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Date : 20030410

Dossier : IMM-1341-02

Référence neutre : 2003 CFPI 420

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                  DENISE VERONICA JOHN ET AL.

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

L'instance

[1]                 Mme Denise Veronica John (la demanderesse) a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l'agente d'expulsion M. Hamlyn (l'agente) a refusé de différer son renvoi du Canada. Cette décision a été communiquée à la demanderesse le 21 mars 2002.


Les faits

[2]                 La demanderesse, citoyenne de Saint-Vincent-et-les-Grenadines (Saint-Vincent), est entrée au Canada en juin 1992. Elle détenait un visa de visiteur qui a expiré en décembre 1992 et elle est depuis ce moment restée illégalement au Canada.

[3]                 La plus jeune fille de la demanderesse, Alana, est née à Toronto le 1er février 1996 et elle est citoyenne canadienne. Alana est née avec une anomalie congénitale rare qui l'oblige à prendre des médicaments. Elle a déjà subi une intervention chirurgicale pour cette anomalie et elle devra en subir d'autres à l'avenir.

[4]                 La demanderesse a présenté une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire (CH) qui a été rejetée le 18 septembre 2000 en partie parce qu'elle n'avait pas fourni suffisamment d'éléments de preuve démontrant qu'Alana subirait un préjudice si elle était forcée de se rendre à Saint-Vincent avec sa mère.

[5]                 La demanderesse a ensuite été reçue en entrevue à plusieurs reprises à l'égard de son renvoi qui était prévu pour le 16 décembre 2001.

[6]                 La demanderesse a soumis deux lettres, datées du 26 février 2001 et du 3 décembre 2001 et rédigées de façon identique par des spécialistes du Toronto Sick Children's Hospital, au soutien de sa demande de rester au Canada. En plus d'établir et de décrire l'état de santé d'Alana, ces lettres mentionnaient les points importants suivants :


[TRADUCTION]

Alana est actuellement bien traitée au moyen d'hydrocortisone. On lui administre 7 mg trois fois par jour.

Il est important qu'Alana continue à recevoir ses soins médicaux ici au HSC. Il est aussi important que sa mère, en tant que seule personne qui s'occupe d'elle, soit en mesure de surveiller quotidiennement les médicaments qui lui sont administrés. Dans le passé, lorsque d'autres personnes se sont occupées de lui administrer ses médicaments, il y a eu des répercussions graves pour Alana et pour son développement.

[7]                 En réponse, semble-t-il, à la lettre du 3 décembre, le défendeur a différé le renvoi afin d'obtenir et d'examiner de l'information à jour sur l'état de santé d'Alana. Le 10 janvier 2002, en réponse à une demande effectuée par l'agente d'expulsion Yashmin Damji, le Dr Michel Lapointe, directeur, Opérations en matière de santé à l'étranger, Citoyenneté et Immigration Canada, a déclaré qu'il [TRADUCTION] « confirmait la disponibilité de soins médicaux appropriés pour l'enfant » . Le Dr Lapointe se fondait sur un message reçu du Dr Ballantyne par courrier électronique qui mentionnait qu'il y avait une pédiatre consultante au Kingstown General Hospital et qu'il était [TRADUCTION] « certain qu'elle était suffisamment compétente pour suivre ce cas » .

[8]                 Le 25 janvier 2002, le fiancé de la demanderesse, Elvis Bristol, a présenté une demande de parrainage visant la demanderesse. La demanderesse et ses enfants vivent avec M. Bristol.


[9]                 Le 5 février 2002 et le 12 mars 2002, la demanderesse s'est présentée à deux autres entrevues. Son renvoi était prévu pour le 25 mars 2002. Le 21 mars 2002, la demanderesse a présenté une demande afin que ce renvoi soit différé. Les questions suivantes étaient parmi les questions soulevées dans cette demande :

           ·           bien que les médicaments administrés à Alana soient en vente à Saint-Vincent, [TRADUCTION] « il est peu probable que sa mère ait les ressources financières suffisantes pour les acheter » ;

           ·           le père d'Alana [TRADUCTION] « n'apporte aucun soutien que ce soit » ;

           ·           [TRADUCTION] « étant donné que Mme John s'occupe elle-même d'administrer les médicaments à sa fille et de surveiller sa santé, il est essentiel qu'Alana reste avec sa mère » ;

           ·           si Alana déménageait à Saint-Vincent [TRADUCTION] « cela pourrait sans aucun doute menacer sa santé et sa qualité de vie » .

