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Date : 20040416

Dossier : IMM-1363-03

Référence : 2004 CF 577

Ottawa (Ontario), le 16 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                     BERNARD ODOI CHARWAY

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 11 février 2003 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, et ce, parce qu'il pouvait se prévaloir de la protection de l'État et qu'il avait une possibilité de refuge intérieur (PRI).


FAITS

[2]                Le demandeur est un citoyen du Ghana âgé de 29 ans qui prétend craindre avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions politiques. Le demandeur est arrivé au Canada le 8 août 2001 en tant que compétiteur de l'équipe ghanéenne au Championnat du monde d'athlétisme de l'Association internationale des Fédérations d'athlétisme, qui avait lieu à Edmonton en août 2001. Il a présenté une demande d'asile le 14 août 2001.

[3]                Le demandeur est membre du parti appelé « National Democratic Congress » (le NDP), qui est maintenant le parti de l'opposition au Ghana. Le demandeur était le secrétaire de l'Association des jeunes de sa circonscription. Après les élections de décembre 2000, les tensions ont monté entre le NDC, qui avait perdu les élections, et le National Patriotic Party (le NPP), qui avait remporté les élections. Il y avait des bagarres entre des membres des deux partis. Le demandeur n'a pas pris part à ces bagarres. Le demandeur allègue que les membres du parti de l'opposition qui sont victimes d'agressions par des membres du NDC ne peuvent s'attendre à bénéficier de la protection de la police ghanéenne parce que celle-ci appuie le NPP, le parti au pouvoir.


[4]                Le demandeur craint pour sa sécurité parce qu'en février 2001, environ dix membres de l'Association des jeunes du NPP sont venus le chercher à son école. Le demandeur a pris la fuite sans se faire repérer par les jeunes, et il est allé vivre chez sa grand-mère à Agomeda. Il prétend que depuis, des membres de sa famille l'ont informé que des « partisans » du NPP étaient venus chez eux dans l'espoir de le retrouver. Il ajoute que ceux-ci ont maltraité sa soeur. Le demandeur se sent particulièrement menacé parce qu'en raison de la venue prochaine des élections nationales de 2004, la propagande politique a recommencé à s'amplifier.

[5]                La Commission a conclu que le demandeur avait une PRI viable dans la région de Sekondi-Takoradi du Ghana, qui se trouve à environ 100 milles de la ville natale du demandeur, Accra. La Commission a conclu qu'il n'y avait aucune chance raisonnable que le demandeur soit persécuté dans le lieu de PRI, parce que ses antécédents politiques n'intéresseraient nullement l'Association des jeunes du NPP et que le NPP ne serait pas prêt à consacrer des ressources pour le poursuivre à l'extérieur de sa région de résidence. À la page 3 de ses motifs, la Commission dit :

[...] Bien que le demandeur ait un profil dans sa circonscription particulière, le tribunal conclut que ce profil ne serait pas reconnu ou n'attirerait pas l'attention en dehors de sa circonscription. Le demandeur n'a été victime d'aucun mauvais traitement par le passé. Il a eu vent de rumeurs à l'effet qu'il était recherché par ceux qu'il craint. À une occasion, un groupe de jeunes l'a convoqué hors de sa classe, mais il s'est enfui par une autre sortie pour les éviter. La soeur du demandeur a été interpellée et maltraitée par de jeunes gens qui lui ont posé des questions au sujet de ses allées et venues; des inconnus sont allés chez lui. Le demandeur n'a jamais rencontré personnellement ceux qu'il dit craindre. Il se sait recherché en raison des rumeurs et des membres de sa famille qui ont un intérêt dans sa demande.


[6]                La Commission a conclu que le demandeur n'avait eu aucune difficulté lorsqu'il se cachait chez sa grand-mère à Agomeda, ville située à seulement 40 milles d'Accra. La Commission a noté que pendant qu'il vivait à Agomeda, le demandeur avait pu travailler tous les jours à la ferme de sa grand-mère, continuer son entraînement athlétique et participer aux Jeux de l'Afrique de l'Ouest à Kumasi, sans attirer l'attention des présumés auteurs de la persécution. La Commission a conclu que le comportement du demandeur, durant la période où il aurait été caché chez sa grand-mère, était incompatible avec une crainte justifiée de persécution.

[7]                La Commission a conclu que la crainte des frictions entre le NPP et le NDC décrite par le demandeur concerne un risque généralisé pour les citoyens, qui n'est pas propre au demandeur. La Commission a conclu également que, même si le demandeur devait continuer ses activités politiques, il pourrait bénéficier de la protection de l'État au lieu de PRI. Après avoir consulté la preuve documentaire, la Commission a dit à la page 5 de sa décision :

Le demandeur ne s'est adressé en aucun temps aux autorités, quelles qu'elles soient, pour être protégé. Le tribunal conclut que le témoignage du demandeur principal concernant son refus de demander de la protection dans sa région parce que d'autres personnes qu'il connaissait étaient détenues n'a pas fourni une « preuve claire et convaincante » que l'État ne serait pas en mesure de le protéger s'il s'installait ailleurs. Il a témoigné qu'une de ses connaissances est allée au service de police et qu'il ignore maintenant où cette personne se trouve. Le demandeur a fait état de ses problèmes à son entraîneur qui lui a conseillé d'aller au service de police. À ce moment, le demandeur se trouvait dans une autre région d'Accra et n'avait toujours pas demandé de la protection ou des conseils aux autorités.

