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Date : 20030203

Dossier : T-2030-02

Référence neutre : 2003 CFPI 117

ENTRE :

                                                                    JOHN DOE

                                                                                                                                      demandeur

                                                                            et

                                       LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                        défendeur.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                 Le demandeur a obtenu des ordonnances de confidentialité à diverses occasions. Les ordonnances comportaient diverses modalités mais il ne s'agissait jamais d'ordonnances globales.

[2]                 Par la présente requête, le demandeur souhaite protéger davantage son identité. Il souhaite que tous les noms, y compris le sien, ainsi que les lieux, dates et fonctions qui permettraient de l'identifier dans toute autre ordonnance relative à la présente affaire, soient retirés de tous les dossiers médicaux. Il demande également l'autorisation d'utiliser un pseudonyme dans les affidavits et que le dossier complet de la Cour fédérale soit scellé afin d'empêcher que le public y ait accès.

[3]                 Accorder pareille ordonnance de confidentialité globale créerait une situation qui ne s'est pas produite depuis le XVIIe siècle, quand la Cour de la Chambre étoilée imposait le secret, et donnerait lieu à une procédure tellement restrictive potentiellement pour le défendeur qu'elle évoquerait l'oppression qui régnait à la Cour de la Chambre étoilée. Une dissimulation aussi totale ne sera assurément pas autorisée dans le cadre de la présente instance, parce que la Cour fédérale n'agit pas dans le secret, sauf s'il s'agit de cas particuliers ou de circonstances exceptionnelles. Monsieur le juge Rothstein, alors juge à la Section de première instance, a conclu ce qui suit dans Sulco Industry Ltd. c. Jim Scharf Holdings Ltd. (1997), 69 C.P.R. (3d) 71 à 73 :

Les procédures de la Cour ne sont pas secrètes. Des exceptions particulières portant, par exemple, sur des secrets commerciaux ou d'autres types de renseignements confidentiels peuvent exiger une ordonnance de mise sous scellés, mais la Cour doit être prudente dans l'émission de telles ordonnances.

[4]                 J'ajouterais que le fait qu'un document contienne présumément des renseignements délicats, préjudiciables ou gênants ne constitue pas non plus une exception ou une circonstance justifiant une ordonnance de mise sous scellés et il ne s'ensuit pas nécessairement que le public ne peut avoir accès à ce document ou que les dossiers médicaux doivent être épurés, ce qui porterait préjudice au défendeur. Il faut plus qu'une généralisation de ce genre pour justifier que des documents soient gardés secrets. Il doit y avoir une preuve valable que leur divulgation serait dommageable et il revient à la partie qui demande la confidentialité d'en faire la preuve. L'élément de preuve peut alors être soupesé en regard des droits de l'autre partie et de l'intérêt public.

[5]                 En l'espèce, l'affidavit du demandeur déposé à l'appui de sa requête de confidentialité totale ne contient presque exclusivement que la chronologie des nombreuses maladies dont il a souffert, des soins qu'il a reçus, d'anciennes poursuites en justice, des procédures et ordonnances dont il a fait l'objet, des échanges qu'il a eu avec le greffe de la Cour fédérale, ainsi que de ses comparutions devant les tribunaux. Le seul paragraphe de l'affidavit à avoir une quelconque incidence sur le caractère préjudiciable de la divulgation est le paragraphe 53 :

[traduction]

ATTENDU QUE le demandeur craint que la publication de son identité et de son dossier médical, lequel résulte du stress lié à ses fonctions au sein de la GRC, ait mis et mette sérieusement en cause ses chances de trouver un emploi ayant un lien entre ses antécédents, ses connaissances, son éducation et son expérience.

[6]                 Ni ce paragraphe, ni le reste du matériel documentaire ne contient de précisions sur ce que sont les aspirations du demandeur en matière d'emploi, ses antécédents, ses connaissances, son niveau d'éducation, son expérience ou toute autre preuve de fait démontrant soit à quel point une divulgation relativement discrète pourrait être préjudiciable, soit qu'il pourrait y avoir des circonstances particulières justifiant une ordonnance de mise sous scellés.

[7]                 Le défendeur fait valoir que circonscrire ce que pourrait contenir une ordonnance de la Cour reviendrait à entraver l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour quand elle formule des ordonnances. À cet égard, il convient de faire une objection similaire concernant l'entrave à l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans la formulation des motifs prononcés.

