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Date : 20030704

Dossier : IMM-609-02

Référence : 2003 CF 836

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2003

EN PRÉSENCE DE madame le juge Heneghan                               

ENTRE :

                                    SHANMUGAVADIVEL THAMOTHARAMPILLAI

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     demandeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 M. Shanmugavadivel Thamotharampillai (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l'agente principale J. Knight (l'agente principale ou l'agente) en date du 23 janvier 2002. Dans cette décision, l'agente a décidé de ne pas accorder au demandeur le permis ministériel prévu à l'article 37 de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (l'ancienne loi) pour lui permettre de demeurer au Canada. Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de l'agente et renvoyant l'affaire à un autre agent principal pour réexamen.


FAITS

[2]                 Le demandeur est citoyen du Sri Lanka. Il a été admis au Canada en qualité de personne à charge de ses parents, dont la demande d'établissement avait été parrainée par leur autre fils, le frère du demandeur, qui était résident permanent du Canada. Le demandeur est arrivé au Canada en septembre 1991 et il a alors obtenu le statut de résident permanent.

[3]                 Le demandeur a par la suite été accusé d'avoir commis des infractions criminelles au Canada. En août 1993, il a été déclaré coupable d'avoir déclenché une fausse alerte d'incendie, de n'avoir pas comparu en cour, de ne pas s'être présenté à l'audience et d'avoir porté une arme dissimulée. Il a été condamné à trois mois d'emprisonnement.

[4]                 En décembre 1993, il a été déclaré coupable de voies de fait graves et condamné à 18 mois d'emprisonnement. Il a été mis en liberté conditionnelle le 15 juin 1994, après avoir purgé une partie seulement de sa peine.

[5]                 Pendant qu'il était en détention en février 1994, un rapport a été établi conformément au paragraphe 27(1) de la Loi sur l'immigration et, le 13 juin 1994, une enquête a été ordonnée en application du paragraphe 27(3) de l'ancienne loi. L'enquête a eu lieu en quatre sessions étalées du 14 août au 19 décembre 1994. Au terme de celle-ci, une mesure d'expulsion a été prise contre le demandeur car il était visé par l'alinéa 27(1)d) de l'ancienne loi.


[6]                 Le demandeur devait se présenter à une entrevue le 6 mars 1995, mais ne l'a pas fait et il n'a pas non plus communiqué avec les autorités de l'Immigration. Le 10 mars 1995, sa liberté conditionnelle a été suspendue et un mandat d'arrestation a été lancé contre lui. Un mandat de l'immigration a été décerné le 8 mai 1995.

[7]                 Le 22 août 1995, le demandeur a été arrêté et accusé de possession illégale d'armes à feu et d'obstruction à la justice pour s'être identifié sous un faux nom à la police. Il a été détenu en vue de son expulsion.

[8]                 Le 18 septembre 1995, il a été incarcéré de nouveau afin de purger sa peine pour voies de fait graves. Le 15 novembre 1995, il a fini de purger sa peine et a été détenu relativement à des accusations criminelles découlant de l'infraction relative aux armes à feu. Le 3 janvier 1996, ces accusations ont été retirées. Le demandeur est toutefois resté en détention car il faisait l'objet d'un mandat de l'immigration.

[9]                 Le demandeur devait être renvoyé en mai 1996, mais il a fait l'objet d'un sursis par suite de l'ordonnance rendue par notre Cour le 9 mai 1996, après qu'il eut présenté une demande de contrôle judiciaire contestant la mesure d'expulsion dont il avait été frappé. Cette demande de contrôle judiciaire a été rejetée par le juge Muldoon le 20 avril 2001 : 2001 CFPI 370, [2001] A.C.F. no 599 (1re inst.) (QL).


[10]            En juin 1996, le demandeur a été transféré à Montréal pour faire face à diverses accusations concernant des armes à feu ainsi qu'à une accusation de tentative de meurtre relativement à des coups de feu tirés le 25 juillet 1995. Il a été acquitté et renvoyé au centre de détention de l'immigration. On ne trouve les détails de cette accusation et de la décision rendue que dans l'exposé chronologique des infractions criminelles, qui a été préparé par un agent du CELRTM le 8 janvier 2002. Ce document n'a pas été communiqué au demandeur.

