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Date : 20030424

Dossier : IMM-2957-02

Référence neutre : 2003 CFPI 508

Toronto (Ontario), le jeudi 24 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                              OMAR ALEXANDER MERINO SORIANO

                                                                                                                                                      demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SAI) en date du 14 juin 2002, par laquelle elle a refusé de surseoir à l'exécution d'une mesure de renvoi prise contre le demandeur en date du 23 août 1999.

[2]                 Le demandeur est un citoyen du Salvador qui est arrivé au Canada en 1992 à l'âge de quinze ans et qui est devenu résident permanent en 1995. En 1998, le demandeur a été reconnu coupable d'agression sexuelle et condamné à une peine de douze mois d'emprisonnement et trois ans de probation. La mesure de renvoi sous étude par la SAI a été prise en raison de cette déclaration de culpabilité. Il est admis qu'au moment de l'audience devant la SAI, le demandeur faisait l'objet d'une mesure de renvoi vers le Salvador qui ne pouvait être exécutée; la mesure de renvoi ne pouvait être exécutée parce que le statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur exigeait que le défendeur prenne d'autres mesures afin qu'elle puisse être exécutée. Ce que l'on doit retenir de l'existence de cette mesure de renvoi, est que, au moment où la SAI a étudié l'appel du demandeur, on a établi que le pays du renvoi était le Salvador.

[3]                 La SAI a conclu qu'il n'y avait aucune raison de surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi. La SAI a conclu que le demandeur est un délinquant sexuel qui n'a pas reçu de soins, qui n'a pas suivi de thérapie pour délinquants sexuels ou pour alcooliques, et qu'en toute probabilité, il récidivera.

[4]                 Je conclus que la décision de la SAI constitue un manquement à la justice naturelle. À mon avis, pour les motifs qui suivent, la SAI a commis une erreur en ne donnant pas au demandeur l'entière possibilité de fournir des éléments de preuve pertinents au soutien de son appel.

[5]                 La demande du demandeur devant la SAI a été faite en vertu de l'alinéa 70(1)b) de la Loi sur l'immigration qui lui permet de plaider que « eu égard aux circonstances particulières de l'espèce » , il ne devrait pas être renvoyé du Canada. Il est reconnu que la SAI a l'obligation de tenir compte du préjudice qui serait causé au demandeur dans l'éventualité de son renvoi au Salvador. La divergence d'opinions entre le demandeur et le défendeur concerne les éléments de preuve qui peuvent être fournis au soutien de l'argument du préjudice.

[6]                 Il est admis que dans la présente affaire, la SAI doit tenir compte du fait que le demandeur est un réfugié au sens de la Convention. Toutefois, je suis d'accord avec la thèse du défendeur selon laquelle, dans l'étude de l'éventualité d'un préjudice, la SAI ne peut tirer une conclusion fondée sur les motifs applicables aux réfugiés au sens de la Convention. Par cela je veux dire que la SAI ne peut prétendre agir comme le ferait la SSR dans la détermination du risque de persécution à partir de l'ensemble de la preuve présentée en vertu de l'alinéa 70(1)b). Cette limite est établie par l'arrêt de la Cour suprême du Canada Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, où le juge Iacobucci dit ceci au paragraphe 84 :


Seule la S.S.R. a compétence pour déterminer qu'un individu est un réfugié au sens de la Convention. La S.A.I. ne peut pas le faire, et elle ne le fait pas non plus lorsqu'elle exerce son pouvoir discrétionnaire pour autoriser un résident permanent frappé de renvoi à demeurer au Canada. Lorsqu'elle exerce son pouvoir discrétionnaire, la S.A.I. n'applique pas directement la Convention de Genève 1951, qui protège les individus contre la persécution fondée sur la race, la religion, la nationalité, l'appartenance à un groupe social particulier et les opinions politiques. Elle examine plutôt une vaste gamme de facteurs, dont plusieurs sont étroitement liés à l'individu frappé de renvoi comme les considérations relatives à la langue, à la famille, à la santé et aux enfants. Même lorsqu'elle examine la situation du pays, la S.A.I. peut tenir compte de facteurs, comme la famine, qui ne sont pas pris en considération par la S.S.R. pour déterminer si un individu est un réfugié au sens de la Convention. Dans sa décision finale sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, la S.A.I. soupèse ces préoccupations relatives à la situation à l'étranger par rapport aux considérations intérieures. En raison de cet exercice global de pondération, les protections offertes aux résidents permanents non réfugiés sont d'une nature différente de celles accordées aux réfugiés au sens de la Convention. À ce sujet, je répète que seuls les réfugiés sont protégés contre le refoulement, en vertu de l'article 33 de la Convention de Genève de 1951 (appliquée en droit canadien par l'article 53 de la Loi).