[10]            La demande a été refusée par l'agente parce qu'elle n'était pas d'avis qu'[TRADUCTION] « un report de l'exécution de la mesure de renvoi était approprié selon les circonstances de la présente affaire » .

Les questions en litige

[11]            Les questions en litige soulevées dans la présente demande peuvent être énoncées comme suit :

           1.         L'agente a-t-elle, selon la preuve dont elle disposait, exercé comme il se doit son pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle a refusé de différer le renvoi?


           2.         Les droits garantis à la demanderesse mineure par l'article 7 sont-ils en cause dans la présente demande et, si oui, l'agente a-t-elle­ exercé son pouvoir discrétionnaire conformément à l'article 7 selon ce qu'exige la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte)?

Analyse

[12]            Pour les motifs ci-après énoncés, je suis d'avis que la présente demande devrait être rejetée.

Première question en litige : L'agente a-t-elle, selon la preuve dont elle disposait, exercé comme il se doit son pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle a refusé de différer le renvoi?

Les prétentions de la demanderesse


[13]            La demanderesse prétend que l'agente a omis, lorsqu'elle a décidé de refuser le report de l'exécution de la mesure de renvoi, de prendre en compte l'intérêt supérieur d'Alana comme l'exige l'arrêt de la Cour suprême du Canada Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Même si l'agente n'avait pas l'obligation de tenir une brève enquête sur les raisons d'ordre humanitaire dans le cadre de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, elle avait l'obligation de s'assurer que le renvoi ne menacerait pas la vie d'Alana. L'agente a omis de prendre en compte le fait que la demanderesse n'aurait pas de ressources financières suffisantes pour payer les médicaments d'Alana à Saint-Vincent, le fait qu'un changement de médicaments serait préjudiciable à Alana et le fait que la demanderesse n'avait pas résidence à Saint-Vincent et qu'elle serait incapable de s'occuper d'Alana. En outre, l'agente s'est uniquement fondée sur l'échange « cavalier » de messages, par courrier électronique, entre les médecins pour conclure qu'Alana pourrait recevoir des soins médicaux appropriés.

[14]            La demanderesse renvoie à la décision Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 3 C.F. 682 (1re inst.), dans laquelle M. le juge Pelletier a déclaré, au paragraphe 48, à l'égard du pouvoir discrétionnaire de différer, qu'on devrait « réserver l'exercice de ce pouvoir aux affaires où il y a des demandes ou procédures pendantes et où le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu'il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain » . La demanderesse prétend que, étant donné la gravité de l'état de santé d'Alana, il s'agissait de l'un de ces cas exceptionnels et l'agente avait l'obligation de s'assurer que le renvoi de sa fille ne menacerait pas sa vie.

Portée du pouvoir discrétionnaire de l'agente


[15]            Le point de départ de la présente analyse doit être l'examen de la nature du pouvoir discrétionnaire de l'agente de différer le renvoi. On doit se rappeler que le renvoi est habituellement la dernière de toutes les étapes de ce qui peut être une très longue procédure. L'article 48 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, prévoit simplement qu'une mesure de renvoi « est exécutée dès que les circonstances le permettent » .

[16]            M. le juge Nadon a apporté des précisions sur ces pouvoirs restreints des agents chargés du renvoi dans la décision Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 936 (1re inst.) (QL). Il a écrit ce qui suit au paragraphe 12 :

À mon avis, le pouvoir discrétionnaire que l'agent chargé du renvoi peut exercer est fort restreint et, de toute façon, il porte uniquement sur le moment où une mesure de renvoi doit être exécutée. En décidant du moment où il est « raisonnablement possible » d'exécuter une mesure de renvoi, l'agent chargé du renvoi peut tenir compte de divers facteurs comme la maladie, d'autres raisons à l'encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n'ont pas encore été réglées à cause de l'arriéré auquel le système fait face.

[17]            Comme il l'a été mentionné tant par le demandeur que par le défendeur, le juge Pelletier, dans la décision Wang, précitée, au paragraphe 48, a déclaré, à l'égard du pouvoir discrétionnaire de différer, qu'on devrait « réserver l'exercice de ce pouvoir aux affaires où il y a des demandes ou procédures pendantes et où le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu'il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain » . Cela signifie-t-il que l'agent chargé du renvoi a l'obligation, dès qu'on soulève la question d'une menace pour un enfant, citoyen canadien, de la personne qui doit être renvoyée, de s'assurer que le renvoi ne menacera pas la vie de l'enfant? Si oui, quelle est la portée de cette obligation?

