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Date : 20031223

Dossier : IMM-621-03

Référence : 2003 CF 1519

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN                                

ENTRE :

                                                              MALEK MAZOUNI

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                                            LE MINISTRE DE LA

                                           CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 20 décembre 2002, dans laquelle la commissaire Aida Graff a conclu que le demandeur n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[2]                La Commission a conclu que le témoignage du demandeur n'était pas crédible. La Commission a fourni des motifs à l'appui de sa décision. À la lecture de la transcription, deux de ses motifs sont manifestement déraisonnables.

[3]                Aux pages 3 et 4 de ses motifs de décision, la Commission a dit :

Le demandeur a poursuivi en disant que, à l'occasion, il donnait un nom au directeur. Interrogé alors quant à savoir ce qui arrivait aux étudiants dont il donnait le nom, le demandeur a répondu que rien ne leur arrivait et qu'il les revoyait aux alentours du campus après les avoir dénoncés. Le tribunal ne considère pas comme crédible le témoignage du demandeur. Si ce dernier avait effectivement donné le nom d'étudiants au directeur des résidences en 1996-1997, on n'aurait pas revu ces étudiants sur le campus. C'étaient les années durant lesquelles les organisations terroristes semaient la pagaille en Algérie, et les autorités étaient impitoyables envers quiconque était suspecté de sympathiser avec de telles organisations ou, pire encore, d'être membre de telles organisations. Le tribunal considère donc que le demandeur a inventé son histoire selon laquelle il donnait au directeur des résidences le nom de certains étudiants sans que cela ait d'incidence néfaste sur eux et qu'il a inventé cette histoire pour étayer sa demande tout en évitant d'être soupçonné d'avoir commis un crime contre l'humanité.

[Non souligné dans l'original.]                                          

En fait, la transcription révèle que le demandeur n'a pas répondu que [traduction] _ rien ne leur arrivait et qu'il les revoyait aux alentours du campus après les avoir dénoncés _. La transcription, à la page 47, se lit comme suit :

[traduction]

APR : Savez-vous ce qu'il leur arrivait après que vous les aviez dénoncés?

DEMANDEUR : Je ne le sais vraiment pas.

PRÉSIDENTE D'AUDIENCE : Pardon?

APR : Que leur arrivait-il après que vous les aviez dénoncés?

DEMANDEUR : Je ne les reverrais plus, je ne les reverrais plus. J'ai continué de les voir.

C'est la seule preuve au dossier. Il est manifestement déraisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur a dit que rien n'arrivait aux étudiants. La réponse du demandeur était vague ou il a répondu qu'il ne savait pas ce qui leur arrivait.


[4]                Aux pages 5 et 6 de ses motifs de décision, la Commission a dit :

Le demandeur a témoigné qu'il n'avait pas terminé ses études universitaires, mais qu'il cherchait des façons de quitter le pays à la fin de l'année universitaire 1996-1997. Il est resté à Alger jusqu'à ce que, en septembre 1998, il parte pour la Turquie. Le tribunal ne considère pas comme crédible le témoignage du demandeur. Le demandeur a attendu plus d'un an avant de quitter l'Algérie, bien qu'il allègue qu'il craignait pour sa vie parce qu'il n'accédait pas au désir du directeur, qui lui demandait de donner le nom d'étudiants soupçonnés de terrorisme. Il n'aurait pas été trop difficile pour le directeur, qui avait soi-disant été membre du service de renseignements militaires, de trouver le demandeur pendant la période de plus d'un an se situant entre juin 1997, soit la fin de l'année universitaire 1996-1997, et septembre 1998, mois au cours duquel le demandeur a quitté le pays. Le fait que le demandeur a attendu plus d'un an avant de quitter l'Algérie, alors qu'il allègue qu'il craignait le directeur des résidences universitaires et ancien membre du service de renseignements militaires et alors que la situation en Algérie était critique, indique une absence de crainte subjective. [Non souligné dans l'original.]

