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Date : 20030611

Dossier : IMM-3626-03

Référence : 2003 CFPI 725

ENTRE :

REBELINO ANTONIO CASTILLO CORTEZ, GLORIA del CARMEN

ENAMORADO de CASTILLO, ROBERTO RIBELINO CASTILLO

ENAMORADO et JOSE ADONI CASTILLO ENAMORADO

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE KELEN

[1]                Les demandeurs, citoyens du Salvador, ont présenté une requête en vue d'obtenir un sursis à l'exécution d'une mesure d'interdiction de séjour devenue une mesure d'expulsion vers les États-Unis qui avait été prise envers eux. Ils veulent obtenir ce sursis jusqu'à ce que soit tranchée leur demande d'autorisation et de contrôle judiciaire présentée à l'égard d'une décision défavorable rendue le 1er mai 2003 quant à un examen des risques avant renvoi (ERAR).


[2]                Les demandeurs sont entrés au Canada le 27 juillet 2001 et ils ont revendiqué le statut de réfugié en se fondant sur le fait qu'ils appartenaient à un groupe social, soit celui des personnes ciblées pour subir de l'extorsion de la part de criminels. Rebelino Castillo Cortez était le revendicateur principal. Son épouse et ses deux enfants sont les autres demandeurs. Leurs revendications ont été rejetées le 10 juin 2002 parce qu'il n'existait pas de liens entre la persécution que les demandeurs craignaient de subir et l'un des motifs d'obtention du statut de réfugié au sens de la Convention. Le tribunal a conclu que les demandeurs étaient des témoins dignes de foi. Il a écrit ce qui suit à la page 2 de sa décision :

[TRADUCTION]

Le revendicateur principal et la revendicatrice ont tous deux témoigné d'une manière sincère et digne de foi et ils ont été capables de donner des détails lorsqu'on leur a demandé de le faire. Ils n'ont été évasifs à aucun moment. Le tribunal n'a pas de motif de mettre en doute leur témoignage ou les documents soumis pour eux.

[3]                Les demandeurs n'ont pas sollicité le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section du statut de réfugié. Ils ont plutôt présenté une demande dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC). Ils ont soumis de brèves observations au soutien de leur demande. En octobre 2002, les demandeurs ont été informés que leur demande avait été convertie en une demande d'ERAR suivant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) et ils ont été invités à soumettre de nouvelles observations. Les demandeurs ont obtenu sur Internet certains nouveaux articles sur le Salvador et ils les ont soumis à l'agent d'ERAR.


[4]                La demande d'ERAR présentée par les demandeurs a été refusée par une décision datée du 1er mai 2003. L'agent d'ERAR a déclaré qu'il n'existait toujours pas, en l'absence de nouveaux éléments de preuve de persécution, de preuve suffisante pour conclure que les demandeurs seraient en danger s'ils retournaient au Salvador. Subsidiairement, l'agent d'ERAR a conclu que l'État était disposé à protéger adéquatement les demandeurs et qu'il était capable de le faire. Le 16 mai 2003, les demandeurs ont présenté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'égard de la décision rendue quant à l'ERAR. Cette demande est pendante.

[5]                Il existe un critère en trois volets auquel les demandeurs doivent satisfaire pour obtenir une ordonnance de sursis à l'exécution de la mesure d'interdiction de séjour devenue une mesure d'expulsion prise envers eux, soit le critère énoncé dans l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302, 6 Imm. L.R. (2d) 123 (C.A.F.). Les demandeurs doivent démontrer qu'il existe une question grave qui doit être tranchée, qu'ils subiraient un préjudice irréparable s'ils étaient renvoyés et que la prépondérance des inconvénients joue en leur faveur.

[6]                La question grave qui a été établie par les demandeurs est la question de l'incidence qu'a l'alinéa 113a) de la LIPR sur leur droit d'obtenir un ERAR complet et équitable. L'alinéa 113a) se trouve dans la partie 2 de la section 3 de la LIPR qui traite des demandes d'ERAR et il est rédigé comme suit :



Examen de la demande

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d'asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n'étaient alors pas normalement accessibles ou, s'ils l'étaient, qu'il n'était pas raisonnable, dans les circonstances, de s'attendre à ce qu'il les ait présentés au moment du rejet;

Consideration of application

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;