[18]            La demanderesse s'appuie sur l'arrêt Baker, précité. Cependant, cet arrêt se situait dans un contexte d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Les commentaires du juge Nadon dans la décision Simoes, précitée, au paragraphe 11, sont plus directement pertinents lorsqu'il traite de l'application des obligations énoncées dans l'arrêt Baker, précité, aux décisions des agents chargés du renvoi. Il déclare ce qui suit :

À mon avis, l'arrêt Baker n'oblige pas l'agent chargé du renvoi à effectuer un examen approfondi de l'intérêt des enfants, et notamment du fait que les enfants sont Canadiens. Cela relève clairement du mandat d'un agent qui examine les raisons d'ordre humanitaire. « Inclure » pareil mandat au stade du renvoi donnerait en fait lieu à la présentation d'une demande préalable à la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, ce qui n'est pas, à mon avis, ce que la loi exige.

[19]            M. le juge McKeown a traité du pouvoir discrétionnaire d'un agent chargé du renvoi dans la décision Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l'Immigration), 2001 CFPI 1307, [2001] A.C.F. no 1802 (QL), dans laquelle il a déclaré que les pouvoirs de l'agent ne sont pas analogues à ceux d'un arbitre. Aux paragraphes 18 et 19, le juge McKeown a expliqué de la façon suivante le raisonnement sous-jacent de cette conclusion :

Je ne suis pas d'accord avec l'avocate du demandeur lorsqu'elle prétend que le pouvoir discrétionnaire conféré à un agent de renvoi en vertu de la Loi sur l'immigration actuelle est aussi étendu que celui qui était conféré à un arbitre par le paragraphe 27(3) et d'autres dispositions de la Loi sur l'immigration, S.C. 1976-77, ch. 52, et ses modifications. En conséquence, les décisions Prassad[c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560] et Nesha[c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1982] 1 C.F. 42 (1re inst.)], [...], ont peu d'incidence sur l'affaire dont je suis saisi.


Essentiellement, l'avocate du demandeur n'interprète pas correctement le régime créé par la Loi sur l'immigration actuelle, sous lequel c'est l'agent chargé de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire qui doit examiner tous les facteurs invoqués au soutien de cette demande, et non l'agent de renvoi. À mon avis, l'agent de renvoi peut se fonder sur ce que l'avocat du demandeur considère être le facteur prépondérant justifiant le report du renvoi. L'avocat doit choisir avec soin ce qu'il décide de soumettre à l'agent de renvoi. Je répète que la Loi actuelle ne confère pas à un agent de renvoi le pouvoir discrétionnaire de prendre en considération les différents facteurs d'ordre humanitaire lorsqu'il décide de reporter ou non le renvoi d'un demandeur.

[20]            Par conséquent, il n'y a vraisemblablement pas d'obligation pour l'agent chargé du renvoi de prendre en compte les facteurs d'ordre humanitaire, y compris la conséquence du renvoi pour l'enfant qui est un citoyen canadien. Une telle obligation pour l'agent chargé du renvoi, compte tenu qu'elle existe déjà à l'étape de la demande CH, constituerait un chevauchement inutile.

[21]            Quant à l'affaire qui m'est soumise, je remarque que la demanderesse a eu la pleine possibilité à l'étape de la demande CH de soumettre ses préoccupations relativement à sa fille. Sa demande CH a été rejetée et aucune demande de contrôle judiciaire n'a été présentée. L'état de santé d'Alana n'a pas changé et aucun élément de preuve qui n'aurait pas pu être soumis lors de la demande CH n'a été présenté à l'agente. Le résultat pratique d'accueillir la demande présentée par la demanderesse dans la présente affaire serait de donner à l'agent chargé du renvoi l'obligation de réviser la demande CH, ce qui constituerait non seulement un chevauchement inutile, mais obligerait l'agent chargé du renvoi à agir à la place du décideur de la demande CH. Par conséquent, je ne suis pas d'avis qu'il y avait une quelconque obligation pour l'agente de prendre en compte l'intérêt d'Alana dans les circonstances de la présente affaire.


[22]            Néanmoins, l'agente a pris une mesure de compassion exceptionnelle lorsqu'elle a différé le renvoi de la demanderesse afin d'examiner la disponibilité à Saint-Vincent de soins médicaux pour Alana. Si je tenais pour acquis qu'il existait une quelconque obligation pour l'agente, à mon avis, elle y a satisfait.