[11]            Le 7 février 1997, le demandeur, qui avait été mis en liberté le 16 janvier 1997 par les autorités de l'Immigration, a été accusé de possession d'un .357 chargé. Au moment de son arrestation, il s'est présenté sous une fausse identité aux policiers. Dès le 25 septembre 1997, il avait fini de purger sa peine et il a été renvoyé aux autorités de l'Immigration pour être détenu.

[12]            En mai 2000, le demandeur a présenté, à partir du Canada, une demande d'établissement pour des raisons d'ordre humanitaire (demande CH). Cette demande de dispense de l'application du paragraphe 9(1) de l'ancienne loi reposait en grande partie sur les risques auxquels il devrait faire face s'il était renvoyé au Sri Lanka.


[13]            Le 5 juillet 2001, l'agent des visas a dispensé le demandeur de l'application du paragraphe 9(1) de l'ancienne loi. Il a en même temps informé le demandeur qu'il serait vraisemblablement jugé non admissible en vertu de l'alinéa 19(1)c) de l'ancienne loi et qu'il ne pourrait pas obtenir le droit d'établissement. Le demandeur a eu la possibilité de réfuter cette conclusion concernant sa non-admissibilité.

[14]            Le 18 juillet 2001, les autorités de l'Immigration ont remis le demandeur en liberté sur dépôt d'un cautionnement en espèces. Le 11 octobre 2001, le demandeur a été arrêté par les autorités de l'Immigration parce qu'il aurait contrevenu aux conditions dont était assorti le cautionnement en espèces.

[15]            Le 30 octobre 2001, le demandeur a présenté une demande de permis ministériel. Le 22 novembre 2001, le Centre d'exécution de la Loi de la région du Toronto métropolitain (CELRTM), en collaboration avec le service de police de Toronto, a informé l'agente qu'il y avait des raisons de croire que le demandeur était membre d'un gang et était donc non admissible en vertu de l'alinéa 19(1)c.2) de l'ancienne loi. Le demandeur a eu la possibilité de réfuter cette nouvelle information que lui a communiquée l'agente par voie d'une lettre datée du 27 novembre 2001.


[16]            Le demandeur a fait part de ses observations dans une lettre datée du 31 décembre 2001. Il a prétendu être innocent de l'accusation portée en vertu de l'alinéa 19(1)c.2) et a soutenu que les autorités de l'Immigration ne lui avaient soumis aucun élément qui établissait directement son implication dans une organisation criminelle. Il a affirmé n'avoir fait l'objet d'aucune autre accusation ou condamnation que celles dont les autorités de l'Immigration étaient déjà au courant. Il a ensuite expliqué un malentendu au sujet de son adresse qui aurait amené les autorités de l'Immigration à conclure qu'il avait contrevenu aux conditions dont le cautionnement en espèces était assorti et à le renvoyer en détention.

[17]            Par voie d'une lettre datée du 11 janvier 2002, l'agente a informé le demandeur que les renseignements qu'il avait fournis dans sa lettre du 30 octobre 2001 avaient été examinés avec ceux qui figuraient dans sa demande et qu'il n'était vraisemblablement pas admissible au Canada en vertu de l'alinéa 19(1)c) de l'ancienne loi. L'agente précisait dans sa lettre que sa demande de résidence permanente avait été refusée, mais que sa demande de permis ministériel était encore sous examen. Elle ajoutait qu'une mesure d'expulsion était exécutoire contre lui et qu'une copie de la lettre serait envoyée au CELRTM.

[18]            Par voie d'une lettre datée du 23 janvier 2002, l'agente a refusé la demande de permis ministériel présentée par le demandeur. Elle a dit :

[Traduction] La présente fait suite à notre lettre du 11 janvier 2002 vous informant que votre demande de résidence permanente a été refusée et à la requête écrite par laquelle votre conseil a demandé, le 30 octobre 2001, que nous examinions s'il y avait lieu de vous accorder un permis ministériel puisque vous n'êtes pas admissible au droit d'établissement.

Votre demande de permis ministériel a été examinée attentivement.

Nous vous informons que cette demande est refusée.