[7]                 Toutefois, je suis d'accord avec le demandeur que, contrairement à une conclusion basée sur des motifs applicables à un réfugié au sens de la Convention, la situation sociale, économique et politique à laquelle le demandeur sera confronté dans l'éventualité de son retour au Salvador fait partie de la preuve en matière de préjudice. À mon avis, la SAI a l'obligation de tenir compte des éléments de preuve ayant trait à la réalité de la situation.

[8]                 Dans la présente affaire, la SAI a entendu le témoignage de la tante du demandeur. Selon elle, advenant le renvoi du demandeur au Salvador, il risquerait, à titre de criminel reconnu, d'être perçu comme membre d'une bande et, par conséquent, risquerait d'être tué par les escadrons de la mort. À l'audience de la SAI, l'avocat du demandeur a tenté de déposer une preuve documentaire au soutien du témoignage de la tante. Bien que la situation au Salvador ait été soulevée par le témoignage de la tante, la SAI n'a pas accepté la preuve documentaire soumise; en effet, la SAI s'est fondée sur le fait qu'elle n'avait pas le droit de tenir compte d'un tel élément de preuve parce que, dans l'examen du préjudice, elle ne pouvait tenir compte des motifs applicables aux réfugiés au sens de la Convention. À cet égard, je conclus que la SAI a commis une erreur.

[9]                 Il se peut très bien que la SAI ait tiré une bonne conclusion en droit quand elle a rejeté cet élément de preuve pour les motifs qu'elle a donnés sur la question de réfugié au sens de la Convention. Cependant, j'estime que de ne pas admettre cet élément de preuve pour démontrer la situation d'anarchie à laquelle le demandeur sera confronté au Salvador advenant son renvoi, constitue un déni de justice naturelle.

[10]            Sur le plan de la pertinence, je ne vois aucune distinction entre une situation anarchique et la conclusion que tire le juge Iacobucci selon laquelle la famine pourrait être une considération pertinente devant la SAI. À mon avis, les conditions reliées à la situation dans un pays qui peuvent créer un préjudice pour le demandeur sont pertinentes; il incombe à la SAI de décider du poids à accorder aux éléments de preuve.

[11]            Pour ces motifs, je conclus que l'avocat du demandeur était en droit de soumettre la preuve documentaire avancée au soutien du témoignage de la tante, et qu'il n'aurait pas dû être restreint dans sa tentative de le faire. Je conclus que cette restriction constitue un déni de justice naturelle.


                                           ORDONNANCE

Par conséquent, j'annule la décision de la SAI et je renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l'affaire.

Puisque la présente ordonnance concerne une question de preuve, je conclus qu'il n'y a aucune question de preuve à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.

                                                                                                                   


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      IMM-2957-02

INTITULÉ :                                                                   OMAR ALEXANDER MERINO SORIANO

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le mercredi 23 mars 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                   le juge Campbell

DATE DES MOTIFS :                                                  le jeudi 24 avril 2003

COMPARUTIONS:             

Rocco Galati                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Marcel Larouche                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:      

Galati, Rodrigues, Azevedo & Associates                       POUR LE DEMANDEUR                    

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LE DÉFENDEUR


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

         Date : 20030424

        Dossier : IMM-2957-02

ENTRE :

OMAR ALEXANDER MERINO SORIANO

                                             demandeur

-et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                défendeur

                                                                                     

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                      

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