe 23(1) de la Loi impose une taxe d'accise sur les marchandises énumérées aux annexes I et II de cette loi. Le combustible diesel autre que l'essence d'aviation est expressément visé à l'article 9.1 de l'annexe I. Cependant, bien que l'alinéa 23(8)c) précise que la taxe imposée au paragraphe 23(1) n'est pas exigible dans le cas de combustible diesel devant servir à la production d'électricité, le même alinéa exclut cette exemption lorsque l'électricité ainsi produite est principalement utilisée pour faire fonctionner un véhicule. La Loi ne donne aucune définition du mot « véhicule » .

[6]                 L'alinéa 23(8)c) de la Loi dispose :


(8) La taxe imposée au paragraphe (1) ou par l'article 27 n'est pas exigible :

...

c) dans le cas de combustible diesel devant servir à la production d'électricité, sauf lorsque l'électricité ainsi produite est principalement utilisée pour faire fonctionner un véhicule. [je souligne]

(8) The tax imposed under subsection (1) or under section 27 is not payable in the case of

...

(c) diesel fuel for use in the generation of electricity, except where the electricity so generated is used primarily in the operation of a vehicle. [emphasis mine]


[7]                 La question qui était soumise au Tribunal et à laquelle notre Cour doit également répondre est strictement celle de savoir si les LeTro-porters sont des véhicules au sens de la Loi et, dans l'affirmative, si l'électricité produite par la consommation de combustible diesel dans les LeTro-porters était utilisée principalement pour faire fonctionner ceux-ci.

B.        LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[8]                 Dans le résumé des motifs de sa décision, le Tribunal déclare :


Les éléments de preuve produits dans le cadre des présents appels amènent clairement à conclure que les LeTro-porters sont de l'équipement de manutention de matières et non des « véhicules » au sens qui doit être attribué à ce mot dans la Loi sur la taxe d'accise. Le Tribunal est convaincu que les marchandises en cause servent essentiellement à la manutention de conteneurs dans des terminaux et non au transport. Le Tribunal est d'avis que la fonction de transport des LeTro-porters est une fonction accessoire par rapport à leurs fonctions principales, qui sont de lever, de descendre, de déplacer et de placer des conteneurs. Par conséquent, le Tribunal conclut que le combustible diesel utilisé dans la production d'électricité devant servir dans les LeTro-porters est admissible à l'exemption de la taxe d'accise aux termes de l'alinéa 23(8)c).                

[Non souligné dans l'original.]

[9]              Le Tribunal a entendu le témoignage de M. Michael Fratianni, contrôleur chez Cast et chez Racine. Il a soumis au Tribunal une vidéo qui montre et décrit les fonctions des LeTro-porters et a précisé que la fonction essentielle de chacun des terminaux de Cast et de Racine était le chargement et le déchargement de navires porte-conteneurs au nom de sociétés de transport international. Il a affirmé les LeTro-porters servaient au levage et à la manutention des conteneurs dans les terminaux portuaires et, à ce titre, étaient de l'équipement de manutention de conteneurs. Le Tribunal a résumé comme suit le témoignage de M. Fratianni :

Il a déclaré que, essentiellement, les LeTro-porters lèvent des conteneurs qu'ils prennent soit dans des piles de conteneurs, pour les placer sur le plateau d'une remorque, soit dans une section d'une pile de conteneurs, pour les placer sur une section plus haute d'une autre pile, par opposition à du transport horizontal. Il a ajouté que les LeTro-porters utilisent des palonniers télescopiques pour saisir les conteneurs, les palonniers étant une partie intégrante des marchandises en cause. Le palonnier peut s'ajuster en fonction du conteneur manutentionné. M. Fratianni a témoigné que les LeTro-porters ne sont pas destinés à se déplacer sur de longues distances parce que le poids du conteneur exerce une forte contrainte sur la flèche et, aussi, parce que le conteneur suspendu au palonnier empêche le conducteur de bien voir.


En réponse à des questions du Tribunal, M. Fratianni a déclaré que les LeTro-porters sont appelés des appareils et non des camions. Il a ajouté que les LeTro-porters ne sont pas conçus, de par leur construction, pour se déplacer sur une distance plus longue que celle entre le plateau de la remorque et la pile de conteneurs, dans le terminal. Il a ajouté que, pour des raisons de sécurité, les LeTro-porters ne sont pas conçus pour se déplacer dans le terminal avec leur charge en l'air, puisque le conteneur pourrait se déplacer latéralement, ce qui serait très dangereux et non sécuritaire.

[10]            Racine et Cast ont aussi fait témoigner un expert, M. Genest, dont le Tribunal a résumé ainsi le témoignage :

Ce dernier a témoigné que la principale source d'alimentation d'un LeTro-porter est son moteur diesel qui sert à produire de l'électricité. Ce moteur ne contribue directement ni à lever les conteneurs ni à déplacer le LeTro-porter. M. Genest a aussi témoigné qu'un LeTro-porter est doté de moteurs électriques distincts pour le levage des conteneurs, la commande du palonnier, le déplacement et la direction. Il a expliqué que le LeTro-porter exécute quatre types de tâches, à savoir lever et descendre des conteneurs, commander le palonnier, se déplacer vers l'avant et vers l'arrière et diriger l'appareil. Il a souligné que l'objet de son rapport était de tenter d'évaluer la proportion de combustible utilisé par les LeTro-porters pour la manutention des conteneurs, par opposition à celle qui sert au déplacement de l'appareil. D'après son évaluation, le levage des conteneurs représente au moins 58 p. 100 du travail effectué par les LeTro-porters.

[Non souligné dans l'original.]

[11]            Dans ses motifs, le Tribunal a également cité le témoignage que M. James C. Patry a donné pour le compte du ministre. En réponse au rapport d'expert de M. Genest, M. Patry a soumis au Tribunal ses propres conclusions fondées sur les mêmes données des temps et des mouvements, les mêmes spécifications techniques et les mêmes données brutes que celles dont M. Genest s'est servi pour préparer son rapport, avec quelques modifications. Le Tribunal a déclaré : « En ajustant certains des chiffres, M. Patry a évalué que le levage et la descente des conteneurs représentent au moins 48 p. 100 du travail effectué par les LeTro-porters » .


[12]            Après avoir signalé que la Loi ne définissait pas le mot « véhicule » , le Tribunal a déclaré : « Comme le Tribunal l'a reconnu dans des décisions antérieures, le Tribunal examinera donc le sens ordinaire du mot tel que le donnent les dictionnaires traditionnels. » Le Tribunal a également examiné la jurisprudence de notre Cour et celle de la Cour suprême du Canada suivant laquelle un « véhicule doit être un moyen de transport pourvu de roues et utilisé pour le transport de personnes ou de marchandises » . Le Tribunal a conclu :

Le Tribunal est d'avis que les éléments essentiels qui décrivent un « véhicule » sont qu'il s'agit d'un réceptacle pourvu de roues utilisé comme moyen de transport pour transporter des personnes ou des marchandises. Il reste maintenant à déterminer si les marchandises en cause entrent dans la portée d'une telle description.    [Non souligné dans l'original.]

[13]              Le Tribunal a procédé à l'analyse suivante avant de conclure que les LeTro-porters n'étaient pas des véhicules au sens de l'alinéa 23(8)c) de la Loi :

Selon les éléments de preuve dont dispose le Tribunal, la manutention des conteneurs est l'objet principal des LeTro-porters. Leurs fonctions consistent à saisir un conteneur avec un palonnier, à lever ou descendre le conteneur à partir d'un camion-plateau ou d'une pile de conteneurs, puis à déplacer le conteneur sur une courte distance jusqu'à l'endroit où il doit être entreposé ou jusqu'à un autre plateau en vue d'un déplacement ultérieur. Le LeTro-porter lève, descend et penche les conteneurs au moyen de son palonnier télescopique. La capacité de transport d'un LeTro-porter est limitée aux conteneurs de 20 à 40 pi et sa capacité de levage atteint une hauteur équivalente à trois conteneurs. Le LeTro-porter n'a pas de réceptacle dans lequel des conteneurs peuvent êtres mis pour être déplacés, ni n'est lui-même un réceptacle dans lequel des conteneurs peuvent être transportés. Les conteneurs sont levés et transportés au moyen du palonnier.