Votre cas sera maintenant transmis au Centre d'exécution de la loi de la région du Toronto métropolitain à Mississauga puisque vous êtes visé par une mesure d'expulsion exécutoire.

[19]           Les motifs de cette décision sont exposés dans les notes datées du 22 janvier 2002 que l'agente a fait parvenir à la Cour et au demandeur, le 4 mars 2002, conformément à l'article 9 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration, 1993, DORS/993-22. L'agente principale a indiqué trois motifs pour lesquels elle ne recommandait pas qu'un permis ministériel soit accordé au demandeur :

[Traduction]

- Il a de longs antécédents criminels au Canada en matière d'armes et de violence.

- Il a dit, à l'alinéa 5 de sa déclaration solennelle datée du 29 octobre 2001, que lors des deux incidents, il était en compagnie d'individus ayant des liens avec des gangs.

- L'agent était convaincu que le CELRTM disposait d'éléments de preuve établissant l'existence de liens entre le demandeur et un gang.

OBSERVATIONS DU DEMANDEUR

[20]           Premièrement, le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter, c'est-à-dire savoir si les motifs de l'agente peuvent résister à un examen assez poussé par la Cour lors du contrôle judiciaire. Il invoque ici l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.


[21]            Deuxièmement, le demandeur prétend que l'agente ne lui a pas communiqué un document du CELRTM, savoir un tableau chronologique exposant en détail ses antécédents criminels au Canada. Il affirme que l'agente a dit, dans ses motifs, que si elle avait disposé des renseignements contenus dans cet exposé chronologique avant de décider de renoncer à appliquer le paragraphe 9(1) de l'ancienne loi, elle aurait refusé sa demande CH. Selon le demandeur, cela signifie que ce document a eu un rôle important dans la décision de l'agente de ne pas recommander la délivrance d'un permis ministériel.

[22]            Le demandeur fait valoir que l'un des éléments fondamentaux de la justice naturelle est le droit d'être entendu. Il soutient que l'obligation d'équité exige qu'un agent d'immigration donne la possibilité à la personne de répondre à la preuve extrinsèque recueillie contre elle, en particulier lorsque cette preuve lui est défavorable. L'examen de la preuve extrinsèque sans un préavis constitue un manquement à l'équité dans la procédure : Shah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 170 N.R. 238 (C.A.F.), et Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 87 F.T.R. 62.

[23]            Le demandeur prétend avoir été privé d'une possibilité raisonnable de présenter sa preuve. En ne communiquant pas ce document le concernant directement et en s'appuyant sur celui-ci pour rendre sa décision finale, l'agente a contrevenu à l'obligation d'équité à laquelle elle était tenue à l'égard du demandeur. Ce dernier soutient que s'il avait eu la possibilité de répondre, il aurait été en mesure de fournir certaines explications au sujet des accusations criminelles mentionnées dans l'exposé chronologique et dont il est maintenant question dans l'affidavit qu'il a joint à la présente demande de contrôle judiciaire. Ces explications du demandeur auraient pu influencer la décision finale.


OBSERVATIONS DU DÉFENDEUR

[24]            Le défendeur soutient que le demandeur n'a pas démontré que l'exposé chronologique aurait dû lui être communiqué en vertu de l'équité procédurale. Subsidiairement, il affirme que ce document n'était pas essentiel pour la décision de l'agente.

[25]            Pour ce qui est de la norme de contrôle, le défendeur fait valoir que la décision visant un permis ministériel n'est pas la même chose que la décision de dispenser un demandeur des exigences normales de l'ancienne loi, comme c'était le cas dans l'arrêt Baker, précité. Il affirme donc que l'arrêt Baker n'étaye pas l'argument du demandeur qui prétend que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable simpliciter. Invoquant la nature hautement discrétionnaire de la décision visée par le contrôle et appliquant l'analyse pragmatique et fonctionnelle, le défendeur soutient que la norme applicable est celle du caractère manifestement déraisonnable : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982.