[8]                La Commission a noté que la police était intervenue lorsque la soeur du demandeur avait signalé les actes de harcèlement commis contre elle par des personnes soupçonnées d'être membres du NPP, et elle a conclu que le demandeur bénéficierait d'une protection adéquate de l'État au lieu de PRI. La Commission a également conclu que, suivant la prépondérance des probabilités, il n'existait pas d'obstacles à son déménagement dans le lieu de PRI, et qu'il n'était pas déraisonnable pour lui de déménager.


QUESTIONS LITIGIEUSES

[9]                Il y a deux questions déterminantes quant à la présente demande :

(1)       La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur avait une PRI viable?

(2)       La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur pouvait se prévaloir de la protection de l'État dans le lieu de PRI?

NORME DE CONTRÔLE

[10]            Les conclusions de la Commission suivant lesquelles le demandeur avait une PRI viable et pouvait se prévaloir de la protection de l'État sont des conclusions de fait. La norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission est la décision manifestement déraisonnable. Voir Aire c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 75, le juge von Finckenstein, au paragraphe 4.

ANALYSE

La possibilité de refuge intérieur


[11]            Le demandeur soutient que la Commission n'a pas examiné convenablement le caractère raisonnable de la PRI et qu'elle a fondé ses conclusions sur des conclusions de fait erronées. Plus particulièrement, le demandeur soutient que la Commission n'a pas tenu compte de la géographie du Ghana et de la question de savoir si la PRI était facilement accessible aux personnes qui persécutaient le demandeur. Le demandeur soutient que la Commission n'a fourni aucun fondement factuel à l'appui de sa conclusion que « [l]'Association locale de jeunes [...] dans la région d'Accra n'a pas le temps, ni les ressources nécessaires pour le poursuivre à l'extérieur de sa région » . Enfin, le demandeur soutient que la Commission n'a tenu aucun compte de la preuve documentaire qui indiquait que le NPP se servait de la police pour l'exécution de ses actions contre les membres du NDC.

[12]            La Commission était saisie d'éléments de preuve lui permettant de conclure que le demandeur avait une PRI viable dans la région de Sekondi-Takoradi au Ghana. Cette région se trouve à 100 milles d'Accra, ville où il craint d'être persécuté, et, comme l'a souligné la Commission, le demandeur n'a eu aucun problème lorsqu'il s'est réfugié dans un village situé à seulement 40 milles d'Accra. Le critère préliminaire applicable exige une preuve réelle et concrète de l'existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité du demandeur si celui-ci tentait de déménager en lieu sûr. Le demandeur n'a pas fourni d'éléments de preuve non conjecturaux suivant lesquels il serait persécuté dans la région de Sekondi-Takoradi. La Commission a conclu que l'État (ou la police) protégerait le demandeur dans le lieu de PRI.


La protection de l'État

[13]            Le demandeur n'a pas réfuté la présomption suivant laquelle il bénéficiait de la protection de l'État; voir Canada (MCI) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.). La preuve soumise par le demandeur quant aux actes de persécution commis et à l'inaction de la police à cet égard est conjecturale. Le demandeur n'a lui-même jamais demandé la protection de la police. Il aurait, selon les allégations, craint de le faire parce qu'à deux reprises, des membres du NDC auraient été détenus par la police après avoir signalé des agressions. Toutefois, la preuve indique que dans la ville natale du demandeur, la police est intervenue lorsque la soeur du demandeur a signalé les actes de harcèlement que lui avaient fait subir des membres de l'Association des jeunes du NPP. Le demandeur n'a pas produit la preuve claire et convaincante exigée dans l'arrêt Villafranca, précité, et Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. no 689. La Commission a dit à la page 5 de ses motifs :

