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                                                                                                                                           Date : 20030807

                                                                                                                                     Dossier : T-1073-99

                                                                                                                           Référence : 2003 CF 958

Ottawa (Ontario), le 7e jour d'août 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                    DANIEL MARTIN BELLEMARE

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction

[1]                 Il s'agit d'une demande de révision d'une taxation fondée sur l'article 414 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, et leurs modifications (les Règles).


Faits à l'origine du litige

[2]                 Le 21 juin 1999, le demandeur, M. Daniel Bellemare, a présenté une demande de contrôle judiciaire à l'égard de deux décisions qu'a rendues le commissaire à l'information en application de l'article 41 de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (la Loi). Avant l'audition de la demande, le procureur général du Canada a présenté une demande visant à radier celle-ci au motif qu'elle avait été déposée en dehors des délais. Le juge Pinard, de la Section de première instance de la Cour fédérale, a accueilli cette demande en partie. Cependant, le procureur général a interjeté appel de cette décision et a eu gain de cause, la Cour d'appel fédérale ayant statué que la demande de contrôle judiciaire devrait être radiée en entier pour d'autres motifs.

[3]                 Dans le jugement qu'elle a rendu le 30 novembre 2002, la Cour s'est exprimée comme suit :

L'appel est accueilli, la décision du juge des requêtes est annulée et la demande de contrôle judiciaire est complètement radiée. L'appelant aura droit aux dépens, tant devant la Section de première instance que devant la Section d'appel. Le Commissaire à l'information doit absorber ses propres dépens, ainsi que les débours de l'intimé relatifs à son intervention.

                                                                                                                           (Non souligné dans l'original)

[4]                 Dans ses motifs, le juge Noël, qui s'exprimait au nom de la Cour, a formulé les commentaires suivants :


Pour ces motifs, j'accueille l'appel, annule la décision du juge des requêtes et, rendant le jugement qu'il aurait dû prononcer, radie complètement la demande de contrôle judiciaire, avec dépens à l'appelant, tant devant la Section de première instance que devant la Section d'appel. Conformément à l'ordonnance qui autorisait son intervention, le Commissaire à l'information doit absorber ses propres dépens, ainsi que les débours de l'intimé relatifs à son intervention.

                                                                                                                           (Non souligné dans l'original)

[5]                 Le commissaire à l'information était intervenu au stade de l'appel.

[6]                 Par suite de la décision, tant le procureur général que le demandeur ont présenté un mémoire au sujet des dépens. Le 16 mai 2003, l'officier taxateur Michelle Lamy a délivré deux certificats de dépens ainsi que des motifs. Elle a évalué les dépens du procureur général à 2 442,48 $ (pour le dossier T-1073-99) et à 2 217,12 $ (pour le dossier A-598-99), pour un total de 4 659,60 $

[7]                 Le demandeur sollicite une révision de la taxation susmentionnée en vertu de l'article 414 des Règles, dont le libellé est le suivant :


La partie qui n'est pas d'accord avec la taxation d'un officier taxateur, autre qu'un juge, peut demander à un juge de la Section de première instance de la réviser en signifiant et déposant une requête à cet effet dans les 10 jours suivant la taxation.

A party who is dissatisfied with an assessment of an assessment officer who is not a judge may, within 10 days after the assessment, serve and file a notice of motion to request that a judge of the Trial Division review the award of costs.


Question en litige

[8]                 L'officier a-t-elle commis une erreur susceptible de révision dans sa taxation des dépens?


Norme de contrôle

[9]                 Les parties soutiennent que, selon la jurisprudence, la Cour ne peut intervenir que « lorsqu'il y a eu une erreur de principe ou [...] que le montant taxé est à ce point déraisonnable qu'il doit être attribuable à une erreur de principe » . : Wilson c. Canada, [2000] A.C.F. n ° 1783 (QL), au paragraphe 10. La Cour d'appel fédérale a formulé cette norme pour la première fois dans l'arrêt I.B.M. Canada Ltée c. Xerox of Canada Ltd., [1977] 1 C.F. 181 (C.A.). Je reconnais qu'il s'agit de la norme à appliquer aux fins des examens fondés sur l'article 414 des Règles.