[26]            Le défendeur dit que rien ne permet d'affirmer que le document exposant des incidents criminels suivant leur ordre chronologique doit être communiqué au demandeur. Ce dernier était déjà au courant des renseignements contenus dans ce document et c'est pourquoi celui-ci n'avait pas à lui être communiqué : Kishavarz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 189 F.T.R. 72. L'exposé chronologique reprenait les allégations qui avaient été soulevées dans le passé lors des diverses comparutions du demandeur devant les tribunaux et lors des enquêtes en matière d'arbitrage, et cela ne l'a pas empêché de répondre à la preuve invoquée contre lui. Le défendeur affirme que, tout au long du processus de prise de décision, l'agente a donné au demandeur l'occasion de présenter des observations au sujet des allégations selon lesquelles il entretenait des liens avec des gangs se livrant à des activités criminelles.

RÉPONSE DU DEMANDEUR

[27]            Le demandeur a produit une réponse à l'exposé des faits et du droit du défendeur le 27 mai 2002. Il soutient que la demande de permis ministériel ne diffère pas considérablement d'une demande CH visant à obtenir une dispense en vertu de l'ancienne loi, notamment parce que, dans la présente affaire, la demande de permis ministériel a été faite dans le cadre d'une demande CH qui avait été approuvée lors de la première étape.

[28]            Le demandeur prétend que la nature d'un document qui a été reçu et non communiqué par un agent importe peu. Ce qui compte c'est de savoir si le document constituait en fait une preuve extrinsèque qui a été invoquée par l'agente, sans que celle-ci ne donne la possibilité au demandeur d'y répondre.

[29]            Enfin, le demandeur fait valoir que la décision Kishavarz, précitée, se distingue de la présente espèce. Dans Kishavarz, le mémoire du ministre ne contenait pas des renseignements dont ne disposait pas le demandeur; il s'agissait simplement d'un résumé et d'une compilation des renseignements déjà communiqués au demandeur. En l'espèce, l'exposé chronologique des antécédents criminels du demandeur ne constituait pas un résumé ou une compilation des renseignements qui avaient déjà été communiqués au demandeur par les autorités de l'Immigration.

QUESTION EN LITIGE

1.          L'agente principale a-t-elle contrevenu à un principe de l'équité procédurale en ne communiquant pas des informations extrinsèques au demandeur?

ANALYSE

[30]            À mon avis, en omettant de communiquer l'exposé chronologique des activités criminelles du demandeur au Canada, le défendeur a manqué à son obligation d'équité. L'exposé chronologique aurait dû être communiqué au demandeur car il contenait au sujet de ses antécédents criminels des renseignements détaillés différents de ceux que le demandeur avait auparavant divulgués. Ce document comportait peut-être des conclusions et des détails inexacts au sujet du casier judiciaire du demandeur et, de toute façon, le demandeur devait avoir la possibilité de les clarifier ou d'y répondre.


[31]            Le demandeur aurait dû avoir la possibilité de répondre à ces éléments de preuve. Le dossier du tribunal indique que le tableau chronologique a été préparé par « T.L. Steffler » , un agent du CELRTM, le 8 janvier 2002, et a été envoyé par courriel à l'agente principale le 9 janvier 2002. Toutefois, la source exacte des renseignements contenus dans le tableau chronologique n'est pas claire. Il s'agit d'un document contenant des renseignements extrinsèques qui était nouveau en ce sens que certains de ces renseignements ne se trouvent pas dans la demande CH ou dans les observations du demandeur.

[32]            Le demandeur a affirmé dans ses observations du 31 décembre 2001 ainsi que dans les formulaires de demande CH qu'il avait déjà déclaré aux autorités de l'Immigration toutes les accusations et les condamnations criminelles dont il avait fait l'objet. La partie « L » des formulaires de demande CH contient une série de questions au sujet des antécédents du demandeur en matière criminelle. Je souligne que le demandeur a signé dans la partie « M » de sa demande CH une déclaration dans laquelle il a affirmé que les renseignements fournis dans sa demande du 26 mai 2000 étaient véridiques, complets et exacts. Dans cette demande CH, le demandeur ne mentionne pas l'accusation de tentative de meurtre et le verdict de non-culpabilité, probablement le crime le plus grave dont il ait été accusé. Toutefois, ce renseignement figure dans l'exposé chronologique du CELRTM qui n'a pas été communiqué.

