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Date : 20031031

Dossier : IMM-4563-01

Référence : 2003 CF 1277

Ottawa, (Ontario) le 31ième jour d'octobre 2003

Présent(e) : L'honorable François Lemieux

ENTRE :

                                                           ENAMUL HUQUE QUAZI

                                                                                                                             Partie demanderesse

                                                                                  et

                                               LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                             ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                               Partie défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Enamul Huque Quazi (le « demandeur » ) est un citoyen du Bangladesh qui fut refusé reconnaissance comme réfugié et qui, par la suite, le 24 septembre 2000, dépose une demande de résidence permanente parrainée par son épouse avec demande de dispense de visa pour motifs humanitaires, sous l'article 114 de l'ancienne Loi sur l'immigration.

[2]                 Une des prétentions principales soulevées par le demandeur dans sa demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision du 13 septembre 2001 rendue par le Conseiller en immigration, Maurice Groulx (le « tribunal » ), refusant sa demande de dispense de visa, vise le manque d'équité procédurale reçu durant les entrevues accordées par le tribunal.

[3]                 Ce qui est malheureux dans ce dossier est l'absence d'un affidavit de M. Groulx contredisant les allégués du demandeur et de son épouse sur comment leurs entrevues se sont déroulées. De plus, le défendeur n'a pas déposé un affidavit certifiant l'intégrité des notes que M. Groulx a inscrites à la main ou son compte-rendu informatisé.

[4]                 Le tribunal était d'avis qu'il devait rencontrer le demandeur et son épouse au motif:

Entrevues séparées. Entrevue nécessaire parce que les conjoints se sont rencontrés un mois après l'arrivée du requérant au Canada et se sont mariés quelques mois avant l'audition et la décision de la CISR. Lors de l'audition, la FRP mentionnait que le requérant était toujours célibataire et non pas marié. Il existait des doutes sur la bonne foi du mariage.                      L'entrevue s'est passée en anglais, la langue commune aux deux conjoints. Je voulais connaître le degré de connaissance d'un conjoint sur l'autre conjoint. [dossier du tribunal, page 7]

[5]                 Dans sa décision du 13 septembre 2001, le tribunal conclut que le mariage n'est pas de bonne foi et que M. Quazi a épousé Mme Bibiana Gongora de Guzman dans le seul but d'obtenir la résidence canadienne.


[6]                 Deux affidavits ont été déposés par le demandeur à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire: le sien et celui de son épouse.

[7]                 Je reproduis les allégués principaux que l'on voit dans l'affidavit de Mme de Guzman sur ce qui s'est déroulé durant son entrevue avec le tribunal:

3-              On August 8th around four pm I have received a message by phone at home from Mr. Groulx asking us to call him back;

4-              We did so and he told us to come at his office to meet him the next day at 9:00 am;

5-             Mr. Groulx didn't say the purpose of this interview in his phone call to my husband and, as my husband told me, I sincerely believe that he had asked if we were still together and if I was pregnant and my husband answered yes to the first question and no to the second;

6-              I went with my husband at his office on August 9th and Mr. Groulx came to see us at the reception entry asking me to follow him;

7-              When I was walking with him alone to reach his office Mr Groulx told that he had a problem with the identity of my husband;

8-              . . .

9-             He didn't inform me of the issues or problems concerning our request for exemption of Immigrant visa requirement or concerning my application to sponsor except concerning the identity of my husband;

10-            Then I undergo the interview without knowing that the officer was suspecting our marriage to be one of convenience because of my recent divorce or for any other reasons;

11-           In consequences I proceed to this interview without knowing what I should prove before the officer or what was in issue before him;

12-           . . .

13-           I didn't have the opportunity to explain to the officer that I was separated since more than five years ago and to provide proof if necessary;


. . .

18-           In this decision the officer don't remember my answers about and didn't take in account this explanation.

22-           I have provided to the officer a lot of details concerning the life of my husband in his country, with his family, occupation and education and so on.

23-           During the interview the officer was not taking notes of all my answers;

. . .

27-           I didn't say to the officer that my husband travelled on his own name;

28-           What I have said to the officer was that my husband travelled with a passport provided by a person who helped him from Bangladesh for money; [je souligne]

[8]                 Voici ce que le demandeur dépose dans son affidavit quant au déroulement de son entrevue avec le tribunal:

7-             M. Groulx m'a alors demandé de me présenter à son bureau le lendemain sans me dire l'objet.

8-             Je me suis présenté avec ma femme au bureau de CIC le 9-08-2001 et j'avais pris le soin d'amener nos photos de mariage, de vie commune, bail etc...;

9-             . . .

10-            À cette occasion, ni plus tard d'ailleurs, M. Groulx ne nous a pas donné d'indications quant à la raison d'être ou l'objet de l'entrevue, exception faite de la preuve de mon identité;

11-           En effet, M. Groulx nous a laissé croire qu'une décision favorable ne dépendait que de la preuve satisfaisante de mon identité;

12-           . . .

13-           Après l'entrevue de mon épouse, l'agent m'a demandé de le suivre à son bureau;


14-           Il a alors commencé à me questionner sur le début de ma relation avec mon épouse, notre première rencontre, nos relations subséquentes, notre décision de mariage pour ensuite aborder la question de mes pièces d'identité;

15-           Je dois préciser que l'agent n'écrivait pas toutes les réponses que je donnais lors de l'entrevue qui n'a pas commencé par les documents d'identité . . .;

. . .

29-           De plus, l'agent ne m'a jamais demandé d'expliquer pourquoi le FRP que j'ai signé en 1998 ne mentionnait pas mon état matrimonial depuis 2000;

. . .