Le Tribunal fait observer que les LeTro-porters ne sont pas conçus pour déplacer des conteneurs sur une distance importante, puisqu'ils peuvent facilement basculer vers l'avant ou être gravement endommagés lorsqu'ils fonctionnent sur des surfaces qui ne sont pas planes. Le Tribunal reconnaît aussi que la visibilité qu'offre un LeTro-porter à son conducteur est, de par la conception même du LeTro-porter, entravée lorsque ce dernier porte un conteneur puisque ce conteneur est directement dans le champ de vision du conducteur.


Le Tribunal accueille les éléments de preuve selon lesquels les LeTro-porters servent au levage et à la manutention des conteneurs dans le terminal et, de ce fait, qu'ils sont de l'équipement de manutention de conteneurs. Le Tribunal convient que les marchandises en cause sont essentiellement utilisées pour la manutention des conteneurs dans les terminaux et non pour le transport. Le Tribunal est en outre d'accord sur le fait que la fonction de transport des LeTro-porters est une fonction accessoire à leurs fonctions principales qui consistent à lever, à descendre, à déplacer et à placer des conteneurs, soit d'une pile vers un plateau de remorque ou d'une section d'une pile vers une section plus élevée d'une autre pile. Bien que les éléments de preuve montrent clairement que les LeTro-porters effectuent une faible quantité de transport, ledit transport est accessoire par rapport à l'objet principal des LeTro-porters, qui est la manutention de matières.

Finalement, le Tribunal reconnaît le témoignage des deux experts, qui aide le Tribunal à déterminer si les LeTro-porters doivent être considérés comme étant des « véhicules » . Le Tribunal est d'avis qu'il est évident, d'après les éléments de preuve des experts qui se rapportent au calcul du pourcentage de combustible utilisé par les LeTro-porters pour exécuter chacune de leurs fonctions, que le levage, la descente et le placement des conteneurs sont les caractéristiques clés des LeTro-porters.

[Non souligné dans l'original.]

[14]            Comme on peut le constater à la lecture de ses motifs, le Tribunal a conclu que, de par leur objet, leur conception et leur fonction, les LeTro-porters « sont essentiellement utilisés pour la manutention des conteneurs dans les terminaux et non pour le transport » . Le Tribunal a accepté que les LeTro-porters servaient aussi au transport, mais a précisé qu'il s'agissait d'une « fonction accessoire à leurs fonctions principales [...] » Le Tribunal a conclu : « Bien que les éléments de preuve montrent clairement que les LeTro-porters effectuent une faible quantité de transport, ledit transport est accessoire par rapport à l'objet principal des LeTro-porters, qui est la manutention de matières. »

C.        LA PRÉSENTE INSTANCE ET LA PREUVE

[15]            Les parties ont convenu que la preuve et les pièces dont le Tribunal disposait ainsi que l'interrogatoire préalable que M. Michael Fratianni a subi dans le cadre de la présente action constituaient la preuve qui m'est soumise en l'espèce et que cette preuve pouvait être complétée par tout autre élément de preuve admissible qui pourrait être produit.

[16]            Il a également été convenu que Cast et Racine lanceraient le débat, ce qu'ils ont fait en projetant une vidéo muette illustrant le fonctionnement d'un Le Tro-porter. Ils n'ont pas convoqué de témoins.

[17]            Le ministre a fait entendre deux témoins : M. Fratianni, dont la déposition donnée lors de l'interrogatoire préalable a également été versée au dossier, et l'ingénieur James C. Patry, dont la Cour a reconnu la qualité d'expert en génie mécanique et technologie des véhicules. Avant l'audience, M. Patry avait soumis un rapport d'expert. Lors de son témoignage, il a aussi cité abondamment les documents joints à l'affidavit du ministre qui, avec l'accord des parties, constituaient la preuve dans la présente action.

(1)       La preuve fournie par les sociétés Cast Terminals et Terminus Racine

[18]            La bande vidéo a montré comment le LeTro-porter fonctionnait et était exploité. Comme nous l'avons vu, les LeTro-porters servent à manutentionner les conteneurs, dans le cas présent aux triages des terminaux portuaires respectifs des sociétés Cast Terminals et Terminus Racine, à Montréal.


[19]            Quand à son aspect matériel, le LeTro-porter ressemble à un chariot élévateur à fourche. Son châssis repose sur quatre grosses roues articulées de six pieds de hauteur, et l'appareil est utilisé par une personne assise dans la cabine où se trouvent les commandes. Son moteur est situé à l'arrière de la cabine et ledit appareil a sur le devant un genre de « palonnier rectangulaire » expressément conçu pour lui, qui consiste en une pince ajustable reposant sur un cadre à structure en échelle qui lui permet de modifier son emprise pour ramasser et tenir des conteneurs de vingt ou quarante pieds pour les faire monter et les faire descendre.

[20]            La bande vidéo a montré que la principale fonction du LeTro-porter était de faire des piles de conteneurs côte à côte, chacune pouvant atteindre la hauteur de trois conteneurs. Lorsqu'ils sont déchargés d'un navire ou chargés dans celui-ci, les conteneurs ont des destinations multiples, de sorte que pour être chargés sans problème et efficacement, ils doivent être répartis en piles distinctes en fonction de ces destinations multiples, ce que permet l'empilage ou le gerbage. De nombreuses piles peuvent être constituées en tout temps dans un terminal à conteneurs.

[21]            Les activités de base saisies sur la bande vidéo faisaient en sorte que le LeTro-porter soit garé à une courte distance d'une pile à laquelle allait s'ajouter un conteneur apporté sur les lieux par un tracteur de manoeuvre tirant une semi-remorque plateau. Le LeTro-porter s'avançait ensuite vers la semi-remorque, saisissait le conteneur et le déchargeait. Le tracteur éloignait ensuite cette dernière, puis le Trop-porter s'avançait sur une très courte distance vers la pile de conteneurs et, en soulevant le conteneur, le plaçait à l'endroit voulu. Il reculait ensuite jusqu'au lieu où il avait été garé avant cette opération, pour attendre un autre véhicule de manoeuvre lui apportant un conteneur à gerber. Cette activité de base était répétée plusieurs fois, c'est-à-dire pour chacun des conteneurs manutentionnés.

[22]            Le même LeTro-porter était ensuite montré sans conteneur dans le palonnier rectangulaire, roulant entre les piles de conteneurs pour se rendre à une autre pile où il allait répéter l'opération susmentionnée.

(2)       La preuve du Ministre

a)         M. Fratianni

[23]            Comme nous l'avons vu, le Ministre a appelé son premier témoin, M. Fratianni, dont les réponses à l'interrogatoire préalable ont également été déposées.

[24]            Lors de cet interrogatoire, M. Fratianni a répété son témoignage devant le Tribunal, selon lequel le LeTro-porter n'est pas utilisé par les sociétés Cast et Racine pour transporter des conteneurs d'une pile à une autre, ou d'une zone du terminal à une autre. Le terminal de la société Cast comprend 54 acres, et celui de la société Racine, qui a la forme d'une banane, s'étend sur 62 acres. La fonction de base des LeTro-porters, a déclaré M. Fratianni, se limite strictement à soulever et à manutentionner les conteneurs, à les gerber ou à les dégerber, et parfois à les trier. L'acheminement des conteneurs dans le terminal, où le déplacement et le transport sont requis, est confié aux semi-remorques plateaux. M. Fratianni a confirmé que les LeTro-porters se déplaçaient, sans conteneurs, d'une partie du terminal à une autre.


[25]            Toujours lors de l'interrogatoire, M. Fratianni a répondu à plusieurs questions relatives aux caractéristiques physiques du Trop-porter. Il a 44 pieds de longueur et il est muni d'un moteur Cumming de 225 chevaux-puissance qui lui permet une vitesse maximum de 20 milles à l'heure. Il possède des indicateurs de changement de direction et un avertisseur lorsqu'il recule. Il a des feux de travail mais pas de rétroviseurs.

[26]            Les LeTro-porters doivent avoir chacun, aux fins d'immatriculation, une plaque de véhicule hors route ou tout terrain délivrée par le ministère de la Voirie du Québec. Même si leurs opérateurs n'ont pas besoin d'un permis de conduire, ils reçoivent une formation sur la façon de les faire fonctionner.

[27]            À la barre des témoins, M. Fratianni s'est vu poser quelques questions par l'avocat du Ministre, et il n'a pas été contre-interrogé.

[28]            Il a confirmé qu'il était comptable, et contrôleur tant de la Terminus Racine que de la Cast Terminals, mais qu'il n'était pas ingénieur et qu'il n'avait aucune connaissance des aspects mécaniques du Trop-porter, qu'il ne savait pas non plus comment celui-ci fonctionnait, qu'il ne savait pas comment le réparer, qu'il n'en avait jamais conduit un et qu'il n'avait reçu aucune formation pour le faire.