[33]            L'exposé chronologique mentionnait des accusations dont n'avait pas fait état auparavant le demandeur et incluait, au sujet des infractions dont il avait été accusé, des détails qui étaient peut-être inexacts ou incomplets. À mon avis, cette différence permet de conclure que le tableau chronologique des antécédents criminels du demandeur aurait dû être communiqué afin de permettre à l'agente de rendre sa décision sur la demande de permis ministériel en ayant à sa disposition la réponse du demandeur.

[34]            La présente espèce se distingue de la décision Kishavarz, précitée, dans laquelle notre Cour a statué, au paragraphe 21, qu'il n'y avait eu aucun manquement à l'équité procédurale dans un cas où une note de service n'avait pas été communiquée au demandeur qui sollicitait une réparation ministérielle en vertu de l'ancienne loi parce qu'elle « ne contenait pas d'éléments de preuve nouvelle ou extrinsèque, et elle ne contenait pas non plus de renseignements erronés ou trompeurs » . Dans Kishavarz, précitée, les caractéristiques déterminantes des renseignements en litige étaient qu'ils n'étaient pas connus du demandeur et qu'il ne s'agissait pas de renseignements extrinsèques ou erronés.


[35]            Même si on peut dire en l'espèce que le demandeur était au courant de ses antécédents criminels, il y a des différences, signalées plus haut, entre ce que l'exposé chronologique dit et ce que le demandeur a lui-même indiqué. De plus, l'exposé chronologique contient des détails que ne connaît peut-être pas le demandeur, par exemple, des détails au sujet des infractions qu'il a commises ou qu'il est allégué avoir commis. Par conséquent, ce document aurait dû lui être communiqué.

[36]            Je conviens que l'arrêt Shah, précité, invoqué par le demandeur, permet encore d'affirmer que si un décideur a l'intention d'utiliser des éléments de preuve extrinsèque qui n'ont pas été présentés par le demandeur, il doit donner au demandeur la possibilité d'y répondre. Toutefois, il existe des décisions plus récentes et plus pertinentes, à savoir Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 407 (C.A.), et Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 3 C.F. 3 (C.A.), qui précisent ce principe général énoncé dans Shah, précité, et en étendent la portée.

[37]            Dans Haghighi, précité, le juge Evans a dit ce qui suit aux paragraphes 26 et 27 en ce qui concerne l'équité procédurale et la communication d'éléments de preuve extrinsèque :

Cinquièmement, en plus de l'avertissement que les agents d'immigration ont plus qu'une obligation d'équité minimale lorsqu'ils se prononcent sur des demandes fondées sur le paragraphe 114(2), l'arrêt Baker, précité, a remis au coeur de l'analyse relative à l'équité procédurale la tâche de déterminer le contenu de l'obligation d'équité incombant aux agents d'immigration lorsqu'ils rendent des décisions sur des demandes d'établissement présentées à l'intérieur du Canada invoquant des raisons d'ordre humanitaire. La question est de savoir si la communication du rapport était requise pour que soit fournie à M. Haghighi une possibilité raisonnable, vu l'ensemble des circonstances, de participer de manière significative au processus de prise de décision.

Ainsi, pour déterminer si la communication du rapport de l'agent de révision est requise, la Cour doit notamment examiner les facteurs énumérés par le juge L'Heureux-Dubé pour situer sur l'échelle de l'équité les obligations incombant à l'agent d'immigration dans une affaire relative au paragraphe 114(2). L'analyse de ce qui est requis pour satisfaire à l'obligation d'équité doit être contextualisée : se demander, comme l'exigeait l'arrêt Shah, précité, si le rapport peut être qualifié d' « élément de preuve extrinsèque » ne constitue plus une méthode adéquate.

[Non souligné dans l'original.]


[38]            Dans Haghighi, précité, la Cour d'appel fédérale a ensuite examiné les considérations contextuelles pertinentes, en vertu du raisonnement suivi dans l'arrêt Baker, précité, pour déterminer si l'agent d'immigration était tenu, en vertu de l'obligation d'équité, de communiquer un rapport au demandeur ayant présenté une demande CH.