[23]            Normalement, une méthode raisonnable à l'égard de cette difficile question de l'examen de l'intérêt supérieur de l'enfant consisterait à considérer l'obligation comme un ensemble d'éléments homogènes. À une extrémité de cet ensemble, il y aurait l'analyse approfondie nécessaire dans le contexte d'une demande CH, selon la description contenue dans l'arrêt Baker, précité. À l'autre extrémité de cet ensemble, il y aurait une attention moins profonde, mais néanmoins marquée, accordée par le décideur à l'enfant touché par la décision. À mon avis, l'obligation, s'il en existait une, d'un agent chargé du renvoi d'examiner l'intérêt des enfants nés au Canada se situerait du côté de l'attention moins profonde de l'ensemble. Cette obligation serait compatible avec la nature de l'article 48 de la Loi sur l'immigration. Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles que le renvoi devrait être différé pour tenir compte des enfants d'une personne qui fait l'objet d'une mesure de renvoi et alors seulement dans la mesure où les facteurs n'ont pas pu être pris en compte à l'étape de la demande CH.


[24]            En outre, il m'apparaît que le fardeau de présenter des éléments de preuve convaincants au soutien du report, y compris, le cas échéant, des éléments de preuve touchant l'intérieur supérieur de l'enfant, appartient carrément à la personne qui tente d'obtenir un report. De vagues mentions de préoccupations financières ou des prétentions non corroborées à l'égard du fait qu'il n'y a pas d'autres personnes susceptibles de s'occuper des enfants ne devraient pas être suffisantes et de façon certaine, à mon avis, n'ont pas pour effet de transférer à l'agent le fardeau de faire des enquêtes et d'autrement dénicher de meilleurs renseignements.

[25]            Dans la présente affaire, le facteur primordial garantissant le report était, à mon avis, la disponibilité de soins médicaux pour Alana. La preuve démontre clairement que la plus grave menace pour Alana surviendrait si elle ne pouvait pas continuer à prendre ses médicaments. Comme il est énoncé dans la lettre du Sick Children's Hospital, [TRADUCTION] « Alana est actuellement bien traitée au moyen d'hydrocortisone. [...] 7 mg trois fois par jour » . L'agente a confirmé qu'il y avait une pédiatre capable de traiter Alana et que les mêmes médicaments que ceux qui ont été mentionnés par les spécialistes du Sick Children's Hospital sont en vente à Saint-Vincent. Bien que la demanderesse ait soulevé d'autres facteurs dans sa demande de report du renvoi du 21 mars, elle n'a pas contesté le fait que les médicaments ou les soins dont sa fille avait besoin étaient offerts à Saint-Vincent.


[26]            Je ne crois pas que l'agente, dont le rôle dans le processus d'ensemble d'immigration est limité, avait l'obligation d'aller plus loin. L'agente était convaincue que la vie d'Alana ne serait pas nécessairement menacée et qu'elle ne serait pas exposée à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain. Quoiqu'il puisse être plus difficile pour la demanderesse d'obtenir les soins médicaux nécessaires pour Alana et quoique le déménagement de sa fille à Saint-Vincent puisse entraîner un préjudice financier ou un autre préjudice, on ne peut pas considérer que ces difficultés soient l'équivalent d'un préjudice subi par un demandeur qui affirme que sa vie « serait menacée ou qu'il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain » . De toute façon, la demanderesse a le choix de laisser Alana aux soins d'amis ou de parents au Canada pour qu'elle puisse continuer à recevoir des soins médicaux au Sick Children's Hospital.

[27]            À mon avis, l'agente a agi de façon raisonnable lorsqu'elle a tenu les enquêtes appropriées et lorsqu'elle a prévu le renvoi seulement après avoir obtenu la confirmation que les soins médicaux étaient offerts à Saint-Vincent pour Alana. Si l'agente avait une telle obligation d'examiner l'intérêt d'Alana, sa décision était compatible avec la norme à laquelle je m'attendrais d'un agent chargé du renvoi qui a agi dans les limites de son mandat.

Deuxième question en litige : Les droits garantis à la demanderesse mineure par l'article 7 sont-ils en cause dans la présente demande et, si oui, l'agente a-t-elle­ exercé son pouvoir discrétionnaire conformément à l'article 7 selon ce qu'exige la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte)?

Les prétentions de la demanderesse


[28]            Selon les prétentions de la demanderesse, le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité garanti à Alana par l'article 7 de la Charte est en cause dans la présente procédure d'expulsion. La décision de l'agente de renvoyer la demanderesse sans prendre en compte de façon appropriée la menace qui résulterait d'un tel renvoi pour sa fille n'est pas compatible avec les principes de justice fondamentale (voir la décision Romans c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 740 (1re inst.) (QL), et l'arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307).