[...]           Le demandeur ne s'est adressé en aucun temps aux autorités, quelles qu'elles soient, pour être protégé. Le tribunal conclut que le témoignage du demandeur principal concernant son refus de demander de la protection dans sa région parce que d'autres personnes qu'il connaissait étaient détenues n'a pas fourni une « preuve claire et convaincante » que l'État ne serait pas en mesure de le protéger s'il s'installait ailleurs. Il a témoigné qu'une de ses connaissances est allée au service de police et qu'il ignore maintenant où cette personne se trouve. Le demandeur a fait état de ses problèmes à son entraîneur qui lui a conseillé d'aller au service de police. À ce moment, le demandeur se trouvait dans une autre région d'Accra et n'avait toujours pas demandé de la protection ou des conseils aux autorités. La soeur du demandeur a contacté le service de police après avoir été interceptée dans son automobile par des jeunes qu'elle croyait être des membres du NPP. Elle a contacté le service de police, mais au moment de l'arrivée des policiers, le groupe et la personne qu'elle avait reconnus avaient disparu. Bien qu'ils n'aient pas attrapé les malfaiteurs, le tribunal conclut que l'intervention policière a été raisonnable. Le tribunal conclut que les motifs donnés par le demandeur pour ne pas être allé au service de police ne réfutent pas la présomption de la protection de l'État. Après avoir pris en compte le témoignage du demandeur contenu dans la preuve documentaire, le tribunal conclut qu'une protection adéquate de la part de l'État serait à la disposition du demandeur s'il s'installait à Sekondi-Takoradi [...]

[14]            Après avoir examiné la preuve, je conviens que le demandeur n'a pas réfuté la présomption suivant laquelle il bénéficiait de la protection de l'État. Dans l'arrêt Villafranca de la Cour d'appel fédérale, précité, le juge Hugessen a dit à la page 337 :

[...]           Il n'est pas facile de se décharger de l'obligation de prouver que l'on ne peut pas se réclamer de la protection de son propre pays. Le test applicable est objectif, le demandeur étant tenu de démontrer qu'il lui est physiquement impossible de rechercher l'aide de son gouvernement (ce n'est clairement pas le cas ici) ou que le gouvernement lui-même ne peut d'une façon quelconque la lui accorder.

Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation. [...]

CONCLUSION

[15]            Étant donné que le demandeur jouit d'une PRI viable, qu'il bénéficie de la protection de l'État dans le lieu de PRI et qu'il peut donc continuer d'exprimer ses opinions politiques, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

QUESTION CERTIFIÉE

[16]            À l'issue de l'audience, les deux parties ont proposé la question suivante à certifier :

[traduction] La conclusion de l'existence d'une PRI raisonnable supposait-elle que le demandeur pouvait continuer ses activités politiques dans le lieu de PRI?

Les parties croyaient que cette question n'avait pas été examinée. En fait, la Commission en a traité expressément aux pages 4 et 5 de sa décision :


[...] Également, le demandeur a témoigné qu'il y avait des bagarres partout au Ghana et qu'il ne se sentait pas en sécurité. Le tribunal conclut que la situation décrite par le demandeur en est une de risque généralisé pour les citoyens et n'est pas spécifique au demandeur. Si le demandeur continuait ses activités politiques dans le lieu de PRI, une protection appropriée de la part de l'État lui serait-elle accessible? Le tribunal a consulté la preuve documentaire.

Le Ghana est une république constitutionnelle. Plusieurs groupes chargés de la sécurité font rapport à divers ministères. Le service de police, régi par un conseil de police composé de huit membres, est responsable du maintien de l'ordre public. Un ministère distinct, le Bureau national d'enquête (BNI), se charge des cas considérés dangereux pour la sécurité de l'État et relève directement de l'autorité exécutive. Bien que l'appareil de sécurité soit dirigé par le gouvernement et soit à son service, la surveillance, l'encadrement et la formation des policiers, en particulier, demeurent de mauvaise qualité. Le service de police et d'autres forces de sécurité ont commis d'importantes violations des droits de la personne. Aucun rapport n'a été fait relativement à des disparitions à motivations politiques. Malgré les dispositions législatives, des abus sont tout de même commis. Le système a ses lacunes [...] [Non souligné dans l'original.]

[17]            Je conclus que la Commission a pris acte des problèmes existant au sein de la force de police ghanéenne et que, malgré les dispositions législatives, des abus sont tout de même commis. Après avoir examiné la preuve documentaire, la Commission a examiné l'arrêt Canada (MEI) c. Villafranca (1992), 99 D.L.R. (4th) 334 (C.A.F.), de la Cour d'appel fédérale et a conclu que le système policier ghanéen avait ses lacunes, mais que le demandeur n'avait pas réfuté la présomption suivant laquelle il bénéficiait de la protection de l'État. En conséquence, il ressort implicitement que le demandeur pourrait continuer ses activités politiques dans le lieu de PRI parce qu'il y bénéficierait d'une protection adéquate de l'État. Étant donné que la Commission a répondu implicitement à la question proposée et qu'il ne s'agit pas d'une question grave de portée générale, aucune question ne sera certifiée. Une PRI n'est une PRI que si le demandeur peut continuer d'y exercer ses activités politiques tout en bénéficiant d'une protection adéquate de l'État.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Michael A. Kelen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    IMM-1363-03

INTITULÉ :                                                   BERNARD ODOI CHARWAY

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                            EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 6 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                                  LE 16 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Michael Tilleard                                                POUR LE DEMANDEUR

Rick Garvin                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McMenemy & Tilleard                         POUR LE DEMANDEUR

Edmonton (Alberta)

Morris Rosenberg                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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