[39]            Dans l'arrêt Bhagwandass, précité, le juge Sharlow de la Cour d'appel fédérale a résumé les « facteurs de l'arrêt Baker » énoncés dans l'arrêt Haghighi, précité, de la manière suivante au paragraphe 22 :

L'arrêt Haghighi établit également que lorsqu'on cherche à déterminer si l'obligation dquité exige la communication à l'avance d'un rapport interne du Ministère sur lequel le décideur s'appuiera pour rendre une décision discrétionnaire, la question ne consiste pas à savoir si le rapport constitue ou contient la preuve de faits inconnus de la personne touchée par la décision, mais bien à savoir si la communication du rapport est requise pour que cette personne ait une possibilitéraisonnable de participer d'une manière significative au processus de prise de décision. Les facteurs qui peuvent être pris en considération à cet égard sont, notamment : (i) la nature et l'effet de la décision dans le cadre du régime législatif; (ii) la question de savoir si, en raison de l'expertise de l'auteur du rapport ou d'autres circonstances, le rapport aura probablement une influence telle sur le décideur que la communication à l'avance est requise pour « équilibrer les chances » ; (iii) le préjudice qui pourrait vraisemblablement découler d'une décision fondée sur une mauvaise compréhension ou sur un examen erronédes faits pertinents; (iv) la mesure dans laquelle la communication àl'avance du rapport permettrait dviter le risque qu'une décision mal fondée soit rendue; (v) les coûts que la communication à l'avance pourrait entraîner, dont ceux liés aux retards dans le processus de prise de décision.

[Non souligné dans l'original.]


[40]            Comme l'a dit la Cour d'appel fédérale dans ces deux arrêts, il s'agit de déterminer si la communication était requise pour que le demandeur ait une possibilité raisonnable dans les circonstances de participer d'une manière significative au processus de prise de décision. La communication de l'exposé chronologique était-elle requise pour permettre au demandeur de participer d'une manière significative au processus de prise de décision?

[41]            À mon avis, l'exposé chronologique aurait dû être communiqué en l'espèce. Le défendeur n'a pas démontré que la communication de ce document aurait compromis une enquête policière en cours.

[42]            Si on tient compte des facteurs énoncés dans l'arrêt Haghighi, précité, notamment les facteurs (i), (ii) et (iii), le demandeur a été privé de la possibilité de participer d'une manière significative au processus de prise de décision. La décision en l'espèce était très importante pour le demandeur car le permis ministériel était son unique chance de demeurer légalement au Canada, en attendant d'obtenir un pardon relativement à ses condamnations. Étant donné qu'un agent de révision des revendications refusées (ARRR) avait conclu lors de l'évaluation des risques que le demandeur risquait sa vie ou encore d'être soumis à un traitement cruel s'il retournait au Sri Lanka, cette décision était très importante pour sa propre sécurité personnelle.

[43]            L'exposé chronologique semble aussi avoir grandement influencé l'agente, comme cela ressort de sa note de service (voir ci-dessous au paragraphe 50). La non-communication du document pourrait aussi avoir entraîné une mauvaise compréhension ou un examen erroné des circonstances entourant les infractions.

[44]            De plus, la preuve au dossier indique que l'agente comprenait que le tableau chronologique des antécédents criminels du demandeur aurait dû être communiqué à ce dernier s'il n'était pas au courant des renseignements qui y étaient contenus. C'est ce qui ressort d'un courriel qu'elle a envoyé à l'agent du CELRTM qui lui avait fourni l'exposé chronologique. Ce courriel, daté du 11/01/02, contient notamment ce qui suit :

[Traduction]

Bonjour Terri,

J'ai eu une longue conversation avec Julie Wassif-Suleiman au sujet du client et du P.M.

Julie reconnaît que je peux opposer un refus à la deuxième étape, mais certaines questions doivent être clarifiées avant de rendre une décision sur la demande de permis ministériel.

1) Le conseil et le client étaient-ils au courant des renseignements contenus dans ta chronologie?

(Sinon, nous devrons leur fournir une copie et leur accorder 30 jours pour y répondre.)

2) Où as-tu obtenu les détails concernant les incidents (c.-à-d. sont-ils tirés d'un constat de police écrit ou ont-ils été fournis verbalement par la police)?

[Non souligné dans l'original.]

[45]            Le dossier qui a été soumis à notre Cour ne contient aucune réponse aux questions posées par l'agente dans le courriel. Ces deux questions sont très importantes quant à la pertinence et à l'exactitude des renseignements contenus dans l'exposé chronologique et quant au caractère équitable du traitement du document et du demandeur dans la présente affaire.