[29]            Il a déclaré qu'il n'était pas familier avec le matériel d'entretien du LeTro-porter, et confirmé que « LeTro-porter » était une marque ou un nom commercial.

[30]            Il a déclaré que les sociétés Cast et Racine avaient un large éventail d'équipements de manutention des conteneurs, depuis les portiques sur pneus, les chargeuses frontales, les petits chariots élévateurs et les portiques de manutention du bord à terre, jusqu'à un parc de tracteurs et de remorques.

[31]            Il a confirmé que les sociétés Cast et Racine avaient trois marques de chargeuses frontales pour manutentionner les conteneurs : le LeTro-porter et les chargeuses Ferrari et Heisler. Il s'est opposé à ce qu'on les décrive comme des chariots élévateurs.

[32]            Il a décrit le fonctionnement global des terminaux : la réception, que ce soit par camion ou par rail, et l'envoi des conteneurs à destination et en provenance des terminaux. Les LeTro-porters servent également à décharger les conteneurs des wagons plats.

[33]            Il a confirmé que la bande vidéo avait été filmée par M. Genest et qu'elle décrivait avec exactitude les activités des sociétés Cast et Racine au chapitre des LeTro-porters.

b)         M. James Patry

[34]            La preuve directe de M. James Patry a expliqué son rapport d'expert, puis commenté certains aspects de la décision du tribunal et du témoignage de M. Michael Fratianni sur lesquels les défendeurs se sont appuyés dans leur mémoire des faits et du droit présenté au tribunal. Le rapport d'expert de M. Patry avait un but différent de celui qu'il avait communiqué au tribunal.


[35]            Dans son rapport d'expert, M. Patry a examiné la documentation publiée par l'industrie et par les organismes de normalisation comme la Society of Automotive Engineers (SAE), l'American Society of Mechanical Engineers (ASME) et l'Organisation internationale de normalisation (ISO), de même que celle publiée par les groupes d'utilisateurs, les fabricants et les autorités de réglementation.

[36]            Il a formulé sa propre définition généralisée d'un véhicule :

Un véhicule est un mécanisme mobile, piloté ou non, servant à effecteur des tâches précises.

[37]            Il a reconnu que cette définition était très large et que l'industrie et les organismes professionnels avaient réparti la catégorie générale « véhicule » en un certain nombre de classes et de sous-classes se rapportant à l'usage du véhicule. Il a précisé quatre classes principales de véhicules trouvées dans la documentation :

                         Les véhicules spatiaux :           comme le véhicule de rentrée lunaire.

                                  Les véhicules aériens :              comme les aéronefs et les aéroglisseurs.

                                  Les véhicules marins :              comme les navires, les traversiers, les remorqueurs, les embarcations de plaisance.

                                 Les véhicules terrestres : tous les véhicules circulant à la surface du sol.

(Nota : l'ASME les appelle « véhicules terrestres » ).


      Selon son rapport, la classification des véhicules terrestres est ce qui devrait nous intéresser, et il a subdivisé ceux-ci en trois types de véhicules : les véhicules ferroviaires, les véhicules d'entretien sur rail (qui circulent sur une table de roulement), et les véhicules sur roues, c'est-à-dire ceux qui utilisent des roues pour se déplacer soit sur les routes, soit sur des terrains non préparés. M. Patry a réparti en outre les véhicules sur roues en véhicules routiers, véhicules commerciaux, véhicules militaires, véhicules hors route (tout terrain), véhicules aéroportuaires et véhicules industriels motorisés.

[39]            Il a d'ailleurs décrit comme suit les véhicules industriels motorisés :

Les véhicules expressément conçus pour être utilisés hors route dans un environnement industriel, à l'intérieur et à l'extérieur d'installations industrielles, d'entrepôts, de chantiers et de terminaux maritimes, pour effectuer du travail de fabrication, d'entretien, et de manutention de matériaux. Ils peuvent de temps à autre circuler sur les voies publiques, mais ils ne le font pas en temps normal. Les véhicules types appartenant à cette classification sont les balayeuses, les brosseuses, les véhicules de transport de personnel, les camions à table élévatrice à ciseaux et les chariots de manutention motorisés (chariots élévateurs à fourche, chariots élévateurs, chargeuses frontale/latérale, chariots tracteurs, chariots élévateurs à petite levée, chariots élévateurs à grande levée, engins de levage mobiles à courroie et chariots à conducteur porté, entre autres). [Non souligné dans l'original.]

[40]            Il a examiné ensuite la terminologie d'usage au sein de l'industrie et du gouvernement dans le domaine des véhicules, et déclaré qu'il y avait de nombreux termes courants susceptibles de prêter à confusion en matière de classification des véhicules. Il a cité par exemple le Manuel du client du Service des approvisionnements de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, qui porte sur l'achat ou la location de véhicules. Ce document contient les deux définitions suivantes :

Véhicule automobile : engin autopropulsé se déplaçant sur roues ou chenilles et utilisé surtout pour le transport de personnes ou de marchandises. Il s'agit notamment des automobiles, des motocyclettes, des voitures, des familiales, des autoneiges, des camionnettes, des fourgons, des autobus, des camions commerciaux et des tracteurs pour semi-remorque, à l'exception de tous les véhicules à caractère militaire.


Véhicule spécialisé : engin autopropulsé se déplaçant sur roues ou chenilles et dont la fonction première n'est pas le transport de personnes ou de marchandises. Il s'agit notamment des camions spécialisés pour les terrains d'aviation, des tracteurs, des chariots élévateurs à fourche, des transpalettes, des niveleuses, des bennes racleuses, des grues mobiles, des camions d'incendie, des véhicules de secours, des chasse-neige, des souffleuses à neige et du matériel de construction mobile, ainsi que de tous les véhicules à caractère militaire. [Je souligne.]

[41]            M. Patry s'est ensuite concentré davantage sur les chariots de manutention motorisés, une sous-catégorie des véhicules industriels motorisés. Il a déclaré que ces chariots étaient utilisés dans presque toutes les industries pour déplacer, soulever, abaisser et/ou transporter de gros objets ou un certain nombre de petits objets sur des palettes, ou dans des boîtes, des caisses ou d'autres conteneurs. Il a passé en revue plusieurs définitions utilisées par des organismes comme l'Occupational Safety and Health Administration (OSHA) du secrétariat au Travail des États-Unis, l'ASME, le ministère du Travail de l'Ontario, plus précisément les Lignes directrices sur la santé et la sécurité au travail (Lignes directrices de l'Ontario), où le terme « chariot élévateur motorisé » peut être défini comme suit : « chariot roulant automoteur et autochargeur, muni d'un tablier élévateur et d'attachements conçus pour lever, transporter et empiler des choses » .


[42]            M. Patry a fait référence ensuite aux caractéristiques du LeTro-porter et déclaré, toujours dans son rapport, que cet appareil est utilisé aux terminaux pour la manutention à terre du fret maritime, plus précisément pour soulever, abaisser et transporter les conteneurs ISO d'un point à un autre sur les terrains desdits terminaux. À son avis, le LeTro-porter était un véhicule qui pouvait être classifié comme véhicule industriel motorisé/chariot de manutention motorisé, car il a déclaré que ledit LeTro-porter était un chariot élévateur frontal travaillant en porte à faux, dont les fourches étaient remplacées en permanence par le palonnier rectangulaire recevant les conteneurs. Il s'est en outre dit d'avis que cet appareil répondait aux caractéristiques d'un chariot de manutention motorisé de classe 5 dans les Lignes directrices de l'Ontario. Il a déclaré à l'appui :

*              le LeTro-porter est automoteur ou motorisé.

*              le LeTro-porter possède un moteur à combustion interne diesel et des pneumatiques.

*              le LeTro-porter a un mât à l'avant, un ensemble de hissage et un système de transport de charge.

*              le LeTro-porter a un palonnier rectangulaire fixé en permanence au système de transport de charge, au lieu de fourches.

*              le LeTro-porter déplace, soulève et abaisse, transporte et empile ou gerbe des conteneurs de marchandises/matériaux.

*              le LeTro-porter est autochargeur, n'ayant besoin que du conducteur/de l'opérateur pour remplir son rôle.