34-           L'agent a refusé de regarder les documents que j'avais amenés soit les photos de notre vie famille, rapports d'impôt, différentes factures démontrant notre vie commune etc. . . .en me disant que ce n'était pas nécessaire, me laissant entendre que la bonne foi de mon mariage était non contestée;

35-            L'agent n'a pas considéré ces preuves; [je souligne]

[9]                 L'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Mavis Baker c. le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817, est pertinente en l'espèce puisque la décision examinée par cette Cour avait été rendue par un agent d'immigration sur une demande de Mme Baker d'être dispensée de faire sa demande de résidence permanente de l'extérieur du Canada pour des raisons d'ordre humanitaire.

[10]            Je retiens les principes suivants énoncés dans l'arrêt Baker, précité:

1)         l'obligation d'équité procédurale s'applique aux décisions d'ordre humanitaire rendues par un agent d'immigration;


2)         la notion d'équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier dans chaque cas [paragraphe 21 du jugement du juge L'Heureux-Dubé];

3)         "Les valeurs qui sous-tendent l'obligation d'équité procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d'un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision. [paragraphe 28 de la décision du juge L'Heureux-Dubé]. [je souligne]

4)         Prenant en considération les facteurs qu'elle a énoncés, le juge L'Heureux-Dubé conclut au paragraphe 32 que le contenu de l'obligation d'équité procédurale n'est pas simplement minimal. Voici ce qui est dit par le juge L'Heureux-Dubé:

¶ 32       Pondérant ces facteurs, je ne suis pas d'accord avec la conclusion de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Shah, précité, à la p. 239, que l'obligation d'équité dans ces circonstances est simplement "minimale". Au contraire, les circonstances nécessitent un examen complet et équitable des questions litigieuses, et le demandeur et les personnes dont les intérêts sont profondément touchés par la décision doivent avoir une possibilité valable de présenter les divers types de preuves qui se rapportent à leur affaire et de les voir évalués de façon complète et équitable.

¶ 33       Toutefois, on ne peut pas dire non plus qu'une audience est toujours nécessaire pour garantir l'audition et l'examen équitables des questions en jeu. La nature souple de l'obligation d'équité reconnaît qu'une participation valable peut se faire de différentes façons dans des situations différentes. La Cour fédérale a statué que l'équité procédurale n'exige pas la tenue d'une audience dans ces circonstances: voir, par exemple, Said, précité, à la p. 30. [je souligne]


5)         La norme de contrôle appropriée est celle d'une décision raisonnable simpliciter.

[11]            L'application des principes de l'obligation d'équité procédurale exige que je m'interroge si dans les circonstances et le contexte particulier, en l'espèce le demandeur, a pu bénéficier de l'équité procédurale afin d'avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement sa position et que la décision de l'agent a été prise à la suite d'un processus équitable, impartial et ouvert.

[12]            J'estime que le contexte dans lequel les entrevues ont eu lieu était particulier parce que ce que le Conseiller en immigration étudiait une demande de dispense qui ne soulevait pas nécessairement et directement la question de la bonne foi du mariage ce qui est le cas en application de l'article 4 de l'ancien Règlement sur l'Immigration de 1978, qui prévoyait que la catégorie de parent ne comprend pas le conjoint qui s'est marié principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada à titre de parent et non dans l'intention de vivre en permanence avec son conjoint. En autres mots, dans le contexte d'une demande de dispense, le demandeur ne pouvait pas raisonnablement envisager que la bonne foi de son mariage était en jeu. Cependant, c'est pour ce motif que le tribunal a décidé que ces entrevues étaient nécessaires et ceci dans le but limité comme le tribunal l'a dit « je voulais connaître le degré de connaissance d'un conjoint sur l'autre conjoint » .

[13]            Est-ce que la preuve au dossier me permet de conclure que les entrevues ont fourni au demandeur « la possibilité de présenter entièrement et équitablement sa position ?

[14]            Je réitère que la seule preuve au dossier sur ce qui s'est passé durant les entrevues vient du demandeur et de son épouse.

[15]            La preuve du demandeur et de son épouse démontre, pour plusieurs raisons, un manquement à l'équité procédurale d'après la norme requise - « la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position » : 1) méconnaissance du but réel des entrevues (but non divulgué et déplacé); et 2) processus qui ne permettait pas au demandeur et à son épouse de faire valoir leur position sur la bonne foi du mariage (possibilité d'avancer des faits démontrant la bonne foi du mariage).

[16]            L'absence d'une preuve de la part de la défenderesse sur le déroulement des entrevues laisse planer un doute sérieux sur ce qui s'est réellement passé, un doute que je dois résoudre en faveur du demandeur.

[17]            Dans les circonstances, je n'ai pas à me prononcer sur l'autre question relative aux risques de retour.


                                           ORDONNANCE

Pour ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l'agent Groulx est annulée, et l'affaire est renvoyée au ministre pour qu'un agent d'immigration différent rende une nouvelle décision.

« François Lemieux »

                                                                                                                                                                                                 

                                                                                                        J u g e                 


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                 IMM-4563-01

INTITULÉ :              ENAMUL HUQUE QUAZI c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :                              01 MAI 2003

DATE DES MOTIFS :                                     31 octobre 2003

COMPARUTIONS :

Me Johanne Doyon                                              POUR LE DEMANDEUR

POUR LE DÉFENDEUR

Me Marie-Nicole Moreau

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DOYON & MONTBRIAND                                        POUR LE DEMANDEUR

Montréal, Québec       

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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