Analyse

[10]            Le demandeur invoque un certain nombre d'arguments au soutien de la proposition selon laquelle la taxation de l'officier était déraisonnable et exorbitante et, de ce fait, susceptible de révision.


[11]            D'abord, il fait valoir que l'ordonnance datée du 9 mai 2000 dans laquelle le juge Décary a fait droit à la demande du commissaire en vue d'obtenir l'autorisation d'intervenir devrait être interprétée en sa faveur. L'ordonnance prévoit notamment ce qui suit : « le Commissaire sera redevable des dépens de l'appel ainsi que de ceux de la présente requête, envers l'intimé Bellemare quel que soit le sort de l'appel » . De l'avis du demandeur, le texte de cette ordonnance devrait s'appliquer de préférence aux directives que la Cour d'appel fédérale a données dans son jugement définitif et qui sont citées plus haut aux paragraphes 3 et 4, soit l'octroi des « dépens à l'appelant, tant devant la Section de première instance que devant la Section d'appel » . Il est souligné que, dans cette dernière décision, la Cour a mentionné expressément que le commissaire à l'information devrait absorber ses propres dépens, ainsi que les débours de l'intimé relatifs à son intervention.

[12]            Le procureur général soutient que le texte du jugement rendu le 30 novembre 2002 est clair et que le demandeur doit payer les dépens engagés tant en première instance qu'en appel. Selon le procureur général, le paragraphe 400(1) des Règles accorde à la Cour un plein pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait au montant et à l'attribution des dépens ainsi qu'à la détermination de la partie qui doit le payer. Dans un mémoire distinct, le commissaire à l'information fait valoir qu'il n'est pas redevable des dépens et que l'ordonnance du 30 novembre 2002 indique de façon non ambiguë quelle est la partie responsable à cet égard.

[13]            Je suis d'avis que l'argument du demandeur résumé ci-dessus n'a aucun fondement. La Cour d'appel fédérale lui a ordonné clairement de payer les dépens du procureur général, tant en appel qu'en première instance. En tout état de cause, je ne suis pas convaincu que l'ordonnance du 9 mai 2000 concernant les dépens engagés par suite de l'intervention du commissaire est incompatible avec l'ordonnance rendue le 30 novembre 2002.

[14]            En deuxième lieu, le demandeur fait valoir que l'officier taxateur n'a pas tenu compte des facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles, comme l'exige l'article 409, dont voici le libellé :


L'officier taxateur peut tenir compte des facteurs visés au paragraphe 400(3) lors de la taxation des dépens.


In assessing costs, an assessment officer may consider the factors referred to in subsection 400(3).




[15]            L'alinéa 400(3)h) prévoit ce qui suit :


Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l'un ou l'autre des facteurs suivants :

h) le fait que l'intérêt public dans la résolution judiciaire de l'instance justifie une adjudication particulière des dépens;

In exercising its discretion under subsection (1), the Court may consider

(h) whether the public interest in having the proceeding litigated justifies a particular award of costs;


[16]            Selon le demandeur, l'objet de la Loi est d'accorder aux citoyens un droit d'accès aux renseignements du gouvernement et la taxation de l'officier n'appuie pas cet objet, mais constitue plutôt une entrave à l'accès à la justice. Le demandeur souligne que l'article 53 de la Loi énonce ce qui suit :


(1) Sous réserve du paragraphe (2), les frais et dépens sont laissés à l'appréciation de la Cour et suivent, sauf ordonnance contraire de la Cour, le sort du principal.

(1) Subject to subsection (2), the costs of and incidental to all proceedings in the Court under this Act shall be in the discretion of the Court and shall follow the event unless the Court orders otherwise.

(2) Dans les cas où elle estime que l'objet des recours visés aux articles 41 et 42 a soulevé un principe important et nouveau quant à la présente loi, la Cour accorde les frais et dépens à la personne qui a exercé le recours devant elle, même si cette personne a été déboutée de son recours.

(2) Where the Court is of the opinion that an application for review under section 41 or 42 has raised an important new principle in relation to this Act, the Court shall order that costs be awarded to the applicant even if the applicant has not been successful in the result.