[7]                M. le juge Gibson a examiné l'incidence de cet alinéa sur le processus d'ERAR dans ses remarques incidentes dans la décision O. N. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 246. Il a écrit au paragraphe 53 :

Dans le cadre de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, l'alinéa 113a) s'applique logiquement, puisque le comité de la Section du statut de réfugié qui examine une revendication du statut de réfugié doit aussi déterminer si une personne a besoin de protection. Ce ne fut pas le cas lorsque la revendication du statut de réfugié de la présente demanderesse a été examinée. Ainsi, la SSR n'a pas tenu compte du besoin de protection de la demanderesse, alors qu'elle en avait la preuve, besoin dont l'évaluation a été déterminée par l'ARRR et dont la décision fait présentement l'objet du présent examen, décision que j'ai jugé erronée. Je suis pleinement conscient que ce n'est pas mon rôle de conseiller au défendeur d'ignorer l'alinéa 113a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, mais je ne peux m'empêcher de commenter que si ce paragraphe est appliqué à la lettre à l'évaluation du risque avant le renvoi de la demanderesse, celle-ci n'aura reçu aucune décision quant à son besoin de protection lié à un retour en Ukraine.


[8]                Les demandeurs prétendent que le scénario imaginé par le juge Gibson s'est réalisé en l'espèce. Les revendications du statut de réfugié présentées par les demandeurs ont été tranchées suivant la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, et modifications (l'ancienne Loi), maintenant abrogée. La Section du statut de réfugié a rejeté les revendications parce qu'elles n'avaient pas de liens avec l'un ou l'autre des motifs prévus pour l'obtention du statut de réfugié au sens de la Convention. Suivant les dispositions de l'ancienne Loi, la Section du statut de réfugié n'a pas examiné la question de savoir si les demandeurs avaient la qualité de personnes à protéger étant donné que cette question était examinée dans le contexte d'une demande présentée par un DNRSRC.

Lorsque le processus de demande par un DNRSRC a été éliminé par la LIPR, la demande présentée en tant que DNRSRC a été convertie en une demande d'ERAR. En raison de l'alinéa 113a), les demandeurs ne pouvaient pas, pour démontrer à l'agent d'ERAR qu'ils avaient la qualité de personnes à protéger, s'appuyer sur la preuve qu'ils avaient présentée à la Section du statut de réfugié. Par conséquent, « aucune décision » n'a été rendue à l'égard de la question de savoir si les demandeurs avaient la qualité de personnes à protéger d'un renvoi au Salvador.

[9]                Les demandeurs prétendent que l'omission de rendre une telle décision portera atteinte à leur droit à la sécurité de la personne autrement qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale et qu'il y aura contravention à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés qui est rédigé comme suit :


Vie, liberté et sécurité

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Life, liberty and security of person

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.


[10]            Avant de passer à l'analyse de la prétention des demandeurs, j'aimerais aborder la décision Bukhari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 467, dans laquelle l'alinéa 113a) a fait l'objet d'un examen judiciaire dans le contexte d'une demande de sursis. Les revendications du statut de réfugié présentées par les demandeurs dans l'affaire Bukhari ont été rejetées suivant l'ancienne Loi, alors que leurs demandes d'ERAR ont été traitées suivant la LIPR. Ces demandeurs, tentant d'obtenir un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi prise envers eux, ont soulevé les remarques incidentes faites par le juge Gibson dans la décision O. N. M. le juge Rouleau a fait les observations suivantes aux paragraphes 10 et 11 :

Il est allégué que lors de l'examen de cette demande de réfugié par la SSR, l'évaluation des risques n'a pas été étudiée et que ce que le juge Gibson a dit en obiter donne à entendre que certaines restrictions s'appliquent à un agent d'ERAR puisque celui-ci serait obligé de tenir compte uniquement des éléments de preuve survenus après le rejet de la demande de réfugié et auxquels le demandeur n'avait pas normalement accès quand la demande de statut de réfugié a été étudiée.

On ne m'a pas convaincu que l'alinéa 113a) impose des restrictions à l'agente d'ERAR mais, si c'est le cas, l'examen de ses motifs démontre clairement qu'elle a examiné avec minutie le dossier de la SSR ainsi que tous les documents qu'il contenait. Je suis également d'avis que les coupures de journaux qui font état de la situation au Pakistan, et qui pourraient être considérées comme de nouveaux éléments de preuve, ne faisaient aucunement référence aux demandeurs.