[46]            Le dossier contient aussi une note de service non datée qu'a fait parvenir l'agente à Julie Wassif Suleiman, conseillère du programme d'immigration au bureau régional d'Immigration Canada, dont voici un extrait :

[Traduction]

Le CELRTM a demandé le dossier pour faire son enquête.

Il a renvoyé le dossier avec la note et les directives suivantes.   

Aucune copie du rapport [établi en vertu de l'article] 27 ni aucun autre élément de preuve n'a été produit.

Waldman demande un PM en raison de l'existence de risque et de l'absence de liens familiaux au Sri Lanka.

Suivant IP5, nous devons informer le client et Waldman des conclusions du CELRTM.

Étant donné que le CELRTM ne nous a pas communiqué ses éléments de preuve mais fait état de son enquête et de sa décision d'établir un rapport conformément à l'article 27, je suis d'avis d'informer simplement Waldman et le client que le CELRTM allègue que l'intéressé est membre du gang. Je pense que les directives contiennent certaines déclarations qui pourraient être explosives si elles étaient communiquées à M. Waldman; par contre, nous pourrions peut-être être accusés de retenir des informations si nous ne communiquons pas les directives.

[Non souligné dans l'original.]


[47]            Le dossier n'indique pas clairement quelles « directives » ont été reçues du CELRTM. Elles ne figurent effectivement pas dans le dossier certifié du tribunal qui a été soumis à la Cour. À mon avis, la note susmentionnée a apparemment été rédigée après le 15 novembre 2001 lorsque l'agente a écrit au demandeur pour l'informer que le CELRTM avait demandé son dossier parce qu'il était en train de préparer un rapport complet et que, jusqu'à cette date, le dossier n'avait pas été retourné par le CELRTM. La lettre doit aussi avoir été écrite avant la lettre du 27 novembre 2001 dans laquelle l'agente informe le demandeur du résumé des renseignements reçus, jusqu'alors, du CELRTM, faisant allusion à la note de service du CELRTM reçue par le CIC d'Oshawa le 22 novembre 2001. Les « directives » mentionnées dans la note de service ne peuvent pas être l'exposé chronologique qui est daté du 8 janvier 2002 et qui a été envoyé par courriel par l'agent du CELRTM le 9 janvier 2002.

[48]            L'allusion dans cette note à certaines déclarations que l'avocat du demandeur pourrait juger « explosives » permet de se demander si le défendeur a omis de communiquer un autre document. La raison de la non-communication semble être que l'avocat du demandeur pourrait contester les renseignements contenus dans le document. C'est là un comportement inacceptable car la contestation des rapports et des renseignements rassemblés par le défendeur est exactement ce que les demandeurs et leurs avocats doivent être autorisés à faire si l'on veut que le processus de prise de décision soit équitable. Il est injustifié de ne pas communiquer des renseignements qui pourraient déclencher un tel débat.


[49]            Je souligne aussi qu'était jointe à la lettre du 27 novembre 2001, dans laquelle l'agente a résumé au demandeur les allégations du CELRTM au sujet de ses liens avec des gangs, une copie des notes du SSOBL contenant certains détails du rapport complet préparé par le CELRTM. Pourquoi la communication complète aurait-elle été jugée nécessaire jusqu'au moment de la réception du tableau chronologique du CELRTM le 9 janvier 2002 et pourquoi aurait-elle été refusée par la suite? J'estime que l'équité exige la cohérence, et le défendeur n'a invoqué aucun privilège ni aucune autre considération valide d'ordre juridique expliquant pourquoi le tableau chronologique préparé par le CELRTM n'a pas été communiqué au demandeur.

[50]            L'argument subsidiaire du défendeur, savoir que l'exposé chronologique n'était pas essentiel à la décision de l'agente, doit être rejeté compte tenu des notes de l'agente datées du 22 janvier 2002 qui constituent les motifs de la décision visée par le présent contrôle. Voici un extrait de ces notes :

[Traduction] Le CELRTM m'a envoyé un exposé chronologique des antécédents criminels du client au Canada. Ces renseignements n'étaient pas en ma possession au moment où j'ai renoncé à appliquer le L9(1). Ils ne m'avaient pas été communiqués auparavant parce que, si je comprends bien, le CELRTM craignait qu'ils ne compromettent leur enquête.