[43]            Dans ses conclusions, à la page 14 de son rapport, M. Patry a réitéré son opinion selon laquelle le LeTro-porter était un véhicule faisant partie de la classification des véhicules industriels motorisés, plus précisément un chariot de manutention motorisé, soit « un chariot à grande levée (hauteur de trois conteneurs) doté d'un moteur diesel à combustion interne, de pneus et de la capacité de manutentionner les conteneurs (à cause de son palonnier rectangulaire), travaillant en porte à faux, du type à conducteur assis, et à chargement frontal » . C'est un « véhicule sur roues muni d'un système de transport de charge pouvant recevoir des matériaux, des marchandises ou des objets, et qui peut soulever, déplacer, transporter et empiler ces articles » . Il est « conçu pour se déplacer en charge (c'est-à-dire avec un conteneur dans le palonnier rectangulaire) d'un endroit du terminal maritime à un autre endroit de ce dernier » .

[44]            De plus, M. Patry a déclaré que le LeTro-porter correspondait à la définition contenue dans la version concise de l'Oxford Dictionary, qui définit « véhicule » comme « un moyen de transport généralement à roues servant à transporter des gens, des marchandises, etc.; c'est une voiture, une voiturette, un chariot, une charrette, un traîneau, etc..., tout moyen de transport; un récipient dans lequel on place quelque chose qu'on veut déplacer » .

[45]            M. Patry a exprimé l'avis selon lequel le LeTro-porter soulevait les mêmes questions opérationnelles, de sécurité et de formation des opérateurs que les véhicules de la catégorie des véhicules industriels motorisés/chariots de manutention motorisés, et il a déclaré que les questions comme les limitations de vitesse, la puissance en côte ou en pente, la visibilité des conducteurs et la sécurité générale de fonctionnement étaient typiques des véhicules de cette catégorie. Il a ajouté que les paramètres précisaient les questions opérationnelles relatives au véhicule lui-même, mais ne faisaient pas en sorte que le LeTro-porter ou d'autres véhicules de sa catégorie deviennent des non-véhicules.

[46]            Dans son examen direct, l'avocat de M. Patry l'a référé à l'extrait suivant de la décision du tribunal :


Le tribunal fait remarquer que les LeTro-porters ne sont pas conçus pour transporter des conteneurs sur une grande distance puisqu'ils peuvent facilement basculer vers l'avant et être gravement endommagés lorsqu'ils fonctionnent sur des surfaces inégales. Il reconnaît également qu'à cause de la conception même du LeTro-porter, la vue de son opérateur est obstruée lorsque l'engin transporte un conteneur, étant donné que ce dernier est directement dans le champ de vision dudit opérateur.

[47]            La réponse de M. Patry est à la page 77 de la transcription des délibérations :

Les LeTro-porters ou dispositifs de ce type ne sont pas intrinsèquement conçus pour être instables, ce qui serait inacceptable aux yeux d'un travailleur soucieux de sa sécurité. Ils sont donc stables lorsque leur charge ne dépasse pas celle qui a été fixée par le constructeur, et qu'elle est transportée selon un mode d'utilisation approprié, indiqué lui aussi par ledit constructeur.

La question du champ de vision n'est pas inhabituelle dans cette classe de véhicule, tout comme un véhicule de transport soulève des questions de vision différentes, puisqu'il y a une grosse remorque à l'arrière comparativement à une automobile. Les questions de vision relatives au LeTro-porter ont trait à l'utilisation de cette machine, et il s'agit de questions de formation de l'opérateur qui doivent être prises en considération au lieu de tout élément précisant la définition du véhicule ou de l'appareil. [Je souligne.]

[48]            À l'appui de cette déclaration, M. Patry a souvent fait référence au manuel d'entretien du LeTro-porter, en particulier à un paragraphe relatif à la séquence d'opération (page 332 de l'affidavit modifié attestant les documents) qui fournit des instructions aux opérateurs dans les cas où l'engin circule à vide ou avec des conteneurs. M. Patry signale l'alinéa j) qui indique qu'après avoir saisi le conteneur et dégagé un wagon, l'opérateur doit régler le potentiomètre en mode déplacement et transporter le conteneur vers la remorque, le triage ou une autre zone désignée.

[49]            Son avocat l'a renvoyé ensuite à la déclaration suivante de M. Fratianni devant le tribunal, sur laquelle les défendeurs se sont fondés dans leur exposé des arguments :


De nouveau, j'ai fait rapidement référence à cette déclaration; mais pour des raisons de sécurité et sûreté, nous ne voudrions certainement pas voir un LeTro-porter se déplacer au terminal, sur une certaine distance, avec un conteneur de quarante (40) pieds suspendu en l'air. Cela ne serait pas très sécuritaire, et cet engin n'est d'ailleurs par conçu à cette fin. Je pense que par sa construction même, il n'est pas en mesure de le faire.

[50]            Le commentaire de M. Patry figure à la page 79 de la transcription, celui-ci ayant fait la réponse suivante :

Je pense que tout d'abord, la déclaration selon laquelle l'engin n'est pas conçu à cette fin n'est pas conforme à la réalité étant donné les spécifications afférentes du constructeur. À mon avis, ce dernier a fait en sorte que sa machine puisse transporter des conteneurs de 40 pieds, et ce, de la façon dont il fait état dans ses données de fabrication ainsi que dans son manuel et dans ses autres documents.

J'estime qu'en ce qui a trait au manque de sécurité, il s'agit de décisions logistiques des exploitants de terminal, et que si un exploitant différent se servait de ce véhicule, il pourrait très bien le faire en mode logistique différent. En d'autres termes, et en général, le véhicule a été conçu pour exercer tout l'éventail de ses capacités pour ce qui est de soulever, de charger et de transporter des conteneurs. [Je souligne.]

[51]            Son avocat a renvoyé M. Patry à une autre déclaration de M. Fratianni devant le tribunal, au sujet des raisons pour lesquelles les sociétés Racine et Cast n'utilisent pas le LeTro-porter pour déplacer des conteneurs dans leurs terminaux respectifs. M. Fratianni a parlé de la visibilité et de son opinion selon laquelle le véhicule n'était pas conçu pour se déplacer sur une certaine distance, sans compter l'effort déployé pour manutentionner un conteneur moyen. En se référant de nouveau à la documentation du fabricant, M. Patry a fait valoir que le LeTro-porter était conçu pour manutentionner un conteneur très lourd pesant un nombre de tonnes moyen correspondant à celui des conteneurs manutentionnés par les sociétés Racine et Cast. Il a réitéré son opinion au sujet des capacités de transport du véhicule, en signalant les spécifications du constructeur.

[52]            Je retiens, du contre-interrogatoire de M. Patry par l'avocat des sociétés Cast et Racine, les éléments suivants :

[53]            Tout d'abord, je signale cet échange figurant aux pages 100 et 101 de la transcription, qui indique l'idée que M. Patry se fait d'un véhicule :

Q. Mais d'après votre définition personnelle de ce qu'est un véhicule, est-il essentiel que celui-ci soit utilisé, du moins dans une certaine mesure, pour le transport de personnes ou de marchandises?

R. C'est une définition générale. Oui, cela est essentiel pour la plupart des véhicules. Certains véhicules remplissent probablement des fonctions précises. Ils transportent effectivement quelque chose... tous les véhicules le font d'ailleurs... ils transportent tous d'une certaine façon du matériel. Ils remplissent un rôle quelconque relatif au matériel.

Q. Donc, selon votre définition du terme « véhicule » , il est nécessaire qu'un véhicule effectue un certain transport de personnes ou de choses. Peut-il faire autre chose? Il peut faire du hissage ou agir comme engin pousseur, etc., mais à votre avis, pour être authentiquement un véhicule, doit-il au moins faire du transport, que ce soit de personnes ou de choses

R. Transporter des choses, oui.

Q. Selon votre définition, quelle proportion de l'activité d'un véhicule doit consister en transport de personnes ou de choses? En d'autres termes, si un véhicule passe 10 % de son temps à transporter des personnes ou des choses, et 90 % de son temps à soulever ou à hisser du matériel, est-ce vraiment un véhicule?

R. Oui, tout comme un taxi qui circulerait avec aucun client à son bord, par exemple, serait toujours un véhicule même s'il ne transportait pas effectivement des passagers, et ne faisait qu'attendre d'en recevoir. Il n'en demeure pas moins qu'en sa qualité de taxi, sa principale fonction est de transporter des passagers. Or la principale fonction du véhicule dont vous parlez est de soulever et de transporter des conteneurs.