[11]            La tâche qui m'incombe est celle d'établir de quelle façon la présente affaire s'intègre dans les règles établies par les décisions O. N. et Bukhari. L'alinéa 113a) peut imposer des restrictions à un agent d'ERAR. Aux fins du critère de la question grave, je suis disposé à accepter que l'alinéa 113a) a un effet conforme à la prétention des demandeurs pour la présente requête. Si tel est le cas, alors je suis d'accord avec les demandeurs que la présente affaire est précisément la situation pour laquelle le juge Gibson avait des préoccupations lorsqu'il a fait ses remarques dans la décision O. N. Étant donné que les demandeurs prétendent avoir subi de la persécution qui n'avait pas de liens avec l'un des motifs de la Convention, les dispositions qui accordent l'asile à des personnes qui ont la qualité de personnes à protéger sont indispensables. Toutefois, la preuve présentée par les demandeurs n'a pas été examinée dans ce contexte par la Section du statut de réfugié et, en raison de l'effet de l'alinéa 113a), seuls de nouveaux éléments de preuve ont été examinés par l'agent d'ERAR. Cela signifie que les demandeurs n'ont pas eu l'occasion de présenter leur preuve à l'agent d'ERAR.

[12]            De plus, contrairement à la décision Bukhari, on ne peut pas dire que l'agent d'ERAR a étudié avec minutie le dossier de la Section du statut de réfugié. Il n'est pas évident à la lecture des motifs de l'agent qu'il a examiné la preuve sur laquelle s'appuyaient les conclusions de la Section du statut de réfugié. Cela soulève la possibilité que les demandeurs n'aient pas eu une occasion valable d'être évalués en tant que personnes qui avaient la qualité de personnes à protéger, ce qui pourrait contrevenir aux dispositions de la Charte. Pour ce motif, je conclus que les demandeurs ont soulevé une question grave devant être tranchée lors d'un contrôle judiciaire.


[13]            À l'égard du préjudice irréparable, la Section du statut de réfugié a conclu que les demandeurs étaient des témoins dignes de foi et elle n'a pas mis en doute la véracité de leurs prétentions. Le tribunal n'a pas mis en doute la prétention selon laquelle les demandeurs avaient été la cible d'extorsion de la part de groupes criminels au Salvador et qu'ils avaient personnellement fait l'objet de menaces graves d'assassinat et d'enlèvement d'enfant. Les demandeurs, s'ils retournent au Salvador, seront exposés à des risques en raison de ces groupes criminels.

[14]            Compte tenu de mes conclusions à l'égard des deux premiers volets du critère de l'arrêt Toth, il s'ensuit que la prépondérance des inconvénients joue en faveur des demandeurs.

[15]            Pour les motifs énoncés, la présente requête présentée en vue d'obtenir une ordonnance de sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion prise envers les demandeurs est accueillie. Un sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion est ordonné jusqu'à ce que soit tranchée la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs à l'égard de la décision défavorable rendue quant à l'ERAR.

                                                                                                                            « Michael A. Kelen »            

                                                                                                                                                     Juge                       

CALGARY (ALBERTA)

LE 11 JUIN 2003

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-3626-03

INTITULÉ :                                       REBELINO ANTONIO CASTILLO CORTEZ,

GLORIA del CARMEN ENAMORADO de

CASTILLO, ROBERTO RIBELINO CASTILLO

ENAMORADO et JOSE ADONI CASTILLO

ENAMORADO c. LE MINISTRE DE LA    CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 10 juin 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge Kelen

DATE DES MOTIFS :                     Le 11 juin 2003

COMPARUTIONS :

Rishma N. Shariff                                                                      POUR LES DEMANDEURS

Carrie Sharpe                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Caron & Partners LLP                                                              POUR LES DEMANDEURS

Calgary (Alberta)

Morris Rosenberg, Sous-procureur général du Canada               POUR LE DÉFENDEUR

Ottawa (Ontario)


                                              

                  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20030611

Dossier : IMM-3626-03

ENTRE :

REBELINO ANTONIO CASTILLO CORTEZ,

GLORIA del CARMEN ENAMORADO de CASTILLO,

ROBERTO RIBELINO CASTILLO ENAMORADO

et JOSE ADONI CASTILLO ENAMORADO

                                                                           demandeurs

                                           - et -

          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                              

                                                                               défendeur

                                                                                                                     

                   MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                                                     


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