En fait, le demandeur a témoigné qu'il avait continué ses études universitaires jusqu'à sa fuite de l'Algérie en 1998. La Commission a conclu que le demandeur a terminé ses études universitaires en 1997, qu'ensuite, _ [l]e demandeur a attendu plus d'un an avant de quitter l'Algérie, bien qu'il allègue qu'il craignait pour sa vie [...] _, et que _ [l]e fait que le demandeur a attendu plus d'un an avant de quitter l'Algérie [...] indique une absence de crainte _. Il s'agit là d'une conclusion de fait manifestement déraisonnable. En fait, la transcription, à la page 36, se lit comme suit :

[traduction]

PRÉSIDENTE D'AUDIENCE : Vous avez donc terminé l'année universitaire 1997-1998?

DEMANDEUR : Oui, oui.

PRÉSIDENTE D'AUDIENCE : Et vous avez été admis ---

DEMANDEUR : À l'année d'études 1999.

PRÉSIDENTE D'AUDIENCE : En quatrième année?

DEMANDEUR : Oui.                                                                           

PRÉSIDENTE D'AUDIENCE : S'agissait-il de votre dernière année?

DEMANDEUR : Oui, 1998 a été ma dernière année. Je n'ai pas étudié en 1999. Oui, 1998.

[5]                La Cour fait preuve de retenue dans le cadre d'un contrôle judiciaire d'une décision de la Commission et elle ne substituera pas sa décision à celle de la Commission. Toutefois, lorsque des conclusions essentielles quant aux faits ou à la crédibilité ont été tirées de façon abusive ou sans tenir compte de la preuve, la Cour doit intervenir.

[6]                Le demandeur soutient également que la commissaire qui présidait l'audience interrompait sans cesse son conseil lorsqu'il l'interrogeait, et qu'elle l'a donc privé de son droit à une audition équitable. J'ai examiné la transcription et j'estime que les questions répétées de la présidente d'audience ont parfois interrompu le déroulement de l'interrogatoire sur des aspects importants de la preuve. À titre d'exemple, à la page 37 de la transcription, on peut lire :

[traduction]

CONSEIL : Quel était votre état d'esprit à cette époque?

PRÉSIDENTE D'AUDIENCE : Je crois que nous perdons du temps sur la question de l'état d'esprit. Revenons où nous en étions s'il-vous-plaît. Nous pourrons nous pencher là-dessus par la suite.

[7]                De plus, à la fin de l'audience, il était apparent que la présidente d'audience voulait terminer l'audience avant midi, et n'était pas disposée à entendre la plaidoirie. À la dernière page de la transcription, la page 62, on peut lire :

[traduction]

PRÉSIDENTE D'AUDIENCE : O.K. Combien de temps durera votre plaidoirie?

CONSEIL : Peut-être 20 minutes.

PRÉSIDENTE D'AUDIENCE : Eh bien, j'aimerais que vous me la soumettiez par écrit. Je dois partir au plus tard à midi. Est-ce que vous ne pourriez pas me la soumettre par écrit? Il est maintenant 12 h 5.

CONSEIL : Si c'est le cas, si vous devez partir, je le ferai certainement.

[8]                Il est évident que la commissaire pressait le demandeur et refusait d'accorder vingt minutes à son conseil, à l'issue de la présentation de la preuve, pour qu'il puisse faire sa plaidoirie. Dans ces circonstances, le demandeur n'a peut-être pas bénéficié d'une audition équitable conformément aux principes de justice naturelle.

[9]                Pour ces motifs, la Cour doit annuler la décision de la Commission et renvoyer l'affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celui-ci rende une nouvelle décision sur la demande d'asile en l'espèce.

[10]            Les parties et la Cour conviennent que la présente demande ne soulève pas de question grave de portée générale à certifier.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celui-ci rende une nouvelle décision.

_ Michael A. Kelen _

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-621-03

INTITULÉ :                                        MALEK MAZOUNI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 17 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                       LE 23 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Mario D. Bellissimo                               POUR LE DEMANDEUR

Rhonda Marquis                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mario D. Bellissimo                               POUR LE DEMANDEUR

Ormston, Bellissimo, Younan

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


                         COUR FÉDÉRALE

                                                         Date : 20031223

                                              Dossier : IMM-621-03

ENTRE :

MALEK MAZOUNI

                                                                  demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                   défendeur

                                                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                    


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