Q. Dites-vous vraiment que sa principale fonction est de soulever et de transporter des conteneurs?

R. Oui.

Q. Ne faites-vous pas de différence, quant à savoir s'il s'agit ou non d'un véhicule, entre ces diverses fonctions?

R. Non.


Q. O.K. En ce qui vous concerne, à condition qu'un véhicule transporte des personnes ou des choses, peu importe ce qu'il fait d'autre, c'est toujours un véhicule?

R. Oui. [Je souligne.]                                       

[54]            Deuxièmement, l'avocat des sociétés Cast et Racine, ainsi que M. Patry, ont discuté de la question de savoir si ce dernier contestait le témoignage de M. Fratianni selon lequel le LeTro-porter ne transportait pas de conteneur mais avait pour fonction principale de charger et de décharger.

[55]            Les réponses de M. Patry figurent à la page 92 de la transcription, où, une fois encore, il établit une distinction entre les aspects logistiques des activités des sociétés Cast et Racine, qui découlaient d'un choix fait par ces dernières, sans tenir compte de la nature du véhicule. M. Patry a réitéré que le LeTro-porter a été conçu intrinsèquement pour soulever, charger ou transporter des conteneurs. Il a ajouté :

En d'autres termes, dans un autre triage ou à un autre terminal ou chantier maritime, les LeTro-porters peuvent être utilisés d'emblée pour déplacer des conteneurs jusqu'à n'importe quel emplacement du triage ou du terminal. C'est la décision prise par la Cast Terminals. [Je souligne.]


[56]            En guise de question de suivi, l'avocat a demandé à M. Patry s'il avait déjà vu un autre terminal à conteneurs où les LeTro-porters transportaient effectivement des conteneurs sur de grandes distances dans l'ensemble dudit terminal. M. Patry a répondu « oui » (pages 93 et 94 de la transcription). Il a mentionné les triages de Winnipeg, où des véhicules Heisters et Ferrari, identiques aux LeTro-porters, étaient utilisés de cette façon.

[57]            En réponse à d'autres questions de suivi, M. Patry a déclaré que des conteneurs étaient acheminés d'une pile à une autre, au chantier maritime de St-John's qui, selon son estimation, avait une superficie de vingt-cinq (25) à soixante-quinze (75) acres. Il a déclaré en outre que les conteneurs étaient déplacés sur toute la distance, d'une voie à une autre, dans de larges allées ou couloirs, etc. (transcription, page 94). Il a ajouté qu'en ce qui a trait aux piles elles-mêmes, l'une d'elles pouvait être à l'extrémité du terminal de soixante-dix (70) acres, et l'autre à l'extrémité opposée, et que le LeTro-porter transportait le conteneur d'une pile à l'autre, soit sur toute la superficie ou toute la longueur du terminal à conteneurs. L'avocat lui a demandé s'il avait été témoin d'une telle opération. M. Patry a répondu « oui » et déclaré qu'il avait observé ce genre de déplacement lorsqu'il avait séjourné à un hôtel de St-­John's, qui surplombait le chantier maritime.


D.        ANALYSE

            (1)         Norme de contrôle

[58]            Dans le jugement Chemins de fer nationaux du Canada Co. (C.N.) c. Canada, [1993] A.C.F. no 258 (C.F. 1re inst.) (QL), le juge Denault a déclaré ce qui suit au sujet des appels interjetés devant notre Cour en vertu de la présente loi :

Ces appels ont été entendus ensemble et ils portent sur des questions identiques. La procédure à suivre dans un appel interjeté en vertu des articles 81.24 et 81.28 de la Loi sur la taxe d'accise correspond à celle d'une action, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un procès de novo.

[Je souligne.]

[59]            Le juge Gibson a tiré la même conclusion dans le jugement Shaklee Canada Inc. c. Canada, [1995] A.C.F. no 330 (C.F. 1re inst.) (QL), tout comme le juge MacKay dans le jugement Mustang Engineering and Construction Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), [2001] A.C.F. no 49 (C.F. 1re inst.) (QL).

[60]            L'avocat du ministre affirme qu'un procès de novo ne constitue pas en soi un appel, de sorte qu'il n'est pas nécessaire que j'examine la décision du TCCE, surtout si j'entends de nouveaux éléments de preuve dont ne disposait pas le Tribunal, comme c'est le cas en l'espèce. L'avocat affirme que, dans ces conditions, je ne devrais accorder aucun poids à la décision du Tribunal.

[61]            Il m'a reporté à la définition de l'expression trial de novo (procès de novo) que l'on trouve dans le Black's Law Dictionary, 7e éd., West Group, St. Paul, Minnesota, 1999 :

[TRADUCTION]

Procès de novo : Nouveau procès portant sur toute la cause, c'est-à-dire, sur les questions de fait et de droit, mené comme s'il n'y avait jamais eu de procès.

[62]            L'opinion de l'avocat du ministre trouve appui dans les propos suivants du juge Denault dans le jugement C.N., précité, à la page 4 :

L'avocat du CP a souligné le fait que le présent appel est réputé être une action et doit être entendu comme un procès de novo . Je conviens avec l'avocat que le rôle de la Cour dans une telle procédure n'est pas d'établir si le tribunal a commis une erreur mais plutôt de tirer ses propres conclusions en se fondant sur la preuve produite.                                   

[Non souligné dans l'original.]

[63]            Par une sorte d'analogie, cette manière de voir s'accorde avec la norme appliquée par notre Cour lorsqu'elle est saisie d'appels interjetés en vertu de l'article 56 en matière de marques de commerce et que de nouveaux éléments de preuve sont susceptibles d'être présentés. Le juge Rothstein, qui rédigeait les motifs des juges majoritaires de la Cour fédérale dans l'arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltd., [2000] 3 C.F. 145, p. 168, a déclaré, au paragraphe 51 :

[...] Toutefois, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire.

[Non souligné dans l'original.]


Il y a lieu de noter qu'en l'espèce, les parties n'ont pas procédé entièrement par voie de procès de novo parce que le dossier de la preuve dont le TCCE disposait a été, avec l'accord des parties, versé au dossier dans le présent procès. Dans ces conditions, je ne suis pas prêt à n'accorder aucune valeur à la décision du TCCE comme le suggère l'avocat du ministre, mais je ferai preuve d'une certaine retenue envers cette décision, en particulier pour ce qui est des conclusions de fait, si la preuve, sur ce point, est essentiellement semblable à celle qui m'a été soumise.

[64]            L'avocat de Cast et de Racine m'a cité un arrêt récent rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Les Industries Vogue Ltée c. Sa Majesté la Reine, [2002] C.A.F. 135, au sujet de l'application d'une norme plus élevée et il m'a reporté au paragraphe 2 des motifs du juge Noël :

À cet égard, nous sommes d'avis que le premier juge n'a pas commis d'erreur manifeste dans son appréciation des faits incluant le témoignage des experts, et qu'il a bien compris et appliqué la décision de la Section de première instance [...]

[65]            Ainsi que l'avocat du ministre l'a souligné, cette norme ne s'applique pas parce que la Cour d'appel fédérale examinait un jugement de première instance auquel cette norme s'appliquait, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, puisque je préside un procès de novo.


[66]            L'avocat soutient que la décision du juge Campbell dans l'affaire Brooks Wetsuits Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), (1999), 177 F.T.R. 310 (C.F. 1re inst.) (QL), va dans le sens contraire. Il s'agissait d'un appel interjeté en vertu de l'article 135 de la Loi sur les douanes. On avait porté à la connaissance du juge de nouveaux éléments de preuve dont le ministre ne disposait pas lorsqu'il avait pris sa décision. J'estime que la décision du juge Campbell s'accorde avec les propos de mes collègues au sujet de la nature de l'appel dont je suis saisi.

(2)        Principes

[67]            Dans le jugement Sunoco Inc. c. Canada , 2001 CFPI 731, (2001), 206 F.T.R. 278 (C.F. 1re inst.), j'ai formulé certains principes d'interprétation des lois, notamment en ce qui concerne la Loi sur la taxe d'accise. Mon collègue le juge Gibson a récemment repris ses principes à son compte dans le jugement Shell Canada Products Ltd. c. Canada, 2002 CFPI 1304, [2002] A.C.F. no 1796 (C.F. 1re inst.) (QL). Je reproduis les paragraphes 13 à 15 du jugement Sunoco :

¶ 13 Dans l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, le juge Iacobucci traite, aux pages 40 et 41, du principe fondamental de l'interprétation des lois eu égard à l'interprétation de dispositions législatives, dans les termes qui suivent :

Bien que l'interprétation législative ait fait couler beaucoup d'encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après Construction of Statutes); Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l'interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé de texte de loi. À la page 87, il dit :

Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

[. . .]