[29]            Selon les faits particuliers de la présente affaire, la demanderesse prétend que l'action gouvernementale - le renvoi de la mère - prive Alana de soins médicaux ou des soins de sa mère. Par conséquent, en renvoyant de force la demanderesse du Canada, l'agente prive la demanderesse mineure de son droit fondamental à la vie, à la liberté et à la sécurité d'une personne prévu à l'article 7 de la Charte. Notamment, la mesure d'expulsion menace la vie d'Alana étant donné que si elle ne reçoit pas de soins médicaux, sa vie est menacée en raison de sa maladie. La preuve établit clairement qu'Alana a besoin de soins médicaux afin d'avoir un développement mental et physique approprié et que l'absence de ces soins menace sa vie et compromet sa santé. En expulsant la demanderesse à Saint-Vincent, où la vie de l'enfant est menacée compte tenu de son état de santé et de l'impossibilité de recevoir des soins appropriés, le Canada est directement responsable et il est le lien nécessaire dans la chaîne de causalité de résultat éventuel, qui est la violation du droit d'Alana prévu à l'article 7 de la Charte.


[30]            La demanderesse prétend en outre que la décision de la renvoyer du Canada doit être prise conformément à la justice fondamentale qui est établie non seulement par la jurisprudence et l'expérience canadiennes, mais aussi par le droit international (voir l'arrêt Baker, précité, et l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CSC 1, [2002] A.C.S. no 3 (QL)). Après avoir établi que les droits garantis par l'article 7 de la Charte sont en cause, l'agente avait l'obligation d'exercer son pouvoir discrétionnaire conformément aux principes de justice fondamentale et d'évaluer comme il se doit la nouvelle preuve à l'égard de l'impossibilité de recevoir des soins médicaux. L'agente a omis de le faire et sa décision de ne pas différer le renvoi a été prise en violation de l'article 7 de la Charte et elle ne peut être retenue.

Analyse

[31]            Il est bien établi que la Charte peut être appliquée aux décisions des tribunaux dans certaines circonstances. M. le juge Bastarache, au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Blencoe, précité, au paragraphe 35, a déclaré que « [l]'organisme qui exerce un pouvoir conféré par une loi est assujetti à la Charte même s'il peut être indépendant du gouvernement » . La demanderesse voudrait que la Cour étende l'application de la Charte pour l'appliquer à une personne à charge de la personne qui fait l'objet de la mesure de renvoi dans les cas où cette personne à charge ne fait pas l'objet de la mesure de renvoi.


[32]            Dans l'arrêt Langner c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 469 (C.A.) (QL), la Cour d'appel fédérale a statué qu'il n'y avait pas d'action gouvernementale dans la décision rendue à l'égard de la question de savoir si les enfants nés au Canada devaient accompagner leurs parents qui étaient expulsés vers la Pologne ou rester au Canada. Il s'agissait plutôt d'une décision personnelle des parents et la Charte ne pouvait pas s'appliquer. La Cour a confirmé à plusieurs reprises que le fait d'avoir des enfants canadiens ne confère pas aux parents de droits en vertu de la Charte de rester au Canada et que ces enfants n'ont pas de droits en vertu de la Charte d'exiger que le gouvernement canadien n'applique pas à leurs parents les sanctions prévues pour la violation de la loi canadienne d'immigration (voir les arrêts Naredo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 867 (C.A.) (QL), et Alouache c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 562 (C.A.) (QL)).

[33]            La demanderesse tente de faire une distinction entre sa situation et la jurisprudence en se fondant sur l'état de santé d'Alana. Essentiellement, la demanderesse prétend qu'elle est la seule personne à s'occuper d'Alana et que l'état de santé de sa fille nécessite une attention et des soins médicaux constants. La note du Hospital for Sick Children mentionne que dans [TRADUCTION] « le passé, lorsque d'autres personnes se sont occupées de lui administrer ses médicaments, il y a eu des répercussions graves pour Alana et pour son développement » . Par conséquent, la demanderesse prétend qu'elle est la seule personne pouvant s'occuper d'Alana et que son expulsion est en réalité une expulsion d'Alana.