[17]            Le demandeur ajoute qu'il a soulevé dans sa demande de contrôle judiciaire une question portant sur un principe nouveau et important et ayant pour effet de clarifier les règles de droit et que l'application du paragraphe 53(2) de la Loi est déclenchée de façon à empêcher l'adjudication des dépens contre lui.


[18]            Pour sa part, le procureur général réplique que la Cour fédérale du Canada a exercé de façon dépourvue de toute ambiguïté le pouvoir dont elle est investie en vertu du paragraphe 400(1) en ordonnant au demandeur de payer les dépens. De plus, il souligne que le demandeur n'a présenté aucune demande avant la taxation malgré l'exigence en ce sens prévue à l'article 403 :


Une partie peut demander que des directives soient données à l'officier taxateur au sujet des questions visées à la règle 400 :

A party may request that directions be given to the assessment officer respecting any matter referred to in rule 400,

a) soit en signifiant et en déposant un avis de requête dans les 30 jours suivant le prononcé du jugement;

(a) by serving and filing a notice of motion within 30 days after judgment has been pronounced; or

b) soit par voie de requête au moment de la présentation de la requête pour jugement selon le paragraphe 394(2).

(b) in a motion for judgment under subsection 394(2).


[19]            Le procureur général allègue que la taxation des dépens a été faite à bon escient selon les Règles 405 et 407, qui prévoient que les dépens sont taxés par un officier taxateur et que les dépens entre parties sont taxés conformément à la colonne III du tableau du Tarif B, sauf ordonnance contraire de la Cour.


[20]            Je suis d'accord avec le procureur général. Il appert clairement de l'ordonnance de la Cour d'appel fédérale que les dépens doivent être taxés contre le demandeur. Lorsqu'elle a exercé son pouvoir discrétionnaire, la Cour n'a pas fait allusion à l'alinéa 400(3)h) des Règles ni n'a mentionné l'existence d'un intérêt public dans la résolution de l'instance qui justifiait une adjudication particulière des dépens en faveur du demandeur. En conséquence, je ne puis conclure que l'officier taxateur a commis une erreur lorsqu'elle a taxé les dépens conformément à la colonne III du tableau du Tarif B. J'estime que l'officier n'a pas commis d'erreur de principe lorsqu'elle a établi la taxation visée par la présente demande.

[21]            De plus, le paragraphe 53(1) de la Loi énonce en toutes lettres que les frais et dépens sont laissés à l'appréciation de la Cour et suivent le sort du principal, sauf ordonnance contraire de la Cour; dans la présente affaire, la Cour n'a rendu aucune ordonnance contraire.

[22]            En troisième lieu, le demandeur soutient que l'officier a commis une erreur en taxant les dépens d'une unité en vertu du poste 6 du Tarif B - « comparution lors d'une requête, pour chaque heure » et en taxant les dépens de quatre unités en vertu du poste 19 du Tarif B - « mémoire des faits et du droit » en ce qui a trait à la demande que le juge Pinard a entendue en première instance. Le demandeur souligne qu'en première instance, la demande de contrôle judiciaire a été accueillie en partie et que la taxation devrait traduire ce succès partiel.

[23]            À mon avis, la taxation de l'officier est conforme à la directive de la Cour d'appel, qui a accordé les « dépens à l'appelant, tant devant la Section de première instance que devant la Section d'appel » . En conséquence, j'estime que l'officier n'a pas commis d'erreur de principe ni n'a fixé un montant déraisonnable au titre des dépens.


Conclusion

[24]            Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de révision de la taxation des dépens est rejetée.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de révision de la taxation des dépens datée du 16 mai 2003 est rejetée.

                                                                                                                            « Edmond P. Blanchard »                    

                                                                                                                                                                 Juge                              


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DU GREFFE :                               T-1073-99

INTITULÉ :                                        Daniel Martin Bellemare c.

Le procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario), en vertu de la Règle 369

DATE DE L'AUDIENCE :              tenue conformément à la Règle 369

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :             le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                      le 7 août 2003

COMPARUTIONS :

Pierre Bourque                                                                               POUR LE DEMANDEUR

Claude Morissette                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Desjardins Ducharme Stein Monast                                               POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

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