Je m'appuie également sur l'art. 10 de la Loi d'interprétation, L.R.O. 1980, ch. 219, qui prévoit que les lois « sont réputées apporter une solution de droit » et doivent « s'interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprit véritables. »


Bien que la Cour d'appel ait examiné le sens ordinaire des dispositions en question dans le présent pourvoi, en toute déférence, je crois que la cour n'a pas accordé suffisamment d'attention à l'économie de la LNE, à son objet ni à l'intention du législateur; le contexte des mots en cause n'a pas non plus été pris en compte adéquatement. Je passe maintenant à l'analyse de ces questions.

[14] Je retiens ensuite le principe qui se dégage de l'arrêt Shell Canada Limitée c. Sa Majesté la Reine, [1999] 3 R.C.S. 622 de la Cour suprême du Canada lorsqu'il s'agit d'examiner une loi fiscale, comme la Loi de l'impôt sur le revenu, (ou la Loi sur la taxe d'accise dans le cas qui nous occupe). La juge McLachlin, actuellement juge en chef, y a fait les remarques qui suivent :

[40] Deuxièmement, la jurisprudence fiscale de notre Cour est bien établie : l'examen de la « réalité économique » d'une opération donnée ou de l'objet général et de l'esprit de la disposition en cause ne peut jamais soustraire le tribunal à l'obligation d'appliquer une disposition non équivoque de la Loi à une opération du contribuable. Lorsque la disposition en cause est claire et non équivoque, elle doit simplement être appliquée...

[. . .]

[43] . . . les tribunaux doivent par conséquent faire preuve de prudence lorsqu'il s'agit d'attribuer au législateur, à l'égard d'une disposition claire de la Loi, une intention non explicite : [...] sous couvert d'une interprétation fondée sur l'objet, l'on risque de rompre l'équilibre que le législateur a tenté d'établir [...]

[45] Il incombe aux tribunaux d'interpréter et d'appliquer la Loi telle qu'elle a été adoptée par le Parlement.

[15] S'agissant spécifiquement de l'interprétation de la LTA, j'adhère à l'opinion du juge Malone dans l'arrêt Sa Majesté la Reine c. RJR-MacDonald Inc., [2001] 2 C.F. 191, où il s'exprime ainsi :

[5] D'autres formations de la Cour ont été aux prises avec l'interprétation des dispositions de la Loi sur la taxe d'accise, qui a fait l'objet de nombreuses modifications. Les difficultés que cela pose ont été récemment notées par mon collègue, le juge Décary, J.C.A., dans les termes suivants :

Lorsqu'il est question d'une loi fragmentée comme la Loi sur la taxe d'accise [...] qui, pour commencer, contrairement, disons, à la Loi de l'impôt sur le revenu, n'a aucune structure cohérente ni aucune règle de base, et qui est modifiée régulièrement pour faire face à certaines situations ou y remédier dans un contexte économique qui évolue constamment, la Cour devrait répugner à comparer à la loupe les termes de dispositions conçues à des époques différentes et dans un contexte différent et destinées à traiter de questions différentes.

[6] Je partage sa répugnance compte tenu de l'histoire complexe des parties III et VI de la Loi et des diverses politiques administratives suivies par le Ministère depuis 1935. Ma tâche est donc d'interpréter la signification des termes employés aux paragraphes 23(1), (2) et (10) et leur rapport mutuel pour déterminer l'intention véritable du législateur.

[Non souligné dans l'original.]


(3)       Application et conclusions

[68]            Pour m'aider à interpréter le terme « véhicule » pour l'application de l'alinéa 23(8)c) de la Loi, je peux compter sur deux décisions rendues par des juges de la Section de première instance, décisions qui ont toutes les deux été confirmées par la Cour d'appel fédérale et qui portaient sur l'interprétation de la même disposition législative ou sur la disposition qui l'avait précédée.

[69]            Il s'agit du jugement du juge McNair dans l'affaire Westar Mining Ltd. c. La Reine (1990), 38 F.T.R. 137; conf. à Westar Mining Ltd. c. La Reine, (1991), 4 T.C.T. 6197 (C.A.F.), et du jugement du juge Joyal dans l'affaire Seaspan International Ltd. c. Sa Majesté la Reine, [1994] 1 C.F. 524; conf. à Seaspan International Ltd. c. Sa Majesté la Reine, (1998), 229 N.R. 132.

[70]            La méthode d'interprétation législative retenue par les juges McNair et Joyal s'accorde avec les principes d'interprétation des lois énoncés dans l'arrêt Rizzo Shoes, précité.

[71]            Dans l'affaire Westar, précitée, le juge McNair a notamment examiné la définition que le Shorter Oxford Dictionary donnait des mots « transport » (carriage) et « véhicule » (vehicle) en s'inspirant de deux arrêts de la Cour suprême du Canada.

[72]            Le premier arrêt qu'il a cité était le jugement rendu par le juge Rand dans l'affaire Sugar City (District) No. 5 c. Bennett & White (Calgary) Ltd., [1950] R.C.S. 450, dans lequel le juge Rand avait déclaré ce qui suit à la page 463 :


[TRADUCTION] Dans son sens premier, le mot « véhicule » s'entend d'un engin à roues servant à transporter des personnes ou des marchandises. En règle générale, on fait une distinction entre transport et remorquage et les unités mécaniques dont la principale fonction consiste à tracter d'autres unités, à effectuer d'autres tâches que le simple transport, ne sont habituellement pas considérées comme des véhicules. Mais cette acception a sans doute été affaiblie par suite de la multiplication des formes sous lesquelles les engins munis de roues ayant comme caractéristique commune l'auto-propulsion mécanique sont apparus.

[Non souligné dans l'original.]

[73]            Le second arrêt de la Cour suprême du Canada cité par le juge McNair est l'affaire Farr c. Township of Moore, [1978] 2 R.C.S. 504, dans laquelle le juge Spence avait interprété le sens du mot « véhicule » en se reportant au Shorter Oxford Dictionary qui en donnait la définition suivante :

[TRADUCTION ] Moyen de transport pourvu de roues ou de patins et utilisé pour le transport de personnes ou de marchandises; voiture, charrette, wagon, traîneau, etc.

Contenant dans lequel on met quelque chose pour le déplacer.

[Non souligné dans l'original.]

Le juge McNair a souligné que, pour trouver le sens ordinaire du mot « véhicule » , il fallait tenir compte de l'ensemble du contexte en vue de déterminer l'objet et l'esprit de la disposition fiscale.

[74]            Dans le jugement Seaspan International Ltd., précité, le juge Joyal a fait siens les propos que le juge Reed avait tenus dans le jugement International Forest Products Ltd. c. Canada, [1991] 2 C.T.C. 243 (C.F. 1re inst.) au sujet du principe d'interprétation applicable. Le juge Reed avait cité le passage de l'ouvrage de E.A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., 1983, auquel le juge Iacobucci avait souscrit dans l'arrêt Rizzo Shoes, précité.


[75]            Dans le jugement Westar, précité, le juge McNair a statué que des transporteurs de minerai que Westar utilisait dans ses mines d'exploitation à ciel ouvert pour l'enlèvement des mort-terrains et le transport du minerai brut vers un système de convoyeur à courroie constituaient des véhicules et qu'en conséquence, le combustible diesel utilisé pour produire l'électricité servant à actionner les moteurs électriques faisant tourner les roues du transporteur du minerai n'était pas admissible à une exemption de la taxe d'accise.

[76]            Il a rejeté l'argument de la demanderesse suivant lequel l'électricité qui permettait aux transporteurs de minerai de se déplacer servait principalement à faire fonctionner de l'équipement d'exploitation minière (parce que les transporteurs de minerai ne circulaient pas sur la voie publique et ne transportaient pas de marchandises commercialisables, par opposition à du matériel de transport). Il a également rejeté l'argument que les transporteurs de minerai avaient été utilisés, non seulement « principalement » , mais exclusivement pour l'exploitation de la mine de la demanderesse. Le juge McNair a conclu :

À mon avis, il fait peu de doute, voire aucun, que le combustible diesel a été utilisé pour produire l'électricité comme principale source d'énergie et principal moyen de propulsion des transporteurs de minerai.