Si j'avais été au courant de ces renseignements en juillet, il est peu probable que j'aurais renoncé à appliquer le L9(1).

[Non souligné dans l'original.]

[51]            Il est clair, selon moi, que le document dont la communication est en litige en l'espèce était un élément essentiel dans la décision de l'agente de refuser un permis ministériel au demandeur. Il est clair, d'après les notes qui constituent les motifs de l'agente, que ce document l'aurait amenée à changer d'avis en ce qui concerne la dispense d'application du paragraphe 9(1) de l'ancienne loi. Il est vraisemblable que, lorsqu'elle a dit que ces renseignements auraient modifié son point de vue quant à la demande CH, l'agente a estimé qu'ils l'auraient emporté sur l'évaluation positive des risques faite par l'ARRR au sujet des risques que courrait le demandeur s'il était renvoyé au Sri Lanka. Par conséquent, ces renseignements étaient importants pour sa décision relative à la délivrance du permis ministériel.


[52]            Comme j'ai déjà déterminé que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie parce que le défendeur a contrevenu à un principe de l'équité procédurale, je ne commenterai pas la substance de la décision contestée ni la norme de contrôle qui serait applicable dans la présente situation.

[53]            Le paragraphe 350(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR) prévoit qu'il est disposé, conformément à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), de toute décision ou mesure sous le régime de l'ancienne loi qui est renvoyée par la Cour fédérale pour nouvel examen et dont il n'a pas été disposé avant l'entrée en vigueur du RIPR et de la loi en vertu de laquelle il a été pris. Le paragraphe 24(1) de la LIPR permet qu'un permis de séjour temporaire soit délivré à l'étranger qui est interdit de territoire si l'agent « [...] estime que les circonstances le justifient » . Le paragraphe 24(1) précise également qu'un tel permis est un « titre révocable en tout temps » .

[54]            À mon avis, ce permis est semblable, mais non identique, au permis ministériel dont la demande pouvait être faite en vertu du paragraphe 37(1) de l'ancienne loi. La LIPR prévoit la délivrance d'un permis similaire, conformément à l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre, permis qui permettrait au demandeur de demeurer au Canada.

[55]            Le demandeur a demandé la certification d'une question. Après avoir examiné les observations des parties sur la question proposée, j'estime que cette question ne doit pas être certifiée car elle ne satisfait pas au critère énoncé à l'alinéa 74d) de la LIPR; en effet, il ne s'agit pas d'une question grave de portée générale.

                                           ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision datée du 23 janvier 2002 par laquelle l'agente a rejeté la demande de permis ministériel présentée par le demandeur est annulée. Il faut donner au demandeur la possibilité de présenter des observations sur l'exposé chronologique et sa demande visant à obtenir l'autorisation de demeurer au Canada doit être réexaminée par un autre agent, conformément à la LIPR. Le défendeur ne doit pas tenir compte du document contenant des directives qui ne figure pas au dossier du tribunal dont a été saisie la Cour.

ligne « E. Heneghan »

                      Juge

Traduction certifiée conforme :

Suzanne Bolduc, LL.B.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-609-02

INTITULÉ :              SHANMUGAVADIVEL THAMOTHARAMPILLAI

                                                                                                  demandeur

- et -

                                                                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE MARDI 25 FÉVRIER 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LE JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                                     4 juillet 2003

COMPARUTIONS :

                                     Lorne Waldman

                                        POUR LE DEMANDEUR

Marcel Larouche

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Lorne Waldman

Waldman & Associates

281, ave. Eglinton

Toronto (Ontario) M4P 1L3

Tél. : 416-482-6501

Télécopieur : 416-489-9618

POUR LE DEMANDEUR

Marcel Larouche

Ministère de la Justice

Bureau régional de l'Ontario

Tour Exchange

130, rue King ouest

Pièce 3400, boîte postale 36

Toronto (Ontario) M5X 1K6

Tél. : 416-954-7262

Télécopieur : 416-954-8982

POUR LE DÉFENDEUR


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