[34]            À mon avis, cette prétention ne peut pas être retenue. Selon les faits de la présente affaire, Alana pourrait éviter de se rendre à Saint-Vincent ou si elle s'y rend elle pourrait y recevoir des soins médicaux appropriés. La demanderesse a effectivement un choix à l'égard de sa fille : Alana pourrait se rendre à Saint-Vincent avec sa mère et y recevoir des soins médicaux ou elle pourrait être confiée à la soeur de la demanderesse, aux deux enfants plus âgés de la demanderesse ou à M. Bristol, le fiancé de la demanderesse, et continuer à être suivie au Hospital for Sick Children à Toronto. [TRADUCTION] « [D]es répercussions graves pour Alana et pour son développement » comme celles qu'elle a subies dans le passé n'établissent pas, à mon avis, qu'elle aura des problèmes à l'avenir, en particulier si les adultes qui s'intéressent à sa santé prennent les mesures pour s'assurer que le passé ne se répète pas.

[35]            De toute façon, les actions de l'État ne privent pas Alana de l'obtention de soins médicaux appropriés. La seule mention directe à des soins médicaux dans la lettre du Sick Children's Hospital est une mention d'un médicament en particulier. Ce médicament est en vente à Saint-Vincent. Je ne souscris pas à la prétention de la demanderesse selon laquelle la preuve établit qu'elle n'aurait pas les ressources financières suffisantes pour payer le coût élevé des médicaments à Saint-Vincent. La seule mention quant aux ressources financières est une déclaration très générale dans la demande datée du 21 mars selon laquelle [TRADUCTION] « il est peu probable que la mère aura les ressources financières suffisantes pour acheter [les médicaments] » . Absolument rien n'appuie cette déclaration. Bien que le niveau des soins offerts par un établissement comme le Sick Children's Hospital soit probablement plus élevé et bien que ces soins soient plus abordables, je ne suis pas d'avis qu'Alana a un droit en vertu de la Charte de recevoir des soins à cet hôpital en particulier.

[36]            La décision de se rendre à Saint-Vincent avec Alana ou de laisser Alana au Canada est une décision qui sera prise par la demanderesse elle-même. Par conséquent, la présente affaire ne peut pas être distinguée de l'arrêt Langner, précité, et de la jurisprudence de la Cour qui a suivi cet arrêt. Les droits garantis à Alana par l'article 7 de la Charte ne sont pas en cause selon les faits de la présente affaire.

[37]            Compte tenu de ma conclusion selon laquelle les droits garantis à Alana par l'article 7 de la Charte ne sont pas en cause selon les faits de la présente affaire, il n'est pas nécessaire de traiter de la question de savoir si la décision de renvoyer la demanderesse a été prise conformément à la justice fondamentale.

Question soumise aux fins de la certification

[38]            La demanderesse soumet aux fins de la certification la question suivante :

[TRADUCTION]

Compte tenu de l'arrêt Blencoe, précité, les droits garantis à un enfant canadien par l'article 7 de la Charte sont-ils en cause lors de l'expulsion du parent de l'enfant dans une situation où le bien-être de l'enfant serait menacé?


[39]            Je tiens pour acquis que la mention par la demanderesse de l'expression [TRADUCTION] « bien-être de l'enfant serait menacé » se rapporte à une situation dans laquelle l'enfant serait exposé à un préjudice grave. Selon les faits de la présente affaire, je ne suis pas convaincue qu'Alana serait exposée à une menace qui soulèverait cette question. Par conséquent, je refuse de certifier cette question, bien que je souscrive à l'opinion que, selon des faits différents, ce pourrait être une question à examiner plus à fond.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

« Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                               IMM-1341-02

INTITULÉ :                              DENISE VERONICA JOHN ET ALANA JOHN

REPRÉSENTÉE PAR SA TUTRICE À L'INSTANCE

DENISE VERONICA JOHN

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                            

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 19 MARS 2003

MOTIFS DE

L'ORDONNANCE :             LE JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :           LE 10 AVRIL 2003

COMPARUTIONS :

                                                   LORNE WALDMAN

POUR LES DEMANDERESSES

ANGELA MARINOS

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS

AU DOSSIER :                                                 

LORNE WALDMAN

AVOCAT

WALDMAN & ASSOCIÉS

281, AVENUE EGLINTON EST

TORONTO (ONTARIO)    M4P 1L3

POUR LES DEMANDERESSES

MORRIS ROSENBERG

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

BUREAU RÉGIONAL DE L'ONTARIO

TOUR EXCHANGE

130, RUE KING OUEST

BUREAU 3400, CASE POSTALE 36

TORONTO (ONTARIO)    M5X 1K6

POUR LE DÉFENDEUR

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