[8]                 Monsieur le juge Pelletier, alors juge à la Section de première instance, a abordé cette question dans Sierra Club of Canada c. Canada (Ministre des Finances), [2000] 2 C.F. 423 à 425. Il a souligné que les ordonnances de confidentialité visent à protéger les renseignements confidentiels concernant les parties, mais que si les motifs ne renferment aucun renseignement confidentiel, la Cour n'a aucune raison de ne pas les verser au dossier public. En l'occurrence, je me suis abstenu de rendre une ordonnance voulant que les ordonnances et les motifs de la Cour ne soient pas versés au dossier public. Il revient à tout juge et à tout protonotaire qui traite ce dossier de faire preuve d'autant de discrétion qu'il ou elle juge nécessaire dans la formulation de ses ordonnances et de ses motifs. Arriver à toute autre conclusion serait non seulement présomptueux, mais serait également entraver le pouvoir discrétionnaire de la Cour.

[9]                 Pour ce qui est de mettre l'ensemble de ce dossier sous scellés, je mentionnerai à nouveau le point de vue du juge Rothstein énoncé dans l'affaireSulco, précitée, selon lequel la Cour ne fonctionne pas en secret. Mettre un dossier sous scellés peut s'avérer approprié, par exemple quand il s'agit de dossiers criminels de mineurs, mais pareille ordonnance dans le cadre d'un contrôle judiciaire doit être extrêmement rare. Le demandeur n'a pas réussi à me convaincre que la situation actuelle constitue une exception à la règle générale voulant que les instances de la Cour fédérale soient publiques.


[10]            Dans un mémoire ne faisant pas l'objet d'un affidavit, le demandeur affirme que l'utilisation de son vrai nom dans le présent litige compromettrait son emploi, ainsi que sa santé physique et mentale. Or, tout litige comporte ce genre de risque. Le demandeur précise que dans un autre contexte, les renseignements médicaux qui figureront au dossier seraient considérés comme des renseignements médicaux confidentiels. Pourtant, c'est bel et bien le demandeur qui a choisi de soulever la question. Bien souvent, les litiges sont source de stress et, dans une certaine mesure, d'embarras et ils ont un impact sur la vie personnelle et professionnel du plaideur. Mais il faut également tenir compte des droits du défendeur et de la Cour à une procédure adéquate, y compris la pleine divulgation des renseignements. Comme je l'ai dit, le matériel que le demandeur a soumis est à la fois verbeux et peu étoffé en détails fournis sous serment et il ne contient rien qui dicte un traitement confidentiel.

[11]            Finalement, afin de garantir l'intégrité du processus judiciaire de cette Cour, je n'autoriserai pas le demandeur à déposer des affidavits en se servant d'un pseudonyme. Même si l'idée de l'utilisation d'un pseudonyme n'est pas examinée à fond dans le requête ou dans le matériel documentaire, les parties pourraient établir une procédure permettant au demandeur de fournir un affidavit en bonne et dûe forme qui serait signifié et déposé à la Court dans une annexe confidentielle et de fournir une copie distincte de l'affidavit, avec la signature « John Doe » , en caractères d'imprimerie, que la Cour conserverait dans le dossier public. Toute procédure relative à un deuxième dossier parallèle distinct mais confidentiel dans lequel les affidavits portant le vrai nom du demandeur seraient conservés nécessiterait l'approbation de la Cour. Toutefois, ordonner pareille procédure dépasse ce qui est sollicité dans le cadre de la présente requête.

[12]            L'autre solution voulant que le vrai nom du demandeur soit retiré des affidavits à la fin de l'instance est prématurée. Si, à la fin de l'instance et, le cas échéant, après que ces appels ont été entendus, le demandeur n'est pas à l'aise quant au fait que les affidavits déposés auprès de la Cour portent son vrai nom ou permettent d'une façon ou d'une autre de l'identifier, il peut notamment demander que les documents soient retirés, conformément au paragraphe 26(2) des Règles.

        « John A. Hargrave »             

                                                                                                     Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 3 février 2003

Traduction certifiée conforme

Josette Noreau, B.Tra.


                                                COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE SANS COMPARUTION DES PARTIES

DOSSIER :                                                    T-2030-02

INTITULÉ :                                                    John Doe c. Le procureur général du Canada

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Le protonotaire Hargrave

DATE :                                                            Le 3 février 2003

OBSERVATIONS ÉCRITES :

John Doe                                                        LE DEMANDEUR pour son propre compte

Camille N. Audain                                          POUR LE DÉFENDEUR                 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Doe                                                        LE DEMANDEUR pour son propre compte

Edmonton (Alberta)

Morris A. Rosenberg                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Edmonton (Alberta)


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