[77]            Le juge McNair a également conclu que l'électricité produite grâce à l'utilisation du combustible diesel était principalement utilisée pour faire fonctionner un véhicule. Il a déclaré ce qui suit :


J'estime que c'est le cas en l'espèce. En résumé, je suis d'avis que les transporteurs de minerai ont été utilisés principalement comme véhicules au sens ordinaire du terme pour transporter des mort-terrains ou du minerai brut d'un endroit à un autre, et que le libellé de la loi ne permet pas de limiter les déplacements à ceux qui sont effectués sur la route ou sur des rails, ou encore au transport du charbon uniquement comme produit fini et commercialisable. Selon moi, toute autre interprétation du libellé de la Loi ne servirait qu'à contourner l'objet et l'esprit de cette loi et à déjouer l'intention exprimée par le législateur. En conséquence, la partie demanderesse ne peut être admissible à une exemption et donc au remboursement.                                                     [Non souligné dans l'original.]

[78]            La Cour d'appel fédérale a confirmé le jugement du juge McNair et le juge Hugessen, alors juge à la Cour d'appel fédérale, a déclaré :

Malgré tous les efforts de l'avocat de l'appelante, nous ne trouvons rien à redire aux motifs de jugement très détaillés du juge McNair, qui a conclu que les « transporteurs de minerai » de l'appelante sont des « véhicules » au sens de l'alinéa 21(3.1)c) [devenu depuis l'alinéa 23(8)c)] et de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise, tel que ces dispositions sont envisagées dans leur contexte et conformément à l'esprit de la loi et à leur sens grammatical.

[79]            Dans le jugement Seaspan, précité, le juge Joyal a décidé que 42 remorqueurs et deux transbordeurs étaient des véhicules au sens de l'alinéa 23(8)c) de la Loi.

[80]            Il a expliqué que les remorqueurs servaient entre autres à remorquer les chalands de la flottille de la demanderesse qui transportaient toutes sortes de marchandises vers des destinations le long des côtes de la Colombie-Britannique. Ils servaient encore aux manoeuvres d'accostage et au remorquage des navires et des trains de bois. Les transbordeurs transportaient des wagons des basses terres de Vancouver à l'île de Vancouver.

[81]            Il a rejeté l'argument que, saisi dans son sens grammatical ordinaire et à la lumière de la volonté du législateur telle qu'elle se dégage de l'ensemble de la Loi, de son objectif et de son économie, le terme « véhicule » figurant dans les dispositions applicables de la Loi n'embrassait ni les navires ni aucun autre type d'embarcation de mer.

[82]            Dans ses motifs de jugement fouillés, le juge Joyal s'est penché sur les principes d'interprétation législative susmentionnés et sur l'interprétation que les tribunaux avaient donnée du mot « véhicule » et il a expressément cité la décision rendue par le juge McNair dans l'affaire Westar Mining, précitée, ainsi que les motifs du juge Hugessen dans l'arrêt de la Cour d'appel fédérale. Le juge Joyal a aussi examiné diverses définitions du mot « véhicule » tirées de dictionnaires et il a conclu ce qui suit :

¶ 41       Conformément à la méthode préconisée par Driedger pour l'interprétation des lois, il y a lieu de commencer par l'examen de l'objectif de la Loi, qui est indubitablement la réalisation de recettes. Parmi les articles soumis à une taxe, il y a le carburant diesel quelle qu'en soit la destination, à l'exception seule du carburant diesel qui sert à la production de l'électricité. Même cette dernière exemption est limitée. Si l'électricité produite sert principalement au fonctionnement d'un véhicule, l'exemption ne s'applique pas et le carburant diesel utilisé à cette fin est soumis à la taxe.

[83]            Le juge Joyal a fait remarquer que, si le mot « véhicule » sert généralement à désigner les moyens de transport terrestres, il est souvent employé comme abréviation de véhicule à moteur. Il a déclaré que le mot « véhicule » , employé sans complément déterminatif dans une loi, pourrait se limiter aux moyens de transport terrestres, mais il a ajouté ce qui suit :


¶ 44    Dans la Loi qui nous intéresse en l'espèce, la disposition portant taxation, selon l'interprétation correcte qu'on doit en donner, prévoit une taxe sur le carburant diesel, y compris, bien entendu, celui qui sert principalement au fonctionnement d'un véhicule. Seul le carburant diesel servant à la production de l'électricité en est exempté. La règle générale est donc que le carburant diesel pour véhicules est soumis à la taxe et que toute exemption appelle une interprétation restrictive. Il s'ensuit a contrario que « véhicule » appelle une interprétation plus générique ou plus large. On pourrait dire que plus les mots « utilisé dans la production de l'électricité » doivent être interprétés de façon restrictive, plus large doit être l'interprétation à appliquer au libellé de la disposition portant taxation d'un produit générique, y compris bien entendu le carburant diesel, peu importe le but dans lequel il pourrait être utilisé.

[84]            Le juge Joyal s'est ensuite interrogé sur la volonté du législateur en ce qui concerne en particulier les véhicules dont le fonctionnement nécessite l'électricité produite avec du carburant diesel. Il a déclaré : « Pareille force propulsive ou motrice n'est pas l'attribut seul des véhicules à moteur ou autres moyens de transport terrestres. On la trouve probablement davantage dans les navires. Par conséquent, il serait anormal de prétendre que le législateur, par l'emploi du terme "véhicule", entendait en restreindre le sens aux véhicules terrestres et étendre l'exemption à tous les autres moyens de transport de personnes et de biens » .

[85]            Après avoir cité d'autres décisions connexes, il a déclaré ce qui suit : « Je conclus que l'inclusion dans la définition du mot "véhicule" des moyens de transport comme ceux qui nous intéressent en l'espèce, constitue une interprétation à laquelle ce mot se prête raisonnablement et qui est plus conforme à la teneur générale de la loi et à la volonté du législateur » .

[86]            Comme il a déjà été signalé, la Cour d'appel fédérale a confirmé le jugement du juge Joyal. Voici le passage clé des motifs du juge Marceau :


¶ 3    Il ne nous est pas difficile d'être d'accord avec le juge des requêtes pour dire qu'il existe une certaine ambiguïté au sujet du sens habituel et ordinaire du mot « véhicule » , lorsqu'il est employé isolément comme dans la disposition en question. Il faut donc se fonder sur les principes généraux d'interprétation législative et, en particulier, sur la règle selon laquelle les mots doivent être interprétés dans un contexte global et sur la règle voulant que l'interprétation soit fondée sur l'objet visé. De toute évidence, le législateur voulait que le mot « véhicule » ait une portée aussi large que celle que le juge des requêtes lui a donnée.

[87]            Je constate que dans un arrêt récent de la Cour d'appel fédérale, l'arrêt Penner International Inc. c. Sa Majesté la Reine, [2002] C.A.F. 453, le juge Rothstein a examiné le paragraphe 68.1(1) de la Loi sur la taxe d'accise, qui permet le remboursement de la taxe d'accise payée sur des marchandises exportées du Canada. Il a déclaré ce qui suit, au paragraphe 13 :

¶ 13 Au paragraphe 35, le juge de première instance souligne que la Loi sur la taxe d'accise est une loi fiscale qui vise à générer des revenus pour le gouvernement. Je suis d'accord avec elle. Cette loi prévoit néanmoins des remboursements et il convient de donner effet aux dispositions accordant ces remboursements.

[88]            Pour résoudre la question de savoir si les LeTro-porters sont des véhicules au sens de l'alinéa 23(8)c) de la Loi, j'adopte l'approche qui a été proposée par les juges McNair et Joyal et qui a été retenue par la Cour d'appel fédérale.


[89]            Suivant l'interprétation que je fais de la jurisprudence pertinente, en particulier du jugement Seaspan, précité, je constate que les tribunaux n'ont pas donné un sens restrictif au mot « véhicule » que l'on trouve à l'alinéa en question, mais qu'ils lui ont plutôt attribué un sens qui correspond au sens ordinaire que lui confèrent les dictionnaires et qui tient compte du contexte (en l'occurrence, le fait que l'exemption vise le combustible diesel devant servir à la production d'électricité, mais pas l'électricité principalement utilisée pour faire fonctionner un véhicule), ainsi que de l'objet de la Loi, qui vise notamment à générer des revenus.

[90]            Je suis d'accord avec l'avocat du ministre pour dire que, conformément au jugement Seaspan, précité, pour l'application de l'alinéa 23(8)c) de la Loi, il y a lieu d'interpréter le mot « véhicule » de façon large et générale et qu'il ne convient pas d'assujettir ce terme à une série de restrictions que le législateur n'a pas imposées.

[91]            Je ne voudrais pas que mes propos soient interprétés comme un acquiescement de ma part aux déclarations que M. Patry a faites dans son témoignage lorsqu'il a cherché à expliquer le sens du mot « véhicule » à l'aide de la terminologie technique employée par les organismes de normalisation ou de réglementation ou par les utilisateurs. La portée du terme « véhicule » devrait être déterminée en fonction de son usage et de son contexte.

[92]            Je considère artificielle la distinction que, se fondant sur le raisonnement du Tribunal, l'avocat de Cast et de Racine fait entre le levage et la descente d'un conteneur et son transport. Lever ou descendre un objet constitue une façon de le transporter, surtout lorsque le transport comporte l'idée de déplacer d'un lieu à un autre (voir l'Oxford Dictionary of the English Language, 2e éd.).

[93]            Je dois examiner les éléments de preuve qui m'ont été soumis en reprenant tout depuis le début pour ensuite tirer mes propres conclusions. Or, on a porté à ma connaissance des éléments de preuve importants dont ne disposait pas le Tribunal, en particulier au sujet des spécifications techniques du fabricant sur les LeTro-porters et sur la question du champ de vision du chauffeur, la capacité de transport et la stabilité de la conception, ainsi que sur l'utilisation des LeTro-porters dans d'autres terminaux ou gares ferroviaires de marchandises.

[94]            Sur ce dernier point, je conviens avec l'avocat du ministre que la façon dont Cast et Racine ont utilisé leurs LeTro-porters ne permet pas de trancher de façon définitive la question de savoir si cette machine constitue un non un véhicule. La question de savoir si un LeTro-porter est un véhicule doit être évaluée en fonction de critères objectifs et non d'après l'utilisation qu'en fait une entreprise déterminée.

[95]            Je n'hésite aucunement à conclure que les LeTro-porters de Cast et de Racine sont des véhicules au sens de l'alinéa 23(8)c) de la Loi. Examiner les caractéristiques de conception de cette machine, déterminer ce pour quoi elle est conçue et ce qu'elle fait effectivement correspond manifestement au sens courant du mot « véhicule » , en tenant compte du contexte.

[96]            Essentiellement, un LeTro-porter sert à transporter ou à déplacer des conteneurs d'un endroit à un autre, du plateau d'une remorque à une pile et de cette pile à un autre plateau de remorque et, dans d'autres terminaux, d'une pile à l'autre.

[97]            Ayant conclu que les LeTro-porters sont des véhicules au sens de l'alinéa 23(8)c) de la Loi, je dois déterminer si l'électricité produite grâce au combustible diesel est principalement utilisée pour faire fonctionner les LeTro-porters.

[98]            L'avocat de Cast et de Racine soutient qu'en employant l'expression « faire fonctionner un véhicule » à l'alinéa en question, le législateur visait la « force motrice » ou la « propulsion » , autrement dit que le simple fait de se déplacer vers l'avant ou vers l'arrière n'entre pas dans les fonctions principales du LeTro-porter, qui consistent à lever et à descendre des conteneurs.

[99]            L'avocat a cité le témoignage que M. Genest a donné devant le Tribunal et qui fait partie de la preuve dans le présent appel et n'a pas été contestée de nouveau par M. Patry lorsqu'il a témoigné devant moi. M. Genest a conclu que le levage des conteneurs représentait 58 p. 100 du travail effectué par les LeTro-porters.

[100]        L'avocat de Cast et de Racine m'a invité à prendre connaissance de la décision rendue le 28 septembre 1993 par le Tribunal dans l'appel numéro AP80-91-190 à AP-91-200 dans l'affaire Via Rail Canada Inc. c. Ministre du Revenu national, que le juge Blais a adoptée dans le jugement Seaspan International Ltd. c. Sa Majesté la Reine, [2002] C.F.P.I. 675 (le jugement Seaspan no 2).


[101]        Dans l'affaire Via Rail, précitée, le Tribunal avait établi une distinction entre les diverses utilisations de l'électricité produite par le combustible diesel à bord de trains de Via Rail. Il a fait une distinction entre l'électricité servant à faire fonctionner le train et l'électricité utilisée pour chauffer, éclairer et climatiser les voitures à voyageurs (qu'il a désignées sous le nom de services hôteliers.

[102]        Dans le jugement Seaspan no 2, précité, le juge Blais a accepté la distinction appliquée aux remorqueurs et transbordeurs lorsque l'équipage demeure à bord de façon continue pour de longues périodes de temps - parfois jusqu'à deux semaines, et lorsque l'électricité produite grâce à la consommation du combustible diesel servait à la fourniture de services hôteliers « aux membres d'équipage et à d'autres personnes (appareils de cuisson, chauffage des logements et des aires de travail, appareils de réfrigération, systèmes de ventilation et de climatisation et systèmes d'approvisionnement en eaux domestiques) » .

[103]        Vu l'ensemble de la preuve qui m'a été soumise, je ne suis pas disposé à retenir la distinction qui a été faite dans les décisions Via Rail, et Seaspan no 2, précitées. La solution que j'adopte consiste à donner au mot « fonctionner » son sens ordinaire, celui de marcher, d'accomplir une fonction (voir le New Shorter Oxford Dictionary).

[104]        D'abord, il n'y a pas de services hôteliers dans le cas des LeTro-porters; en second lieu, la distinction entre, d'une part, les manoeuvres de levage et de descente, et d'autre part, les mouvements avant et arrière des LeTro-porters est insignifiante, ce qui m'amène à conclure que toute l'électricité produite par la consommation de combustible diesel par les LeTro-porters sert exclusivement à faire fonctionner ces derniers.


[105]        Pour tous ces motifs, le présent appel est accueilli avec dépens. Il s'ensuit que Cast Terminals Inc. et Terminus Racine (Montréal) Ltée n'ont pas droit au remboursement réclamé.

            « François Lemieux »                                                              Juge                             

Montréal (Québec)

Le 30 avril 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                         

                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                                                       Date : 20030430

                                                                                 Dossier : T-1951-00

                                                                                                                   

AFFAIRE INTÉRESSANT UN APPEL interjeté en vertu de l'article 81.24 de la Loi sur la taxe d'accise de la décision rendue par le Tribunal canadien du commerce extérieur le 22 juin 2000 au sujet des appels nos AP-98-093 et AP-98-094 interjetés en vertu de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15

ENTRE :

                      MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                 demandeur

                                                         et

                                  CAST TERMINALS INC.

                                                         et

                 TERMINUS RACINE (MONTRÉAL) LTÉE

                                                                                          défenderesses

                                                                                                                                     

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                                                                     


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-1951-00

AFFAIRE INTÉRESSANT UN APPEL interjeté en vertu de l'article 81.24

de la Loi sur la taxe d'accise de la décision rendue par le

Tribunal canadien du commerce extérieur le 22 juin 2000

au sujet des appels nos AP-98-093 et AP-98-094 interjetés en vertu de

l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15

ENTRE :

                                                MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                            CAST TERMINALS INC.

                                                                                   et

                                           TERMINUS RACINE (MONTRÉAL) LTÉE

                                                                                                                                              défenderesses

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                 26 novembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                        30 avril 2003

COMPARUTIONS :

Me Claude Morrissette

Me Marie-Josée Bertrand                                                              POUR LE DEMANDEUR

Me Michael Kaylor                                                                         POUR LES DÉFENDERESSES


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Lapointe Rosenstein                                                                        POUR LES DÉFENDERESSES

Montréal (Québec)


Date : 20030430

Dossier : T-1951-00

Montréal (Québec), le 30 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

                 AFFAIRE INTÉRESSANT UN APPEL interjeté en vertu de l'article 81.24

de la Loi sur la taxe d'accise de la décision rendue par le

Tribunal canadien du commerce extérieur le 22 juin 2000

au sujet des appels nos AP-98-093 et AP-98-094 interjetés en vertu de

l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15

ENTRE :

                                                MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                            CAST TERMINALS INC.

                                                                                   et

                                           TERMINUS RACINE (MONTRÉAL) LTÉE

                                                                                                                                              défenderesses

                                                                     ORDONNANCE

Pour les motifs exposés ce jour, le présent appel est accueilli avec dépens. Il s'ensuit que Cast Terminals Inc. et Terminus Racine (Montréal) Ltée n'ont pas droit au remboursement réclamé.

                 « François Lemieux »                                                                       Juge                             

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.

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